17 septembre 2021

Les sabots battaient le sol en rythme tandis que la monture suivait les mouvements des rênes commandant le chemin qu'il fallait suivre. Cela faisait bien longtemps que le soleil était apparu à l'horizon pour embrasser les terres de sa divine lumière chaleureuse, prenant la place du ciel indigo illuminé par le halo argenté de la lune. A la pensée de cette fratrie si particulière, ce frère et cette sœur, opposés en apparence mais se complétant d'une grâce parfaite, les paupières de la cavalière vinrent se clore un instant tandis que le corps de la brune suivait naturellement les mouvements de la monture. Combien de temps s'était écoulé depuis que la déesse avait pu éprouver le plaisir de prendre entre ses mains le visage du Soleil, qu'elle ait pu accorder un sourire à la Lune, son front contre le sien ? S'agissait-il de décennies pour l'un ? De  siècles pour la seconde ? Cela faisait bien trop longtemps qu'elle n'avait pas vu ses enfants ensemble, que ses frères et sœurs ne s'étaient pas réunis trop affaiblis par l'importance qu'avait pris le catholicisme sur leurs terres. Chacun d'entre eux lui manquait, malgré la distance, malgré mots qui avaient pu les éloigner. Inti l'avait prévenue que Mama Quilla se trouvait à Paris, accomplissant son devoir comme elle l'avait toujours fait et si leur lien s'était distendu depuis bien longtemps, la déesse-terre n'avait pu empêcher le regret poindre dans son coeur lorsque le Soleil l'avait informée de la mort de l'enveloppe de sa sœur. Un enveloppe qui avait eu une enfant, pauvre petite... Les pensées de Pachamama s'assombrissant, le cheval se secoua légèrement : si elle n'y prenait pas gare, sa monture la ferait tomber. Affermissant sa prise sur les rênes, elle prit une profonde inspiration et fit ralentir le cheval alezan. Les hommes venus par-delà l'océan avaient su profiter des dissensions entre les différents peuples pour prendre le dessus, semant la mort par le fer et des maux que même les dieux n'avaient su guérir. Une conquête qu'il avait été impossible d'arrêter même en usant des pouvoirs les plus puissants. Ils avaient été battus par l'armée de ce dieu unique, voyant leurs fidèles survivants être asservis puis convertis. Le sentiment ressenti lorsqu'elle avait été forcée à s'agenouiller devant ces catholiques n'avait été qu'un murmure comparé au sentiment d'impuissance face au déclin des siens, au traitement de leurs peuples.

Une divinité sans pouvoir n'était rien qu'un nom. Une divinité sans nom, n'existait plus.

La monture finissant par s'arrêter, la déesse mis pied à terre et s'éloigna vers la carcasse d'alpaga qui gisait dans les herbes. S'accroupissant, elle observa avec attention ce que la carcasse pouvait lui dire puis elle posa sa main sur la terre imbibée de sang. Quatre hommes. Deux semblant être dans la force de la jeunesse, les pas avaient été légers et espacés, trahissant leur fougue. Le troisième avait eu le pas plus lourd, laissant des marques plus distinctes sur le sol. Quant au dernier, il était resté en retrait, gêné par son genou. Ils ne devaient pas être venus de la ville, ils se seraient contentés de prendre des chevaux au lieu d'une voiture. Depuis janvier, des profanations d'autels incas dans les Amériques comme d'édifices, vestiges de leur passé glorieux, avaient été rapportées à son attention et cette bête sacrifiée ne pouvait l'avoir été en son honneur. Elle le sentait. Elle se redressa mais alors qu'elle s'apprêtait à se relever, une migraine soudaine vint lui brouiller la vision, la forçant à tomber à genoux. Elle senti son sang se glacer, son cerveau était comme battu puis aspergé d'un acide des plus corrosifs. Un long cri s'échappa de sa gorge tandis que sous ses mains enfoncées dans la terre, le sol s'agitait avec une force incontrôlable. Il était mort, elle le sentait. Lorsque la douleur commença à s'évanouir, la terre cessa de trembler, ne laissant que des larmes couler sur les joues de la déesse. Un dieu inca venait de mourir et elle sentait qu'il s'agissait d'Inti, son fils. Elle était restée proche de lui même lorsqu'il s'était mis à suivre son propre chemin, elle était certaine que cette mort était la sienne. Elle l'avait longtemps cru en sécurité, brillant de mille feu parmi les hommes et pourtant il était la quatrième divinité à mourir en l'espace de quelques mois, provoquant les sensations les plus déchirantes que Pachamama eut connu depuis les massacres perpétrés par les Espagnols...

16 mars 2022

Ce réveil avait pris des années, de bien trop longues années transformées en décennies si ce n'étaient des siècles. Les divinités incas avaient souffert face aux troupes de l'Unique, isolées les unes des autres durant les siècles suivant la venue des Conquistadores, avant que n'arrive ce siècle faisant perdre en vitesse le culte du Dieu unique. Son culte s'était fait discret des années durant, continuant d'exister au travers de cérémonies et de rituels scrupuleusement transmis de génération en génération avant que les plus fidèles ne mettent en place des défilés en son honneur ou encore une journée dans l'année lui étant dédiée. Les différents peuples d'Amérique du sud avaient su continuer à croire en elle, à la prier assidûment, et il était plus que temps d'honorer ces générations de croyants qui s'étaient succédées.

Les nouvelles mettaient parfois du temps à venir jusqu'ici mais Pachamama avait finit par apprendre le piège tendu à nombre de créatures et divinités, les attirant aux Jardins des Tuileries au milieu d'humain pour mieux s'en prendre à eux. Un événement qui ne manqua d'attiser les braises de sa colère. Elle n'avait pas non plus échappé aux images de ce tsunami dans le sud de la France, aux scènes de pillages et puis il y avait eu ces nouvelles morts divines, mises en scène par cette Donovan Smith qui invitait les humains à rejoindre les rangs déicides. Par cet acte elle venait de souiller le sol du continent américain et il serait hors de question qu'elle échappe au prix à payer pour cela. Elle prit une profonde inspiration avant de réajuster le col de sa chemise et de poser le regard sur l'humain qui tenait le téléphone, prêt à la filmer lorsqu'elle se présenterait aux habitants de Huaraz, au côté du maire. Rejetant ses cheveux en arrière, elle n'avança vers le pupitre que lorsque le maire l'y invita.

Merci monsieur le maire de me permettre de m'exprimer, merci à vous d'être venus voir ce qu'une fille de la terre pouvait bien avoir à dire. Vous connaissez tous plus ou moins personnellement Isabel Cahuanna mais aucun n'a réalisé qu'elle n'était plus depuis plusieurs années déjà. Malgré les terribles événements qui ont secoué ce beau pays depuis des siècles, je me suis toujours employée à être présente pour les runakunaqa qui le demandaient. Aujourd'hui je tiens à suivre l'exemple de Mama Allpa et me dévoiler devant vous telle que j'ai toujours été... je suis Pachamama, votre déesse-Terre, et je me tiendrais au côté de tous ceux qui œuvrent pour que notre culture, retrouve la grandeur qui a jadis été la sienne. Elle embrassa la foule du regard avant d'observer la caméra du téléphone de son fidèle. Il y a six mois, notre dieu solaire Inti, mon fils, a été tué. A tous ceux qui ont oeuvré à sa mort je dis ceci : le prix du sang versé sera payé. Je viens pour vous, peu importe où vous vous trouverez, et vous connaîtrez la colère de la Terre.

En s'exposant elle prenait un risque majeur, elle le savait. En clamant qu'elle s'en prendrait à ceux ayant œuvré à la mort de son fils, elle se condamnait à être traquée jusqu'à ce que mort s'en suive. Mais disséminés sur le continent, se trouvaient les siens, il était plus que temps de leur montrer qu'elle était fin prête à répliquer, à les réunir... et puis il y avait Mama Quiilla. La Lune se trouvait quelque part dans ce monde, à se battre, et il était plus que temps de la retrouver. Elle laissa un discret soupir s'échapper de sa bouche : elles avaient tant de choses à se dire.

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