Cela n'aurait pas dû se passer de la sorte. Le monde brûle, le monde sombre. Cela n'aurait jamais dû arriver, du moins pas aussi violemment. Debout au milieu de cette forêt, je réfléchi une dernière fois à ce long chemin qui m'avait finalement conduit jusqu'ici.

Suis-je en partie responsable de tout cela ? Oui sans doute, même si dans les faits, rien ne pouvait éviter cela. Pourtant, j'ai justement été formée pour qu'on n'en arrive pas à de telles extrémités. Mon père doit très probablement me maudire de là où il se trouve, lui qui a consacré tant de temps et d'énergie à faire de moi une combattante, une intellectuelle aussi, parce que les muscles c'est une chose, mais avoir un cerveau est un atout non négligeable. J'avais mordu la poussière plus d'une fois en voulant lui faire plaisir, en voulant lui prouver que je pouvais être à la hauteur. Toute mon enfance et mon adolescence ont été globalement construites sur ce schéma. Je devais être prête le moment venu, que ce soit à Londres ou ailleurs, à prendre sa relève. Mais il n'était jamais satisfait, jamais convaincu et j'ai fini par fuir cette vie. J'ai fui à Paris pour construire ma propre vie, pour vivre ma vie. Et j'avais presque réussi. J'avais un travail, un petit ami, des projets pleins la tête.

Puis mon père est mort et cette vie que j'avais tant cherché à fuir m'a rattrapée. Et j'ai décidé d'honorer cela, cette promesse silencieuse que j'avais faite à mon père quand il avait accepté de m'apprendre à me battre, pour que le jour venu, je sois prête. Et je l'étais. La cellule parisienne m'a accueilli en son sein, après de longs mois de tests divers et variés, bien que le nom de mon père soit connu et reconnu. Lancaster. Comment ne pas connaître ce nom de famille qui avait tant contribué à ce que l'Angleterre était désormais ? Et il y avait aussi et surtout un lourd passif au sein de cette organisation, chose que j'ignorais, mon père n'était pas le premier Lancaster à y être relié, loin de là. J'avais alors délaissé cette vie pourtant prometteuse, sans vraiment donné d'explications. La librairie était alors devenue un endroit où je pouvais recevoir et stocker des livres anciens, rares et précieux en toutes discrétions, pour que je les étudie et qu'ensuite, je partage ce savoir. Et pendant des années, ma vie s'est résumée à cela et j'étais contente de ce fait, même si au fond de moi, un doute persistait... Et si... ?

La mort d'Odin avait finalement rebattu toutes les cartes. Les déicides prenaient plus de risques, gagnaient plus de terrains et les choses en entrainaient invariablement une autre. Effet boule de neige, mais je n'étais pas gagnée par l'euphorie de telles victoires. Bien que je n'en montre rien, je me disais que tout cela n'était qu'un immense gâchis. Tant de connaissances perdues par la mort d'un tel dieu. Mais je faisais comme si tout était normale, épaulée par Celeste, ma meilleure amie au sein de l'organisation et l'une de mes plus proches amies. Cela rendait les choses un peu plus supportables, mais au fil des mois, la situation se compliquait de plus en plus. Et c'est elle qui m'a en quelque sorte montrée la voie en désertant les rangs. Son amour profond et sincère pour une déesse lui avait fait prendre conscience de beaucoup de choses. Et plus que jamais, mes propres doutes revenaient à la charge, mais je m'efforçais de faire taire cette petite voix intérieure, qui me disait que je pouvais faire bien plus, que j'étais destinée à plus. C'est d'ailleurs dans cette période que je me rapproche de Louis, mon cousin. Comme quoi, tout devait être écrit à l'avance. Et pourtant, malgré les années passées proches l'un de l'autre, jamais je ne me suis ouverte sur ma condition de chasseuse de dieux. Ce n'était pas le sujet de conversation. Si seulement...

Il a fallu cet incident à Istanbul pour que je sache réellement qui était celui que je prenais pour un cousin depuis des années. Taranis, le dieu de la Foudre celte. Et à partir de cet instant, j'ai su que mon avenir au sein de l'organisation était compromise, ou du moins plus compliquée. Je ne savais même pas ce que je devais faire de cette information dans un premier temps, mais je retardais le moment où j'allais devoir lui poser la question, parce que je ne voulais pas entendre la réponse. Je ne voulais pas avoir a le traquer, ni le tuer. Mais à partir de cet instant, plus rien n'était comme avant, les choses se mettaient doucement en place, le monde avait de plus en plus de preuves que des choses étranges se déroulaient, mais il était encore aveugle, même si de plus en plus de gens commençaient à ouvrir les yeux sur la réalité de ce monde. Et j'avais peur. Peur de perdre les gens que j'aimais,, peur de voir le monde que je connaissais s'écrouler. Peur de devoir faire un choix. J'ai longtemps retardé ce moment. Jusqu'à ce que je ne puisse plus remettre à demain une décision lourde de sens et de conséquences pour moi.

C'est en passant vraiment très près de la mort, que j'ai pris conscience que je ne pouvais pas continuer à me mentir. En perdant du sang sur les pavés de Paris au milieu de cris, de hurlements, de balles tirées, j'ai pris conscience que je ne voulais pas que ma vie s'arrête de la sorte. Que je pouvais faire bien plus. Et puis plus rien, le noir complet. Le réveil a été douloureux. Trois balles ont bien failli me tuer. Une dans l'épaule, une dans le flanc gauche et la dernière a touché la poitrine, mais sans toucher aucun organe vital. J'ai eu de la chance visiblement. Mais si moi j'étais en vie, ces manifestations de dieux à travers la ville ont causé bien du tort. Les catacombes de Paris noyées sous les eaux, un incendie dans un cinéma qui avait coûté la vie à la femme de Louis et puis le concert de Donovan qui dégénère quand un groupe armé et décidé s'en prend à une divinité nordique. Tout cela est arrivé, mais le pire restait encore à venir. L'humanité devait faire face désormais, mais nombreux était encore ceux qui ne voulaient pas voir. Alors, on leur a forcé la main. De mon côté, j'ai pris une décision radicale et Louis, enfin Taranis en avait été le premier informé. J'étais une déicide, mais j'étais prête à rejoindre ses rangs, son panthéon. Et les choses se sont alors mises en place.

Le monde est devenu complètement fou suite à toutes ces révélations. Zeus avait été tué par sa propre fille. Donovan n'avait jamais accepté la mort de son frère jumeau et avait juré de se venger. Elle s'en était prise à son père et avait réussi l'exploit de le tuer. Inti quant à lui avait été brulé vif en place publique. Le monde était devenu complètement fou. J'ai pris plusieurs semaines pour préparer ma fuite. J'avais regroupé la plupart des livres que j'avais achetés dans un endroit que j'étais la seule à connaître, avec divers objets récupérer au fil des années. J'avais décidé de laisser ma mère dans l'incompréhension, moins elle en saura, mieux ça sera. Je lui expliquerais tout le moment venu. La librairie était entre de bonnes mains avec Caraibe. Alors quand c'était le bon moment, j'ai fui, ralliant officiellement le panthéon celte après avoir été présentée à ces derniers. Je savais que mes anciens collègues et amis ne passeraient pas sur cet affront de plus, celui de trop et qu'ils allaient vouloir me le faire payer. Mais je savais que j'étais à la bonne place. Je le sentais au plus profond de mon être. C'était ma destinée, aussi étrange que cela puisse paraître. Prêtresse du panthéon celte, telle était ma place et mon devoir.

Et c'est en tant que telles que j'étais là, debout au milieu de la forêt, entourée de symboles tracés à même le sol, de bougies et autres accessoires. Je n'étais même pas certaine que ça allait marcher, mais ça devait fonctionner. Il fallait qu'il revienne dans ce monde. Le panthéon dans son ensemble avait besoin de lui. Et moi j'avais besoin de réponses qu'il ne m'avait jamais données.

J'inspire. Je suis calme, concentrée, déterminée. J'ouvre le livre et je commence à réciter ces prières d'une voix forte. Il fallait qu'il m'entende.

Il fallait qu'il revienne.

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