Enjoy my failure

Aussi surprenant que ça puisse sembler, venant d'une entité telle que moi, je m'impliquais réellement dans mon travail de mortel. Ce qui, en réalité, ne devrais pas choquer grand monde. John Walker était directeur des investissements pour Vanguard. Autrement dit, il avait entre ses mains les fortunes des plus grands de ce monde, et en faisait peu ou proue ce qu'il voulait. Quelle travail fantastique ! Un malheureux fond qui s'effondre alors que rien ne laissait prévoir et voilà un politicien un peu trop anticapitaliste qui se retrouve incapable de financer son parti. Une fulgurance improbable d'un autre et soudain l'actionnaire majoritaire d'une entreprise d'import-export devient milliardaire et baron de l'immobilier dans une petite ville où il détient à présent le pouvoir sur tous les habitants. De tout les rôles que j'ai pu faire jouer à mon avatar mortel, celui-ci est vraiment l'un des plus amusants, et se révèle très pratique pour tirer les ficèles du monde à mon avantage.

Parmi les autres bonus : un bureau immense rien que pour moi, une secrétaire personnelle, et une tranquillité royale de la part des autres employés. Personne, donc, pour s'étonner de voir une femme poirauter pendant plus d'une heure dans les sièges en face du bureau de réception de celle qui s'occupait de programmer la plupart de mes rendez-vous sur mon agenda. Je ne reçois jamais personne dans le penthouse que j'ai acheté, pas loin du cœur verdoyant de la grande pomme. Mon domicile est un lieu inviolable, mon propre sanctuaire, et ceux qui l'ont souillés de leur présence ne sont plus là pour en faire état. Bien entendu, mon assistante n'avait pas manquée de m'envoyer une note qui avait tintée en arrivant sur l'écran de mon iMac. Mais je ne suis à la disposition de personne. L'heure c'est l'heure, sinon, à quoi bon prendre des rendez-vous ? Et, pour être brutalement honnête, celle qui avait demandé à me voir était loin dans ma liste de priorités. Et son comportement me déplaisait au plus haut point, alors la faire poirauter ne me posait pas le moindre problème, bien au contraire, que cela la remette à sa juste place. Elle pouvait déjà s'estimer chanceuse que j'accepte un rendez-vous demandé moins de 48h à l'avance. Un traitement de faveur qu'elle n'aurait pas eu si elle ne faisait pas partie des déesses de mon panthéon. Mais que cela ne lui monte pas à la tête et qu'elle ne prenne pas ma disponibilité pour un acquis. Comme tout à chacun, j'avais appris pour les événements impliquant le maudit labyrinthe grecque. Et dans la même journée, j'avais reçu l'invitation de Lucifer à une réunion exceptionnelle puis la demande de Science. Difficile de ne pas voir entre ses trois faits un lien de causalité évident.

Si j'avais les contours des raisons de toutes ces demandes de dernières minutes, les détails, eux, restaient flous. Je dois avouer que ma curiosité était piquée. Pour autant, je terminais consciencieusement la tache dans laquelle je m'étais absorbé tout l'après-midi et rangeais soigneusement mon espace de travail avant de renvoyer une note à ma secrétaire pour lui signaler qu'elle pouvait faire entrer la jeune femme. Celle-ci ne se fit pas prier, car moins d'une minute plus tard, elle poussait la porte de mon bureau. Son absence de courtoisie et de la moindre parcelle d'élégance me tire un petit sourire narquois. Elle se croit sans doute forte, mais elle n'affiche qu'un manque évident de savoir faire parmi les grands de ce monde. Je n'attend pas mieux cependant, d'une idiote qui se berce d'illusions. Néanmoins, mon sourire s'efface vite, laissant place à une expression plus neutre au fur et à mesure qu'elle parle. Finalement, je laisse un temps de silence après sa question, le regard perdu dans le vide, comme si j'hésitais entre la tuer, là, ici et maintenant, où préparer pour elle la plus innommable de tortures. Il n'est pas impossible que ces idées aient réellement traversé mon esprit divin, par ailleurs. Lorsque je romps enfin le calme, après de longues secondes, c'est d'abord comme si je me parlais à moi même. Ainsi, je comprends mieux pourquoi Lucifer me convie à sa petite réunion ... fis-je à demi voix, avant de reporter mon attention sur Science, me redressant dans mon siège, et adoptant un ton plus froid, voir glacial, dans lequel pouvait poindre une pointe de colère et de sarcasme. Tous tes pouvoirs ? Et bien ... Je ne peux qu'imaginer ce que tu as pu faire pour énerver le fils favoris du dieu unique ... Je t'en pris, ne me laisse donc pas dans le flou. Eclaire moi sur la façon dont tu as mis en péril notre plus importante alliance. Vraiment, comme si j'avais besoin de ce genre de bêtise en ce moment.