Je noie conscience et chagrin dans l'alcool [Intrigue I - Terminé]

Ce soir est une exception. Je décide de noyer mon chagrin et ma conscience dans l’alcool. J’ai bien le droit. N’ai-je pas perdu une épouse, et une ancienne amante, la même nuit et dans des circonstances tragiques ? La première est morte dans un incendie, suite au piétinement de la foule et du gaz. La seconde s’est noyée, après avoir été enfermée par les siens. Je n’ai pu sauver ni l’une, ni l’autre.

Certes, si Sequana a la possibilité de se réincarner dans une nouvelle enveloppe en raison de sa nature divine, Juliette n’a pas une telle chance. Mortelle, la Mort est une fin définitive et sans retour possible. Je ne devrais pas m’appesantir sur le sujet, habitué à voir tous ces mortels mourir de mille et une raison. Or, la tâche est impossible : le deuil s’impose. Sur ce dernier millénaire, cette petite humaine avait réussi la prouesse de m’attacher à elle en tissant un lien particulier entre nous. Et aujourd’hui, sa présence me manque.

Assis à un bar où j’ai l’habitude de me rendre, j’appelle déjà le propriétaire pour m’arranger une soirée agréable. On s’entend pour que je paie déjà un certain montant en amont, et que je paierai toute différence au courant de la semaine, lorsque j’aurais décuvé. Rassuré à l’idée qu’un serveur idiot ne va pas me perturber dans cette soirée promettant la débauche la plus totale, je commence ma commande.

Je remarque à peine les personnes assises autour de moi. Certaines me regardent, circonspects : déjà ils s’éloignent, peu désireux d’avoir un ivrogne comme voisin. D’autres me fixent comme une proie : ils attendent surement que je sois assez ivre pour commander plusieurs tournées. Ce cas de figure est plus que plausible, me connaissant assez bien.

Il n’est pas question de trinquer, ou de porter un quelconque toast aux mortes. Non, il est question de tout bonnement oublier toutes ces conneries pour une seule et unique nuit, et me réveiller avec la plus grande gueule de bois. Or, pour qu’une divinité soit réduite à un tel état, de grosses quantités d’alcools sont nécessaires.

Dès lors, je sais déjà que ce bar sera simplement le premier – et surement le plus couteux – d’une longue tournée des bars que je prévois.

- Dites-moi, ça vous intéresse de boire à l’œil, dans une tournée des bars ? demandais-je à mon voisin. Il n’est jamais mauvais d’être accompagné. Souvent, nous pouvons avoir de belles surprises et je ne dis pas non à cette dernière.

Avec un peu de chance, je tombe sur un Nordique ou un Ange ou Démon de l’Unique. J’aurais une occasion de fracasser le crâne de l’un ou de l’autre …

Lorsque la divinité s’est approchée de moi, un frisson familier me traverse, celui que je ressens en croisant une autre essence. Si d’ordinaire j’apprécie de rencontrer une nouvelle divinité, femme de surcroît, ce plaisir s’est gâté avec les récents événements. Aujourd’hui, au lieu d’un sourire charmeur, j’offre un regard noir et soupçonneux. Je ne me déride pas, même quand elle se propose comme remplaçante de mon compagnon de beuverie d’infortune.

- Jadis, les hommes savaient tenir l’alcool autant que nous, répondis-je, avec un ton sec et tranchant. La petite rouquine commande déjà une boisson, et descend ce dernier d’une traite. Je ne souris toujours pas, et je ne m’amadoue pas pour autant. Tu penses bien agir, mais je t’assure que tu te trompes complètement, commençais-je. Tu vois, il y a un paquet de connards qui veulent ma peau. Et ils sont tous comme toi, et moi. Alors, ma jolie, à moins que tu n’en fasses partie, et pour ton grand bien … dégage. Tu risques d’être pris entre deux feux inutilement, et de perdre ton enveloppe corporelle chérie, dis-je franchement, sans y mettre les formes.

Si j’ai la réputation de courir les demoiselles sans m’y attacher, je ne suis pas non plus entièrement et totalement insensible. Certaines ont réussi à me marquer davantage, voire même à me faire tomber sous leur charme durablement. J’ai aimé Sequana, mon premier amour, ma première femme et surtout la mère de mes premiers enfants – morts il y a longtemps, maintenant. J’ai également aimé Juliette, humaine indépendante, dont le caractère s’accommodait fortement au mien.  Et je viens de perdre les deux, en une seule nuit, des mains de deux ennemis récurrents : les Nordiques, et les Monothéistes !

- Les chiens … me murmurais-je.

Je me tais, et refais signe au pauvre humain que j’avais alpagué avant que l’inconnue ne joue ses samaritaines. Je l’incite à revenir, prêt à renouveler ma proposition. Je n’en ai strictement rien à faire que celui-ci crève d’un coma éthylique ce soir même, ou se noie bêtement dans la Seine. Au contraire, j’en serais même heureux ! Il pourrait être le sacrifice pour la Maîtresse des Eaux, et hâter son retour parmi nous au plus vite ! A défaut de pouvoir ramener l’humaine à la vie, je pourrais le faire avec la divinité celte.

- Si tu n’es pas un ennemi, il vaut mieux que tu ne saches pas qui je suis. Et donc, aucune présentation formelle, miss Rouquine. Si t’insistes pour rester, saches que je ne bougerai pas le petit doigt pour te sauver. Alors, franchement, c’est ta décision. A tes risques, et à tes périls.

Avec les millénaires, tout homme ou divinité masculine apprennent une chose : on ne commande pas une femme, mais l’inverse est plausible – voire même commun. On peut les éloigner ou les effrayer en étant le pire des goujats, mais nous pouvons nous asseoir sur l’idée de les diriger. Elles ont un sacré instinct pour remarquer les failles d’autrui, et en user à leur avantage …

La bravoure de la rouquine m’épate et me plaît. En d’autres temps, en d’autres lieux, j’aurais assurément trouvé ce mordant à mon goût, et aurait déjà chercher à la séduire pour une nuit – ou plusieurs, selon mes humeurs ou les siennes. A cette occasion, j’aurais usé de tout mon savoir – sourire, blague, action, parole –, tout en combinant avec les bienfaits de l’alcool. J’aurais outrepassé le fait qu’elle ne soit pas un membre de mon propre panthéon, n’ayant jamais été contre l’idée de butiner ailleurs – tant qu’une guerre ouverte n’est pas ouverte avec le panthéon ciblé. Malheureusement, la situation actuelle n’est pas propice aux rapprochements entre panthéons. Elle peut être une Nordique à la solde de Loki, une Ange ou une Démone damnée de l’Unique ou encore une Olympienne fort agaçante et condescendante.

- Bien, Aylaen. Nous, Divinités, n’avons jamais réellement eu vocation de commander autrui. Nous inspirons ceux qui en ont besoin et nous dirigeons ceux qui exigent un leader. Par conséquent, ta décision est tienne. Advienne que pourra. Au final, qui suis-je pour te forcer à faire quoi que ce soit, n’est-ce pas ? Je ne suis qu’un futur ivrogne répondant au nom de Louis.

Et sans plus tarder, j’enfile le premier verre. Je ne prends pas la peine de trinquer avec la rouquine. A nouveau, je n’ai aucun désir de me lier avec une parfaite étrangère. Ce soir, je veux le placer sous le signe d’une dernière débauche éthylique. Au lendemain, je serais la Foudre qui grondera de jour et de nuit, frappant tout ennemi qu’Elle croisera. Marie Laveau, Loki, Thor, Fenrir et ses chiens, l’Unique … les noms s’enchainent à une vitesse folle dans ma tête.

- Certains apprécient les petits garçons, mais ce n’est pas mon cas. Je préfère les femmes, dis-je tranquillement. Elles savent répondre aux baisers de leurs lèvres suaves, frémir sous nos caresses gauches ou adroites, gémir sous nos assauts doux ou brutaux, continuais-je, ne pouvant pas m’empêcher de repenser à ces femmes qui m’ont marqué au plus profond de mon essence et mes enveloppes passées – ou l’enveloppe actuelle. J’ai tout ce dont j’ai besoin avec vous. Les femmes de la Rome Antique aimaient même dire qu’elles peuvent jouer les garçonnes, au besoin, ajoutais-je avec un brin de taquinerie salace et vulgaire. Pourquoi chercherais-je ailleurs ?, conclus-je, me demandant si elle allait bien finir par fuir le goujat que je prétends être. Pressentant qu’elle va rester, je désigne ses amies. Par exemple, je peux très bien aller séduire tes amies, et trainer l’une dans un quelconque hôtel. Vas-tu également avoir pitié pour elles, et te porter volontaire comme un agneau de sacrifice ? , me moquais-je.

Volontairement, je la poussais à ses limites. Jusqu’où peut-elle me tenir tête ? Je suis toute ouïe.

- Mes frères et moi préférons taper sur nos ennemis, ou entre nous. Les tables sont épargnées, rajoutais-je, tentant vainement de faire une pointe d’humour.

Je ne suis jamais d’une humeur guillerette après une défaite – et dans notre cas, un troisième échec consécutif. Sans surprise, mes paroles manquent de charme, de subtilités ou même d’esprit. Je ne doute pas que je fais un piètre compagnon de beuverie. Qu’importe ! Ce soir, je ne me suis pas pressé dans ce bar pour être le Dom Juan de ces dames et fourrer mon nez entre leurs cuisses. Non ! Je désire boire jusqu’à ne plus avoir soif et oublier mon nom, avant tout ! Si la tâche est ardue, elle n’est pas impossible.

- Ex-déesse vierge, qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Ou plutôt, comment as-tu vécu la perte de l’une de tes attributions, si on peut l’appeler ainsi, demandais-je avec une sincère curiosité.

Je me souviens de deux déesses vierges. L’une a succombé à mes avances, après deux siècles d’acharnement et d’entêtement. L’autre a refusé de briser son serment de chasteté, se montrant extrêmement farouche à maintenir son hymen intact. Cependant, aujourd’hui, toutes les deux me détestent. La première m’en veut pour mon abandon au lendemain de notre nuit d’amour. La seconde semble nourrir une colère que je ne peux pas expliquer. Voilà l’un des nombreux mystères que je n’ai pas encore démêlés.

Ai-je séduit sa sœur, ou sa mère ? Allez savoir ! Ce n’est pas facile de suivre les relations familiales au sein d’un panthéon, entre ceux qui s’accouplent avec des chiens et ont des tritons. A moins que j’ai malencontreusement souillé son lieu de culte en forniquant avec l’une de ses fidèles. Là aussi, les lieux de culte sont traîtres ! Certains sont si discrets, voire cachés, qu’il faut avoir une foutue vision pour le voir et le savoir !

- Alors, permets-moi de dire ce qu’elles diront si elles savaient : arrête tes conneries, va séduire le premier idiot que tu croiseras, prends toi une bonne … maintenance avec, et surtout fous-moi la paix. Si tes seules expériences de débauches sont deux bisous et deux positions, autant boire seul.

Je veux du sang, ou de la folie. La raison et la sagesse n’ont pas leur place dans mes plans de la soirée.

- Et si tu me dis que tu n’es pas intéressée … je dois en conclure que ta première expérience n’a pas été la bonne expérience.

Malgré moi, je repense à ma première fois. Je revois son visage, j’entends son timbre de voix et, surtout, je me replonge dans le bleu de son regard. Je me rappelle aussi de son grain de peau, de nos premiers baisers, de nos maladresses de débutant et surtout de cette excitation au creux de mes reins. Je souris, malgré moi, à ce souvenir. Aussitôt, je repense à ces autres femmes qui ont marqué mon existence : le sourire s’élargit.

Puis, subitement, la joie laisse place à l’amertume.

Alors, je la noie en buvant cul-sec le verre. Je fais signe au serveur pour qu’il me ressert.

- Voilà un généreux billet en pourboire. Tout ce que je demande est que mon verre ne soit jamais vide. A toi de voir si tu traines dans les parages avec la bouteille, si tu me la déposes à table pour me servir plus vite ou si tu vas remplacer le verre vide directement par un verre rempli … qu’importe. Je ne veux pas attendre, est-ce clair ?

Le garçon acquiesce et se retourne vers la rouquine.

- Même chose pour la rouquine. Mademoiselle est joueuse, apparemment. Voyons voir.

Qu’elle se taise et qu’elle boive, bordel.

Les paroles de la fausse divinité vierge m’estomaquent. Chaque mot de cette femme frôle l’hérésie – ou la stupidité. Pire ! Elle insulte tout bonnement l’amour, sous ses mille et une formes. Si je ne suis pas la divinité fleur bleue jurant fidélité, exclusivité et amour infini à ses conquêtes, je ne suis pas non plus un barbare qui s’impose, sourd aux désirs, aux volontés et aux demandes de ses partenaires. Après des milliers d’années d’existence, je peux me vanter que toute femme s’est trainée à mon lit – ou m’a accueilli sous ses couverture – de sa volonté propre. Je n’ai pas trompé quiconque en me transformant en cygne ou en nuage et encore moins en prenant l’apparence d’un autre, et je n’ai pas usé de la violence non plus. Enfin, j’ai toujours pris soin d’offrir autant que ma partenaire donne, que cette relation dure une nuit ou une poignée d’années. Je ne suis pas Cupidon, mais je pense que je sais autant que lui – voire davantage.

- Je trinque à la divinité qui préside à tous nos banquets et festivités, dis-je, refusant d’offrir un gramme d’alcools à un quelconque connard d’un panthéon étranger. Les verres tintent, se vident et se remplissent aussitôt. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, finis-je par dire. Mes esprits sont encore assez clairs. Je parle d’une voix claire. Je doute que c’est encore le cas dans quelques heures au vu de la vitesse avec laquelle nous enchainons les boissons. Il faut distinguer le besoin purement physique et la notion de désirs et de passions, commençais-je, m’étant rapproché d’elle pour bien me faire entendre. Répondre à un besoin physique est facile, à la porté du premier idiot. C’est littéralement planter son bâton dans le trou, et des caresses dans quelques zones bien connues et presque communes à toutes les femmes. Ce travail « mécanique » n’offre rien qu’un instant de plaisir. Elles ne se souviendront plus de nous au lendemain, ou après le passage du prochain type, dis-je, sans détour, sans honte, sans scrupule. Par contre, exciter sa partenaire, éveiller son désir, insuffler la passion, marquer son esprit et son corps à vie, c’est tout un travail. Chaque femme est différente, annonçais-je. Certes, c’est évident, mais je ne compte pas m’arrêter là. Je compte lui offrir quelques exemples. J’ai connu une femme qui prenait grand plaisir que je la lave, en lui racontant quelques blagues salaces. Je me rappelle de celle qui aimait avoir un sifflet à portée de main et l’utiliser pour signaler si une caresse lui plaisait ou non. Le rythme et le son aigue du petit objet l’excitaient. L’acte charnel n’était plus qu’une finalité d’un instant déjà mémorable, dis-je, me replongeant dans quelques vieux souvenirs. Je dois admettre que je n’ai pas toujours été fier de me plier aux caprices de certaines demoiselles. Pour autant, je ne regrette pas. Il faut tout autant que je découvre mes propres plaisirs et il est difficile d’y arriver en se cantonnant à sa zone de confort. Tu n'as pas trouvé encore ton plaisir ou ton bonheur. C’est une chose aussi exquise qu’effrayante que de perdre pied par amour tant passionnel que charnel.

Je la fixe longuement, ne pouvant pas m’empêcher d’avoir la sensation que j’ai un devoir à accomplir ce soir. Si je ne suis ni d’humeur, ni de capacité à être l’amant du soir – l’alcool n’est pas le meilleur ami de l’homme dans ce domaine-ci –, j’ai assez l’œil pour deviner ou pour trouver le partenaire idéal du soir à la dame.

- N’es-tu pas un brin curieuse de trouver cette perle rare, celle qui va répondre à toutes tes attentes ?, l’interrogeais-je.

La divinité me désespère sincèrement. Est-elle une réalité ? Est-elle sincère ? Joue-t-elle de moi ? Tente-t-elle de gagner un quelconque pari ? Est-elle tout bonnement consciente qu’elle a une enveloppe avec ses propres spécificités, voire hormones ? Par tous les dieux existants, ayant existés et à venir, qu’a-t-elle foutu avec ce bout de chair durant ces siècles, voire millénaires ? Je me retiens très difficilement de plaquer la main sur mon visage, en désespoir de cause. Je ne peux pas me permettre de la mettre mal à l’aise à ce sujet-ci. Quoique, peut-elle être embarrassée au vu de la facilité avec laquelle elle me déballe sa vie sexuelle des plus insipides et pitoyables.

Je lève un doigt en l’air, lui intimant de se taire.

- Mes maîtresses ne sont pas originales : elles savent simplement ce qu’elles veulent. Toutes les femmes ne désirent pas la même chose. Les hommes n’échappent à cette règle. Il faut accepter cette vérité pour briser quelques tabous et, surtout, oser chercher son propre plaisir, la corrigeais-je, un brin sévèrement. Je ne supporte pas qu’on catégorie de marginaux, d’originaux ou de « spéciaux » toute personne qui tente d’explorer d’autres plaisirs que trois positions tirées d’un quelconque livre érotique ou une vidéo quelconque pornographique. Il y a tellement plus à l’acte charnel ! C’est un tout, et c’est aussi varié que le nombre d’humains peuplant ce monde ! -Les coups d’un soir répondent à un besoin physique, avant tout. Du moins, de mon point de vue. Si tu veux plus, et c’est ce que tu recherches, tu dois penser bien plus loin, considérer des lieux ou assemblés plus sélectifs et plus ciblés, soufflais-je, la laissant rêvasser à ce sujet-ci quelques minutes.

Je n’avance pas davantage, cherchant à voir quelles conclusions vont sortir de cette tête de linotte.

-- Tentons une petite expérience, veux-tu ? Fermes les yeux, oublies tout ce qu’on vient de se dire, cet endroit, ce que tu es, ce que tu as déjà fait ou pas fait. Contente-toi de me décrire l’ambiance la plus détendue et la plus agréable qui te vient à l’esprit, cette ambiance où tu es totalement et entièrement à ton aise.

Je connais parfaitement ma réponse : un ciel zébré de part en d’autre d’éclair, une terre frappée impitoyablement par la foudre et un monde assourdi par le Tonnerre. Malheureusement, ce genre de scène n’est pas accessible en tout temps et en toute heure. Enfin, et plus important, toutes les demoiselles n’apprécient pas ce genre de temps. Certaines sont effrayées, d’autres sont d’humeur très massacrantes.

Alors, mon cœur vogue vers d’autres soirées, bien plus fréquentes et moins casse-têtes : les soirées celtiques où l’hydromel, la bière, les rires, les accolades et les femmes sont foisons ! Celle-ci me manque considérablement ! Où sont les sacrifices animaux pour nous ? Qu’en est-il de ces victoires contre nos ennemis ? Enfin, et plus important, où sont mes frères et mes sœurs ?

Que me reste-t-il ?

Plus grand-chose, malheureusement.

Mais la roue va tourner. Les Nordiques et les Monothéistes se sont attaqués stupidement et bêtement à nous. Si nous ne crevons pas dans cette guerre, nous allons la gagner. Je ne ferais plus de compromis, ou de concession, comme avec les Greco-romains de jadis !

- Vous n’êtes pas asexuelles et, par définition, vous avez besoin de sexe, répondis-je, sans aucune honte, agressivité ou moquerie. Le fait même que vous avez essayé est la preuve que vous avez été curieuse et titillée, esprit et corps. Vous n’êtes pas plus différentes qu’un humain. La seule différence est que vous avez des millénaires pour organiser votre vie, là où ils n’en ont qu’une centaine d’années, expliquais-je avec la même tranquillité.

Nous ne pouvons pas nous comparer aux mortels rien qu’en raison de l’espérance de vie. Ils sont pressés par le temps et par leur enveloppe fragile : ils doivent agir maintenant, ou jamais, que ce soit en amour, en guerre, en amitié et j’en passe. A l’inverse, les divinités ne sont pas motivées par la notion de temps mais de devoir, d’abondance ou de foi !  Dès que l’une de ces trois notions sont en jeu, nous nous mettons à l’œuvre avec passion, force, voire résiliation.

Finalement, la demoiselle se prête au jeu et commence à me décrire cet environnement parfait. Lorsqu’elle rouvre les yeux, et se critique, je ne réponds pas. Je suis perdu dans mes pensées. Au bout de cinq petites minutes, je sors mon portefeuille, pose un billet considérable couvrant tant mes boissons que celles de la rouquine. D’un signe de tête, je lui fais signe qu’il est temps de partir d’ici.

- A quel point êtes-vous prêtes à prendre des risques, ce soir ?, lui demandais-je, une fois que nous nous sommes extirpés à l’extérieur. Par vos bêtises, vous me forcez à reconsidérer toute ma soirée, lui glissais-je, d’un ton à peine accusateur. De ma poche, je sors une pièce. Pile (dé 4-5-6), je choisis notre prochaine destination et vous devez vous y plier. Face (dé 1-2-3), vous choisissez la destination de votre choix, et votre préférence, et je m’y plierai.

Le défi est lancé.

Je grimace lorsque je vois le résultat. Décidément, les dés sont rarement en ma faveur, rajoutant toujours plus de complexité et de difficultés à mes plans, à mes jeux et à mes désirs. Qu’importe ! Si j’arrive à tirer mon épingle du jeu, je ne peux qu’être davantage fier ! Et si j’échoue, je peux très bien rejeter la faute à ma mauvaise étoile ! La vie est si simple quand la poisse est votre amie.

- Vous choisissez apparemment. A nouveau, n'oubliez pas : un endroit qui vous convient, et qui vous plaît. Je saurais m'adapter, dis-je, me promettant de me souler quand même un moment ou un autre - avec, ou sans elle.

Je me demande bien où est-ce que cette rouquine va nous trainer. Je me fiche qu’elle a des goûts de vieille fille – si je reprends ses termes. J’aime croire que toute soirée est bonne lorsqu’elle est en agréable et charmante compagnie, ouverte ou non à quelques jeux intimes. Elle n’est pas asexuelle et elle semble avoir renié ce vœu de chasteté, sous-entendue que rien n’est impossible ou jouée d’avance !

La rouquine a un véritable regain d’énergie à l’idée de me trainer dans son lieu favori. La surprise est grande lorsqu’elle énonce la destination : chez elle. Suspicieux, voire méfiant, je me retiens de commenter cet étonnant choix. Dans un contexte aussi tendu, il est très malavisé d’inviter une divinité parfaitement inconnue au sein de son pré-carré. Sa maison donne de multitudes d’indice sur sa nature, sur ce qui est important ou non. Quiconque met un pied au sein de la demeure des Tessier devinera aisément mon attachement pour les deux héritiers en lice, ou ma peine pour la perte de la matriarche. Je devrais brûler la bâtisse, qui n’est ni plus, ni moins, qu’une exposition de mon talon d’Achille entre quatre murs. Cette dernière pensée me met dans une humeur bien noire, voire maussade. Je ne suis pas prêt à prendre une telle décision, dans l’immédiat.

Je préfère reporter mon attention à ma partenaire du jour et analyser mon environnement. Elle révèle un nouveau pan de son existence : son métier. Bien, je connais maintenant ses amies, son lieu de vie et son lieu de travail. D’un simple coup d’œil, je sais que la sécurité est inexistante dans les parages. Je ne vois aucun système de sécurité, ni aucune créature dans les alentours aux allures suspectes ou protecteurs. Est-ce que cette demoiselle a un sens du danger, ou quelques instincts de survie ? Est-ce que cette caboche a droit à quelques neurones, ou elle n’est qu’une petite cervelle de moineau ? Bon gré, mal gré, je me plie au rituel. Tranquillement, je me pose dans l’un des fauteuils confortables et me complais dans le spectacle d’un feu crépitant. Je me détache de ces formes volatiles que lorsque l’hôtesse du jour m’invite à trinquer.

- Je ne ferais pas honte à un bon verre de Bordeaux, soufflais-je. Je récupère ma coupe, je la fais tinter avec l’autre et je m’aventure les lèvres que lorsque l’autre a déjà bu une gorgée. Qu’aimes-tu faire autour du feu, petite rouquine ? Est-ce que tu rumines ou explores le passé ? Est-ce que tu rêves du futur ? A moins que tu apprécies un simple livre, pour t’échapper de cette réalité ? , lui demandais-je, cherchant à saisir davantage l’essence de cette femme. Tu sembles avoir été pris par ton devoir jusqu’à maintenant, voire encore toujours. Je suis simplement curieux de connaître ce que tu fais de tes rares minutes, ou heures, de liberté ou de pause de tes tâches constantes et harassante.

Je suis une divinité guerrière, qui est avant tout utile en temps de guerre. En temps de guerre, soit je vais chercher de nouvelles batailles, soit je noie mon ennui dans quelques futilités terrestres. Par contre, d’autres de mes sœurs ou frères sont constamment occupés par leur devoir, comme Teutatès et la protection de la Tribu, Esus et la prospérité de cette dernière, Meduna et l’Unité, Epona et les Morts … Pourtant, au milieu de leurs devoirs et de leurs tâches, ils ont su dégager du temps pour trouver un compagnon fidèle – ou éphémère.

Alors, oui, je suis curieux de savoir quelle tâche est si prenante qu’on en oublie de vivre et de découvrir.

Aussitôt qu’elle m’avoue son péché mignon – des histoires d’amour prévisibles -, je la gratifie d’un regard interloqué. Comment peut-elle encore s’étonner de son absence de libido quand elle connait précisément la raison ? Elle n’est pas faite pour ces petites aventures nocturnes et éphémères. Elle a besoin d’une connexion, et d’une forme de fantaisie. Or, il faut prendre son temps et cultiver convenablement et intelligemment de telles relations. Je soupire. Pourquoi est-ce que personne ne s’est véritablement bougée dans son panthéon pour la sauver de cette misérable vie, exactement ? Je pense qu’il y a là quelques égoïstes et crétins, se vautrant dans l’assurance que la petite est là quand ils ont besoin d’elle – et sans prendre en compte ses besoins à elle.

- Une soirée exceptionnelle, en mémoire de deux femmes exceptionnelles, marmonnais-je, revenant à l’observation de ces flammes dorées. Je ne réponds pas immédiatement, préférant siroter mon verre et faire le tri dans mes pensées moribondes. Je recherche l’adrénaline et le défi d’une bataille, ou un équivalent. Gagner m’importe, mais je ne me laisse pas abattre à la moindre défaite. Quel que soit le résultat, j’aime le fêter ou me consoler avec une bonne compagnie et une bonne table , commençais-je. J’aime aussi ces dames, et malgré les longues années et les nombreuses rencontres passées. Elles sont surprenantes, elles sont belles, elles ont un charme propre, conclus-je.

Un court instant, l’image des deux enfants Tessier ressurgit dans ma tête. Je n’y fais pas référence pour autant. J’accepte de révéler le talon d’Achille de mon caractère, mais je refuse de dévoiler davantage vis-à-vis de mes attachements actuels. Si l’ennemi souhaite me faire du mal, il est plus que la bienvenue à venir me frapper, au lieu de s’en prendre à mes proches. La colère me gagne subitement, repensant aux actions de Loki à l’encontre de notre panthéon. Quand va-t-on pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce, exactement ?

- Rencontrer des personnes, développer et maintenir une relation avec ces dernières … c’est beaucoup de travail également, soufflais-je. Je suis d’humeur bien magnanime et ta situation m’attriste sincèrement. Je suis prêt à me mettre à ta disposition pour découvrir la notion d’amour et de plaisir, commençais-je, désirant changer de sujet avant que l’alcool ne me délie totalement la langue et ne révèle ce que je ne veux pas révéler. Attention, je ne me propose pas en gigolo. Je ne serais pas contre mais, je ne suis pas celui dont tu as besoin actuellement, expliquais-je, la rassurant déjà sur mes intentions. Je connais ces demoiselles. Oh, je n’abandonne pas la bataille. Je ne fais qu’une retraite stratégique. Si tout va bien, tôt ou tard, nous partagerons les mêmes draps. Nous nous rencontrerons chaque premier vendredi soir du mois et durant un an. Nous ne parlerons pas de politique, ni de rien, et nous aurons à mettre tout différent entre nous si jamais il y en a. Durant cette soirée, tu devras me dire ce que tu as fait durant le mois pour rencontrer quelqu’un et tenter de te lier à lui autrement qu’être une amie, proposais-je. Au lieu de lire ces histoires prévisibles, pourquoi ne pas vivre ta propre histoire prévisible ?

- Il n’y a nulle proposition indécente. J’appelle ça des opportunités uniques, répondis-je. Je n’ai pas besoin de cacher mon jeu, avec cette divinité bien chaste. Uniquement les femmes. Je n’ai jamais été attiré … par mes propres outils, confessais-je.  Et puis, je suis déjà la perfection de mon sexe. Autant chercher de l’autre côté, conclus-je, avec un clin d’œil complice avec la rouquine.

L’idée de cette rencontre semble lui convenir et elle réfléchit déjà aux modalités.

- Nous sommes deux personnalités très occupés. Soyons plus pragmatique, quitte à ce que le lustre de cette rencontre s’abime un peu. Voici mon numéro de téléphone. Tu l’enregistres. Et je fais de même avec ton numéro. La veille de notre rencontre, nous indiquerons à l’un et à l’autre si nous serons présents ou non. Rien de plus, rien de moins. Tous autres détails sont à réserver pour cet entretien, expliquais-je. Je préfère ici. Tu es à ton aise, et il faut un endroit ou tu es à l’aise. En plus, je n’ai pas beaucoup de distraction hormis toi, dis-je.

Je me relève, je remplis à nouveau nos verres, et je me plante devant elle. J’attends qu’elle se lève tout autant, pour pouvoir trinquer à cet arrangement particulier. J’ai aidé des hommes à séduire des demoiselles. J’avoue que je n’ai jamais expérimenté l’inverse, c’est-à-dire aider une femme à avoir enfin un copain. Quel siècle étonnant ! Je découvre que ce sont les jolies déesses qui ont du mal à trouver chaussures à son pied. Pourtant, nous, les hommes, ne sommes pas bien compliqués à chasser et à garder.

- A ta future histoire prévisible et non triste, proposais-je. J’aime davantage trinquer à cette idée-ci qu’au nom de quelques divinités inconnues. Il nous faut des surnoms. Je veux bien … Maestro. C’est décalé, mais ca a du punch. Qu’en penses-tu … ?

Quel surnom voudra-t-elle ?
Qu’importe, je m’en accommoderai.

La nuit continue, à babiller et à marmonner. L’alcool peut délier des langues, mais l’alcool peut aussi les rendre flemmard. Lorsque je mets pied hors de cette boutique-appartement, ma perception du monde a drastiquement changé. Est-elle meilleure, ou pire ? Je ne saurais pas le dire. Elle est simplement différente, aussi simple qu’absurde. Je pourrais entrer avec un Uber dans ce manoir vide, mais je m’y refuse. Au lieu de cela, je déambule dans les rues de Paris jusqu’à épuisement. Alors, j’opte pour le premier taxi – ou UBER – qui accepte de m’emmener à domicile.

La matinée est bien avancée quand je pose enfin ma tête sur l’oreiller. Au lendemain, le souvenir de cette promesse me revient en mémoire mais très vaguement. Quel jour, avions-nous dit déjà ? Je récupère mon téléphone et cherche les dernières entrées de numéro. Je retrouve qu’un seul nom – nous sommes bien loin des deux numéros en moyenne –, ainsi qu’une petite note que je me suis écrit apparemment.

Tous les premiers vendredis soir, à une adresse précise.
Je dois la prévenir la veille si je serais disponible ou non.

Et je me rendors presqu’aussitôt.

Citation :

HS : je cloture ! Nous avons fait le tour du sujet, je pense + nous risquons d'avoir du mal à garder une cohérence avec l'intrigue en cours. Vu que c'est un FB et que durant l'intrigue, Hestia semble dire qu'elle ne l'a pas revu depuis cette nuit, on va partir du principe qu'ils ont du constamment annuler leur rdv. Notre prochain rp sera le premier rdv , j'espère que ca te va !