XIX ème siècle, l'Amérique. L'indépendance est jeune, encore fraîche dans les esprits de tout un chacun, car même après vingt quatre années de libertés aussi durement gagnées, les tensions règnent encore, toujours. La Louisiane n'est pas encore rachetée à la France quand je vois le jour, et La Nouvelle-Orléans était une ville en pleine expansion, un carrefour commercial dynamique dont la nouvelle nation naissante voulait s'emparer. Je suis née Marie Laveau, fille d'un marchand franco-africain et d'une esclave noire affranchie. Née dans cette ville multiculturelle où l'architecture coloniale française et espagnole, se retrouvait dans chaque aspect, jusqu'aux toits des maisons à balcons en fer forgé sur lesquels les filles de joie se posaient et chantaient. Bordée par le Mississippi près duquel je me plaisais à me poser, je la regardais changer, évoluer sous les fonds de conflits dont les pays coloniaux étaient friands pour asseoir leur domination sur ce qu'ils estimaient comme dus.

Malgré mon statut de fille de marchand, la vie restait rude en raison de la concurrence acérée dont pouvait faire preuve tout un chacun pour se faire sa place. Et mes charmes de l'époque attisaient déjà quelques convoitises. Mais je jetais mon dévolu sur un homme au magnétisme qui encore aujourd'hui me hante et me manque. Jacques. Mon mentor, mon amour, celui en qui à jamais je suis reconnaissante de la voie vers laquelle je me suis tournée. Car ce fut lui qui m'offrit la possibilité de connaître le vaudou, d'apprendre ses prémisses venus d'Afrique et m'introduire à sa beauté et ses magnificences. Malheureusement, Jacques mourrait en raison de ses secrets et mais j'ai toujours pressenti un lien avec des dieux pestilentiels et ragoûtants appartenant à des temps révolus, vieux. Une jalousie mal placée quand à l'essor de notre culture.

Aussi lourde qu'était ma peine, je me devais d'avancer dans ce monde pouvant se montrer en tout instant sans pitié. Je devenais coiffeuse et mon échoppe prenait peu à peu de l'essor auprès de riches familles blanche de La Nouvelle Orléans. Je rencontrais par ce biais mon amant, Christophe Louis Dumesnil de Gapion. Un créole blanc français issu d'une riche famille de marchands et investisseurs dans diverses propriétés de tabac. Jamais nous ne primes le pas du mariage, en raison de mes fréquentations n'étant guère en adéquation avec les aspirations de sa famille et mon désir d'indépendance. Ce qui en soi fut assez risible car il me fit quinze enfants. Beaucoup furent envoyés en orphelinat, pour tout avouer, et certains ne passèrent même pas la barre des cinq années de vie. L'époque était ainsi faite, et sans doute, sans doute ... certains furent sacrifiés au nom de mes dieux. Sans doute.

Durant les années qui suivirent, je devenais alors dans les milieux disons moins huppés (et donc offerts à vue à tout un chacun dans les actuels livres d'histoire) une figure connue dans le vaudou. Les esprits comme les dieux qui en résultaient voyaient en moi la parfaite matrice et porteuse de leur parole. Celle prête à sacrifier pour leur amour ce qui un jour a été ma chair et le fruit de mes efforts. Je leur ai condamné des nobliaux décadents de ces temps et ai bu dans leur coupe, jusqu'à ce que la mort commence à m'emporter durant l'année 1881. Mais ces années de dévotion avaient payé car de leur baiser, les dieux vinrent me donner une seconde vie. Une vie éternelle faisant de moi leur créature et servante privilégiée, une bénie comme il n'y en eut au sein de ce Panthéon. Ainsi, je devenais Marie Glapion, fille de la regrettée Marie Laveau. Je prenais des apparences plus ou moins proches grâce à mes potions pour que cela reste logique sur les établissements de cette famille que je veux matrilinéaire (bien qu'elle ne résulte que de ma seule personne). Et comme l'on peut s'en douter, j'ai profité, et profite toujours des largesses qui m'ont été offertes. Oh oui ... me repaître de ces hommes, ces femmes se croyant si imbus d'eux-mêmes ... pour les voir céder aux tentations de cette culture soi disant païenne ne cesse de m'enchanter. Déchirer leurs perceptions, leurs familles, les hanter de fantômes qu'ils pensaient enterrés, mais qu'ils voyaient à présent comme une malédiction que j'étais la seule à pouvoir lever ... et ensuite embrasser, aimer un temps ces êtres revenus à la vie, en les nommant tous Jacques en mémoire du seul qui a su un jour m'émouvoir et faire de moi cette femme complète, odieusement vorace pour le commun des mortels est là aussi une manière de faire un pied de nez, jusqu'à ce que je m'ennuie de leur personne. Tout cela, toutes ces choses malgré les âges me suivent encore, bien que je sache évidemment y apporter une touche de modernité pour que cela reste grisant, attrayant.

D'ailleurs, c'est en expérimentant mes onguents et potions que j'ai créé ce qui maintenant fait autant fureur que tabou dans les magasins de cosmétiques africains. Vous voyez les produits éclaircissant la peau ? C'est de moi, bien que les formules dont ont usé ces imbéciles n'ont jamais atteint la perfection de la seule, la vraie, qui est encore en ma possession. Ce qui d'ailleurs crée nombre de problèmes de peau dont je fais en partie mon business avec ma propre marque de cosmétiques, à présent. Mes faits ne s'arrêtent pas à là, évidemment. Il y eut d'autres produits, d'autres vols de formules toujours biaisées. Et durant ces siècles j'eus été encore cette servante dévouée, tuant, maudissant sur l'autel de mes dieux considérés comme "païens" et monstrueux ces soi disant vertueux serviteurs des monothéistes, de ma main ou de celle des suiveurs de notre culte. Les Enfants du Bayou naquirent sur ces fonds de répressions sanglantes mais discrètes, et je perfectionnais par la même occasion les dons fournis par mes dieux. Je peux ainsi me targuer d'être on ne peut plus capable de manipuler les morts, et m'amuser d'eux en les ramenant à la vie pour servir autant mes desseins, que mes désirs les plus secrets.

J'ai tué des nécromants américains pour asseoir un peu plus ma dominance sur ceux se croyant capables d'égaler ou dépasser mon pouvoir. D'autant plus que la salope à la tête de ce groupe a cru bon de me concurrencer sur le marché de la cosmétique et agir comme un pathétique simili sur ma terre d'origine. Autant dire que je n'y suis pas allée de main morte et ait pris un malin plaisir à tuer son seul fils légitime, pour ensuite en faire une goule et ainsi pendant un an, avant que je ne décide de le détruire devant ses yeux, mon amant. C'est d'ailleurs durant ces événements que Mama Quilla est apparue, dans une aide peu utile à mes yeux, mais un tant soi peu appréciée. Cela a d'ailleurs étayé ma curiosité. Pourquoi m'aider dans cette entreprise, sans que rien ne m'en soit soutiré. J'ai fini par m'imposer dans sa vie et devenir une sorte de partenaire, tant que nos intérêts convergeaient. Et puis, elle a finalement disparu comme ça, sans signifier son départ après toutes ces années passées ensemble.

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