D'aussi loin que je me souvienne, la religion a toujours eu une part importante dans ma vie. Mes parents étaient des chrétiens convaincus, fanatiques même à leurs heures perdues. Je suis né entouré de prières à l'Unique et ses anges tous puissants. Il fallait vénérer ces êtes supérieurs. Ils étaient les seuls à pouvoir sauver notre âme, ils étaient nos guides, nos professeurs, nos juges, nos bourreaux. Lorsque je suis né, la famille comptait déjà quatre enfants. Lorsque j'ai quitté ma famille, nous étions plus de 9 enfants. Parce qu'en bons catholiques pratiquants, ils étaient contre la contraception et contre l'idée même de l'avortement. Obéissant et studieux, je passais mon enfance à apprendre par cœur des versets de la Bible, les prières. Baptême, communions, enfant de chœur, j'avais une vie très encadrée, étriquée. Je ne dirais pas qu'il n'y avait pas d'amour ou de tendresse, mais notre éducation était sévère et intransigeante. Un seul faux-pas et les punitions laissaient des traces indéfectibles sur ma peau. En bon petit garçon cependant, je ne faisais pas d'erreurs. Je ne demandais qu'à contenter mes parents, à les rendre fiers et surtout à servir l'Unique.

Tout commença à changer au début de mon adolescence. L'entrée dans ce pensionnat catholique privé. Un lieu à la fois d'enseignement et de prière. Une éducation stricte. Studieux et volontaire, je me montrais très impliqué dans les cours, posant de multiples questions et passant des heures dans la bibliothèque. Dieu était présent dans toutes les pièces, Il nous observait, Il nous jugeait. Il enverrait ses Anges nous punir si nous n'étions pas de bons étudiants. J'étais loin, très loin d'être un mauvais élève, bien au contraire. Seulement, ma curiosité commençait à agacer certains professeurs. Parce qu'il y avait des écrits qui me dérangeaient. Ou plutôt parce que j'avais cette impression insupportable qu'on me cachait quelque chose, notamment sur Satan, l'ange déchu Samaël. Il n'y avait rien qui précisait les raisons de son éviction du Paradis. Il fallait donc prendre pour acquis le fait qu'Il ne valait pas la peine de s'intéresser à lui? Les ténèbres qui l'entouraient me fascinaient... Et plus on s'obstinait à me cacher des choses, plus mon désir d'en apprendre plus sur lui grimpait. Ces années d'étude furent un vrai chemin de croix. Une quête de la vérité ponctuée par des châtiments plus ou moins sévères. Au départ, cela amusait un peu mes professeurs, tout en les agaçant. Mais par la suite, ils essayèrent de me faire oublier mes pensées impures, par tous les moyens possibles. Je n'avais pas peur, je pleurais à peine. Je cachais ma douleur derrière un visage de marbre, mes prunelles claires vides. Parce que je savais que j'avais raison. Parce que je savais qu'un jour, je serai récompensé pour ma quête. Aujourd'hui encore, il m'arrive de ressentir la morsure des coups sur la peau de mon dos. Les cicatrices encore et toujours visibles.

(1995) La majorité m'apporta la liberté... et l'abandon. Seulement, j'avais pris pour habitude de vivre seul, alors quand mes parents me jetèrent de la maison, j'eus à peine un regard pour eux. Je n'avais rien, hormis un esprit aiguisé, une volonté de fer et un talent pour la survie. Mes vêtements sur le dos et un sac à dos consistaient en mes seules possessions terrestres.  l'intérieur du sac, un crayon et un carnet, fruit de toutes mes recherches, probablement la seule chose à laquelle je tenais vraiment. Dieu m'avait abandonné lui aussi alors que tout ce que j'avais fait, c'était de m'intéresser à l'un de ses fils, le malaimé. Peu m'importait désormais que mon âme ne puisse aller au Paradis, je savais que suivre la lumière n'était pas le chemin que j'emprunterai.

Sur ma route, j'ai croisé toute sorte de personnes. Certaines bienveillantes, d'autres malintentionnées. J'ai toujours été un survivant. Un jour, alors que je parcourais les rues de Londres où j'avais fini par échouer, un individu croisa mon chemin. Malgré mon jeune âge, je n'étais pas dupe. Il n'était pas commun. Il avait... quelque chose de différent, qui me faisait dresser les poils sur la nuque. Paralysé à la fois par la peur et par la curiosité, mes prunelles ne pouvaient se détacher de lui. J'aurais pu prendre mes jambes à mon cou à la minute où il me fit part de sa nature démonique, mais ce fut une toute autre réaction qui me prit: je lui posais un tas de questions, sans m'arrêter, preuve de ma nervosité autant que du réel intérêt que je portais à l'Enfer et à son Roi. Comment était l'Enfer? A quoi ressemblait Lucifer? Pourquoi avait-il été banni? Je lui montrais même le carnet dans lequel j'avais noté tout ce que j'avais pu apprendre par moi-même. Je n'avais qu'une envie... qu'il me damne, qu'il m'emmène en Enfer... que je puisse le rencontrer LUI, et satisfaire ma curiosité. Belzébuth, parce que c'était bien lui qui était venu à moi, sembla amusé et intéressé par le dévouement sincère qu'il ressentait chez moi. Il fit un choix qui me surprit. Il ne me damna pas. Non, il se mit en tête de faire de moi un prêtre de Lucifer. Pendant les années qui suivirent, il devint mon professeur, mon entraîneur. Il éduquait mon esprit et mon corps. Tout connaître de l'Enfer, tout connaître de Lucifer. Mon carnet regorgeait de nouveaux écrits. J'écrivais déjà des sermons à la gloire de Samaël, attendant avec impatience le moment où enfin, je serai autorisé à le rencontrer, LUI.

(2000) Cinq années plus tard, mon voeu fut exaucé. Belzébuth considérait que j'étais prêt à être amené devant Lucifer. J'avais beaucoup de respect pour le démon, il m'avait aidé à grandir et à me construire, même si j'avais toujours eu un peu de jalousie. Parce qu'il avait l'occasion de voir régulièrement Lucifer... La grande rencontre se fit en 1996, un matin de janvier. Un instant que je n'oublierai jamais. En sa présence, il me fallut moins d'une seconde pour m'agenouiller, mes yeux baissés en signe de d'obéissance et de respect. Malgré la tension qui nous entourait, je sus lui insuffler toute mon envie et ma passion de le servir aveuglément. Il m'offrit l'opportunité de devenir son prêtre et j'acceptais sans une once d'hésitation.

Je rejoignais Paris, m'installant dans l'un des hôtels de Lucifer pour commencer mon travail en toute discrétion. Pendant presque 20 ans, je gravissais les échelons, travaillant sans relâche pour servir mon Roi. Il m'apparaissait facile de manipuler des âmes humaines pour les amener à suivre mon exemple. Les gens étaient parfois si stupides, si naïfs, et assoiffés de reconnaissance. Ils espéraient un sauveur, et c'était toujours avec un grand sourire et de jolis mots que j'arrivais à les convaincre de se tourner vers le roi de l'Enfer, le seul vrai Dieu qui pourrait nous mener à la victoire dans les guerres qui s'annonçaient. J'obtins un poste de direction dans l'un des hôtels du complexe, tout en continuant d'obéir aux ordres de mon Roi. Peu importait ce qu'il me demandait, je l'accomplissais sans poser de questions. Parce qu'il savait ce qu'il faisait. Parce que ses ordres me paraissaient sensés et contemporains.

(2016) Puis enfin, vint la consécration ultime. Le plus beau cadeau qu'on ait pu me faire de toute ma vie. Voilà six ans, je fus convoqué pour une messe noire très particulière. Le moment était solennel, magnifique. Lorsque le Roi de l'Enfer lui-même apposa sa marque sur mon torse - un pentacle inversé -, tout mon corps trembla de douleur, j'avais l'impression que chaque cellule de mon corps se faisait transpercer par une lame. Malgré les souffrances réelles que cela engendra, il n'y avait aucune larme sur mon visage, seule une fierté immense dans mon regard clair et un sourire plein de reconnaissance. Il venait de me bénir de sa grâce d'ange déchu. Et si je n'avais aucune idée de ce que cela pouvait signifier dans les faits, j'étais d'autant plus déterminé à le servir et à l'aduler. Chaque matin dans le miroir, Sa marque me rappelait quel honneur on venait de me faire...

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