15 avril 2021

J’ai toujours détesté le 15 avril.

À mon époque, nous ne dations pas les jours et les mois comme maintenant, c’est vrai, mais ça ne change en rien le fait qu’il s’agisse de la date anniversaire du début de ma vie d’immortelle. La première existence dont je me souvienne est celle que j’ai quitté ce jour-là. On m’appelait alors la Princesse Bari et je vivais en Corée, dans un village depuis disparu. Mon père était le seigneur des terres sur lesquelles nous vivions. Il était aimé et respecté. Ma mère représentait l’idéal féminin de cette période, du moins pour une femme noble : douce, discrète, cultivée, fidèle et attentionnée. Je rêvais alors de devenir comme elle lorsque j’aurais, à mon tour, un mari et des responsabilités. Malheureusement, les guerres sont une constante de l’espèce humaine. Un autre seigneur voisin nous attaqua par surprise, brûlant nos champs et tuant mes parents. Prisonnière, j’étais destinée à une vie de concubine auprès du meurtrier de ma famille. Passée entre ses mains dès les premières heures de son invasion, il fallait croire que je lui avais plu…

La prière est le dernier refuge des hommes aux heures les plus sombres, aussi priais-je les dieux de la mort de m’emporter ou, à défaut, de rendre mes parents à leur fille, leurs amis, leur peuple… à mon grand étonnement, ils apparurent devant moi. Ils s’en amusèrent. « Regardez-là, ses yeux lui sortent presque des orbites ! Comme elle est mignonne ! » s’écria le premier des trois Juhseung Chasa, les dieux de la mort coréens, une pointe d’excitation dans la voix. « Tu as raison, elle est attendrissante » répondit le second, d’un ton détaché, presque lointain. « On peut la garder ? S’il vous plaaaaît ! » supplia le premier. Le dernier ne parlait pas. Jamais. En plus de mille ans, je n’ai pas entendu le son de sa voix. Le second me fixa, puis communiqua silencieusement avec ses collègues, et il me rendit finalement leur jugement en s’adressant directement à moi. « Qu’es-tu prête à sacrifier pour que nous réalisions ton souhait ? » J’appris plus tard qu’ils n’avaient pas répondu à mon appel par simple bonté d’âme : cet afflux de morts à juger, dont beaucoup auraient dû être promis à une belle et laborieuse vie, les avaient contrariés. « N’importe quoi... » répondis-je, des sanglots dans la voix. J’ignorais alors que je n’engageais pas que mes biens, mon corps ou mon identité. Pour reprendre les termes de la culture chrétienne, j’étais en train de vendre mon âme au diable… « Fort bien, dans ce cas, que dirais-tu de travailler pour nous ?» Bien entendu, j’acceptais. Les termes de notre contrat étaient simples. Mes parents reviendraient à la vie, quelque part dans la région en sécurité, puis ils choisiraient ce qu’ils feraient de cette seconde chance. De mon côté, je deviendrai l’assistante des dieux de la mort sur Terre. Les divinités de la mort firent courir mon nom sur les lèvres de leurs fidèles. La résurrection de mes parents ne fut pas la seule contrepartie qu’à terme, j'obtins. En acceptant ce job pour l’éternité, je devins à mon tour une déesse de la mort, les humains m'assimilant petit à petit au panthéon, m'accordant mes pouvoirs, et me faisant gagner en autonomie par rapport aux Juhseung Chasa. Bien moins puissante que mes patrons, mais d’un tout autre niveau que la simple princesse que j’étais sous ma forme humaine, je continuais de travailler pour eux, raccompagnant les âmes aux Enfers pour qu'ils soient jugés. Les Juhseung Chasa aimaient aussi ma voix, alors qu'elle était devenue mon arme la plus puissante, ils me demandaient souvent de chanter pour eux.

Mes parents retrouvèrent la vie. J’avais eu le droit de leur expliquer le marché que j’avais passé. Ils en tirèrent une immense fierté. Au bout de quelques années, leur fille adorée était devenue 오구신 (Ogushin en alphabet latin), une déesse de la mort, immortelle, à jamais protégée des tracas de l’humanité… Même une fois passé de l’autre côté, ils n’ont pas compris quel était le poids du sacrifice auquel j’avais consenti. Si j’avais eu plus de maturité, plus de jugeote, je n’aurais pas accepté ce marché de dupe. Après avoir accompagné un nombre incalculable d’âmes aux enfers, je sais maintenant ce que la mort a d’inéluctable. Concernant mes parents, je n’avais fait que leur gagner du temps ensemble dans une vie qui n’avait alors de valeur que pour l’enfant que j’étais et qui avais disparu en ce 15 avril.

1er mai 2021

Le printemps est installé à Séoul.

Aujourd’hui j’ai assisté à la dernière des séances de dédicaces pour mon dernier livre. Je trouve amusant, sous mon enveloppe actuelle, de fournir des conseils aux humains qui leur permettent de vivre mieux, moi qui suis sensée les accompagner quand leur dernière heure arrivera.

Encore que… ça c’est la théorie. Depuis l’invasion de la Corée par le Japon, mon panthéon d’origine a été totalement annihilé. Les japonais, pour asseoir leur domination, avaient effacé tout un pan de notre culture, à commencé par nos dieux. Certains, comme moi, ont été assimilés à des divinités japonaises. Unique détentrice en Corée du pouvoir d’accompagner les morts dans leur dernier voyage, j’avais désormais des collègues parmi le panthéon qui m’avait « recueillie » : les Shinigami. Mon nom, bien que toujours connu des historiens et présent dans certaines œuvres, s’était pour beaucoup perdu dans l’oubli. D’unique, j’étais devenue une parmi d’autres. Mon petit plaisir coupable avait été qu’au cours du XXe siècle, la religion dominante en Corée du Sud devienne celle du dieu unique. Catholique pour être précise. La culture coréenne, au moins dans cette moitié, s’était réinventée, s’éloignant résolument de celle de leurs anciens occupants.

Cela aurait dû m’obliger à passer plus de temps au Japon, où les Kami étaient encore priés, mais c’était sans compter que nous étions en surnuméraire : nous accomplissions à plusieurs un travail que je faisais autrefois seule (dans un pays moins peuplé toutefois) et,  comme toutes les autres religions, nous avions moins de fidèles depuis que la technologie avait pris le pas sur les dieux dans le cœur des hommes. À ce titre, je gagnais en liberté et me permettais de prendre des véhicules dans mon pays d’origine, d’y vivre aussi une partie de l’année. Les frontières humaines n’avaient pas de sens pour Enma, mon nouveau boss : quand il avait besoin de mes services, il lui suffisait de m’appeler.

31 octobre 2021

Je vais partir. Entendons-nous bien : j’adore Séoul, mais depuis la Grande Révélation, les panthéons asiatiques semblent décidés à profiter de leurs fidèles et, moi, je ne veux pas voir ça. J’ai été victime de guerre en tant qu’humaine, puis « colonisée » en tant que déesse, je refuse d’être mêlée au massacre des chrétiens qui embrasent mon continent. Malheureusement, depuis la Grande Révélation, aucun endroit sur Terre n’est totalement exempt de conflits dans lesquels les Dieux sont partis prenantes…

Mon état divin n’a pas été révélé. Enma sait combien ma loyauté aux japonais est précaire, il maintient avec moi une distance diplomate. Pourtant, il peut être rassuré : je ne compte pas trahir mon panthéon d’adoption. Tout mon pouvoir vient des croyances de nos fidèles, sans eux je ne suis plus rien. Je ne souhaite seulement pas être mêlée à ces « projets », quels qu’ils soient. On ne peut pas dire que j’ai été beaucoup tenu au courant, vivant dans un pays majoritairement catholique.

Puisque je ne me sens plus à l’aise chez moi, et que je ne veux pas non plus retourner au Japon, je vais aller dans l'œil du cyclone : à Paris. J’y aurais peu de clients. On n’y trouve pas beaucoup de shintoïstes… J’écrirai un nouveau livre, peut-être sur comment s’épanouir à l’étranger, et je verrai ce que valent les dieux de là-bas. Enma devrait apprécier que je joue les indics ! Bien entendu, si les mortels ne sauront pas que je suis une déesse, mes semblables le comprendront. Pour faire plaisir à ceux de mon panthéon - qui, au fond, ne sont pas responsables de la guerre menée par les humains qui a détruit celui de Corée - j'irai probablement parler aux Nordiques. Un rapprochement avec eux est envisagé : avec un peu de chances, ils sont moins sanguinaires que les hindou. Qu’importe. Je suis une déesse de la mort, je sais que la vie n’a que la valeur qu’on lui donne, et la mienne n’en a plus depuis bien longtemps…

Avant de te lancer corps et âme sur le forum, nous tenions à te donner quelques informations importantes ! Promis cela ne prendra pas beaucoup de temps.

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Et voilà c'est fini, je vais rendre mon micro et repartir tyranniser les membres dont tu fais désormais pleinement partie  Te voilà paré à affronter le monde ! Comme on dit chez moi... Y'a plus qu'à! Bon jeu à toi!