Regent’s park, Londres. Quelques heures après le massacre de la cellule déicide parisienne.

La stupeur lorsque le coup de feu retenti. Comment était-il possible de ressentir quoi que ce soit d’autre qu’une incompréhension viscérale face à tant de soudaineté ? Face à ce moment suspendu dans le temps où Shiobhán voyait le visage de son père se crisper un court instant avant que ses muscles ne se relâchent aussi subitement qu’ils venaient de se tendre. Cet instant ne dû pas durer plus de quelques secondes et pourtant il était d’une terrible lenteur. Alors qu’elle ferma les paupières dans un réflexe instinctif de son corps pour les protéger de ces projections qui venaient entacher son visage, elle senti la main de son père se desserrer peu à peu jusqu’à relâcher totalement son bras. Pétrifiée par le choc elle ne qu’ouvrir les yeux sur le corps venant de s’écrouler à terre, inerte. Pas un cri ne s’échappa de sa gorge, rendue muette pas la sidération qui s’était emparée d’elle tandis que ses yeux ne pouvaient se décrocher de la vision macabre qui s’offrait à elle : celle de cette mare de sang qui s’écoulait du crâne perforé de Ian Zurer. Son cœur se serrait. Son estomac se tordait. A ses pieds gisait celui qui lui avait tant appris. Cet homme qu’elle avait épié dans son bureau, l’écoutant parler de projets à mener à bien, de dieux à débusquer et éliminer. Celui-là même qui l’avait alors initiée à cette organisation secrète d’hommes et de femmes menant un combat né de la volonté de s’affranchir des désirs des divinités millénaires. Qui avait éveillé en elle le désir de ne pas se laisser manipuler par ceux qui les avaient jadis guidés sur des champs de batailles autant qu’ils les avaient punis ou abandonnés. Ce père qui l’avait poussée à toujours donner le meilleur d’elle-même pour réussir, pour les autres, pour cette cause. Un nouveau coup de feu retenti et elle se senti basculer en arrière, forcée à tomber dans le sang qui maculait le sol, emportée par le poids de ce corps qui venait de se mettre en opposition face au danger qui menaçait toujours. Même lorsque son coude heurta le sol pas un son ne s’échappa de sa bouche, ni même lorsqu’elle réalisa l’ampleur de l’impact de sortie de la balle. Que se passait-il ? S'étaient-ils trouvés au mauvais endroit au mauvais moment ? Étaient-ils tous deux visés ou était-ce son père et elle n’était qu’un témoin à éliminer ?

Son cœur battait la chamade, cognant contre sa poitrine d’une force presque douloureuse. Un autre coup de feu, provenant cette fois d’au-dessus d’elle, un bang sonore qui l’amena à se couvrir les oreilles. L'assaillant tentait-il de la tuer ou était-elle ardemment défendue par ce camarade déicide qui suivait son père comme son ombre depuis plusieurs mois ? A cet instant son esprit était incapable de fonctionner correctement, de lui permettre de réfléchir pour se sortir de cette situation, où sa vie tenait autant dans le fait de trouver de la résilience pour se relever, qu'à la ténacité de l'homme qui répliquait aux coups de feu de l'assaillant. Qui était-il ? Un homme envoyé par un dieu ? Un dieu en personne ? Impossible de le savoir alors qu'elle luttait contre elle-même afin de reprendre le dessus sur cette peur et ce choc qui la tenaillaient. Ce n'était pas tous les jours qu'elle devait affronter une situation mortelle, cette fois il n'y avait pas un archange protecteur prêt à user de ses pouvoirs devant témoins pour sauver ceux qui se trouvaient en danger de mort. Un accident de voiture n'était rien en comparaison de balles et cette fois Saraquiel ne serait pas présent pour lui venir en aide. Il était trop loin comme bien souvent ces derniers temps, en un sens il s'agissait d'un soulagement : elle n'avait pas à feindre l'amour et se forcer à remplir ce rôle de compagne lui permettant de prendre autant d'information que possible sur lui et les autres membres de son espèce. Mais en cet instant elle aurait bien aimé qu'il soit à ses côtés. Son esprit et ses capacités étaient utiles. Inspirer. Expirer. Ne pas rester tétanisée par la peur, ne pas compter sur cette déité dont son père lui avait demandé se rapprocher suite à l'accident, une opportunité qui ne pouvait ignorée. Cette entité qui un jour aussi serait détruite, une fois que son utilité arriverait à son terme. "Eviter les situations dangereuses" avait expliqué son professeur de krav-maga le premier jour... plus facile à dire qu'à faire lorsque l'assaillant la prenait par surprise et avec une arme à feu. Inspirer. Expirer. Il ne fallait pas qu'elle reste là, prostrée sur le sol, elle devait se mettre à l'abri... mais ce visage ensanglanté, son père... Son père ! Elle écarquilla les yeux alors que l'image de la mallette qu'elle lui avait donnée, lui revenait en mémoire. Les coups de feu cessèrent. Qui l'avait emporté ? L'assaillant ou celui qui devait la protéger ? Elle ôta ses mains de ses oreilles puis se redressant péniblement, elle tendit des bras tremblants vers cette mallette contenant ces écrits qui ne devaient pas tomber en d'autres mains que l'Organisation.

- Madame, nous devons partir tout de suite.

Elle se senti être tirée arrière alors qu'elle parvenait seulement à enfermer dans sa main la hanse de la mallette. Partir au plus vite. Ne pas laisser ses rapports sur place. Abandonner son père ici...  Il fallait quitter Regent Park, regagner la voiture et rentrer. Mais pouvait-elle décemment se considérer en sécurité ? Emportée par la poigne du déicide Shiobhán se releva et le suivit, lui confiant pour quelques temps encore sa vie. Il fallait qu'elle prévienne les autres membres de la cellule, sans tarder et qu'elle puisse enquêter sur l'origine de cette assassinat. Jusqu'à présent elle s'était toujours assurée d'être discrète sur ses activités annexes au laboratoire ainsi qu'auprès de Saraquiel... Bon sang ! Il fallait qu'elle trouve  Si elle était compromise, elle ne tarderait pas à rejoindre celui qu'elle venait d'abandonner au cœur du parc...

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