Au commencement, il n'y avait rien. Et soudain, l'étincelle, la vie, la première entité. Dans toutes les cosmogonies antiques, c'est le même schéma qui se répète. Un titan, un primordial, Dieu, tout dépend du mythe, à vous de voir ce que vous préférez croire. Ce premier être forge un monde de ses mains, façonne l'univers et ses habitants. Face au néant de l'existence, il est celui qui rempli le vide, le fondateur, le créateur. C'est une constante mythologique, la genèse de chaque panthéon. Une histoire commune pour tous les premiers nés d'une nouvelle religion. Pour tous, sauf pour Argent.

Argent est le premier né de son panthéon. Mais il n'est pas né dans un monde vide n'attendant que sa présence pour le remplir. Il est né dans une société déjà en place depuis plusieurs millénaires. Il n'a pas crée un monde à son image, c'est le monde qui l'a crée à son image. Ne l'accusaient donc pas des méfaits du capitalisme. Sa propre essence n'existe que parce que les mortels ont un jour fait passer le système monétaire au rang divin, littéralement. Après tout, il n'était la personnification d'aucun phénomène que les mortels ne pouvaient expliquer alors. Il n'était même pas né avec l'apparition de l'argent comme moyen de paiement.

Non, quand Argent constata son apparition, il ne comprit pas. Jeune divinité solitaire s'incarnant pour la première fois dans le corps d'un jeune Londonien, répondant à l'époque au nom de Lord Thomas Paulet, fils du Lord Grand Trésorier de la Couronne Anglaise, il ne put que se retrouver face à un mur de questions sans réponses.

Avec le recul, il comprendra que son incarnation fut concomitante avec l'essor des bourses européennes, et plus particulièrement de la bourse de Londres, qui deviendra rapidement l'une des plus importantes au niveau mondial. En effet, c'est à cette époque que le principe d'argent dépasse l'idée même de l'échange d'un bien contre un autre de la même valeur. C'est ici que l'on commence à spéculer, à changer l'argent, jusqu'ici quelque chose de concret, en quelque chose qui relève bien plus du concept, qui devient difficile à appréhender pour les non initiés. C'est finalement bien là qu'une sorte de culte était né, avec ses prêtres, les banquiers, les traders, ses temples, les banques poussant dans toutes les villes, et ses rituels, comme l'ouverture et la fermeture quotidienne de la bourse. Chaque consommateur devient un fidèle, prêt à des prières silencieuses pour un peu plus de liquidité, pour acheter voiture, maison, pour asseoir son pouvoir, réaliser ses rêves, avoir du confort ou tout simplement survivre dans une société où le capitalisme règne en maître. L'argent divinisée, Argent.

Les premières décennies de vie d'Argent furent tout de même très solitaires. Découvrant seul la portée de ses pouvoirs, et surtout de son pouvoir, il commença à œuvrer dans l'ombre pour imposer les marchés financiers anglais sur la scène internationale, et compris rapidement qu'il avait entre les mains le destin du monde. Murmurant à l'oreille des rois et empereurs, faisant et défaisant des dynasties à sa guise, créant les marchés, finançant tel un mécène anonyme, il commença à créer au sein de l'Angleterre élisabéthaine une théâtre de marionnettes géant dont il était le seul maître. Bientôt, c'est sur l'Europe entière qu'il étendit son influence, puis sur l'ensemble des continents. C'était presque trop facile, et la lassitude finie par le gagner. Car quoi qu'il fasse, il demeurait inexorablement seul. Et à quoi bon le pouvoir, s'il n'existe personne pour le constater et l'admirer ? Les mortels étaient bien trop facile à contrôler, et ne représentaient même plus un challenge.


Peut-être, plus tard, Argent regrettera d'avoir souhaité ne plus être seul. Pourtant, il est bien celui en parti à l'origine de la naissance de la plupart de ses subalternes. À force de financer les projets des recherches, dans le but de créer de nouveaux biens à introduire sur le marché financier, Science et Technologie virent le jour. Lorsqu'il les rencontra, il connu d'abord l'allégresse de ne plus être seul. Il n'avait pas spécialement besoin d'alliés, mais il dû reconnaitre qu'avoir deux nouvelles déesses qui lui été complètement dévouées, ça, c'était bien plus grisant que les humains. Car enfin, quelqu'un reconnaissait son pouvoir à lui, savait qui été celui qui tirait les ficelles. Il était enfin reconnu par des pairs.

Erreur de débutant, il donna d'abord beaucoup de son temps et de ses ressources à Science. Elle avait réussi à lui faire penser que de cette façon, il pourrait avoir à sa merci le moindre besoin de l'humanité. Et c'était vrai, enfin au début. Car les mortels ont eu la fâcheuse idée de se dire que la science devait servir au bien de l'humanité, ne pas dépendre des finances, et, quelle horreur, ont développés des projets humanitaires. Heureusement, avant de perdre totalement le contrôle de la divinité que les humains rendaient de plus en plus rebelle, il put faire en sorte de rendre les fonds de recherches quasi obligatoires pour tout scientifique cherchant à mener à bien ses études. Mais sa plus grosse victoire fut le marché pharmaceutique, qu'il corrompit jusqu'à la racine. Si vous vous demandez pourquoi aucun laboratoire ne finance de recherche pour lutter contre l'apparition des cancers infantiles, regardez combien rapporte la vente de chimiothérapies chaque années, et vous comprendrez pourquoi personne ne va donner de l'argent pour à terme perdre l'un de ses marché les plus juteux. C'est horrible ? Il va falloir vous y habituer, Argent n'a pas le moindre sens moral.

C'est quelque chose que ceux qui le côtoie en tant que divinité pourront vous confirmer. Argent est un véritable psychopathe, au sens pathologique du terme. Il ne ressent presque aucune émotion. N'a pas la moindre trace d'empathie. Se fiche comme de son premier centime de faire du mal autour de lui, de blesser physiquement ou émotionnellement. Tuer ne lui ai pas difficile, bien qu'il se salisse rarement les mains, et le remord ne lui est pas familier. Tout au plus, il est capable de regretter un mauvais placement, une erreur de jugement. Prêt à tout pour manipuler ceux qui l'entoure, soufflant le chaud et le froid, il peut se montrer charmant avec vous pour vous séduire, vous faire croire que vous êtes la personne la plus importante du monde, puis vous détruire atome par atome, vous faire sentir comme la pire des merdes, mais jamais vous ne pourrez lui tourner le dos, car il est déjà trop tard, il a un contrôle total sur vous. La seule chose qui le préoccupe, ce sont ses intérêts personnels, et comment les atteindre. Tout n'est que calcul froid et sans âme dans son monde intérieur.  

Si vous doutait de l'emprise qu'il peut avoir, demandez donc à Science, comment, même après l'avoir presque laissé tomber complètement, elle lui reste entièrement dévouée, parce qu'elle n'a tout simplement pas le choix. Il est pourtant devenu assez odieux avec elle. Le bien de l'humanité ? Et puis quoi encore, faire la charité aux pauvres ? Il ne s'en cachera jamais vraiment, depuis ce jour, Technologie est celle qui a sa préférence. Elle avait le bon goût de mettre au jour plein d'outils géniaux qui se vendaient comme des petits pains. En collaborant avec elle, de nombreux nouveaux dieux virent le jour. Gris et Racer, que Argent méprise un peu, car il ne voit que très peu leur intérêt dans ses propres plans. La Voie, il le considère comme un vieux croulant sénile et inutile, en passe de disparaître et que le dieu jetterait sans problème dans les pattes des Déicides pour se tirer d'un mauvais pas. Les trois autres, en revanche .... Média est sortie d'on ne sais trop où, mais Argent ne lui a laissé aucune chance de voler de ses propres ailes. Son influence sur lui est omniprésente, et le jeune dieu est l'un de ses outils favoris, qu'il fait souvent travailler de concert avec la fille de Technologie, Internet. Ah, Internet. Si jeune, est pourtant si puissante. Tout le potentiel de cette divinité, tout le pouvoir qu'elle possède, c'est grisant. Mais si, à son apparition, Argent a eu tendance à la choyer, aujourd'hui, il se méfit. En effet, elle autorise la diffusion de pensées anticapitalistes qui ne lui plaisent absolument pas. Et le dernier, bien entendu, son propre fils, Mondialisation. N'imaginez pas Argent comme un père aimant. Son enfant est un pion, dévoué à sa cause, obéissant au moindre de ses désirs. Il n'a aucun amour paternel pour ce rejeton, qui n'est qu'un atout dans sa manche.

Avec le temps, un beau panthéon était né. Mais certains étaient bien plus complexes à contrôler que d'autres, sans cesse remodelés par les volontés des humains. Comme il est désagréable d'avoir à travailler avec des divinités si peu stable. Oui, parfois, Argent regrette un peu sa solitude, où il n'avait pas l'impression de devoir gérer tout seul un jardin d'enfants. Mais les possibilités nouvelles que chacun lui apporte, ma foi, cela vaux bien le désagrément.        


Après quelques siècles passés en Europe, il devint vite assez évidant pour Argent que son avenir n'était plus sur le vieux continent. Les Etats Unis d'Amérique, voilà bien une population avec du panache. Des conquérants, des innovateurs, et surtout, des fervents capitalistes. Dès la première moitié du XIXème siècle, le désormais leader d'un nouveau panthéon parti étendre son culte dans ce terreau fertile, après avoir grandement influencé le dénouement de la guerre d'indépendance. Et quel culte, mes amis. Le rêve Américain, voilà l'une de ses plus belles inventions. Faire croire à chacun qu'il pouvait devenir riche si il jouait exactement selon ses règles. La conquête de l'Ouest sauvage, la naissance d'Hollywood. Oh comme Argent a aimé cette période. Les humains étaient prêts à tous les sacrifices en son nom. Malheureusement, la fin du siècle fut une période plus creuse.

Alors qu'il commençait à s'ennuyer, il eu vent de quelques tensions en Europe. Fort de son expérience, il ne pouvait ignorer les conséquences sur le marché financier d'une bonne guerre. Bien entendu, un effondrement immédiat, mais Argent, lui, voyait plus loin. Soufflant sur les flammes de la révolte, il se régala de voir les résultats quasi immédiats. Malheureusement, les retombées de cette première guerre ne furent pas ce qu'il avait espéré. Les humains étaient devenus oisif, et les années folles n'avait pas grand chose d'intéressant pour lui. Certes, ce fut une période de forte croissance, mais son pouvoir s'étiolait, car les mortels prenaient tout pour acquis.

En octobre 1929, Argent rentra dans une colère aussi noire que le qualificatif qu'on donnera ensuite à ces quelques jours qui marquèrent le début de la vengeance du dieu. Les humains pensaient pouvoir arrêter de le craindre ? Ils allaient voir. La grande dépression rappela à tous qu'Argent était un dieu lunatique, et surtout qu'il ne fallait jamais cesser de le révérer, car il pouvait tout reprendre en un claquement de doigt. Mais comment relancer l'économie ensuite, sans paraitre trop généreux ? Il ne faudrait pas que les mortels le pense magnanime. Bien entendu : une nouvelle guerre. Et justement, ce petit parti allemand a énormément de potentiel. Des financements anonymes en provenances des Etats-Unis commencèrent à abonder. Ne jouez pas les choqués, bien sûr qu'Argent n'a eu aucun scrupule à financer les Nazis, je vous ai déjà dit qu'il refuse de prévenir les cancers infantiles. Le reste, il laissa faire, comme d'habitude, prévoyant cette fois un peu plus les conséquences de la fin de la guerre. Et les voilà, les fameuses trente glorieuses, celle que nos chers boomer pensent éternelles.

Oh, il les aime, Argent, ses boomers riches qui disent aux jeunes de se bouger le cul. Ils ont compris la divinité mieux que personne, pour avoir entendu leurs parents raconter les conséquences de leur excès de confiance. Car de nouveaux, les mortels prennent tout pour acquis. Argent a appris à modérer un peu sa colère. Il localise les conflits, ne les rendant pas mondiaux. Il crée un climat juste ce qu'il faut anxiogène pour rappeler à chaque seconde que sans lui, les humains sont voués à retourner à l'état sauvage. La crise des subprimes ? Une petite piqure de rappel du mardi noir. Mais ils ne semblent pas comprendre, trop occupés qu'ils sont à vouloir sauver la planète. Sans doute une idée de Science, ça, et Internet n'aide vraiment pas en les laissant s'organiser. Mais s'il le faut, une nouvelle guerre mondiale pourra très bien remettre les pendules à l'heure. Il ne reculera devant rien, et si il faut rappeler à ces stupides humains une fois par siècle pourquoi ils ne doivent jamais le sous estimer, il le fera sans sourciller.  


Sur ses papiers, Jonathan Walker, que tout le monde appel John, est un jeune New Yorkais né le 3 janvier 1989. Diplômé d'un master en finances à Harvard, il fait ses preuves dans un cabinet d'investissement privé de la grande pomme dès la sortie de l'université. Qualifié rapidement par la presse spécialisée du digne successeur de Warren Buffet, génie de l'investissement, il se voit débauché par Vanguard, plus grande société d'investissement du monde, chez qui il gravit rapidement les échelons, jusqu'à devenir le plus jeune directeur des investissements de l'histoire de la société. Ses collègues disent de lui qu'il est un homme charmant, avec un goût très sûre, une grande élégance, toujours poli, souriant, aimable et humble. Grand connaisseur en joaillerie, art, vin et whisky, il est très courtisé par la gente féminine. Tout le monde ignore pourtant tout de sa vie privée. Il ne vient que rarement aux after works, n'a pas de profil sur les réseaux sociaux. Qui sont ses amis ? A-t-il une compagne ? C'est un mystère. Tout juste sait-on qu'il possède un penthouse quelque part en ville, non loin de Central Park, que la Bugatti Veyron édition unique dans le parking est la sienne et qu'il collectionne les montres de luxe, ce qui semble être sa seule petite excentricité. Ca, et le fait que les chiens semblent agirent bizarrement en sa présence. Il répond toujours de façon énigmatique, en expliquant avec un petit sourire que c'est parce que l'Argent n'a pas d'odeur.

Ainsi, le dieu tire discrètement les ficelles du monde et de son panthéon derrière son alter ego, songeant de plus en plus à s'exporter en Asie, nouvelle terre promise des marchés financiers. En tant que divinité, il n'a jamais ignoré avoir une certaine concurrence pour la foi des mortels. Bien entendu, le Dieu unique a toujours été une source de réflexion, mais avec le temps et la modernisation, Argent avait compris qu'il n'avait plus à se méfier, car même les lieux de son culte fonctionnaient grâce aux dons de leurs paroissiens. Sans parler d'alliance, son panthéon et celui des monothéistes ont donc coexistés pendant plusieurs siècles dans une sorte de statu quo tacite. Parfois, Science commettait un faux pas remettant en cause le bien fondé de la foi en l'unique, mais Argent calmait le jeu avec un généreux don. Son but n'était pas de déclarer une guerre ouverte, il était de toute façon plus puissant que ce vieux Dieu, car en dehors de quelques sauvages barbares dans des terres reculées, chaque humain est soumis à sa volonté, ce qui n'est pas le cas de l'Unique, qui perdait du terrain années après années.

Quand aux autres panthéons ? Ne le faite pas rire, ces antiquités n'avaient aucun impact sur le monde, et il pouvait s'amuser à narguer leurs éventuelles incarnations en capitalisant sur leurs images et en en faisant rien de plus que des objets de culture populaire. Il rigola moins quand les choses devinrent sérieuses, et quand cette imbécile grecque pris la décision de révéler au monde l'existence des divins.

Bien entendu, le marché financier s'écroula lors de la grande révélation, suite à la fureur du dieu monétaire. Depuis ? Oh, Argent n'a plus beaucoup de temps libre. Il dû se résoudre à lier officiellement diverses alliances. Avec des cabales vampiriques par ci, ou, et pas des moindres, avec le Dieu monothéiste en personne, par l'intermédiaire de son angelot Gabriel. Ne vous y trompez pas, maintenant que la foi connait un regain sans pareil, il sait que l'unique est en passe de devenir une menace. Mais avant de trahir cette alliance et de rester à la tête de l'humanité, il doit s'occuper des autres. Les polythéistes poussent comme des champignons. Il pourrait se contenter d'observer leurs petites guerres intestines et les voir se détruire entre eux sur la base des vieilles rivalités, ou laisser les déicides faire le travail à sa place. Le problème, c'est que tout ça a des conséquences imprévisibles sur la population mondiale, et qu'il est en train de perdre le contrôle. Hors, le contrôle, c'est là que réside la force de son pouvoir.

Ainsi, il commença à lier des alliance plus risquées, en cherche de savoir, pour faire tomber rapidement ces agitateurs. Et il fit une erreur : se fier à la catin vaudou. Croyant la duper en faisant sien son plan visant à capturer deux dieux Egyptiens avant de d'organiser l'événement Grec des Tuileries, le nouveau dieu se trouva non seulement face à un échec cuisant, mais aussi piégé par la peste Laveau qui commença à le faire chanter. Une situation fort peu confortable, qu'il a en horreur. Soumis à un stress constant, perdant petit à petit le contrôle, l'être froid et calculateur semble doucement glisser dans une folie sombre. Mais sera-t-elle salvatrice, ou signe-t-elle la fin de son règne, finalement si court ?

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