Melvyn Belmonte - Skies Will Fall #Teutates

Il y a une odeur d’ozone. Ca pique les narines. Ca les fait frémir. Les poils se dressent sur la peau. On entend de petits bruits, de tous petits claquements. Comme quand la foudre frappe le sol, mais à une échelle bien plus petite, ou quand deux fils entrent en contact. Ce genre de bruit, de grésillement, éveille une peur presque instinctive ; celle de se faire mal par quelque chose que l’on ne maîtrise pas. Melvyn est en train de faire un arrêt cardiaque. Je l’ai senti. Il a illuminé les limbes comme un phare, attirant ma conscience.

J’ai d’abord entendu les prières. Psalmodiées, sur différents rythmes, à différentes intonations. Une voix de femme. Une âme élue, marquée depuis des siècles par tout le poids de son destin. Je l’ai entendue.

Sondei sistamos.
Toexrexti au noxti.

Nous nous tenons là.
Nous avons surgi de la nuit.

Elle continue de déclamer la langue ancienne. Dans le vent balayant les limbes, les paroles m’appellent. Comme aux temps anciens, où ils étaient des milliers à les déclamer. Je ressens Melvyn Belmonte, alors qu’il est en train de mourir. Trop de tout. Trop d’alcool. Trop de vices. Trop d’épreuves. Son courage brille comme une flammèche dans l’éternité obscure et ténébreuse. Sa conscience fragile oscille comme une flamme sur le point de mourir, balayée par des coups de vent contraires.

Sepomor ateras seni in cridiiobi.
Auii in menuanbiuer oinon sistamos.

Suivant nos ancêtres, nos parents.
Dans nos cœurs, nos descendants dans nos esprits.

Il est en train de rendre l’âme. Et l’appel perdure. Sa voix se distingue dans le vent glacé qui balaie les plaines de rien de l’écho du monde qui nous a vus naître. Sa voix continue, gagne parfois en puissance, reflue. Je renifle l’odeur du sang. Je reconnais sa puissance. A une dimension de distance, j’entends le fil tranchant qui passe sur un col, et le sang qui coule en abondance. Ce bruit liquide, si caractéristique, marqué par les variations de la pression sanguine alors que le corps de la victime se vide. Ces remontées carmines, qui remontent en gros bouillons. Belmonte se meurt, lui aussi. Son cœur trop sollicité qui s’effondre, en même temps que ses autres fonctions vitales. Un meurtrier et un autre homme meurt, sans que l’on puisse qualifier le second d’innocent. Il a des choses qui le travaillent. Tant et plus qu’il regrette. Je le sais en sondant son âme, de cette dimension informelle où je me trouve. Il trimballe une armée de démons intérieurs dans sa valise pour l’au-delà. De ces gens qu’il a tués. Mais plus encore, de ceux qu’il n’a pu sauver. Ceux qu’il a dû enjamber, quelques années plus tôt. En train de mourir à même le sol, alors qu’il progressait casqué et encagoulé dans une salle de concert. Il ne s’en est jamais remis. Melvyn Belmonte est une âme en perdition qui s’apprête à se faire souffler dans la tempête, et pourtant c’est lui aussi un phare qu’il aperçoit dans le bout de la nuit.

Les paroles sont scandées. Presque sur un ton de défi.


In ueniia.
In touta.
In cenetlei.
Dlixomos snis.

Nous nous tenons côte à côte.
Dans nos familles.
Dans notre tribu.
Dans notre nation.

Je repense alors à tous ceux que j’ai laissés derrière moi. A ceux qui descendent des tribus guerrières de jadis. A ces femmes et à ces hommes, à tous ces braves qui ont travaillé le fer comme personne, qui ont cultivé et ont bâti, avec tant d’ingéniosité. A tous ces gens qui se sont assemblés en familles, en clans, puis en tribus, et qui ont poussé toujours plus loin les frontières de leur civilisation du possible. Je repense à la tribu qui m’a vu naître, les Nerviens. A leur dégoût des alcools étrangers, qui amollissent l’âme, à leur rejet du commerce, qui corrompt l’âme des richesses non produites. Je me souviens de la bataille du Sabis, où ces milliers de guerriers passent la rivière en barque, avant de courir sus aux nains de la Louve, envoyés par les Olympiens pour nous abattre. Je me rappelle de Brennus et de la prise de Rome, je me remémore le Sac de Delphes et l’attaque du Pirée, avant de passer avec les Galates en Asie, repoussant toujours plus loin les frontières de l’impossible. Ces « barbares » qui ne parlent pas le Grec, et qui pourtant défient l’impossible. Je me souviens de mes frères. Bagarreurs et querelleurs. Esus et Taranis, deux idiots qui font les paons devant les prêtresses, et qui pourtant se battent avec obstination. Je me souviens de Meduna, que j’aime sous les arbres des clairières sacrées. D’Epone, qui toujours m’aide et m’assiste, qui m’aime et me soutient, et à qui je dédie tout. A sa bonté, qui n’a nulle autre pareille, et à sa dévotion qui me mettent l’âme en pièces.

Je me souviens de la famille que je me choisis. De Morrigan, et de l’ouragan de folie dans lequel ma conscience se dilue, balayée par sa tempête. Je me souviens de Mama Quilla et de son sourire triste, de sa caresse diaphane. Je me souviens de ces fils et de ces filles, que j’ai tant aimés, de ces compagnes et de ces frères d’armes, à qui je me dévoue.

Ne snis dibrogiator.
Enepon toutateis toaidiat uer snis.

Puissions-nous trouver la dignité.
Faites que nous ne soyons pas bannis.

Belmonte expire. Le temps presse. Et pourtant, je repense à ces astres tristes qui prédominent dans le destin du monde. Je me souviens d’Alésia, et de ces milliers d’hommes mourant dans le fossé, devant le parapet où les romains tiennent bon, fiers et victorieux. Je me souviens de ce col de Roncevaux, où meurent les fidèles des fidèles, ou de Montgisard, un bain de sang sous le soleil de la gloire. Je me rappelle Crécy et Formigny. Des expéditions au Nouveau-Monde. De Fort-Carillon et des plaines d’Abraham, de l’expédition de Bougainville. Je me rappelle Wattignies et Fleurus. Je me souviens d’Eylau, et de la campagne d’Allemagne, de celle de Russie. Je me souviens de la Moskowa, et du passage de la Bérézina trois mois plus tard.

Mais, je sais quoi dire, sur la mort.

La mort c’est rouge. Et puis c’est bleu. Et puis c’est froid. Et par-dessus tout, ça devient un silence.

La mort, c’est un silence de mort.

Je me rappelle des hommes qui meurent de soif sur les flancs du Mont Auxois. Je me souviens de ceux qui succombent à la maladie dans les forêts humides du Canada. Je revois la longue colonne étirée et vaincue des saxons après Wolkowysk. Des milliers d’hommes qui marchent et qui meurent, de froid et de faim, parfois du fait des cosaques. Je me souviens de leur désespoir silencieux qui m’envahit et m’oppresse, qui m’étrangle. Je suis vaincu, comme eux. Le métal froid du pistolet sur la tempe, prêt à presser la détente. Je me souviens de la fin de toute raison, de l’abolition de tout espoir. Je me souviens de mon seul moment de faiblesse et d’abandon, seul devant l’étendue glacée de la steppe. Plus de ciel ni de terre, et seulement la neige, et le froid. Le désespoir absolu des rares survivants. Leur peur de la mort, et surtout, leur panique de ce qu’il va advenir de leurs proches, sans eux. De ce qu’il adviendra de leur dépouille quand les cosaques reviendront, toujours friands de trophées humains. Je me souviens de la neige qui tombe d’un ciel de noir d’encre, seulement illuminé de l’incendie des isbas de l’horizon. Ces rapaces nous privent de tout. Le froid nous tue.

Je me souviens la mort de Mama Quilla. Transpercée d’une rafale.

Des éclairs dans mes yeux. Du tonnerre qui gronde, du vent qui se lève.

Du Ciel qui leur Tombe sur la Tête.

La voix m’appelle.

Beramos uolugatun.
Silon antumni sexetor.

Que Toutatis lève son visage et nous illumine.
Nous porterons la torche.

Je la vois, cette torche. Qui brille dans la nuit. Je la vois passer Delphes en revue, l’incendiant à la face de ses dieux protecteurs. Je la voix brûler Rome. Je la vois passée à Bagacum, n’épargnant ni les femmes ni les enfants. Moins de cinquante survivants, sur une population de plusieurs milliers. Et les légionnaires qui se repaissent du malheur des vaincus, vengeant ceux que Brennus a jadis frappés de honte en prenant leur précieuse cité, berceau d’un futur empire. Je vois tous ces gens agenouillés, têtes baissées, qui tendent pourtant la main paume ouverte dans ma direction. Je vois la torche briller dans la nuit, de laquelle nous avons jadis surgis.

Toutatis toexrexet etic rata buont uer.
Snis buont rata esous iccatis dagos.
Suuispe uer snis.
Taranis nertacos aresnisueddet.

La progéniture d'Antumnos nous suivra.
Que Toutatis s'élève et nous bénisse.
Qu'Esus, le bon, le sage et panacée nous bénisse.
Que Taranis, le fort, nous guide.

La voix de femme gagne en force, en assurance.

Melvyn Belmonte rouvre les yeux, alors que les pompiers lui font un massage cardiaque. Je vois. Et je ressens. Je me vois avec Morrigan, dans un pays où le ciel touche la terre en nappes de multiples nuances d’émeraude. Je me vois avec Nyx, sous un ciel étoilé, à discourir de la beauté du monde. Je revois une Reine Sarmate, qui chevauche avec ma foi jusqu’au Ponant. Le sourire de Mama Quilla, après l’amour, alors que nous échangeons derrière mes vitres colorées de toutes nos vies passées. Je ressens l’amour d’une fille qui n’est pas la mienne. D’une femme que je n’ai jamais aimée. Je ressens l’amour d’un drapeau qui n’est rien pour moi. J’étouffe, sous le poids d’émotions violentes qui m’écrasent ; peur, appréhension, soulagement intense.

Les pompiers qui m’entourent se reculent. Ils murmurent. Certains se couvrent la bouche.

J’étouffe. J’avale de l’air comme je peux. Yeux qui se révulsent. Sang qui coule de mes lèvres. L’arrière du crâne de Melvyn claque sur le bitume de sa voiture accidentée, alors qu’il vient de « survivre » à un accident de la route, causé par un infarctus au volant. La pluie me baigne le visage. Je revois défiler des images. Une femme, la mienne, qui me susurre qu’elle m’aime. Une fille qui rit aux éclats. Des coups de feu dans une salle de concert, des gens qui crient partout au milieu des flashs stroboscopiques. Des hurlements, sans cesse des hurlements. Je me relève, filet de sang qui coule de mes lèvres au sol détrempé de l’A26. Une odeur d’essence. Une odeur de flammes.

Melvyn Belmonte est mort, sous le poids de ses propres manquements. Et pourtant il renaît.

Comme moi.

Je me redresse sous la pluie, dans un blouson de cuir moucheté de mon propre sang.

De celui de Melvyn. Le mien.

J’entends les cris et les jurons de Morrigan, alors que les soldats de l’unité d’assaut ouvrent le feu. Je vois Mama Quilla tomber au sol. Frappée de plusieurs projectiles, qui ont transpercé sa mince silhouette. Je vois le sang qui coule de ces impacts dans sa chair, de son regard qui se fige. Je sens sa peur, au moment de mourir. Sa panique. Naya. Naya, sa fille humaine. Et puis, plus rien. Le vide. Et Morrigan qui déchaîne ses pouvoirs sur les humains qui nous assaillent, en combinaisons tactiques frappées d’écussons de la police. Son rire dément, et ses succès. Au-dessus de nous, le tonnerre qui gronde. Le vent qui souffle. Pluie d’ardoises sur les véhicules des forces d’intervention. Le toit qui s’envole, et qui fait retomber tous ses débris en autant de projectiles qui blessent, qui endommagent. Melvyn progresse, avec ses coéquipiers.

Je ressens leur peur à tous, et leur détermination. J’entends les sécurités qui sont relevées, sur leurs armes. J’entends le sifflement d’une grenade fumigène qui s’embrase.

Je hurle à Morrigan de se tirer. D’aller vers cette putain de remise, dans laquelle il y a une cave suffisamment profonde et solide pour s’abriter du Ciel qui nous Tombe sur la Tête.

Le vent emporte des hommes. Arrache des arbres. La pluie noie tout. Les radios crissent sous les grésillements des rafales et les détonations d’explosifs, sous les cris paniqués des hommes qui affrontent les éléments. Nous fonçons, Morrigan et moi. Hurlant à pleins poumons ; nos armes cueillent des hommes au cou, au casque, au poitrail. Les murs de pierre de la vieille bâtisse sont mouchetés de sang. Et puis, je suis frappé d’un tir en pleine poitrine, qui m’y laisse un trou fumant. Et un autre dans le ventre.

J’expire, au moment où je vois Belmonte, casque arraché et cagoule relevée, me dominer de son fusil d’assaut encore fumant. Qui presse deux fois la détente, visant ma poitrine. Et une fois en visant ma tête.

Noir absolu.

Tout se confond toujours, dans mon âme, dans ma conscience. Je renais sous une pluie que je n’ai pas provoquée, après être mort sous le déluge qui ravage une région entière.

Je m’éloigne, et je reprends le volant de ma voiture d’où on m’a extirpé. Je règle chaque point de contrôle. Les rétroviseurs latéraux, le central, qui me renvoie mon propre regard.

Celui de Melvyn. Qui m’a enjambé après m’avoir abattu, trois mois plus tôt.

Sur le siège passager, une flasque d’argent gainée de cuir. Sous le tableau de bord côté passager, le reflet d’un holster de cuir.

Melvyn Belmonte était un homme compliqué. Et dans le pare-soleil qu’il laisse baissé, l’image de sa fille et de son ex-femme. Sourires bienheureux. Vies brisées. Je sais d’où l’appel est venu. Je sais aussi où reviendront Morrigan et Mama Quilla, quand le moment sera venu. Je dois d’abord voir qui m’appelle.

J’allume la radio, alors que j’avale les kilomètres sur l’autoroute de l’Ouest. Et j’écoute, pour découvrir ce nouveau monde né depuis ma mort.

Je me tiens là.
Et je vais surgir de la nuit.

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Et voilà c'est fini, je vais rendre mon micro et repartir tyranniser les membres dont tu fais désormais pleinement partie Te voilà paré à affronter le monde ! Comme on dit chez moi... Y'a plus qu'à! Bon jeu à toi!