Let's Rule Istanbul, Girls

Nos efforts pour moderniser la Turquie et en faire un nouveau centre des innovations, sciences et technologies sont vains si le gouvernement n’apporte pas son soutien total. Les Etats-Unis, l’Europe et certains pays de l’Asie n’ont pas atteint ce niveau de vie simplement par la bonté ou l’investissement de quelques particuliers richissimes. L’argent est important, mais les lois et les sympathies politiques tout autant ! Aucun projet n’est viable si les lois ou les médias les restreignent, ou ne les renforcent pas.

En prime, ce soutien devient une urgence. Les hommes politiques semblent découvrir un intérêt considérable à soutenir un panthéon au détriment d’un autre. En parallèle, des divinités déclarent des régions ou des pays entiers comme leur domaine attitré, acceptant ou refusant la présence des autres panthéons. Dans ce contexte particulier, il me semble nécessaire d’assurer mon propre pré-carré. J’aurais aimé le soutien des miens dans ce projet mais ils sont bien trop concentrés sur leur propre nombril pour m’aider. En prime, j’ai ouïe dire qu’Argent était mêlé à la catastrophe des Tuileries. Je ne sais pas exactement à quoi il joue, et je ne veux pas tomber avec lui.

Par dépit, et défaut, j’ai eu à me tourner vers notre seul et unique allié : le panthéon monothéiste. Si ma logique est implacable, mon manque d’empathie joue considérablement en ma défaveur lors des échanges. Bon gré, mal gré, je dois reconnaitre que j’ai besoin d’une seconde capable qui excelle dans ce domaine. Lorsque j’ai glissé cette idée, avec bien des réticences, auprès de Blezébuth, le démon m’a soufflé le nom d’une succube : Romilly. J’ai pris contact avec cette dernière, sans tarder. Elle n’a pas accepté ou refusé, immédiatement. Avant tout, elle veut obtenir l’accord de Lilith ou de Belzébuth. J’ai pris mon mal en patience, jurant dans ma barbe, rêvant d’avoir des créatures utiles et non juste une bande de complotistes incontrôlables !

Finalement, elle me recontacte et confirme qu’elle peut m’aider. Avant de nous rendre directement dans les bureaux de ces hommes politiques, j’ai voulu la rencontrer, discuter stratégies et méthodes. Une bataille n’est gagnée que si elle est bien préparée. Pour la peine, je la rencontre dans mon bureau attitré au sein de l’Université. Lorsqu’elle arrive, je me contente de lui montrer un siège avec ma main.

- Arthur vous a indiqué l’objet de cette rencontre, naturellement. Cependant, avant de commencer, je souhaite établir des règles claires. Je ne me dévoilerai pas aux humains, ni maintenant, ni plus tard, tant que ce n’est pas nécessaire. Je vous demande donc de m’appeler toujours, et en toute circonstance, par mon prénom et, ou, nom soit Docteur Elizabeth Johnson. Qu’en est-il de vous ? , commençais-je, d’emblée. Ensuite, j’ai un planning très chargé. Nous devons être efficaces et éviter de trop dévier de notre objectif initial lors des discussions ou tout autre activité liée à cet objectif commun. Avez-vous quelques objections ?

Je me tais, profitant de cette accalmie pour prendre un verre et avaler une belle gorgée d’eau. Calmement, j’attends ses premières réactions. Si elle est incapable de se plier à ces quelques caprices et menace de quitter la pièce comme une tempête, alors elle m’est aussi utile qu’un parapluie, un jour de pluie, lorsque je suis dans la piscine.

A l’évocation de Belzébuth, je soupire profondément. J’entends déjà son rire moqueur et je vois bien son petit sourire arrogant : il va me rabâcher toutes anecdotes que la petite Romilly va lui rapporter pour les siècles à venir. Vivement que nos panthéons respectifs abattent ces antiquités puis cessent cette stupide mascarade. La vie serait un brin plus doux lorsque je renverrais cette divinité démoniaque dans l’Ether pour quelques semaines, mois, années, voire siècles !

Il a bien des qualités, je le conçois. Un esprit aussi brillant dans le domaine médical est très rare parmi les vieux panthéons. Ces derniers se reposent, généralement, sur ce que mes fidèles et moi-même offrons : ils n’avancent rien ; ils ne révolutionnent rien ! Enfin, et plus important, le démon a les bras longs. Il peut obtenir des échantillons génétiques ou des appareils médicaux performants pour presque rien. Il faut admettre que c’est un argument de taille, pour que je le supporte au quotidien. Moins je fais appel à Argent, moins j’aurais à lui rendre de compte et moins il y a des chances qu’il y fourre son nez et tourne le tout à une affaire de profit – encore.

Toujours est-il que ses moqueries constantes à mon égard ou ses goujateries passées avec mes fidèles minent ma patience, jour après jour. A chaque fois où je suis tentée de le réduire en atome invisible, je pense à ce jour tant attendu où nos panthéons ne seront plus alliés mais ennemis. Soit il va tomber, soit je vais tomber. Toujours est-il que je n’aurais plus à le côtoyer pour longtemps – voire très longtemps. Jusqu’à là, serrons les dents et acceptons de voir cette engeance maudite se multiplier dans mon entourage.

Je me crispe, malgré moi, lorsque la blondinette me complimente sur mon physique – ou du moins, je le pense.

- Malheureusement, la beauté de l’esprit ne séduit qu’une infime proportion des hommes de pouvoir. Ils sont plus friands des plaisirs de la chair, plus intéressé par l’argent et le profit ou plus sensible au chantage. Je n’ai aucun intérêt au premier et je ne saurais donc pas les attirer avec : c’est votre rôle. Je peux obtenir le soutien d’Argent, si c’est nécessaire. Les récents événements aux Tuileries le rendront même plus enclin à m’aider. Quant au chantage, je souhaite en faire usage qu’en derniers recours. Nous attirons davantage l’animosité que la sympathie avec la peur, commentais-je.

Je tique lorsqu’elle parle de se nourrir. De quoi parle-t-elle ?

- Je ne suis pas familière avec votre panthéon et notre … connaissance commune ne m’a absolument rien dit vis-à-vis de vos besoins, ni de vos talents d’ailleurs. Que voulez-vous dire exactement par « magie » et « casse-croûte » ? Etes-vous … cannibales ? , m’hasardais-je, ne cachant pas ma sincère inquiétude et agacement.

Entre temps, je prends bien note que je dois être plus spécifique avec Arthur, à l’avenir. Décidément, même ses présents ou ses aides sont empoisonnés ! Démon boiteux un jour, démon boiteux toujours. Il est vraiment temps d’éradiquer toutes ces vieilleries et instaurer un monde dirigé uniquement par le sublime esprit scientifique sommeillant en chaque homme et femme.

- Je vous propose que nous nous préparions avant d’aller à leur rencontre. Les questions qu’ils peuvent poser, les réponses que nous pouvons donner. Ou, tout simplement, nous entendre sur des codes ou des signaux pour nous coordonner discrètement mais efficacement. Si Arthur vous a recommandé, vous devez avoir quelques expériences dans ce domaine-là, n’est-ce pas ?, proposais-je. Plus important, savez-vous exactement pourquoi nous les rencontrons ? Avez-vous eu quelques informations sur le projet sur lequel nous travaillons ?

Elle est belle. Je n’ai pas besoin de ses talents pour le deviner. La symétrie de son visage, la forme de sa silhouette, sa jeunesse, sa blondeur … elle a toutes les caractéristiques physiques d’une femme désirable. Des caractéristiques qui se subliment, malgré moi, et de façon inexplicable pendant quelques petites minutes. Je détourne mon regard, peu désireuse d’être le cobaye d’une créature.

Je teste les gens, les choses et les divins.
Et non l’inverse.

Et puis, elle parle. Le charme se rompt.

Est-ce que tout ceci est une terrible, horrible et moqueuse blague de Belzébuth ? Est-ce tous ces vieux panthéons sont aussi dégénérés, décadents, simplistes et vulgaires que cette Succube et les Démons qu’elle sert ? Est-ce qu’Argent a été sincèrement et étonnamment manipulé par quelques petits pouvoirs de ces antiquités antédiluviennes ? Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer la raison même de notre alliance avec ces choses ? Enfin, et plus important, pourquoi est-ce que l’Homme continue à s’avilir à des instincts aussi bas quand la perfection, le futur et l’indépendance lui tendent la main grâce à nous, les Nouveaux Dieux ?

Je ne comprends absolument rien.

- Vous avez besoin d’avoir des rapports sexuels quotidiens ?

Je m’étonne.

- Vous savez qu’il existe des machines capable de déclencher des orgasmes. Dans un tel contexte, avez-vous véritablement besoin de … vous nourrir des Hommes ?

J’interroge.

Après une vivante qui a toutes les caractéristiques d’une morte, voilà que nous avons une dépravée sexuelle. Etonnamment, ce dernier cas m’intéresse clairement moins. La demoiselle a besoin d’être émoustillée entre les jambes. Le sexe est tout, sauf une curiosité scientifique. Les hommes et les femmes ont eu des millénaires entiers pour pratiquer, expérimenter et perfectionner cette activité. Même les maladies associées à cette dernière n’ont plus de secrets, de mystères et de surprises. Bref, ennuyeux et inintéressant.

- Avant que nous nous jetions dans la gueule du loup, je veux m’assurer que vous avez toutes les cartes en main et que vous pourrez m’assister convenablement, dis-je, me retenant de soupirer très lourdement. Arthur et moi travaillons sur un projet ambitieux, quoique questionnable d’un point de vue éthique. Il est question de stocker la mémoire des personnes au fil de leur vie et, à terme, développer des applications supplémentaires à ce stockage de mémoire. Il me faut le soutien du gouvernement pour ce projet-ci mais, plus largement, pour tout autre projet scientifique, expliquais-je, me relevant. Je veux que la Turquie devienne le nouveau centre scientifique et technologique du monde. Le pays est au centre de trois continents, c’est un emplacement rêvé. Il faut que ces politiciens trouvent plus d’intérêt en la science, la médecine et en la technologie … qu’en ces vieux panthéons hindous, incas, japonais et j’en passe. L’Europe semble prendre des positions pour nos ennemis, nous devons prévenir la propagation de cette bêtise ailleurs.

En bref, il y a un intérêt un peu égoïste mais tout autant commun. Je n’en doute pas un seul instant qu’Arthur, ou les siens chercheront à mettre des espions, des parasites ou à tirer la couverture vers eux ! Malheureusement, c’est un mal nécessaire, un risque auquel je ne peux pas échapper !

Quelle déchéance ! Voilà que je me mets à chercher des territoires comme ces antiquités.
Gris rirait de ma crainte.
Technologie ne saisirait pas la notion de frontière.

Et pourtant, je sens qu’il est nécessaire que j’ai mon domaine.

- Je résume donc. Il me faut leur soutien pour ce projet en lien avec la Mémoire et l'assurance que les vieux panthéons ne viendront pas mettre leur grain de sel en Turquie. Seuls les Nouveaux Dieux et leurs alliés seront tolérés.

Je me tais, attendant ses réactions. A moins qu'elle n'ait des réticences ou des questions.
Qu'est-ce que j'en sais. Elle est si bizarre, et si vulgaire.

A chaque nouvelle rencontre avec les reliques du passé, je suis épatée par la bêtise et la vulgarité de l’Humanité. Il y a une montagne d’incohérences ! La succube est une illustration parfaite de l’absurdité des temps passés ! L’Unique condamne fortement la fornication hors mariage ou avec multiples partenaires, mais tente constamment ses fidèles avec l’incarnation même de la luxure. C’est le bâton et la carotte ! J’aimerai dire que le panthéon monothéiste est le seul cas, mais nullement ! Chaque mythe n’est que la glorification d’un tort humain !

Dans ces moments-là, je m’interroge sincèrement sur ma propre nature et sur mon devoir vis-à-vis de l’Homme. Pourquoi est-ce que je m’échine à améliorer le quotidien d’une bande de chimpanzés en rut ? Pourquoi est-ce que je dois me coltiner un démon et sa maudite engeance pour offrir une nouvelle avancée à l’Homme ? Pourquoi est-ce que je risque jusqu’à propre existence en cherchant à conquérir et à coloniser l’Espace ?

- Je préfère que nous nous contentons de votre point fort, Mademoiselle Romilly. Cet entretien doit être une réussite, et non un échec monstrueux, finis-je par dire après son long et gênant palabre. La priorité est que ces messieurs reconnaissent l’intérêt du pole scientifique que je mets en place et auquel Arthur participe. Il faut que le gouvernent turc apporte un financement public considérable, avec le minimum de conditions, indiquais-je. Si, entre temps, vous pouvez les convaincre que tout panthéon autre que nos deux panthéons respectifs, n’apporteront jamais rien de bon, vous n’aurez pas simplement servi ma personne mais aussi vos propres … commanditaires, alliés, amis … Quelque soit comment vous vous appelez entre vous.

Ma petite boite mail m’envoie une notification. L’heure approche pour cette fameuse rencontre. J’ai réussi à obtenir la confirmation de quelques grosses pointures de la scène politique grâce à Internet, Technologie et pas mal de contacts par-ci et par-là que j’ai pu construire sur ces derniers mois. Je me relève, me dirige vers un petit placard et en extirpe un ensemble propre – un pantalon tailleur, une chemisette propre. Sobre, discret, je ne peux pas m’empêcher de constater que je parais bien fade aux cotés de l’exubérante Romilly.

- Nous devons un compromis vestimentaire. Qu’importe vos talents, il faut que nous travaillions ensemble pour leur implémenter l’idée que notre projet est important et nécessite un financement très durable. Si vous êtes trop visibles, je suis invisible. Et je ne mettrais pas ce que vous mettez. A moins que …

Je réfléchis.

… que vous portez des lunettes intelligentes. Avec mon téléphone ou un PC à disposition, je peux écrire votre discours ou vos réponses à des questions techniques. Vous serez donc la vitrine principale.

J’étudie la question.

Quelle est la meilleure option ?

Il est véritablement dommage que les divinités ne puissent pas tomber malade de corps et d’essence. Les infections sexuellement transmissibles auraient largement décimé les rangs depuis bien des siècles, maintenant ! Nous aurions pu nous éviter tous les troubles que ces vieilles antiquités apportent depuis quelques mois, déjà !

- Votre relation avec Belzébuth m’étonne qu’à moitié. Il est prompt à s’accoupler avec les demoiselles remplissant ses critères de canon de beauté. Cependant, ses conquêtes restent nombreuses. Soit il vous épuise, soit vous ne l’épuisez pas assez, soit il n’est pas assez satisfaisant, soit vous êtes tout simplement insatiables. Les trois premiers scénarios sont assez communs, que ce soit pour les divinités, humains ou créatures. Par contre, le dernier scénario est assez inquiétant et est souvent indicateur d’un trouble psychologique.

Je la fixe longuement, l’analysant sous toutes ses coutures inconsciemment, par pur automatisme.

- Vous êtes l’exception qui confirme la règle. Votre nature est ainsi faite. Cependant, Belzébuth n’est pas un incube. Par conséquent, il n’a pas la même faim. La conclusion est que vous êtes normales, et il doit considérer consulter un psychologue. Je vous prie, ne soyez pas offusqué. Je lui ai déjà fait part de cette observation.

Je retiens un soupire et ferme les paupières pour cacher mon exaspération.

- Les hommes ont un fonctionnement différent des femmes. En terme plus vulgaire, ils sont plus visuels, c’est-à-dire portés à des détails très visibles et très clinquants : un vernis luisant, un rouge à lèvre vif … Couleur et forme.

Sur ces deux points, je dois admettre que la blondinette a le nécessaire. En comparaison, je suis bien plate et pâlotte. Pour autant, je ne complexe pas. Le physique n’est pas un paramètre important dans mon monde. Si j’apprécie cette enveloppe, je ne serais pas particulièrement de la perdre. Ce n’est qu’un contenant pour mon essence, un moyen de travailler et d’aider l’Humanité à être la meilleure version d’elle-même.

- Vous êtes libres de choisir ma tenue. La jupe ne doit pas dévoiler mes sous-vêtements d’une quelconque manière, je ne porterais pas de string, j’accepte le décolleté tant que ma poitrine ne menace pas de sortir à tout instant, et je n’aime pas les hauts à bretelle. Quant au maquillage, le minimum est largement suffisant. Si je souhaite une seconde peau, j’irais m’acheter un masque directement ou investir dans une nouvelle enveloppe. Ah. Vous avez donc deux heures, maximum, et un budget de 100 euros.

Qui qu’elle soit, qu’elle se décide vite. Mon temps est très précieux. Soit nous restons avec ma tenue, soit nous optons pour une nouvelle. Soit elle me maquille, soit je pars aussi simplement. Advienne que pourra à cette réunion de toute façon. Toutes les cartes sont présentes et n’attendent plus que d’être dévoilée et confrontée aux autres mains.

Selon les caprices et volontés de la Fashionista, je suis aussi prête que non prête à la finalité de cette grotesque comédie. Nous sommes accueillis convenablement dans un petit lobby assez intimiste. Les hommes et femmes s’échangent des poignées de main, quelques potins politiques ou secrets de polichinelles. Je salue chacun, au mieux de mes capacités. Je me présente et je rappelle le projet en cours très succinctement. La succube me soutient, apportant ses petits commentaires, sourires et flirts. Elle fait sensation, évidemment.

Ce n’est qu’un amuse-gueule.

- Bientôt, nous serons invités dans la salle de réunion. Là, je vais faire la présentation du projet. Vous devez donc me soutenir. J’ai glissé quelques anecdotes ou informations sur le dite projet. Si vous jugez un moment opportun pour faire un trait d’humour propre à vous, à user de vos charmes ou à citer l’un de mes commentaires, ne vous gênez pas.

La mascarade continue.

Ma relation avec Belzébuth est aussi bénéfique qu’explosive. Si nos intellects se complètent et s’accordent, l’affaire est tout autre avec nos caractères respectifs. Chaque jour est une nouvelle épreuve pour l’un et pour l’autre. Le démon survit en me prenant pour cible de son humour désastreuse. Je patience en le sermonnant ou en me montrant sèche à de quelques reprises. Plus important, l’assurance que l’entente entre nos panthéons est temporaire nous aide à tenir bon. Chaque petite ou grosse crise est réprimée dans une petite boite de Pandore. Celle-ci s’ouvrira lorsqu’il n’y aura plus aucun accord qui nous liera. Alors, déesse guerrière ou pas, je vais exploser ce fichu sourire qu’il affiche à longueur de journée. Il est hors de question que je retourne à l’Ether sans cet accomplissement – ou qu’il retourne à l’Ether, le sourire intact.

Aujourd’hui est une autre bêtise du démon que j’ai à supporter. Si la demoiselle n’apporte pas le gain attendu, je jure que ce cher Belzébuth regrettera sa plaisanterie d’une façon ou d’une autre. Je n’attendrais pas la fin de l’alliance pour me venger de sa moquerie du jour. Lorsque la blondinette disparaît, je souffle de répit. Lorsqu’elle réapparaît avec un sac, ma mâchoire se crispe. Lorsque j’ai à quitter mes vêtements confortables pour cet ensemble fort peu pratique, j’ai à réprimer une vingtaine de soupires d’exaspération. Les dents ne se desserrent pas davantage lorsque le succube se lance dans une séance maquillage et tête coiffeuse avec moi.

Tout ce qu’elle dit tient davantage du charabia que du bon sens. Pourtant, j’accepte d’esquisser un sourire maladroit à ses compliments et à reconnaître ses arguments d’un signe de tête discret. Si je veux qu’elle soit réceptive à mes besoins, j’ai à reconnaître quelques efforts. Je l’ai déjà supporté jusqu’à maintenant et je me suis pliée à son caprice. Je ne peux pas ruiner autant de temps dépensé à la bêtise de la superficialité !

Nous quittons enfin ce bureau et nous nous dirigeons vers le lieu du rendez-vous. Ceux qui me connaissent déjà s’étonnent de mon accoutrement, me félicitent chaudement, voire même m’offrent quelques compliments assez déplacés. Tout au long, je me mords la langue, je retiens quelques phrases aussi acides que véridiques. Certes, je suis une divinité franche, mais je ne suis pas arrivée jusqu’à ces sommets en étant butée et stupide. J’ai appris à faire des compromis avec les personnes appropriées. Par exemple, ces investisseurs sont importants, comme Argent, alors je mets de l’eau dans mon vin. Belzébuth est important, certes, mais est un casse-pieds considérable. Il ne mérite donc ni ma patience, ni mes efforts.

Du coin de l’œil, je surveille le succube. Elle joue son rôle à merveille. Les hommes s’agglutinent autour d’elle, les femmes la fixent avec autant d’envie que de confusions. Je m’éclipse quelques minutes pour la rejoindre et m’assurer que tout va bien. Je n’ai même pas le temps de placer un seul mot, qu’elle me fait déjà un point sur la suite – et sur ses disponibilités. A nouveau, je me mords la langue et retiens un juron ou deux. Je dois tenir bon, pour le bien du projet, pour la sauvegarde de la puissance de ma jumelle et moi, pour tout ce travail déjà déployé par nos fidèles, pour l’avancement de l’Humanité vers des lendemains bien meilleurs et loin de la barbarie du passé.

Alors, mon tour arrive de parler, de présenter le projet et, surtout, de le défendre. Debout, devant toutes ces personnes, je garde le silence. Je n’ai pas le trac – c’est impensable pour la divinité que je suis. Je fais surtout un point colossal sur tout ce que j’ai eu à déployer pour arriver jusque-là.

M’entendre avec un démon et lui confier bien des tenants et aboutissants du projet.
M’exiler pour une longue période de mes centres de pouvoir principaux.
Me tenir loin de tous ces conflits.

Aujourd’hui est une pierre supplémentaire à l’édifice construite, et potentiellement la dernière. Soit je réussis et alors tous ces sacrifices n’auront pas été vains. Alors, je pourrais passer à la vitesse supérieure et m’étendre davantage tant dans la capitale que dans le pays. Soit j’échoue et alors je serais assez furax. Je n’aurais pas d’autres choix que de retourner sous le giron d’Argent, entièrement et totalement et sans échappatoire, et être son bon petit soldat dans cette guerre sans fin qui se profile à l’horizon.

En somme, tout mon avenir, pour un bon siècle, voire un bon millénaire, va peut-être se jouer à cet instant-ci.

-  Bonsoir, mesdames et messieurs. Je suis ravie de vous voir aussi nombreux, aujourd’hui. Je vous remercie, encore une fois, de m’accorder de votre temps. Et j’espère que je saurais vous convaincre de m’accorder également votre confiance.

Sourire aimable et poli, prenant le temps de balayer tous les visages.

- Tout le monde ne me connaît pas, alors je vais me présenter en quelques mots. Je suis le Docteur Elizabeth Johnson, ayant étudiée et enseignée la chimie et physique de nombreuses années aux Etats-Unis, tout en ayant été invitée à donner des conférences dans des écoles renommées d’Angleterre, de France, de Chine … En parallèle, j’ai soutenu de nombreux projets et centres dans divers centres scientifiques du monde. Mon curriculum vitae et les nombreuses thèses déjà publiées vous ont été envoyé sur vos boites mails respectifs.

Nul besoin que je les assomme avec mon pédigrée. Il n’englobe qu’une dizaine d’années, mais bien riches.

- Il y a trois ans de cela, j’ai remarqué que le centre du monde manque de son propre centre scientifique. Constantinople la fameuse ne brille plus comme la ville de toutes les merveilles.  Istanbul la belle qui a un pied en Asie, un pied en Europe, est un passage et non une destination pour les esprits les plus brillants de cette génération. Or, l’histoire est riche, les ententes avec l’Est et l’Ouest sont nombreuses. Il y a tant à offrir à ces dits esprits brillants, à ceux qui vont apporter le futur à ce monde, à ceux qui vont créer de nouveaux emplois et de nouveaux revenus.

Il ne faut pas parler qu’en terme d’espoir et de science, mais également de monnaie.

- Il y a quelques mois de cela, une comité de scientifiques, dont je fais partie, ont lancé un projet ambitieux : un nouveau pôle scientifique à Istanbul même. L’objectif principal est d’en faire un pôle considérable et pionnier dans l’exploration spatiale et l’exploitation de ressources extra-terrestres sur Terre. Les objectifs annexes ou les étapes pour arriver à ce grand objectif sont de développer des branches scientifiques tout aussi importantes et liées entre elles. La médecine pour combattre toutes ces maladies qui se développent en raison de notre quotidien ou du réchauffement climatique, les nouvelles technologiques pour améliorer la qualité de notre vie et les appareils à disposition et l’aéronautique et l’aérospatiale pour envisager des appareils de transportation toujours plus rapides, plus efficaces et plus conséquents.

Gris, Technologie et Science … en somme, Spotlight sur notre trio.

- Si des pays comme les Etats-Unis, les pays européens, le Japon ou la Chine ont su s’imposer au monde, c’est grâce à leur capacité à innover : train, avion, voiture, téléphone, vaccin … Combien payez-vous pour leur brevet pour une technologie ou un savoir en particulier ? A quel point êtes-vous dépendants du savoir de ces autres pays ?  

Je les interroge du regard.

- L’objectif de ce pôle n’est pas de mettre Istanbul, ou la Turquie plus largement, en concurrence avec des monstres comme la Silicon Valley. Il est question de collaborer avec, dans le futur, pour des projets ambitieux et avoir droit à votre part du lion. Et si vous me demandez pourquoi Istanbul, la réponse est au début de ce discours : ce pays est un carrefour aussi vieux que ce monde. Il l’a toujours été, et il le sera toujours.

Est-ce que je les ai convaincu ?

- Votre soutien est nécessaire financièrement certes, mais surtout légalement. Les autorités turques doivent fournir une flexibilité juridique et législative à nos recherches, nos méthodes et surtout aux produits ou aux nouveaux brevets que nous développerons : nouveaux modèles de voiture, de train ou d’avion, de nouveaux médicaments ou vaccins ou de nouvelles technologies allant d’application domestique à des applications militaires …

La demande est claire, ou du moins je suppose.

- Plus concrètement, nos premiers projets s’articuleront sur trois axes. Une équipe sera en charge de la création et le design de véhicules sans empreinte carbone, par mer, terre et air. Une équipe sera en charge de développer des outils et des moyens de combattre l’un des fléaux de l’Homme, l’Alzheimer. Nous pouvons développer des procédés comme des nouvelles technologies permettant de stocker la mémoire. Cette même technologie pourra se développer pour la sauvegarde des enfants ou la surveillance des criminels récidivistes. Tous ces projets seront brevetés ici, en Turquie, et c’est le gouvernement et la population turque bénéficieront des gains sous forme d’impôts.

La présentation dans mon dos s’enchaîne.

- Il est question de développer des projets ambitieux, auxquels la majorité peut adhérer ou ne pas adhérer. Ce dont j’ai besoin, avant un quelconque financement, est le support entier et quasi total du gouvernement. Les visas pour les scientifiques et chercheurs doivent être délivrés facilement, les imports de produits nécessaires à ces projets doivent être reconsidéré en terme de coûts et de procédures et, surtout, notre pôle a toute la latitude nécessaire de maintenir secret ses recherches. En échange, je promets que tout projet né dans le pôle bénéficiera en priorité aux entreprises et autorités turques.

Je me tais, explorant déjà les premières réactions.

Aussi agaçante soit-elle, je ne peux pas nier son talent à séduire les hommes et les femmes. Dès l’instant où je perds l’attention de l’assemblée, la succube ramène ces moutons sur les rails avec ses yeux de biche, quelques battements de cils et un habile jeu de jambes. Malgré qu’elle a un talent certain et qu’elle le met à mon service, je n’arrive pas à me défaire de cette image de vulgarité et de bêtise. Quoique, il peut être utile de s’inspirer de la petite pour les futures androïdes que ma Jumelle et moi allons confectionner. Si l’Espace est le prochain habitat de l’Homme, la Robotique est la nouvelle étape d’évolution. Evidemment, l’alternative effraie les plus conservateurs et traditionnels et est même mal vu par les divins de mon propre panthéon, mais leurs avis m’importent peu. J’ai été crée pour apporter le meilleur à l’Humanité, qu’importe que la nouveauté me profite ou non. Je survivrai sous cette forme ou sous d’autres formes, mais je survivrai et je continuerai à accomplir mon devoir. C’est tout ce qui compte.

La dernière question posée prouve qu’ils n’ont écouté qu’à moitié. J’ai présenté les projets actuels et les projets à venir et j’ai clairement indiqué mes besoins. Où avaient-ils donc la tête ? Je suppose dans les nuages ou dans quelques rêveries érotiques incluant la créature des monothéistes. Ces gens sont dépourvus de curiosités scientifiques, ne sont pas animés par l’envie d’apporter le meilleur aux siens, et sont concentrés uniquement sur leur intérêt et leur plaisir. Supplier de tels crétins m’agace profondément. Heureusement, j’ai assez d’entrainement que ce soit entre Argent et ces fichus fidèles. Je ravale rage et frustration, récite un ou deux mantras pour éviter de dire le véritable fond de ma pensée et ouvre enfin ma petite bouche. Mon ton est calme et professionnel, mes traits imperturbables et plein de sang-froid.

- Je trouverai personnellement le financement et la main d’œuvre nécessaire pour mettre en place une telle structure. Cependant, ce projet ne peut pas vivre sans le soutien des institutions publiques de la Turquie. Les visas doivent être délivrés facilement et l’accès à la nationalité turque doit être assoupli pour libérer de futurs scientifiques des contraintes administratifs de leur pays de naissance et les inclure pleinement et durablement aux projets. Les importations et exportations de produits nécessaires aux produits de notre projet doivent être préférentiels et, surtout, nous maintenons pleinement et totalement le droit du secret. L’accès aux recherches du centre par les autorités turques seront exceptionnelles et dans le cas de force majeure. En échange, nous promettons que les produits développés seront proposés d’abord à la Turquie et, les autorités turques décideront des pays qui pourront avoir accès à nos connaissances et à nos technologies à venir.

Je n’apprécie pas que le savoir soit cloisonné mais j’ai appris qu’un tel sacrifice est nécessaire. Si je n’offre pas la primeur à une puissance, elle refuse de s’y intéresser et d’y investir. De toute façon, toute nouveauté est amenée à être copiée, voire à être surpassée. Si la Turquie atteint mes attentes, alors le reste du monde suivra et se lancera dans sa propre course à la technologie. Quelques malencontreuses fuites ou vols d’information peuvent si vite arriver …

Je sors plusieurs petits livrets d’un sac et les distribue.

- Je vous invite à y réfléchir tranquillement et à tête reposée. J’ai pris la peine de confectionner le livret où nos projets actuels ou à venir sont présentés, où nous indiquons comment nous comptons y arriver pour trouver le financement ou la main d’œuvre qualifiée. J’ai également fait un récapitulatif à la page 8 de ce dont nous avons besoin de la part des autorités turques à l’accomplissement d’un tel projet.

Il ne me reste plus qu’à contacter Média et Internet, afin qu’elles fassent un buzz vis-à-vis de ce projet… et pousser les autorités turques aux fesses et accélérer la prise de décision.

Entre temps , de nouvelles questions fusent et j'y réponds avec clarté, évitant tout jargon scientifique. Ca aussi, j'ai appris avec le temps que noyer les esprits débiles de détails hautement scientifiques n'apportent rien si ce n'est la méfiance et la moquerie. il est plus aisé de se moquer du singe intelligent que d'admettre qu'on est le singe con !

Décision Staff : a écrit:

REFUS >> Une collaboration totale sur l'aspect juridique / légale sur l'immigration (accepter de délivrer plus facilement des visas de travail ou la nationalité turque aux employés du centre), sur les importations & exportations (moins chers / plus flexible / moins de controle sur les marchandises qui entrent / sortent sur ordre du centre).
Sciences peut faire la demande pour des travailleurs mais cela passera par les procédures prévues. Pour les marchandises, l'état exige une totale transparence donc non sur le fait qu'il n'y ait pas de contrôle


ACCEPTE >> Le respect du secret des projets du centre (pas de controle intempestive des autorités turques etc). Le respect concerne donc tout ce qui touche au centre (employés, les matériaux etc).