Un vide. Pas l'un de ces vides effrayants, froids et sombres. Non, juste un vide, d'une neutralité parfaite, où le temps et l'espace n'ont pas prise. Depuis combien de temps je suis là ? Une minute, un siècle, un millénaire ? Tout est possible. Ma conscience, si elle existe, est fondue dans ce tout qui n'est rien.

Tout est familier. Ce n'est pas la première fois que mon essence existe ici. Nous autres, qu'on appel les anciens dieux, avons prient l'habitude de rester ici entre chacune de nos incarnations. Je sais que la première fois, certains de mes pairs l'ont très mal vécu. La chute de l'empire Romain est un traumatisme pour nombre d'entre eux. C'est marrant, on pourrait croire que je fais parti de ceux qui ont le plus mal vécu la fin de mon culte au profit de celui de l'unique, mais c'est tout l'inverse. Appelez ça ego, confiance en soi ou peut-être sagesse, mais si être la divinité du soleil m'a bien appris quelque chose, c'est que même après la plus longue des nuits, le jour reviendra toujours. Et l'avenir avait de quoi me donner raison. Sans être le plus important des Olympiens, je suis sans doute celui dont le culte s'est le moins perdu. Il faut dire que, contrairement à d'autres, dont les attributions ont étaient remplacées par la science, les arts, eux, sont assez abstrait pour avoir toujours une petite touche de mystique. Les artistes continuent de prier Apollon et ses muses avant de monter sur scène, par tradition. Les médecins du monde entier, lorsqu'ils prêtent le serment d'Hippocrate, le jurent sur mon nom. Un roi de France, et pas des moindres, s'est revendiqué de mon ascendance et a dédié son règne à ma grâce solaire. On dit encore d'un bel homme qu'il est un Apollon. En bref, mon culte ne s'est jamais vraiment éteint. Je le comprend, la perfection ne s'oublie pas si facilement.  

Le vide, donc. Commun, connu, confortable. Et soudain, une secousse. Un bouleversement dans le statu quo. Un événement, d'une gravité extrême. Une douleur, profonde, qui ne devrait pas être possible. Je l'ignore encore, mais en moi résonne la mort véritable de mon père. Et une certitude, une seule, unique. Le moment est venu de revenir.  


28 août 2021 - Los Angeles

C'est le bruit des roues du chariot de soins dans le couloir qui me réveil. La lumière passant par la baie vitrée a prie cette douce teinte dorée des fins d'après-midi. Je me suis endormie sur le fauteuil. Cela m'arrive de plus en plus souvent, ces derniers jours. La gestion médiatique de l'anniversaire m'a épuisé. Heureusement, le personnel de l'hôpital est suffisamment payé pour tenir à distance les paparazzis et fans indiscrets. Cela n'a pas empêché des regroupements de se former sur le parvis, et que la chambre soit remplies à craquer de bouquets, ballons et peluches en tout genre. Je devrais me sentir reconnaissante que mon fils reçoive une telle attention, mais tout ceci ne parvient qu'à me rappeler l'ampleur de ma perte. Jamais je ne fêterai les 25 ans de mon garçon. Peut-être ne fêterai-je plus jamais aucun de ses anniversaire en réalité.

Bonsoir Romain. Bonsoir Madame Duval. Comment allez-vous ? La voix de l'infirmière me fait sursauter. Je ne l'ai pas entendu entrer. Elle porte sur un plateau plusieurs seringues. Bonsoir Bridget. Une peu fatiguée, je crois que toute l'effervescence des derniers jours m'a impactée plus que je ne pensais. Elle s'installe sur la petite table à côté du lit avant de porter son regard sur moi. C'est compréhensible Madame. Vous avez le droit de prendre du repos, vous aussi, vous savez.Je reste silencieuse, observant les gestes sûrs et précis de la jeune femme, qui remplace un à un les traitements qui permettent de maintenir mon enfant en vie, dans son coma artificiel. Les médecins disent que désormais, il est très peu probable qu'il se réveil. Mais je ne peux pas me résoudre à demander l'arrêt des soins. J'aurais l'impression de l'abandonner. Et c'était sans doute un peu égoïste, mais il était tout ce qui me restait. Si j'acceptais de le laisser partir, je serais définitivement seule. Vous avez raison ... Je vais aller marcher un peu et manger un morceau. Elle me souri avec compassion. J'ai horreur de ces sourires, ceux qui vous font sentir comme une pauvre petite chose fragile, sur le point de casser. Je sais bien qu'il n'y a aucun mauvais fond à ça, mais tout le monde sait de quoi l'enfer est pavé.

Je connais par cœur le chemin jusqu'à la cafétaria de l'hôpital. Voilà 6 mois que c'est devenu mon nouveau restaurant. Je n'ai même plus besoin de passer ma commande, les employés savent quoi me préparer quand je m'assoie, toujours à la même table. En attendant qu'elle arrive, je reporte mon attention sur l'écran de mon téléphone. Mon application d'actualités a la cruauté de me proposer un article que je ne peux m'empêcher de lire.

Un bien triste anniversaire
Des milliers de fans réunies hier soir sur le parvis de l'hôpital français de Los Angeles afin de célébrer ce qui aurait dû être le vingt-cinquième anniversaire du jeune acteur Romain Papadopoulos. - article écrit par J.M. Warren.

Romain Papadopoulos, fils du compositeur grec Léandre Papadopoulos et de la réalisatrice française Iris Duval, est devenue l'idole de la nouvelle génération ces dernières années, grâce à ses prestations aussi bien sur scène que derrière la caméra et sur les réseaux sociaux. Malheureusement, cela ne l'a pas protégé d'un destin tragique. En effet, le 12 février dernier, la célébrité a été victime d'un impressionnant accident de voiture dans le centre de Los Angeles, entrainant quatre morts, dont le père du jeune homme, Léandre Papadopoulos, qui accompagnait son fils à un enregistrement pour son nouvel album. L'acteur quand à lui a été transporté en urgence vitale à l'hôpital français de la ville, où il a été plongé dans un coma artificiel, dont il n'est pas sorti depuis.

Hier, le 27 août, le jeune homme aurai dû célébrer ses vingt-cinq ans. À cette occasion, de nombreux fans se sont réunis devant l'hôpital afin de procéder à une cérémonie commémorative en son honneur. Une cérémonie qui a fait polémique sur Twitter, car une partie des fans de l'acteur ont pris le parti de transformer la célébration en rite religieux. En effet, certains groupes de fans ont décidés de rendre hommage au dieu Apollon, que Romain avait incarné à l'écran dans la série qui l'a rendu célèbre. Interrogés par nos journalistes, les fans expliquent qu'au vu des récentes révélations qui ont eu lieu, ils ont jugé que le dieu le mieux placé pour venir en aide à leur idole était le dieu gréco-romain du soleil, aussi connu pour ses talents de guérison, bien que ce dernier ne soit pas dans la liste de ceux ayant révélés leur présence sur Terre à l'heure actuelle. D'après Thomas* (* les prénoms ont étaient changés pour respecter l'anonymat) : "si les dieux existent vraiment, Apollon lui doit bien ça, après les années que Romain a passé à jouer son rôle." Selon Rachel, présidente de l'association des Papaddicts** (** ndlr : nom de la communauté de fans de l'acteur, en référence à son nom de famille) : " J'ai fait des recherches. Le nom de famille de Romain veut dire fils de prêtre, et lorsqu'on remonte son arbre généalogique, on se rend compte que sa famille vient de Delphes en Grèce. Cette ville est connue pour être le berceau du culte d'Apollon. Romain est donc sûrement un descendant d'un prêtre ou d'une prêtresse d'Apollon, ce ne serait que justice que le dieu l'aide. " Des propos qui font polémique sur les réseaux, où l'on considère encore que la révélation des dieux n'est qu'une blague de très mauvais goût ou une nouvelle théorie du complot. Nos équipes ont tentées de contacter la mère de l'acteur, mais ...  

J'ai arrêté ma lecture ici. Je connaissais la suite. Je n'avais pas répondu à la sollicitation des journalistes, et j'avais demandé à mon attaché de communication de transmettre mes remerciements pour les cadeaux que nous avions reçu. Je ne peux m'empêcher de soupirer. Toute cette ferveur autour de l'anniversaire de mon fils tient de la folie. Je fais partie de ceux qui ne croient pas un instant à la véracité de l'existence de ces soi-disant dieux, et en prier un pour Romain, je n'arrive pas à ne pas trouver ça de très mauvais goût. Malheureusement, l'image publique de mon fils est liée à Apollon, que je le veuille ou non, puisque cela fait cinq ans maintenant qu'il l'incarne régulièrement à l'écran. Quand aux propos de la jeune fille dans l'article, je dois dire qu'ils me perturbent, car Léandre m'avais effectivement expliqué que dans sa famille, on disait souvent que l'on descendait de la pythie de Delphes. Plus un mythe familial qu'un fait historique, néanmoins, il n'arrêtait pas de dire que le rôle de notre enfant dans cette série, rôle qui l'avait rendu mondialement célèbre, ce n'était pas un hasard, c'était le destin. Léandre avait un attrait pour le mystique que je ne partageais pas.  

Mon téléphone vibre dans ma main. Le numéro de l'hôpital s'affiche. Je blêmis. Cela fait à peine vingt minutes que j'ai quittée la chambre, et ils ne doivent me contacter qu'en cas d'urgence. Je décroche, tremblante, et on me conseil de revenir dans la chambre le plus vite possible, sans me donner plus d'explication. Je cours, littéralement, dans les couloirs immaculés. J'arrive en nage à la porte de la chambre d'où se dégage une effervescence inhabituelle. À travers l'embrasure de la porte ouverte, ce que je vois manque de me faire perdre l'usage de mes jambes. Ils ont redressé le dossier du lit de Romain. Une infirmière est en train de lui donner des cuillères d'un liquide gélatineux. J'ai déjà vu cette scène plusieurs fois, ils essaient de lui garder la bouche hydratée. La différence, c'est que cette fois, il avale. Mon cerveau ne parvient pas à accepter l'information. Il est réveillé. Romain s'est réveillé. Un long sanglot m'échappe, comme si toute la douleur des derniers mois quittait mon corps d'un seul coup. Alors, il tourne son regard vers moi. C'est sans doute à cause d'un effet de la dernière lumière du soleil qui éclaire directement sur son visage et de mes yeux embués de larmes, mais j'aurais pu jurer que l'espace d'un instant, ses yeux brillaient d'un éclats d'or pure.


12 novembre 2021 - Paris

Cher journal. J'aimerais dire que je suis calme. Mais ce n'est pas le cas. Mon cœur bat à tout rompre. J'ai encore du mal à croire ce que je viens de vivre. Moi, Rachel, une simple mortelle, j'ai vraiment pris un café avec un dieu. Et pas n'importe lequel. Apollon bordel !

Mais faut que je te raconte depuis le début. Tu sais, quand Romain s'est réveillé de son coma, j'étais sûr que c'était grâce à nous, que Apollon l'avait aidé. Et puis quand il a fait sa première apparition médiatique, je me suis rendu compte que c'était encore autre chose. La plupart des gens ne voyaient pas la différence, mais nous, les vrais, on savait qu'il avait changé. Quand on connait quelqu'un par cœur comme je connais Romain, je peux voir ce que les autres ne voient pas, et tant pis si on me considère comme une weirdo. Parce que tu sais quoi, la weirdo, mon cher journal, elle a prit du grade.

Je vais trop vite. Du coup, quand je l'ai vu, j'ai commencé à dire à la communauté que nos prières avaient fonctionnées plus que ce qu'on pensait, et que Apollon c'était incarné dans Romain. J'en étais certaine, et la plupart des Papadicts aussi, mais je n'avais pas de preuve, juste une grande conviction. Jusqu'au mois dernier, où j'ai reçu un message privé sur instagram, de Romain. J'ai d'abord cru que c'était un scam, mais ensuite, je l'ai eu en visio et j'ai cru mourir. Il m'invitait à boire un café à Paris, où il a décidé de retourner vivre. Et ce café, c'était aujourd'hui.

Ô mon journal, tu n'imagines pas comme il beau. Il est parfait même. Il sent comme l'été, il a ces paillettes d'or dans les yeux et sa présence m'a donné l'impression d'une chaleur confortable, même en plein hiver. Il m'a expliqué que j'avais raison. Que Romain avait cédé son corps à lui, Apollon. Il m'a montré une partie de son pouvoir. Et il m'a dit qu'il allait faire de moi sa nouvelle pythie. J'y crois pas, dans les dents les losers, Apollon en personne m'a choisit pour être sa grande prêtresse. Il doit me revoir pour m'expliquer son plan, pour le moment, je dois garder le secret. J'ai trop hâaaaaaaate !

Avant de te lancer corps et âme sur le forum, nous tenions à te donner quelques informations importantes ! Promis cela ne prendra pas beaucoup de temps.

Allez, c'est parti !

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Et voilà c'est fini, je vais rendre mon micro et repartir tyranniser les membres dont tu fais désormais pleinement partie Te voilà paré à affronter le monde ! Comme on dit chez moi... Y'a plus qu'à! Bon jeu à toi!