Les rayons du soleil crépusculaire se reflétaient à la surface alors que, vêtue d’une simple robe blanche estivale, le regard perdu vers l’horizon où l’astre commençait à disparaître, elle s’avançait dans l’eau rafraîchie par U Libecciu qui s’était levé quelques instants auparavant, faisant voler ses cheveux derrière elle, dégageant son visage qui se trouvait arrosé de quelques gouttelettes. Elle n’avait plus de larmes, son cœur était dans la serre griffue d’un tel chagrin qu’elle ne parvenait plus à pleurer, qu’elle restait insensible à la morsure du froid sur sa peau qui lui donnait la chair de poule. Elle ne voyait que le soleil qui disparaissait à vue d’œil, le ciel qui devenait de plus en plus sombre. Puis ce fut le noir complet.

Le vent dans les voiles, le vent dans ses cheveux et tandis que le quai se rapprochait de plus en plus, qu’elle voyait la foule, le bonheur qui la submergea. Il avait fendu la foule qui applaudissait et l’acclamait pour lui tendre la main lorsqu’elle descendit de son catamaran. À peine eut-elle mis pied à terre qu’il l’attirait à elle pour l’embrasser fougueusement, devant les caméras de télévision. Elle l’avait fait ! Elle n’avait que 17 ans et à bord de son voilier qu’elle avait baptisé « Le Fand », elle venait de remporter le Vendée Globe.

Lorsque j’ouvris les yeux, j’avais coulé au fond de la mer, je sentais les galets sous moi. Je n’osais pas respirer, me sentant encore faible et déstabilisée. Je regardais à droite et à gauche, désorientée. Un coup de pied au fond et je me donnais de l’impulsion pour remonter à la surface. Au loin, une plage. Je nageais, sortais de l’eau et me laissais tomber sur les galets pour reprendre mon souffle.

Une robe de mariée blanche, pieds nus sur la plage, au pied de la tour. Les mains dans les mains, les yeux dans les yeux, ils se jurèrent un amour éternel. Ils avaient 20 ans, jeunes peut-être mais sûrs d’eux. Ils s’aimaient depuis l’enfance, Lisandru était l’homme de sa vie. L’amour…

Il faisait nuit, il faisait froid. Je marchais, pieds nus, sur la route, me tenant les bras en les frictionnant tout en regardant autour de moi. Les maisons près de la plage de la Marine de Negru étaient inoccupées, ce n’était plus la saison même si les températures diurnes étaient plus clémentes que les nocturnes. Je continuais à marcher durant une dizaine de minutes, remontant la route de la plage pour atteindre la partie haute de la Marine. Aucune voiture ne vint à passer et moi je marchais… Pour m’arrêter devant une maison, avant le pont. Je la reconnue. La sienne, celle de Vanessa Orsini. La mienne désormais.

Elle serrait sa main de toutes ses forces, la broyant. Son front était en sueur, elle avait mal, comme si on la déchirait de l’intérieur, elle hurlait, injuriant en Corse la pauvre sage-femme qui ne faisait que son travail en l’incitant à pousser, une chance pour la dame d’être continentale. Ça ne devait pas se passer comme ça. Le petit ne devait naître que le mois suivant, elle aurait dû accoucher à Bastia et non pas à la clinique de l’Ospedale à Porto-Vecchio. Ils avaient voulu profiter d’un petit week-end en amoureux, à la plage de Palombaggia à trois heures de voiture de chez eux.

-Encore un dernier effort et… Félicitations ! Vous avez un adorable petit garçon.

Alors que les premiers pleurs de son fils se fit entendre elle relâcha la pression sur la main de son mari qui lui caressait le front, en la félicitant, lui disant combien il l’aimait, et l’embrassant. Puis la sage-femme vint déposer leur enfant, enveloppé dans un linge, dans les bras de sa mère.

-Et voilà, je vous présente votre petit…

-Orsu. Orsu Ange Orsini. termina-t-elle d’une voix fatiguée mais avec un sourire rayonnant de bonheur.


Je sortis d’une longue douche bien chaude, la salle de bains était emplie de vapeur, le miroir d’une buée que j’effaçais d’un geste de la main même si elle ne tarda pas à se former à nouveau. J’observais attentivement mes traits dans le miroir. Elle était blonde, mignonne mais avec une lueur de tristesse intense dans le regard. Elle était la proie à un chagrin presque inhumain.

 
La petite Marine de Negru s’était enveloppé d’un blanc manteau durant la nuit, la rivière d’Olmeta offrait le rare et fascinant spectacle d’être entièrement gelée. C’était un décor enchanteur et malgré les hivernales températures elle était sortie tout sourire pour aller prendre des photos, prenant le chemin de montagne montant jusqu’au village pour s’arrêter à un coin de la rivière où ils adoraient aller l’été. Gelée là aussi. Superbe. C’est avec le sourire qu’elle était revenue chez elle pour découvrir une voiture de gendarmerie garé devant sa petite allée. Les battements de son cœur s’accélérèrent, inquiétude sourde alors que son sourire se figeait, disparaissait peu à peu. La douleur, foudroyante. Elle tomba à genoux, sans hurler ni pleurer, incapable de respirer.
 
Je fus mariée, en des temps très anciens, à un homme qui m’a aimé tout comme je l’ai aimé à savoir trop. Trop fort, trop passionnément, sans concession… Mananann Mac Lir et moi vécûmes une relation passionnelle et fusionnelle où l’amour et les querelles étaient emplis d’une certaine violence. Nous avions des querelles aussi épouvantables que les tempête en mer…Jusqu’au jour où vint la dispute de trop, le point de non-retour qui me fit le quitter sans un regard en arrière. Je ne me souviens plus de la raison de la dispute, mais je sais qu’elle brisa net tout amour que j’avais pour lui, faisant naître une haine qui s’est éteinte avec le temps. Désormais il ne m’est rien, ne représente rien et m’indiffère. Oui, il m’est devenu indifférent, ce qui ne fait qu’attiser sa flamme qui brûle toujours pour moi.
 
Ce ne devait être qu’un week-end pour voir ses parents de voyage en France alors qu’ils faisaient le tour du monde, profitant de leur retraite. Ce ne devaient être que deux petits jours où Lisandru aurait emmené Orsu voir la Tour Eiffel. Deux petits jours où elle avait dû rester en Corse. Deux jours et elle aurait à nouveau serrer son fils dans ses bras, sentit la chaleur des baisers de son mari sur sa bouche… Deux jours sans eux qui se transformèrent en éternité. Il aurait suffit qu’au moment de monter dans leur taxi Orsu s’arrête pour observer un pigeon, qu’il se baisse pour refaire son lacet, d’une distraction quelconque pour qu’ils le ratent et doivent prendre le prochain. Et ils seraient arrivés une fois que l’immeuble se fut effondré, mais non…leurs corps furent retrouvés dans les décombres… Tués sur le coup ce qui était piètre consolation mais au moins ils n’eurent pas le temps de voir la mort venir ou de ressentir la moindre douleur. La souffrance lui avait été réservée.
 
C’est après une énième dispute avec Mananann Mac Lir, jurant sur mes grands dieux que plus jamais je ne me remettrais avec lui, que je fis la connaissance de Cúchulainn. Je volais sous ma forme d’hirondelle, il me blessa avec une flèche et sous ses yeux médusés je repris forme humaine, dénudée. Il me soigna et entre nous naquit un amour qui provoqua la jalousie de son épouse légitime : Emer. Elle voulu me tuer, avec cinquante de ses servantes, mais Mananann Mac Lir s’interposa pour me soustraire à elle et son mari. Il utilisa son manteau de brumes d’invisibilité pour me soustraire à leurs vues. Quant à Emer et Cúchulainn des druides, afin de ramener la concorde entre eux, leur firent boire une potion d’oubli : je fus effacée de leurs souvenirs. Je retournais avec Mananann Mac Lir mais il me fallut du temps pour oublier ma peine…Beaucoup de temps. Mananann Mac Lir me reprocha mon aventure, un comble alors que pendant notre mariage, et même après la naissance de notre fille Niamh, il fit de nombreuses conquêtes féminines et eut des enfants hors-mariage… Ou était-ce un seul ? Je ne sais plus…Cela ne m’importe plus guère désormais… Toujours est-il qu’il évoqua Cúchulainn une fois de trop… et je le quittais définitivement.
 
Ils furent inhumés dans le caveau familiale des Orsini, dans leur village natal d’Olmeta. Elle était de noir vêtu, les cheveux attachés, le regard sombre mais sans larmes. Le visage dénué de toute émotion. Elle ne voyait pas les gens autour d’elle, elle n’entendait pas les condoléances, ne parlait pas. Elle fixait les deux cercueils dans leurs niches. Elle ne ressentait même plus la douleur de leur perte, elle ne ressentait plus rien, elle avait le cœur comme vide. Elle caressa une dernière fois le bois des cercueils avant que la sépulture ne fût fermée. Petit à petit elle tenta de reprendre une vie dite normale, s’occupant seule des gites que Lisandru et elle avaient ouverts après qu’elle eut pris sa retraite sportive.
 
Je menais une petite vie simple, teinté d’un chagrin qui n’était pas mien mais qui le devint, en quelque chose. Je m’occupais des gites ruraux que Vanessa et Lisandru avaient ouverts, je naviguais et restais un peu en retrait du monde même si j’avais repris contact avec Meduna qui me tenais au courant de ce qu’il se passait dans le monde.
 
Puis vint la Grande Révélation…

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Et voilà c'est fini, je vais rendre mon micro et repartir tyranniser les membres dont tu fais désormais pleinement partie Te voilà paré à affronter le monde ! Comme on dit chez moi... Y'a plus qu'à! Bon jeu à toi!