Délivrons nos corps et nos esprits

Quartier Seine Ouest
Mois de Septembre

“ Mme. Masha Lancaster,
Je vous invite à mon centre de soin Source Miraculeuse, au quartier de la Seine Ouest. Venez donc profiter des bienfaits de mes bains et de mes bons soins. Je souhaiterais que l’on s’entretienne dans le même temps au vu de votre implication au sein des nôtres. Si vous êtes partante, contactez ce numéro : XX.XX.XX.XX.XX. Mon assistante prendra le rendez-vous et vous donnera l’adresse exacte.
En espérant vous voir me rejoindre,

SEQUANA”

Ces mots ont été écrits dans une lettre délivrée en main propre auprès de la prêtresse souhaitant être au service des celtes. J’avoue être méfiante vis à vis de cette femme, elle faisait après tout partie d’un réseau de déicides. Et bien que je fasse confiance au jugement de Teutatès, je ne peux me montrer que sceptique face à cette idée. Nous devons être prudents, d’autant plus que nous sommes affaiblis après de nombreuses pertes d’enveloppes de notre côté. Les mois à venir ne seront pas simples, les potentiels alliés du passé sont nos ennemis. Et je ne souhaite pas refaire la même erreur que dans les catacombes. J’ai donc pris la liberté de l’inviter dans mon centre, afin d’en apprendre plus sur elle. Bien sûr, j’ai entendu quelques brèves informations, mais cela ne me suffit pas. Je préfère la rencontrer pour m’en faire une idée.

L’heure approchant, je décide de quitter mon cabinet, situé juste à côté de mon centre de soin, dans le même immeuble.  Je rejoins donc ce dernier, salue l’assistante à l’accueil et me dirige vers les cabines. Entrant dans l’une d’elles, je souris doucement, ce n’est pas tous les jours que je me mets à la place de mes clientes, mais c’est une chose que j’aime faire, notamment quand j’ai des invités divins. Je me déshabille alors, purifie mon corps sous la douche qui commence déjà à relaxer mes muscles, frottant le savon sur ma peau et mes cheveux afin de ne pas corrompre les effets du bain à venir. Sans me sécher, j’enfile un maillot, bien que j’aurais préféré faire sans, comme à la vieille époque où mon sanctuaire n’était pas encore détruit. Tout y était simple, sans pudeur, je m’y sentais libre comme nul part ailleurs. Puis les envahisseurs ont tout détruit, y compris nos traditions et ont instauré leur vile discrétion intime.

Enveloppée d’un peignoir, je sors de la cabine et rejoint l’une des salles de balnéothérapie où l’on peut apprécier les douceurs d’un bain en collectif. Ici, nous ne serons que deux. Notre chère prêtresse m’y retrouvant d’un instant à l’autre. Je sens la douce odeur florale et de lait emplir l’air. Et j’entends une mélodieuse musique basse casser le silence des lieux. Je pends mon peignoir au mur puis entre dans le bain aux contours boisés, savourant la chaleur et la douceur du lait dilué sur ma peau. Soupirant d’aise une fois installée, je guette la pendule pour prévenir de son arrivée, les jets d’eau massant mes mollets et mes reins. Alors que je saisissais une pétale de magnolia dans ma main, appréciant son toucher, la porte s’ouvrit pour laisser entrer mon invité.

Mes prunelles accrochèrent immédiatement sur elle, une magnifique femme au visage fin, les joues rebondies, et un regard pénétrant. J’esquisse un sourire chaleureux et tends la main vers le bain, à mon côté.

- Je te souhaite la bienvenue dans mon centre Masha, ainsi que dans notre culte. Je suis Sequana, déesse de la Seine et de la source miraculeuse. Rejoins-moi ! J’espère que tu n’es pas allergique aux fleurs ou au lait ?

Demandais-je avec intérêt. J’ai toujours aimé accueillir et organiser des événements. Ça me sort de mon lot du quotidien, et j’apprécie d’apporter du bonheur aux autres, autre qu’en soignant ou offrant des miracles. Lorsqu’elle me rejoint, je reprends sans me départir de mon léger sourire.

- Je suppose que mon invitation a dû te surprendre ?! Je souhaitais te rencontrer pour apprendre à te connaître. Après tout, tu es sortie de nulle part, et je trouve autant cela intriguant que suspicieux je te l’avoue. Je ne te dis pas cela contre toi, seulement c’est dans l’intérêt du Panthéon. J’espère que tu me comprends. Si tu réponds à mes questions, je ferais de même si tu en as, qu’en penses-tu ?

Finis-je par demander en jouant distraitement avec les pétales de fleurs flottant au-dessus de nous. Je l’observe, un tantinet curieuse, me demandant ce qu’elle cache au fond d’elle. Si elle est réellement des nôtres ou si elle joue un jeu. J’espère pouvoir répondre à mes interrogations avec notre entrevue ..

Délivrons nos corps et nos esprits

De tout temps, nous autres divins avons vécu au milieu des humains sans qu’ils ne s’en rendent compte. Des choses inexplicables pour eux se produisaient, alors ils s’en référaient à nous, puissances de la nature, pour les bienfaits ou les malheurs dont ils ont été la cible. Cela aurait dû rester ainsi. Nous jouons un rôle perpétuel au sein de la société, dans l’unique but de renforcer les croyances et d’apporter ce en quoi nous sommes nés. Nos seuls ennemis alors, étaient les divins empiétant sur nos territoires, ou ceux dont les griefs sont plus personnels.

Puis la vérité s’est dévoilée aux yeux des mortels, la grande révélation témoignant des êtres supérieurs vivant auprès d’eux. J’ai toujours su que c’était une mauvaise idée. Nous devons rester ce que nous sommes, des miracles de la vie, des entités du monde. Pour vivre heureux, vivons cachés. Cette expression ne peut pas être plus vraie dans notre cas. Les humains ont beau être de merveilleux êtres, ils sont à notre image, puisqu’ils nous ont créés par leur foi. Alors nous ne pouvons que savoir que leur ambition, leur avidité peut être égale aux pires d’entre nous. Ils tenteront inévitablement de trouver un moyen de nous réduire en cendre. Puisque les non croyants ne peuvent que nous prendre pour des contre-natures.

Le plus surprenant ne fut donc pas que des humains deviennent des déicides … Mais plutôt qu’ils ont réussi à trouver un moyen de nous éliminer. En cela, tout peut être remis en question. Pour ma part, je vis d’autant plus cachée, puisque non seulement les dieux ennemis peuvent en avoir après nous, mais les humains aussi. De grands dieux sont tombés, Zeus, Odin, c’est terrifiant en y pensant … Que leur puissance fut annihilée ainsi. Alors … N’importe qui peut retourner définitivement dans l’Ether et ne plus exister.

Je ne sais donc pas vraiment comment me montrer auprès de cette ancienne déicide, semblant vouloir nous servir. Je fais donc méticuleusement attention à ses gestes, autant que je tente d’analyser les traits de son visage afin d’essayer de comprendre ce qu’elle peut bien cacher. Je souris doucement lorsqu’elle me rapporte être honorée par cette rencontre. Il est vrai que je ne révèle que rarement ce que je suis auprès des humains, cela me rend un tant soit peu timide je dois dire. Seuls quelques privilégiés en qui j’ai entièrement confiance sont au courant, comme mon bras droit par exemple.

Je sens alors son bien-être l’envahir alors que les jets du bain lui décontractent les muscles. Elle m’intime que cela lui fait du bien, et qu’elle avait oublié cette sensation. En m’adossant confortablement dans le bain, j’élève ma main afin de faire tournoyer un filet d’eau au-dessus de celle-ci, je souffle alors d’un air serein :

- Les bains détendent les corps et libèrent les esprits. A mes débuts, mes adeptes avaient construit des bains près de ma source, en mon honneur. En échange, j’ai purifié les bains pour que leur santé soit bonne. Mon regard navigue sur les murs agrémentés de bois et de plantes. Puis il y a quelques années, j’ai voulu réitérer l'expérience à partir de ce centre. Si tu souhaites t’y reposer à l’avenir, tu y es la bienvenue. Je retourne mon attention sur mon invité : L’eau te soulagera de quelconque douleur, et tes blessures guériront plus rapidement.

Si elle s’avère être une véritable alliée, il n’y a pas de raison pour que je ne la chouchoute pas comme je le fais avec mes adeptes. Je me redresse un instant, saisissant une carafe sur le bord du bain, et servant deux verres de smoothie. J’en tends un à Masha avant de tinter nos verres entre eux, comme pour trinquer en sa nouvelle venue. Je bois alors une gorgée et savoure le goût des fruits autant que le contraste du froid à l’intérieur de mon corps, avec le chaud enveloppant ce dernier.

- Alors, racontes-moi ton histoire ! Comment une déicide telle que toi, retourne sa veste envers son réseau et rejoint le culte de notre Panthéon ..?

Lui demandais-je finalement sans détour, bien que d’une voix amicale, sans pression, après tout je l’ai surtout invité pour en savoir plus à ce sujet. Mais contrairement à d’autres, je ne suis pas très fan des interrogatoire virulent. Je suis plutôt la discussion, la diplomatie. La rivière ne s’impose pas directement, elle coule et glisse afin de s’installer là où elle sent qu’elle sera à sa place.