- La légende raconte que Thanatos n'a connu que deux amours dans sa vie.

Dante resta silencieux, alors que son collègue, le Docteur Etienne Babot affichait un air songeur. Les deux hommes, en blouse blanche, étaient dans une grande salle froide. La morgue. Un havre de paix au sein de l'Hôtel-Dieu. Enfin, quand il n'était pas agrémenté des réflexions philosophiques d'un humain, estimant de bon goût de parler des histoires d'amour d'un Dieu, devant un cadavre éventré, salement amoché, dans lequel ils retiraient des éclats de balle depuis plus d'une demie-heure, tellement il avait été troué. Méticuleux, exerçant ses gestes d'une main de maître qui laissait son coéquipier secrètement admiratif, le légiste Graves agissait avec une rigueur inébranlable. Une froideur inquiétante, disaient même d'autres membres de l'hôpital. Ils ne lui connaissaient pas beaucoup d'amis. Certains le considéraient même comme un peu autiste. Avec lui, les conversations restaient claires, concises, pragmatiques. Pas d'enfantillages, pas de blabla. La vérité, servie comme un coup de fouet presque mortel. Il posait parfois quelques questions, entretenait une conversation basique, élémentaire mais rares étaient ses sourires et encore plus ses gestes chaleureux. Rien ne filtrait jamais sur sa vie, alors toutes les histoires les plus fantasques circulaient à son sujet. Des rumeurs, auxquelles il prêtait l'oreille quelquefois, intrigué que l'on puisse avoir l'outrecuidance de rédiger sa biographie sans même le consulter. Quand il n'était pas amateur de BDSM à la personnalité déviante, on le désignait comme trop timide pour pouvoir parler aux autres, trop introverti. Certains le suspectaient même d'être un espion de la CIA, tout ça parce qu'il parlait parfaitement bien le français, l'italien et l'anglais. Toutes ces foutaises, cela lui passait au-dessus. La seule chose qui importait, depuis des millénaires, c'était son travail. Le reste, pas même sa personne ne revêtait suffisamment d'importance pour qu'il s'y attarde. Car oui, sous cette enveloppe charnelle ne se cachait pas n'importe qui. Thanatos, Dieu de la Mort avait pris possession de ce corps quelques mois auparavant, trouvant cette cible brillante, auréolée de mille feux, au sortir de l'Ether.

De mémoire de divin, il n'avait jamais trouvé un véhicule aussi parfait. Dante Graves était né environ 30 ans auparavant à Rome, en Italie. Il avait grandi entouré par ses parents, passionnés par la Mort, figurant parmi les rares personnes à croire dans le fils de Nyx et jumeau d'Hypnos. Thanatos pour idole. Au point de se lancer dans des études de médecine légiste. Au point de ne cesser de prier le Dieu depuis le décès brutal de ses parents, pour lui demander de veiller sur eux. Au point d'émettre quotidiennement le souhaite de le servir au mieux. En habitant ce nouveau corps, il avait épousé sa vie, revécut l'ensemble de ses souvenirs, comme un film dans lequel, il devait bien l'admettre, il avait ressenti un petit pincement dans son coeur de granit. Comme toujours quand il prenait possession d'un humain. Bien qu'il n'en montra jamais rien, il ressentait des émotions. Il était capable d'empathie, bien plus que l'humanité ne pouvait le penser. Pour autant, il ne la laissait jamais transparaitre. Par devoir. Toujours par devoir. On l'appelait le Faucheur, on le craignait, on le disait impitoyable et brutal. Il ne démentait pas. Parce qu'il était bien comme on le décrivait. Il donnait la Mort sans état d'âme. Face à lui, tout le monde était égal. Aucune préférence, aucun traitement de faveur. C'était sa nature, sa raison d'exister. Il n'y avait aucune place pour des sentiments dans ce qu'il faisait. Cette façon de compartimenter sa façon d'être, c'était sa marque de fabrique, celle qui lui avait valu au sein de son Panthéon, distance et respect. Il avait toutefois ajouté quelques rituels à sa panoplie, tout droit issus de la vie de Dante. Ainsi, il pratiquait une haute activité sportive, alternant course à pied, musculation et boxe. A cela s'ajoutait un régime strict : pas de cigarette, aucune drogue, aucune goutte d'alcool. Il avait poursuivi l'ajout de tatouages sur sa peau, autant de marques dont il aimait la présence. Elles étaient ses compagnes dans la solitude.

Parfois, il prenait le temps de s'examiner dans la froideur de son miroir, examinant chaque centimètre de peau. Si on lui avait laissé le choix, il aurait bien conservé sa forme éthérée. Et puis son domaine, aussi. Là-bas, dans le Tartare, près de la porte des Enfers, il régnait en maître dans un territoire teinté de gris, sombre. Lugubre. Des arbres morts s'élevaient de monticules d'ossements. Il y régnait un brouillard épais, une brume aux senteurs d'encens, assez agréables, entêtantes. Des torches renversées apportaient une faible lumière. A côté, la Terre lui paraissait si écoeurante, si dégoulinante de couleurs et de puanteur, qu'il s'en sentait régulièrement incommodé. Rien ne pourrait jamais égaler son domaine. Mais le principe d'une maison, c'était de la quitter pour n'aller s'y réfugier qu'en cas de nécessité. Alors à Hadès l'écoeurement que lui provoquait ces incarnations... Il prenait sur lui et travaillait sans relâche à sa noble tâche.

- La première s'appelait Alceste. Elle était mariée au Roi Admète, qui un jour, accueillit en sa cité le solaire Apollon. Ce dernier, pour le remercier, demanda aux Moires que l'immortalité lui soit accordé. Elles acceptèrent en échange d'une autre vie.  Mais Thanatos accusa Apollon d'avoir triché et enfreint les règles.

- Fils de suture.

Etienne lui tendit machinalement ce qu'il demandait, concentré sur son histoire. Il n'avait pas perçu, au timbre de voix grave et laconique de Dante, que ce dernier manquait profondément d'intérêt pour ce qu'il était en train de dire. Et ce fut donc tout naturellement, qu'il poursuivit, imperturbable :

- En apprenant les conditions pour lesquelles Admète deviendrait immortel, Alceste décida de se sacrifier. Le mythe raconte qu'au moment où Thanatos est venu la chercher pour l'emmener aux Enfers, elle s'est montrée si digne et si élégante, qu'il en est tombé amoureux.

D'un geste précis et régulier, Dante poursuivit son oeuvre, impassible, refermant l'une des ouvertures qu'ils avaient du faire pour extraire les éclats de métal présents dans les viscères de la victime, complètement explosées.

- On raconte qu'Alceste a été enlevée des Enfers par Héraclès. Il aurait collé une sacré trempe à Thanatos. Cela l'aurait tellement affecté qu'il se serait plongé dans le mutisme, de honte.

Une veine se gonfla légèrement au niveau de la tempe gauche de Dante. Ce fut la seule réaction qui filtra, et que son interlocuteur ne releva pas.

- Et puis, une autre légende racontre que Thanatos est tombé amoureux de Macarie, la fille d'Héraclès. Si tu veux mon avis, il a forcément cherché à se venger. Mais il est dit qu'il lui a quand même fait un enfant... et qu'Hadès, lorsqu'il l'a découvert, n'a pas été content du tout.

Cette fois, Dante laisse échapper un soupir d'exaspération.

- Ta logorhée fatigante comporte-t-elle une fin ?

- Quoi, avec tout ce qu'il se passe, ne me dis pas que tu ne t'intéresse pas au Dieu de la Mort ? Tu es littéralement en train de mutiler un cadavre. Avec tout ce qu'il se passe, tu ne crains pas qu'il n'apprécie que très moyennement, ce que nous sommes en train de faire ?

- Non.

Il y eut un silence pendant de longues secondes, avant qu'Etienne ne reprenne la parole, arquant un sourcil.

- Et c'est tout ? Tu n'argumentes même pas ?

- C'est sans intérêt.

- Bien que si, qu'il y a un intérêt ! Je n'ai pas envie de finir décapité par une faux, moi !

Dante claqua sa langue dans sa bouche, en signe manifeste d'agacement.

- Un glaive. Thanatos était armé d'un glaive dans les livres. La faux est une lubie des philosophes qui voulaient réduire son rôle à celui d'un moissonneur des âmes alors que tout tend à croire qu'il ne se cantonnait pas qu'à ça.

- Oh ! Mais pardon, votre altesse ! Pardonnez mon manque de connaissance en la matière !

- Non. Si les gens cessaient de parler pour ne rien dire, s'ils cessaient de fantasmer sur des histoires dont ils ignorent beaucoup de choses, le monde s'en porterait beaucoup mieux. En lieu et place de causer d'un mythe qui n'a aucun intérêt, nous aurions pu finir notre travail plus tôt si tu m'avais aidé. Qu'importe. Tu t'occuperas du rapport, j'ai fait ma part.

Dante posa ses outils de dissection, maintenant que les plaies étaient recousues. Il se recula légèrement de la table d'opération, pour retirer ses gants et les mettre dans la poubelle prévue à cet effet.

- Haha, très drôle, Dan !

Ce fut lorsqu'il croisa les yeux gris de Dante et qu'un frisson lui parcourut le dos, qu'il comprit qu'il ne plaisantait pas. En même temps, il aurait du le savoir... puisqu'il le cotoyait depuis plusieurs mois. Il soupira.

- Ok... ok... Je vais m'en occuper... Et toi, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

- N'oublie pas de nettoyer les instruments.

- Dan... Dan !

Dante quitta la salle sans autre forme de procès, laissant Etienne seul dans la pièce. Après quelques secondes de silence, celui-ci observa le cadavre et regarda autour de lui en murmurant :

- Hé... euh... Thanatos... sans rancune... je blaguais, hein... d'accord ?

Le claquement d'une porte, au loin le fit sursauter. Il s'empressa de remettre le cadavre dans son frigo et de rassembler ses affaires pour quitter cet endroit. Dante avait beau lui dire que c'était idéal pour se ressourcer, il n'arrivait pas à ôter le sentiment de peur qui l'habitait, dès qu'il restait tout seul dans la chambre froide. Quand il fut dans son bureau, il regarda dans la cour. Dante avait mis son casque et démarra sa moto. Le bruit du moteur pétaradait doucement à travers le double vitrage. Oh, il l'aimait bien, son collègue. Il le trouvait très professionnel et attachant. Sa capacité à éluder les questions, à n'en dire que peu sur lui et à n'avoir aucun ami, ça suscitait sa sympathie. Il ne savait pas ce qu'il avait vécu ce bougre et il ne le saurait sans doute jamais. Mais ici, ça restait sans aucun doute la personne la plus franche et la moins calculatrice qu'il connaisse. En le voyant s'éloigner, il lui souhaita d'arriver à bon port. Des types comme lui, ça ne courait pas les rues. Il fallait que Dieu veille sur lui. Qu'il lui donne un peu de bonheur pour compenser ses douleurs nimbées de mystère. Sans se douter que Thanatos n'avait que faire du bonheur. Il n'existait pas pour être heureux. Il était la Mort. Il était le trait d'union entre la vie et l'après, une simple étape à franchir. De sa naissance des entrailles de Nyx jusqu'au jour de sa propre fin, il n'avait qu'une idée en tête :  accomplir son devoir. Quel qu'en soit le prix à payer. Et cela incluait également le fait de perdre Alceste et Macarie. Ainsi marchait la vie. Inélectablement, vers la Mort.

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Allez, c'est parti !  

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Et voilà c'est fini, je vais rendre mon micro et repartir tyranniser les membres dont tu fais désormais pleinement partie  Te voilà paré à affronter le monde ! Comme on dit chez moi... Y'a plus qu'à! Bon jeu à toi!