Des descentes si lentes.

La parenthèse de sa soirée avec Keyra refermée, Soo-Min avait repris son train-train quotidien. Elle était toujours en quête des autres membres de son groupe hétéroclite du labyrinthe mais considérait qu’avoir des nouvelles de trois (bien qu’indirectement en ce qui concernait Nyx) sur le nombre n’était déjà pas si mal. Ce n’était pas comme s’il suffisait de taper Circé sur google pour retrouver la sorcière après tout. Quand aux autres, l’obstacle était encore plus grand : elle ignorait jusqu’à leur nom. On notera que la déesse de la mort avait pleinement conscience qu’ils se fichaient complètement qu’elle cherche de leur nouvelle, à l’instar de la vampire, ils ne pensaient sûrement même pas à elle. Mais Soo-Min était ainsi : une fois qu’elle avait une idée en tête, elle ne parvenait pas à s’en débarrasser.

De toute façon, cette récente obsession pour la santé de gens qu’elle ne connaissait même pas tenait en parti à la situation dans laquelle elle se trouvait. Son panthéon était divisé, une partie d’entre eux faisait n’importe quoi – avis personnel, de leur point de vue c’était le clan d’Enma qui déraillait – et elle en avait perdu le sommeil. Pour tout dire, hormis un sms laconique du juge des morts lui signifiant qu’il allait bien, elle n’avait même pas de nouvelle des siens. Certains d’entre eux étaient-ils restés coincés dans le labyrinthe ? Mystère et boule de gomme ! Et cette guerre contre les slaves qui n’avait pas de sens alors qu’ils étaient leurs alliés…

Heureusement, les dieux n’étaient pas trop sujet à la migraine et même le manque de sommeil n’avait que peu d’effet sur sa santé. Avec un maquillage correctement appliqué, il n’y paraissait rien. Toutefois, après avoir été posé des questions à Lucifer lui-même sur l’apocalypse et joué à des gages avec une vampire, tout portait à croire que ses insomnies avaient un effet sur son comportement. Pour occuper ses nuits, elle jouait les risques tout. Et, en même temps, n’ayant jamais été très sensible à la peur de mourir, il n’était pas certain que ce type de comportement soit si surprenant. Ce qui l’empêchait d’aller si loin d’ordinaire était surtout ses occupations.

Soo-Min devait écrire son prochain livre tout en participant à divers événements autour du précédent. Elle donnait des conférences sur le développement personnel et devait faire acte de présence à des soirées mondaines en tant que représentante des parents de son véhicule. Ensuite, elle guidait quelques âmes perdues de ci, de là. Lorsqu’elle dormait, elle n’avait pas le temps de s’ennuyer : ses journées étaient bien remplies.

Et, justement, elle était ce jour-là en pleine séance de dédicace dans une grande librairie en plein cœur du quartier latin. Elle signait, échangeait quelques mots, donnait parfois quelques conseils. Elle espérait toujours que ses lecteurs, grâce à ses livres, seraient plus sereins face à la mort car leur vie aurait été accomplie. Et que le jugement de leur âme, quel que soit leurs croyances, serait aussi plus facile. Toutefois, si elle pouvait forcer un esprit à la suivre en tant que shinigami, en tant que coach et écrivaine en développement personnel, elle ne pouvait qu’espérer être une bonne guide.

Alors qu’elle signait un énième exemplaire, elle leva les yeux – sans raison, pour voir où en était la file peut-être – et aperçut un visage familier. Soo-Min termina avec le client et fit signe à son agent qu’elle devait faire une pause. « Veuillez m’excuser je vous prie, je reviens. N’hésitez pas à faire un tour dans la librairie en attendant » dit-elle aux personnes restantes tout en s’inclinant poliment. Elle savait qu’en France ce n’était pas nécessaire, mais son agent prétendait que c’était utile pour marquer sa personnalité… elle, elle aurait dit les clichés. Elle le faisait néanmoins car, après tout, ça ne lui coûtait rien.

Elle se dirigea vers l’humaine avec une expression assez neutre. Soo-Min était une beauté froide, elle était toujours extrêmement polie mais plutôt distante. Arrivée à la hauteur de la jeune femme, elle se fendit néanmoins d’un sourire qu’elle voulait rassurant. « Je suis heureuse de vous revoir en bonne santé mademoiselle, puis-je vous demander de me suivre à l’écart pour que nous discutions ? » puis, plus bas, elle ajouta : « Ils ne savent pas ce que je suis ». Et autant dire que la déesse espérait que cela reste ainsi.