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Soo-Min & Dante

Bien que déesse de la mort, Soo-Min ne traînait pas volontiers dans les cimetières. Pour commencer, en orient, il n’était pas nécessaire de s’y rendre pour honorer les défunts. Posséder un autel chez soi était plus courant. La plupart des familles se rendaient une fois par an à l’endroit où reposaient les leurs pour nettoyer la tombe, généralement à la date anniversaire du décès mais cela n’avait rien d’une règle. Ensuite, Soo-Min n’assurait pas le service après vente. Son job était de recueillir les âmes au moment de leur mort, rien d’autre. Les cimetières constituaient un « après » qui ne la concernait pas.

Pourtant, elle était ce jour-là au Père Lachaise, en compagnie de l’un des clients du père de son véhicule. Celui-ci avait tenu à lui montrer les tombes de personnages illustres, situation ne manquant pas de sel que d’amener une déesse psychopompe dans un tel endroit. Il avait fini de lui faire faire le tour et était retenu au téléphone par un appel professionnel. Soo-Min partit donc de son côté, flânant dans les allées et caressant les chats, nombreux, qui y vivaient. Accroupie près de l’un d’entre eux, qui se frottait à elle avec énergie, elle dit : « 미안해 꼬마야, 먹을 게 없어 » * Lorsqu’elle était seule, elle parlait encore en coréen, même aux animaux.

Soudain, elle releva la tête. Deux choses l’avaient frappées. La première était une aura divine inconnue à proximité, la seconde était la présence d’une âme. Elle se releva, époussetant machinalement son pantalon de tailleur tandis que ses yeux cherchaient l’âme. Elle la vit, près d’une tombe ombragée, à quelques pas d’elle. Une tristesse nimbait la silhouette fantomatique et floue que Soo-Min n’attribua pas à sa récente mort. Il y avait des regrets à être ainsi devant une sépulture. Elle ne pouvait être celle de l’âme car, une fois enterrée, celle-ci était perdue pour Soo-Min. Surtout dans des terres consacrées catholiques. Si elle la voyait, c’est que le corps était ailleurs. L’âme était venue ici car c’est ici qu’elle voulait être, pour une raison ou une autre.

La shinigami jeta un regard en arrière, craignant que le vieux PDG ne refasse son apparition. Puisqu’il n’était pas là, elle s’avança vers l’âme mais dès qu’elle se trouva face à elle, quelqu’un d’autre était arrivé de l’autre côté de la tombe, l’homme d’où provenait l’aura divine. Venait-il à sa rencontre ? En ces temps troublés, cela semblait… inhabituel. D’autant qu’il avait l’air de pouvoir voir l’âme lui aussi, ce qui était impossible aux autres dieux… il s’agissait de l’exclusivité d’une seule catégorie d’entre eux. « Vous êtes un dieu de la mort » conclut-elle platement à haute voix. Il en déduirait probablement avec justesse que c’était son cas aussi, ce qui ne leur apprenait pas qui allait s’occuper de cette âme.

Elle n’aurait pas dû être si étonnée de tomber sur un collègue dans un cimetière. Si elle était loin de vouer un culte à sa spécialité, beaucoup de shinigami et autres divinités aux mêmes attributs avaient beaucoup de mal avec les vivants et cultivaient une sorte d’ambiance morbide autour d’eux dans laquelle l’Ogushin ne s’était jamais reconnue. Son rôle était d’enquêter sur les âmes puis de les ramener à Enma, finalement ce dont elle s’occupait, c’était de leur vie avant qu’ils trépassent. Raison pour laquelle elle était devenue coach en développement personnel, pour que les mortels aient plus de chance de réussir à passer le test final. Néanmoins, le fait qu’elle ait été humaine avant d’être déesse faussait sûrement sa manière d’aborder son travail, la mortalité avait un autre sens à ses yeux que pour pas mal de dieux, surtout en occident.

(c) ANAPHORE

* désolée petit chat, je n’ai rien à manger pour toi

Soo-Min "Ogushin" Kim

On this way When all is done In time We'll face the end Enough I've waited all my life To take this price

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Death wants lost souls

◊ ◊ ◊

Thanatos aimait l'ordre et que tout soit bien rangé. Avec les millénaires, c'était devenu plus qu'une marque de fabrique : une signature. Chacun des véhicules qu'il avait occupé avait été un chantre de cet état d'esprit : ordonné, rigoureux et surtout intraitable sur ce qui n'avait rien à faire là. Le dieu de la Mort, tout gréco-romain et descendant de Chaos, soit-il, détestait quand l'ordre se voyait perturbé, par des actes ou par des phénomènes. En ce moment, Hypnos mettait sa patience à rude épreuve. Il avait recueilli son frère chez lui pour le sortir de son internement psychiatrique et lui offrir un foyer. Il ne regrettait pas son acte, au contraire, il se sentait beaucoup plus en paix, intérieurement, à l'idée que son jumeau soit près de lui. Ils possédaient deux caractères bien différents, pas forcément l'idéal quand on vivait ensemble sous un même toit. Et qu'en plus, le dieu du sommeil venait perturber son quotidien. Par exemple, tous les matins, Thanatos se levait à 4h30 pour aller faire son sport au calme dans le bois de Vincennes. Il allait ensuite au cimetière du Père-Lachaise pour nettoyer la tombe des parents de Dante, ainsi que celle de l'homme qui les avait tués dans un accident de la route. Puis, il fonçait à l'hôtel-dieu pour abattre la journée de 7 heures qui lui incombait, sans se plaindre et sans chercher la moindre facilité. Une fois dehors, il retournait chez lui pour nettoyer et ranger puis il mangeait et partait se coucher. Au grand maximum, à 22 heures, il dormait déjà. À deux, cette mécanique prenait un coup dans l'aile. La veille, Thanatos avait dû remettre de l'ordre, car son frère laissait souvent traîner ses affaires. Et au moment d'aller rejoindre les bras de Morphée, son téléphone vibra. Hypnos... En galère... Besoin qu'il passe le récupérer. Genre, à cette heure-ci ? Maintenant... Pourquoi ?

De fil en aiguille, il se rendit à l'adresse indiquée, pour récupérer un Hypnos un peu perché... Qu'avait-il bu ou consommé... Il préférait ne pas le savoir. Il l'embarqua sans ménagement sur sa moto. Sur le trajet, il avait dû s'arrêter à deux reprises pour que son jumeau puisse se vider l'estomac ailleurs que sur le cuir de son bolide. Arrivés à la maison, il l'aida à se déshabiller, à prendre sa douche et à le mettre sur son lit, avant de reprendre là où il en était : se coucher à son tour. Seulement, vu qu'il avait raté son premier cycle de sommeil, voilà qu'il erra pendant plus d'une heure à tourner la tête vers son réveil impuissant. Le lendemain matin, la lueur du jour lui fit prendre conscience subitement qu'il était en retard. Il se leva comme une pile électrique, et de fort mauvaise humeur. Il détestait ne pas être à l'heure. Étant donné qu'il s'agissait d'un TOC, en plus, autant dire qu'il avait une profonde colère qui naissait en lui. Et de voir Hypnos affalé sur le canapé, le cul à l'air, en train de ronfler comme un ivrogne, ça lui donna envie de faire un massacre... Surtout parce que d'une, il avait été malade sans tirer la chasse et de deux, il bavait sur le cuir ! Ni une, ni deux, Thanatos l'avait pris en poids et en volume avant de le jeter littéralement sur son lit. SA JUSTE PLACE ! Il nettoya dare-dare les dégâts causés avant de lever le camp, direction son travail. Lorsqu'il arriva devant le bâtiment fermé, il se souvint alors qu'aujourd'hui, c'était dimanche et qu'il ne travaillait pas. Non seulement, il était en retard sur sa journée, mais, en plus, il n'avait pas suivi le bon planning. De colère, il donna un coup dans une poubelle, avant de passer dix minutes à en ramasser le contenu parce qu'il ne supportait pas de voir ces ordures par terre.

Devant tant de tensions, mieux valait retrouver SON cocon. Le cimetière du Père-Lachaise, donc. C'était le meilleur endroit pour lui apporter de la plénitude. A peine eut-il mis un pied dedans qu'il sentit son insatisfaction diminuer de façon drastique. Comme si soudain, tout était beaucoup plus charmant et agréable, au milieu des tombes. Ici, au moins, il ressentait de la plénitude, suffisamment pour retrouver son indifférence habituelle au monde qui l'entourait. Il nettoya les tombes et alors qu'il finissait de faire briller la stèle des parents de Dante, il sentit deux présences. La première était une âme et aussitôt, tous ses warnings se mirent à clignoter bruyamment dans sa tête. Il ne se concentra pas sur la seconde, qui était divine, mais dont il n'avait que faire. Attiré comme un aimant, il laissa tout tomber pour s'approcher de l'origine de cette anormalité. Il veillait toujours à ce qu'aucune âme ne traîne à l'intérieur de ce cimetière. Parce que c'était ce qu'il devait faire, accomplir son devoir de faucheur/passeur et maintenir dans le monde des vivants, l'absence de traces du monde d'après. Ni plus, ni moins. Et cette âme était là, devant une tombe, à errer. Dès qu'il fut suffisamment proche, il sentit son essence se mêler à la sienne, l'empathie faisait son reste, il se lia à son histoire, à ses émotions, sa peine, sa souffrance, son sentiment d'inachevé. Spirituellement, Thanatos lui fit fermement remarquer que si elle voulait vivre, elle aurait dû y réfléchir à deux fois avant de consommer de la drogue. Mais ça n'était pas son travail de la juger. D'autres le feraient en temps voulu. Il fut interrompu par la deuxième présence, par sa voix.

- Plus fort encore. Au cas où le Tout-Paris ne vous aurait pas entendue !

Ok, c'était un peu sec et froid, mais quand Thanatos était en liaison avec une âme, il mettait un peu de temps à retrouver place dans la réalité. Quand ses yeux se posèrent sur la femme coréenne et qu'il accorda de l'attention à son énergie, une lueur apparut dans ses yeux gris, d'ordinaire si froids. Il lâcha, dans un murmure :

- Nous. Nous nous sommes déjà rencontrés... Vous êtes... O-gu-shin, c'est ça ?

Il avait articulé avec beaucoup de délicatesse cette langue qu'il ne maîtrisait pas, mais qu'il comprenait de par ses vieux voyages. Et ce fut comme si soudainement, de la joie semblait émaner de lui. Oui, Thanatos pouvait être heureux, surtout quand il croisait une égale.

- Désolé, pour ma prononciation, je n'ai pas parlé votre langue depuis longtemps. C'est... Un plaisir de vous recroiser. Mais vous êtes un peu éloignée de votre contrée natale, n'est-ce pas ?

(c) oxymort

Keep calm. It's over.
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Θάνατος

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Soo-Min & Dante

« Il n’y a pas âme qui vive… en dehors de nous, évidemment » Son partenaire d’affaire traînait quelque part dans le cimetière mais il était si loin qu’ils ne le voyaient ni ne l’entendaient, autant dire qu’il comptait pour rien. Et pas que dans ce cas précis. La shinigami acceptait de jouer le jeu vis à vis de la famille de son véhicule uniquement car c’était plus confortable pour elle de continuer à se faire passer pour une humaine. Sans cela, elle se passerait volontiers de ces têtes à têtes qui ne lui apportaient rien… encore que, dans le cas présent, visiter un haut lieu culturel de Paris était moins idiot que bien des rendez-vous professionnels qu’elle honorait.

Il la reconnut, aussi dut-elle faire un effort pour tenter de se souvenir de quel dieu de la mort il s’agissait. L’air de rien, ils étaient assez nombreux – surtout si on comptait le paquet de Shinigami du Japon. Le type européen en excluait pas mal, le fait qu’il soit un homme aussi. Dans beaucoup de culture, la mort est une divinité féminine tandis que le juge des âmes est un homme… Autrement dit, par déduction plus que par reconnaissance, elle en conclut qu’il s’agissait de Thanatos, dieu psychopompe du panthéon gréco-romain. Ils s’étaient déjà croisé, il y a longtemps. Pour Soo-Min c’était dans une autre vie, et pas uniquement parce qu’elle avait changé de véhicule par deux fois depuis, mais parce que son panthéon d’origine avait disparu depuis leur dernière rencontre. Bien qu’elle s’incarne toujours dans des corps coréens, elle était officiellement une divinité japonaise depuis plusieurs décennies. Ogushin était toujours son nom mais, à son grand regret, il n’était plus guère usité que par des immortels. Et Tatiana, son contact chez les slaves. Il fallait toujours des exceptions aux règles, n’est-ce pas ? « En effet, mais on m’appelle Soo-Min Kim dans ce corps » confirma-t-elle avec simplicité non sans continuer à observer l’âme. Celle-ci s’était troublée, signe que le dieu grec avait dû lui dire quelque chose.

Elle ne s’attarda pas pourtant sur cette considération car il reprit la parole. Comme il paraissait accueillant en dépit de sa première réaction un peu vive, elle lui adressa un sourire. « Il n’est jamais aisé de s’approprier une langue étrangère » Et elle n’était pas du genre à se vexer pour si peu. « Je vis en France ces derniers temps. Vous l’ignorez peut-être mais mon panthéon a été effacé de la mémoire des hommes... Je fais parti des rares rescapées, adoptée par le panthéon japonais. Mais les dieux psychopompes y sont très nombreux alors je me consacre temporairement à d’autres projets » Une mission diplomatique principalement, mais aussi l’écriture d’un livre sur les bienfaits d’un séjour long à l’étranger. Il n’avançait pas comme elle le voudrait tant elle était occupée depuis son arrivée plusieurs mois auparavant… Entre l’arrivée d’un cavalier de l’apocalypse qui avait grandement augmenté le nombre d’âmes qu’elle rencontrait, les soirées mondaines indispensables à sa couverture, les péripéties du labyrinthe… elle n’avait pas chômé mais s’était finalement retrouvé assez peu devant son ordinateur. Même pendant ses insomnies, elle préférait lire ou se promener qu’écrire.

« Que faisons-nous pour cette âme ? Vous en occupez-vous ? Ou dois-je le faire ? Ou bien la laissons-nous à celui-ci puisque notre client est venu spontanément ici ? » Elle désignait la croix du Christ sur la tombe devant laquelle se trouvait l’âme. Pas la sienne puisque sinon elle ne verrait pas son âme, mais sûrement celle de quelqu’un de proche. Un parent peut-être ? En tout cas, il était d’origine culturelle chrétienne, de toute évidence. Ce n’était pas nécessairement un problème si elle voulait bien suivre l’un d’eux, beaucoup d’âmes se moquaient de l’endroit où elles allaient du moment qu’on les conduisait quelque part…

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Soo-Min "Ogushin" Kim

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◊ ◊ ◊

Pas âme qui vive. L'affirmation était vraie, implacable. Thanatos regarda autour d'eux. Lui, qui d'ordinaire, se montrait observateur, n'avait pas remarqué que le cimetière restait désert, du moins là où ils se trouvaient. Tout affairé qu'il était pas cette âme égarée, il ne faisait plus attention au reste. Cela agissait comme une énorme lanterne sur un papillon. Plus rien ne comptait, hormis ce devoir. Son devoir. Il resta silencieux mais lui donna raison en acquiesçant de la tête. Nul ne les dérangerait en cet instant. Il sentit qu'elle cherchait dans son auguste et millénaire mémoire, pour essayer de mettre un nom sur son essence. Tout le monde n'avait pas la mémoire de Thanatos. Il était capable de reconnaître quelqu'un vu pour la dernière fois il y a des siècles. Ce qui parfois, s'avérait assez pénible car pour bon nombre de dieux, il aurait voulu tout simplement les oublier. Soo-Min laissait dans sa mémoire un souvenir impérissable. En un sens, c'était mieux pour une divinité liée à la mort. Ses semblables, Thanatos les connaissait, à défaut de tous les avoir rencontrés. Et il tâchait d'entretenir des liens neutres, sinon cordiaux avec eux. Les histoires d'appartenance aux différents panthéons, ça ne l'intéressait guère. Elle aurait pu être de n'importe quelle origine qu'il lui aurait réservé le même respect et le même intérêt. Certains disaient que les opposés s'attiraient. Il préférait se rapprocher de ses semblables, au moins avait-il la fugace impression de ne pas être une anomalie dans tout cet univers. Curieux paradoxe pour quelqu'un qui appréciait fondamentalement la solitude.

- C'est exact, je n'aurais pas du vous nommer ainsi. J'en suis navré. En ces temps, je suis Dante Graves. Appelez-moi simplement Dante.

Il en avait oublié les règles. Ne jamais appeler une divinité par son nom véritable, afin de ne pas divulguer sa nature et son identité. Par chance, comme elle n'avait fait remarquer précédemment, ils se trouvaient dans un lieu isolé, sans oreille indiscrète capable de les écouter. Avec son existence millénaire, Thanatos avait eu la chance d'apprendre des langues insoupçonnées. Ainsi, parlait-il couramment le grec, bien sûr, le latin, l'italien, le français, l'anglais, l'espagnol et le turc. Il avait également quelques notions en mandarin, en japonais, en allemand et en arabe. Des connaissances minimes en russe et en créole, aussi. Tant de dialectes différents pour exprimer les mêmes choses... l'humanité n'avait décidément aucune limite à son imagination ou à sa richesse culturelle.

- Votre langue natale n'est pas simple pour nous autres, grecs. J'espère lui avoir fait honneur, sans lui causer trop de tort.

Mine de rien, il attachait beaucoup d'importance à ne pas commettre d'impair. Certains auraient nommé cela de la politesse mais la réalité était tout autre. Il s'agissait d'une preuve de respect, que le dieu de la mort démontrait à chacun de ses interlocuteurs hors de son panthéon. Parce que contrairement à d'autres, il ne ressentait ni rivalité, ni jalousie, ni haine à l'égard des polythéistes. Au contraire, leur existence passée ne s'étant pas basée sur une suprématie absolue, il considérait que leur seul moyen de ne pas disparaitre définitivement au profit des monothéistes, c'était de continuer à co-exister en bonne intelligence. Il se réjouissait de savoir qu'une de ses semblables parcourait encore la Terre. Et encore mieux, qu'elle croise sa route.

- Beaucoup de panthéons ont hélas été condamnés à l'oubli. Je suis heureux de voir que vous avez perdurée et que parmi tous les vôtres, je vous rencontre à nouveau.

Trêve de bavardages, ils étaient tous les deux ici pour une raison. Thanatos regarda en direction de l'âme égarée qu'ils étaient les seuls à voir. Le dieu de la mort ne tolérait pas que l'on vienne perturber ce cimetière. Ici, c'était son sanctuaire. Et aucun traînard éthéré n'y était autorisé. Quand Soo-Min évoqua la possibilité de laisser cette âme aux mains du Christ, il eut un sifflement de mépris, empreint d'une colère noire qui devait très probablement transparaitre autour de lui.

- S'il veut cette âme, qu'il vienne et qu'il me passe sur le corps. Je ne la lui cèderai pas autrement.

Voilà qui était dit. C'est qu'entre Thanatos et Jésus, il existait un grief éternel. A l'instar de Sisyphe, le prétendu fils de l'Unique, s'était joué de la mort pour ressuciter. Un crime inqualifiable pour le dieu de la mort des greco-romains. Les voilà donc irréconciliables, sans même ajouter les persécutions réalisées auprès des siens. Revenant à l'âme en elle-même, Thanatos reprit :

- Elle n'est pas très disposée à m'écouter. Je peux insister mais cela va prendre du temps. Une chose est sûre, elle n'a rien à faire là. Sa présence ici est une erreur, contre-nature. Elle doit partir. Elle éprouve des regrets... mais c'est absurde de regretter d'être mort alors qu'elle a tout fait pour succomber. Que s'imaginait-elle en consommant ses 10 grammes d'héroïne ?

Il secoua négativement la tête avant de suggérer :

- Peut-être qu'à deux, nous saurions trouver les mots justes ? Il m'importe peu de savoir lequel de nous l'envoie là où elle doit être. Je veux la paix dans ce cimetière, c'est tout ce qui m'importe. Si vous m'aidez à la convaincre, je vous laisse la prendre pour l'emmener en lieu sûr.

Thanatos n'était pas possessif. Ces âmes ne lui appartenaient pas. Il venait simplement les guider vers leur prochaine demeure. Enfin... quand elles faisaient preuve de bonne volonté. S'il était patient et résilient, on ne pouvait pas dire en revanche que les rapports humains étaient son fort.

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Soo-Min & Dante

« Peu importe, plus personne ne sait qui est Ogushin » Et elle disait ceci sans aucune aigreur, le deuil de son précédent panthéon étant fait depuis longtemps. D’autant que son nom de déesse n’était pas le vrai non plus, il était comme celui de Soo-Min, un pseudonyme dont elle s’était parée aussi longtemps que la situation l’avait exigée. Mais à sa naissance, lorsqu’elle était encore humaine, on l’appelait Bari. Cette princesse aussi avait été oubliée, plus vite encore peut-être que ne l’avait été Ogushin suite à la disparition des dieux coréens. « De mon côté, Soo-Min fera l’affaire » Le français ne s’encombrait pas des suffixes honorifiques et utilisait plus facilement les prénoms que les noms, elle s’y était rapidement faite – à Rome, il faut vivre comme les Romains, l’adage était tout aussi valable à Paris.

« Ne vous inquiétez pas, je serai mal placée pour vous juger, je ne parle pas du tout le grec ancien » Ayant moins voyagé que d’autres dieux, elle parlait aussi moins de langues. Coréen, japonais, français, anglais, un peu de russe, quelques rudiments de latin… et voilà à peu près toute l’étendue de ses connaissances linguistiques. Pour une immortelle, ce n’était pas extraordinaire et très en dessous de la moyenne pour autant qu’elle ait pu en juger.

Quant à la condamnation de l’oubli, Soo-Min haussa légèrement un sourcil, signe chez elle de perplexité. « Ah oui ? Vous me l’apprenez. À ma connaissance, seul le mien avait disparu au point d’effacer la majeure partie de ses membres. La situation dans laquelle s’était trouvé la Corée me paraissait unique » d’abord envahie par le Japon qui avait détruit les temples et tous les écrits relatifs aux divinités coréennes avant de les remplacer par leur culte, puis récupéré par les américains qui avaient amené avec eux le christianisme… en quelques dizaines d’années, il n’était resté plus un seul coréen pour se souvenir des dieux du panthéon de Soo-Min. Mais la Corée était un petit pays en terme de superficie, elle avait toujours cru que les pays plus vastes étaient mieux protégés par le fléau de l’oubli. Même les historiens manquaient de ressources sur la religion telle qu’elle était pratiquée autrefois… bien qu’ils aient pu retrouvé quelques traces, ce qui permettait à certains anciens collègues de la shinigami d’avoir leur nom dans des récits de fantasy. Trace infime du passage de ces dieux dans le monde…

Comme Thanatos refusait de laisser l’âme à l’Unique, Soo-Min inclina respectueusement la tête en signe de compréhension et de respect face à cette opinion. Elle n’avait rien de particulier contre les chrétiens, même si la guerre l’empêchait désormais de se permettre toute conciliation. En réalité, elle avait même trouvé plutôt jouissif de voir le monothéisme s’installer dans son pays, comme une revanche sur le Japon qui avait détruit les siens… Et oui, avoir été adoptée par le panthéon de ceux qui avait envahi la Corée n’avait pas toujours été facile à vivre. Se permettre un peu de mesquinerie en pensée avait été tout ce qu’il lui restait à l’époque.

Observant l’âme, elle plissa les yeux comme pour mieux la voir. « Je ne suis pas certaine que ses regrets viennent de sa mort, je crois qu’ils ont un lien avec la personne qui est enterrée ici » Soo-Min désigna la tombe et fit un pas vers l’âme, lui tendant les mains en signe de paix. « Celle que vous cherchez n’est plus là, il ne reste que son corps. Vous l’aimiez beaucoup n’est-ce pas ? » L’âme se troubla, perdant un peu de sa forme aux yeux de la shinigami avant de se stabiliser de nouveau. Puis, la silhouette fantomatique approuva d’un signe. « Vous devez partir vous aussi, si vous restez trop longtemps ici, vous serez coincée et plus personne ne pourra vous venir en aide » Mais les âmes qui avaient trop de regrets étaient souvent réfractaires à ce genre d’arguments, elles étaient trop pleines de chagrin. Malgré tout, car elle avait l’habitude de ce cas de figure, la déesse garda les mains tendues : « Prenez ma main, ou suivez mon camarade si vous préférez, nous vous amènerons là où est votre place ». Autrement dit, parmi les morts… pour être jugée. Comme toutes les âmes.

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Soo-Min "Ogushin" Kim

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◊ ◊ ◊

- Quand la fin viendra pour nous deux, peut-être pourrais-je vous apprendre un peu de ma langue natale. Mais aujourd'hui, c'est un dialecte mort, qui n'est utile ni à notre mission, ni à notre existence.

Voilà une affirmation étonnant pour un gréco-romain, mais pourtant bien vrai. Thanatos était le premier à dire qu'il fallait éviter les pertes de temps inutiles. Apprendre une langue morte, hormis pour avoir quelques connaissances culturelles, ne servait à rien. Tout ce qui découlait de son vocabulaire avait soigneusement été repris et adapté dans les langues latines. S'il prenait l'exemple de la thanatopraxie, nul besoin de savoir parler le grec ancien pour comprendre le sens du mot. En revanche, la langue de Soo-Min, elle était importante car encore parlée. Ainsi, donc, s'ils venaient à avoir du temps pour le faire, le grec n'aurait pas été opposé à apprendre à parler japonais ou coréen à ses côtés. Bien au contraire, si ça lui permettait de passer du temps avec une de ses semblables et qui plus était, l'une de ceux avec qui la cordialité régnait, alors ça lui convenait. Il remarqua sa perplexité quand il évoqua les panthéons disparus. De ce qu'il en savait, la famille d'Ogushin avait partagé son sort avec quelques autres divinités, oubliées au profit de nouvelles. Mais il ne possédait pas le savoir absolu et il savait surtout que toute vérité était relative. Le monde bougeait en permanence, l'univers aussi. Ce qui s'avérait vrai aujourd'hui serait inexact demain. Soo-Min en était le parfait exemple, ce qu'il souligna, dans sa réponse :

- Les cœurs se sont détournés des Sumériens ou des Germaniques, par exemple. Mais si vous êtes parvenue à revenir, peut-être le pourront-ils eux aussi ?

L'espoir était permis. Bien malin celui qui aurait pu affirmer comment serait le monde demain matin. Ils en revinrent à l'âme. Thanatos ne portait pas les monothéistes dans son cœur, parce qu'ils avaient contribué à faire tomber les autres panthéons, un par un, au nom d'une prétendue simplicité de façade. Mais le véritable motif de son grief restait dans la personne de Jésus-Christ. Un mort ressuscité, une âme élevée et arrachée de l'endroit où elle devrait reposer... C'était un sacrilège, une injure faite à son encontre. Un affront. Et tôt ou tard, il faisait payer ces affronts. Thanatos n'était pas le dieu le plus rancunier de son panthéon, ni le plus violent. Nul ne pouvait cependant ignorer qu'il était le fils de la Nuit, descendant de Chaos, amoureux des ténèbres au point de rêver à un monde fait de noir et d'obscurité totale, de silence. Rêve futile, puisqu'annonciateur de sa propre fin. Sans lumière, point de vivant, plus de mort et donc il ne lui restait aucune raison d'exister et de perdurer. Il laissa Soo-Min analyser la situation, conscient qu'un détail lui échappait et qu'elle saurait peut-être comment faire pour régler le problème. Il ne fut pas déçu. Il l'écouta, avec humilité. Malgré ses millénaires d'existence, il continuait à apprendre et à progresser. Et cela se produisait au contact des autres divinités partageant son domaine. Ensemble, ils possédaient une connaissance collective immémoriale et infiniment précieuse.

- Je vois. Elle ne s'est guère montrée coopérative jusqu'à présent.

Le fait qu'il l'ait sermonnée, l'avait très probablement desservi, il en avait conscience. Mais la vue d'une âme en dérive dans son cimetière, le mit dans un tel état d'excitation qu'il se montra empli d'une ferveur maladroite. Poursuivant l'intervention de sa partenaire, Thanatos acquiesça à ses dires et ajouta :

- En restant ici, vous vous privez du droit de retrouver l'être que vous avez perdu, pour toujours. Prenez sa main et laissez-vous guider. Il vous attend de l'autre côté et vous pourrez lui dire ce que vous ressentez.

L'essence de l'âme sembla frémir, agitée par un combat intérieur que tous les vivants rencontraient durant leur existence. Il était l'heure pour elle de faire un choix, mais Thanatos voulait le réduire au maximum. Il se retira de la course pour laisser Soo-Min seule passerelle possible pour l'au-delà. Ainsi, l'errant n'aurait plus qu'à choisir de la suivre ou alors de refuser sa main tendue. Leur stratégie s'avéra payante, car après deux longues minutes d'oscillations et de vibrations, elle s'abandonna à Soo-Min. Thanatos retrouva son cimetière aussi paisible qu'il aurait dû l'être. Il reprit la parole, sur un ton neutre :

- Bien. L'ordre des choses est à nouveau rétabli ici. Vous avez décidément une finesse d'esprit qui me laisse toujours aussi contemplatif. Je ne vous ai jamais croisé dans ce cimetière, il est devenu mon domaine, mais si vous souhaitez qu'il soit votre également, je n'ai aucune objection à le partager. La mort n'a jamais été autant d'actualité qu'à cette époque. Nous ne serions pas trop de deux.

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Soo-Min & Dante

« De quelle fin parlez-vous ? Celle de la guerre ? Je crains qu’elle ne vienne jamais » Et elle était la première à le regretter car elle n’était pas friande des conflits. À cause d’une guerre, elle avait sacrifié sa vie humaine pour faire revenir ses parents, puis elle était devenue déesse et ça avait été son panthéon qui avait été décimée par le conflit sino-coréen, et maintenant qu’elle appartenait au groupe de ceux qui avaient conquis son pays, voilà que des dissensions faisaient surface chez les japonais et que d’une manière général ceux-ci étaient tous en guerre contre d’autres dieux : ils n’avaient juste pas choisi les mêmes ennemis.

Elle secoua légèrement la tête en signe de dénégation. Thanatos se trompait sur ce qui lui était arrivée en tant que déesse coréenne. « Je n’ai jamais disparu donc je n’ai pas eu besoin de revenir. J’ai été adoptée par les japonais lors de leur invasion : puisque je remplissais le même travail qu’eux, ils ont fait de moi une shinigami. Quelques autres ont survécu… trop peu. On sait que c’est arrivé aussi à l’époque de l’essor du monothéisme, d’anciennes divinités païennes ont été incluse parmi les démons… mais lorsque je vous parlais de l’aspect inédit de la disparition des miens, je faisais référence à la chronologie. Aucun autre des panthéons ayant survécu jusqu’au XXe siècle n’a disparu... » Avec l’essor de l’information, les débuts de la mondialisation, on aurait pu croire impossible de faire disparaître une foi ainsi, en seulement quelques dizaines d’années. Mais la destruction systématique des temples et des livres, l’interdiction de tout rite, avait eu raison des siens à une vitesse inédite. Ça avait été un génocide culturel dont le pays de Soo-Min ne s’était jamais relevé. Dont Soo-Min elle-même ne s’était pas relevée. Il était la raison de son voyage en Europe alors que l’Asie s’embrasait de nouveau…

« Elle a peur… » dit-elle ensuite car cela suffisait à ses yeux à expliquer que l’âme ne se montre pas coopérative. Rares étaient celles qui la suivaient sans faire d’histoire, et pourtant elle avait été choisie pour ce job parce qu’elle donnait un côté gracieux et charmant à la mort. Peut-être plus gracieux que charmant au final parce qu’on ne pouvait pas dire que Soo-Min soit une déesse très chaleureuse. Sourire n’était pas sa spécialité… mais elle savait être empathique et patiente sous des dehors froids.

L’âme se troubla aux paroles du dieu grec. Soo-Min évita de regarder ce dernier car suivre l’un ou l’autre ne la conduirait probablement pas auprès de la personne aimée. Ils étaient dans un cimetière chrétien, la personne chère à ce défunt devait se trouver dans le repos des monothéistes. Toutefois, aller quelque part suffisait au repos des âmes, tout était mieux que d’errer sans but pour l’éternité…

Suite au retrait de Thanatos, l’âme finit par se tourner vers les mains tendues de Soo-Min. Elle les prit et la déesse ferma quelques secondes les yeux. « Que le jugement d’Enma vous apporte la paix » Et l’âme disparut dans un dernier flamboiement que seuls les dieux de la mort pouvaient percevoir. Travail accompli.

D’un discret sourire, elle accepta le compliment et expliqua : « Avoir été humaine me permet de mieux comprendre les âmes, face aux autres shinigami cela a toujours été mon atout ». Car la concurrence était rude au japon, il y avait énormément de dieux psychopompes ! Cela dit, Soo-Min ne s’en plaignait pas car elle n’avait jamais été aussi libre de ses mouvements que depuis qu’elle pouvait partager le travail. Ce point positif ne compensait pas la perte des siens mais restait une sorte de lot de consolation non négligeable.

« J’apprécie votre proposition mais, bien qu’installée à Paris depuis quelques mois, je suis venue ici pour visiter. Un des collaborateurs du père de Soo-Min tenait à ce que je vois ce lieu sans connaître l’ironie d’une telle proposition » J’observe les croix nombreuses autour de nous. « Aucun monothéiste n’a essayé de vous chasser de cet endroit ? » Serait-ce de la négligence de leur part ? À moins qu’ils soient trop confiants pour surveiller leurs terres consacrées ? Ou juste pas assez nombreux au vu de leurs étendues… dans tous les cas, se faire voler le cimetière le plus connu de France par un ancien dieu aurait de quoi faire rager l’Unique.

Un chat venant se frotter à ses jambes maintenant que l’âme était partie, la déesse s’accroupit et caressa le félin. « J’aime beaucoup cet endroit en tout cas » car il y avait de la vie au milieu du recueillement, un peu comme dans les rites de son pays qui donnaient lieu à des festins pour célébrer les défunts.

(c) ANAPHORE

Soo-Min "Ogushin" Kim

On this way When all is done In time We'll face the end Enough I've waited all my life To take this price