Here is the sex paradise (ft. Thomas)

HERE IS THE SEX PARADISE

You stuffed yourself in a garbage can again...

◊ ◊ ◊

La fin de la journée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Du moins, c'était ce que Thanatos croyait. Il avait fini sa journée. Elle ne fut guère de tout repos. C'était tout de même impressionnant le nombre de cadavres que l'on pouvait avoir dans une morgue. Les frigos se remplissaient et se vidaient en permanence. Voilà l'avantage de la mort. Elle offrait du travail sans discontinuer. Après avoir autopsié un gosse qui s'était noyé dans la Seine - un moment difficile, même pour lui, parce qu'il le savait, faucher un gamin, c'était triste - et après avoir éventré un homme ayant servi de mule aux narco-trafiquants, il avait terminé par quelques analyses sur une vieille dame. Passionnant, ce cas-là... à en juger par son nom à particule, elle devait surement avoir une petite fortune. Ce qu'il confirma lorsqu'il trouva dans ses analyses des traces de poison. Ainsi donc, la petite mamie devait son trépas à la cupidité d'un héritier. Oui, la conclusion restait bien hâtive, mais il n'inventait rien. Le procureur était formel, il suspectait le fils aîné, récemment tombé en disgrâce à la suite de son divorce. C'était dingue, que l'esprit humain soit capable d'user de son intelligence pour tuer, tromper ou détruire, là où il aurait pu construire de grandes choses. Enfin, il avait fait sa part et il ne s'attarda pas une minute de plus sur son lieu de travail. L'heure, c'était l'heure.

Il se rendit ensuite, avec sa moto, au club de boxe situé dans le Marais.  Frapper dans un sac présentait bien des vertus. Il ne ménagea pas ses efforts, désireux de provoquer cette secrétion d'adrénaline et de dopamine dont Dante, son enveloppe humaine, s'abreuvait tellement depuis des années. Il devait le reconnaître, la sensation restait très agréable. Il sentait le sang bouillir dans ses veines, réchauffer chaque parcelle de son corps. Et son coeur tapait furieusement dans sa poitrine. Une sensation de vie, qui aurait du rappeler à chacun combient tout cela demeurait fragile. Un simple raté dans l'engrenage et la mort s'approchait à grands pas. Bien qu'on l'y ait déjà invité, Dante refusait tout le temps de combattre contre quelqu'un d'autre. Il ne s'agissait pas de lâcheté. Quand il le fallait, il savait se montrer courageux. Seulement, il ne voyait pas l'intérêt de recourir à la violence pour éprouver du plaisir. Eclater un puching ball suspendu à des chaînes métalliques lui convenait très bien. Il laissait les combats aux quelques zouaves sans intérêt qui cotoyaient la salle. Après une bonne douche sur place, il entreprit de s'habiller dans les vestiaires. Il ne lui restait plus qu'à rentrer chez lui, à préparer son repas et son petit-déjeuner du lendemain puis à se mettre au lit. Il n'était pas 22 heures encore. Un bruit de vibreur modifia ses plans. Il sortit son téléphone et soupira en voyant le nom de "Thomas Wilson".

Cet énergumène n'était en réalité, nul autre que son oncle... Éros. Il lut le message et plissa les yeux. Il lui demandait de l'aide... Enfin bon, ça n'était pas la première fois qu'il se faisait avoir. Combien de fois l'avait-il appelé pour ne pas être présent et lui envoyer un "date" avec son profil Tinder ? Il ne savait même pas comment ça fonctionnait ce truc... ce qui était certain, c'est que Thanatos avait du gérer des femmes intéressées... et ça, ce n'était pas trop son fort. Lassé, il rangea son téléphone dans son pantalon, avant d'enfiler son boxer. Il n'allait quand même pas rester à poil pendant mille ans dans ce lieu, quand bien même les habitués s'étaient fait à son manque évident de pudeur. Nouveau bruit de vibration... La curiosité l'emporta. Terrible et cruelle. Éros avait cru bon d'ajouter que cette fois, c'était vrai et il lui donna l'adresse. C'était pas loin des Champs-Elysées. Ok, bon, ça éliminait potentiellement des endroits où le stupre ne cessait d'être présent. Mais que faisait-il là-bas qui nécessite son aide ? Genre, la roue de sa trottinette électrique avait crevé ? Il n'avait plus de capote ? Il avait un morceau de radis coincé entre les dents ? Thanatos leva les yeux au ciel et répondit sobrement "Ok. J'arrive...". L'enthousiasme se sentait tellement dans sa réponse laconique, c'était dingue !

Il finit de se vêtir puis sortit du club pour récupérer sa moto. Le moteur pétarada lorsqu'il s'élança à travers les rues. Il en eut pour environ quinze minutes de trajet, étant davantage ralenti par les feux que par les bouchons. Quand il arriva dans la rue concernée, il gara son bolide, coupa le contact et retira son casque en forme de tête de mort. Un rapide coup d'oeil. Il ne semblait pas y avoir grand monde. Agacé, exaspéré, Thanatos sortit son téléphone et dicta un SMS :

- Si tu m'as encore fait venir pour un de tes plans foireux, je te jure sur le Styx que je te défonce.

Sa voix était grave, rauque, et elle suaintait d'une forme de colère sourde. Pas étonnant, en même temps... C'était quand même la 4ème fois en 10 jours qu'il lui faisait un coup similaire. Sans prêter garde à la lumière colorée clignotante indiquant l'entrée du club de strip-tease Pink Paradise, à proximité, il ajouta :

- T'es où ? M'oblige pas à fouiller dans les poubelles !

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- Je suis pile à l'heure. Surtout pour un endroit où je ne devrais pas être, à un rendez-vous qui n'était pas prévu. Tu as trente secondes pour m'expliquer la raison de cette entrevue dont je me passerais bien.

Le regard porté fut glacial. Thanatos, en retard ? Il fallait que son oncle mesure bien son propos. Sinon, ça allait mal finir, tant leur relation que leur escapade improvisée. Il ne manquait pas de culot quand même, de se plaindre du temps qu'il avait mis pour le retrouver en urgence. Outre le fait qu'il ne se préoccupait pas de toutes les choses importantes qu'il pouvait faire avant de venir, il se montrait un poil égoïste. Comme d'ordinaire... En même temps, le dieu de la mort le côtoyait, hélas, depuis des millénaires. Et si sa vie de Dieu l'avait tenu éloigné de l'olibrius pendant les 3/4 du temps, il ne pouvait pas ignorer que ces moments étaient aussi pénibles que plaisants. En fait, si l'on exceptait sa personnalité de queutard invétéré, Éros restait quelqu'un de sympathique. Un des seuls dans la famille qui ne le regardait pas de travers quand il se pointait. Et il fallait bien reconnaître que cette façon d'être jouait pour beaucoup dans la tolérance qu'il lui portait. Tous deux, malgré leur différence fondamentale de caractère, se ressemblaient beaucoup. Ils étaient habités par le devoir. Thanatos prenait la mort très au sérieux, autant que son oncle avec l'amour, le sexe et les plaisirs. Il lui reconnaissait cette capacité à exceller dans son domaine et à ne pas avoir peur de se retrousser les manches. Alors, oui, il l'agaçait, parce qu'il voulait tout le temps se préoccuper de son bien-être, alors qu'il n'avait rien demandé. Mais ce "vieux" briscard faisait partie de sa famille, celle qui compte et qui donne un sens à son arbre généalogique. Il ne comptait que peu d'individus là-dedans, avec lesquels il avait vraiment trouvé un lien puissant et inaltérable. Bon, Éros n'était pas à l'abri qu'il mette à exécution sa promesse de le défoncer, pas dans le sens où lui l'aurait souhaité. C'est que le dieu de la mort était bien plus à l'aise à la boxe qu'au lit.

Entrainé à l'intérieur, il se concentra sur les dires d'Éros. C'était vrai, alors il opina du chef. Cette fois, il ne lui avait pas fait faux bond. Il était là, en personne. Il se focalisa sur sa voix, parce que décidément, ces humains aimaient trop le bruit... Quel était le cloporte qui avait monté le volume à ce stade ? À quoi ça servait ? Sinon à générer encore plus de brouhaha ? Il ne comprendrait jamais cette obsession pour tuer le silence. N'existait-il pas plus belle création dans cet univers ? Il remarqua en fond quelques personnes dénudées. Il ne percuta pas sur le moment. Après tout, rien d'étonnant à ce que son oncle se retrouve dans un tel endroit. Il était sûrement un habitué, comme lui avec les cimetières. Il leva les yeux au ciel à l'évocation de Stéphanie. Effectivement, Eros avait le chic pour trouver de jolies femmes. Et de beaux hommes aussi. Il ne pouvait pas le nier. À chaque fois qu'il lui avait planifié un date, la personne en face n'était clairement pas désagréable à regarder. Non, le problème, c'était que Thanatos n'avait pas la tête à ça, son plaisir, c'était la mort, son travail, son devoir. Le reste, ça ne lui apportait rien. Enfin, ça, c'est ce qu'il se disait pour ne pas avoir à ouvrir son cœur. Par le passé, Eros avait réussi à le faire croiser la route d'humaines... Et bien qu'il eut des sentiments avérés pour elle, la mort l'emporta, fauchant ces âmes non sans avoir le cœur en lambeaux. Ça faisait décidément trop mal pour pas-grand-chose. Alors autant s'abstenir, non ? Il se radoucit quand Éros lui expliqua pourquoi il l'avait fait venir en urgence. Problème d'argent. Ok, ça lui convenait comme motif. Par contre, il ne se posa pas la question sur la finalité de ce don. Parce qu'il se doutait bien que son oncle ne le lui rendrait pas. Terre-à-terre, Thanatos n'eut pas le réflexe de marchander. Il fouilla dans la poche de son jean. Pas pratique ces vêtements près du corps...

- Ok, ok... Il faudra que tu revoies la définition du terme "urgence". Je n'ai pas d'argent liquide, juste ma carte bancaire. Tiens. Ça devrait aller pour payer l'addition et pour une course en taxi. Le code, c'est 3216.

Il lui tendit ladite carte, une MasterCard dorée, qui allait de pair avec le salaire généreux qu'il percevait en tant que légiste. Et aussi le fait que Thanatos était du genre économe. Il dépensait peu, il n'avait jamais été très intéressé par l'argent. Il lui donna sa carte de façon naïve, en pensant qu'elle allait servir à son oncle pour rentrer chez lui. Il ne pensa pas une seule seconde à ce qui allait suivre. Pour preuve, la question attentionnée qu'il lui adressa :

- As-tu passé une bonne soirée ? Comment vas-tu ?

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- Mère n’est pas grincheuse, elle adopte seulement cet état quand tu es dans les parages. Ce qui devrait t’amener à te poser des questions.

C’était sec, incisif, comme souvent avec lui, il ne mâchait pas ses mots. Il n’allait clairement pas le laisser critiquer sa mère impunément. Malgré leurs désaccords, Thanatos n’oublierait jamais qu’elle l’avait éduqué. Il lui devait un respect éternel pour ça et pour le fait de l’avoir engendré. Avec qui ? Là résidait le mystère. Les rumeurs évoquaient Erebe, le dieu des Ténèbres. Mais il n’avait jamais été un père. Et le faucheur se moquait bien de tout ça. Il s’était construit tout seul. Ou presque. La suite de leur conversation, en revanche, fut inattendue…

Thanatos s’y connaissait bien en décomposition. Ultime étape physique de la vie, elle provoquait le processus de disparition de toute enveloppe charnelle. Entre autolyse et putréfaction, la matière revenait à la matière dans des étapes plus ou moins longues qu’il connaissait par cœur. Il pouvait les décrire par le menu détail, mais il préférait ne pas le faire. La dernière fois qu’il avait tenté d’expliquer à quelqu’un le principe de migration des pigments de matière fécale vers la peau de l’abdomen et du thorax, il avait fait vomir son interlocuteur. Celui-ci lui reprocha son exhaustivité, alors qu’il avait lui-même posé la question ! Quel culot.

Mais revenons-en à la décomposition… Parce que le dieu de la mort en ressentit les effets au moment où il comprit qu’il avait été naïf… Trop candide pour ne pas penser au fait que son oncle n’en avait pas terminé avec sa soirée. Les mots d’Eros provoquèrent un chaos technique. Sidéré de s’être fait berner aussi facilement, il sembla déconnecté de la réalité, le regard perdu dans le vide, une mine dépitée sur le visage. Comment avait-il pu croire que ce n’était pas un piège ? Il était pourtant habitué aux traquenards du dieu de l’amour. Sauf que d’habitude, c’était des histoires de rendez-vous avec des humains, pas un oubli de portefeuille !

- Tu avais tout prévu…

Un souffle, un murmure accompagné d’une véritable tête d’enterrement. Voilà la réaction qu’il lui offrit. Il venait de prendre un uppercut qu’il n’avait pas vu venir. Que dire de plus ? Il n’avait même plus sa carte bancaire, Eros s’était empressé de la récupérer. Pire… Il lui avait donné son code secret… Dégouté, il regarda autour d’eux. Ça puait les phéromones, le stupre… Trop de lumière, trop de musique… Quelques effluves d’alcool… Et ces visages dépravés. Ses yeux se posèrent sur les seins nus. Cela ne lui provoquait aucune réaction, comme d’ordinaire. En revanche, il sentit le rythme cardiaque de son enveloppe charnelle s’accélérer un peu. Dante avait consommé les plaisirs charnels. C’était logiquement. L’espèce humaine devait copuler pour se reproduire et perdurer. Bon, elle le faisait aussi pour l’hygiène… Pour le « plaisir » tant vanté par son oncle. Il n’y avait qu’à en juger par l’air lubrique qui illuminait son visage…

Thanatos n’eut guère le temps de bouillir de rage, Eros profita de sa sidération pour l’entraîner avec lui. Il ne lui laissa pas le temps de répliquer. Et que dire de la façon dont il introduisit son neveu devant les quelques personnes présentes. Il lui adressa un regard noir, alors que ses poings se serrèrent. Il avait bien l’intention de récupérer sa carte et de se tirer d’ici. Ça n’était définitivement pas un lieu fait pour lui ! Une fois ne fut pas coutume, Eros se mit à parler et ça, c’était toujours le début des emmerdes. Alors qu’ils se retrouvaient assis, côte à côte, il lui asséna un coup de coude dans les cotes.

- Par Cerbère, tu veux bien parler moins fort ?

Si Thanatos avait l’habitude d’avoir une mine blasée, dans son regard et dans son ton, se mélangeaient menaces et avertissements funestes. Il ne tenait pas à ce que son identité soit révélée et ne voulait pas non plus qu’on l’associe à un dieu. Il ajouta, dans un murmure glacial :

- Il a raison. Tu te mêles toujours de la vie des autres, même quand ils ne t’y ont pas invité. Et quand ils te disent qu’ils ne veulent pas, tu insistes. La preuve. Estime-toi heureux qu’il ait voulu te cramer uniquement la tête et pas ce qui te sert de cerveau !

Puisque tonton lui demandait son avis, il le lui donnait bien volontiers. À sa façon. C’est-à-dire sans mettre de gants. L’éternelle franchise de la Mort n’était pas une légende.

- Je vais prendre de l’eau.

H2O. Le liquide sans lequel la vie n’existerait pas. Et lui non plus. Ce fut le moment que choisit le blond pour venir s’asseoir sur ses genoux. Dante se raidit brusquement et pâlit. Quelles étaient donc ces manières ? L’homme eut un sourire et s’exprima en ces termes, en effleurant son torse de ses doigts de façon langoureuse :

- Alors Dante, tu aimes les tatouages ? Moi aussi, je les adore… C’est mon péché mignon. Il paraît qu’ils ont tous une signification… j’ai hâte que tu m’expliques leur histoire… Détends-toi mon mignon, j’ai l’habitude de faire raidir les beaux gosses comme toi, mais à un endroit bien précis…

Il lui offrit un clin d’œil et se releva. Thanatos lâcha dans un souffle.

- Sors moi de là.

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Thanatos leva les yeux au ciel quand son oncle fit une tentative de blague sur sa sœur, Nyx, accessoirement la mère du dieu de la mort. Alors, ainsi, il se croyait drôle ? Non seulement ce qu'il prétendait était sûrement discutable, mais en plus, il était clair que dans leur fratrie, ils ne partageaient pas grand-chose en commun. À l'inverse de la relation entre Thanatos et Hypnos, son jumeau, où malgré les différences de caractères évidentes, régnait globalement une complicité sans pareille mesure, exception faite, sans doute, d'Apollon et Artémis. À vrai dire, il n'était vraiment pas sûr qu'Eros soit supporté par beaucoup de ses congénères. C'est qu'il avait tendance à ne pas respecter le consentement et à semer un peu la pagaille. Au moins, il pouvait largement revendiquer son affiliation avec Chaos. Malgré tout ça, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une forme d'affection pour lui, et ce même s'il ne cessait de l'inscrire sur Tinder et de lui organiser des dates à la sauvage. L'amour, voilà bien un concept abstrait que Thanatos n'appréciait guère. Il connaissait son importance pour le fonctionnement du monde, de la vie et donc par extension de la mort. Pour autant, il était capable de respecter quelque chose sans y adhérer. Et là, dans l'immédiat, il devait bien admettre que ce n'était pas l'envie qui lui manquait d'arracher cette tête juvénile des épaules du véhicule de son oncle pour jouer au foot avec. Il lui jeta un regard si noir quand il le qualifia de drama-queen, qu'Erèbe lui-même en aurait été jaloux. Pire qu'un grand méchant dans un film, Eros était à ses yeux un manipulateur. Il trahissait la confiance qui aurait dû exister entre un oncle et son neveu... Encore. Quand il lui palpa le bras, Thanatos eut un mouvement brutal de l'autre main pour le dégager vite fait bien fait.

- Ne me touche pas. Tu m'as trompé. Tu m'as attiré ici sous un faux prétexte, pour me piéger. Je ne veux pas prendre du plaisir, j'ai autre chose à faire ! Et je ne suis pas tendu !

Bon... Ça n'était ni ses mâchoires serrées, ni son regard de tueur qui allait pouvoir jouer en faveur de son argumentaire, là, clairement. Et le pire, c'est qu'il se savait, que s'il était dans cet état-là, c'était TOTALEMENT de la faute d'Eros et que comble de la damnation éternelle, il jouait son jeu en réagissant comme il le faisait. Ce qu'il aimait pouvoir lui fracasser une planète entière sur la tête ! Bon gré, mal gré, il savait se contenir. La seule chose capable de déclencher sa fureur, c'était que l'on s'en prenne à Hypnos. Pour son jumeau, il était prêt à mettre l'univers à feu et à sang. La colère de Thanatos était légendaire. Il avait dû la déchaîner une fois depuis son avènement et il ne restait aucun témoin pour en parler, hormis lui-même et d'autres dieux. Il valait mieux éviter de s'en prendre à son jumeau, au risque de subir un supplice que Tantale lui-même trouverait agréable. À son coup de coude, lancé comme un appel à l'aide, il n'obtint que du Eros tout craché. Une expression de dépit passa sur son visage, alors qu'il lâcha :

- Tu es... Écoeurant.

Trois mots qui résumaient le fond de sa pensée et le dégoût qu'il éprouvait à l'idée même que son oncle s'imagine, avec son esprit lubrique, qu'il viendrait le caresser ou lui astiquer la brindille. Plutôt crever. Ni plus, ni moins. Il ne put retenir un ricanement cynique quand Eros évoqua le fait qu'il était accusé à tort.

- Je vais faire comme si tu n'avais rien dit, parce qu'autant de bêtise dans une même logorrhée, cela te dessert.

Et alors qu'autour, Thanatos avait enfin un peu de solitude tant désirée, il prit son oncle au mot.

- Deux mois. Pendant deux mois, tu me fous la paix avec tes élucubrations grotesques sur l'amour, Tinder, le sexe. Et nous le jurons sur le Styx. Toi d'abord, car je n'ai aucune confiance en toi.

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S'il avait pu enfoncer une table dans la bouche de son oncle pour le faire taire, il l'aurait fait. Mais au lieu de ça, il se contenta de l'écouter, en levant les yeux au ciel quant à l'histoire dont il parlait. Oui, c'était vrai, quand Eros avait arrangé cette rencontre avec cette humaine, il s'était produit un léger accident. C'était comme ça qu'il le qualifiait, en tout cas. Dante, avant qu'il ne lui serve de véhicule, avait eu un faible pour les femmes à la chevelure cuivrée. Et ce soir-là, le fait que depuis que Thanatos occupait ce corps et les émois hormonaux passés, cela provoqua une réaction dont il se serait bien passé. D'abord parce que la jeune femme avait pris ça pour une forme de perversion mal placée, et ensuite parce que le dieu de la mort trouvait ça ridicule. Il avait perdu 15 minutes, à attendre que cette connerie typiquement humaine passe d'elle-même. Et bien évidemment, il avait fallu que son oncle soit témoin de la scène et qu'il relève la déformation franche de son pantalon. Parfois, il rêvait de lui crever les yeux, pour qu'au moins il ne note pas ce genre de détails accidentels. Cela étant, Thanatos réfutait toute tension. Il gérait bien les pulsions de ce type, pour preuve, cela ne s'était pas reproduit, si l'on faisait exception des manifestations matinales habituelles. Il persifla, fortement agacé :

- Peux-tu cesser d'user de vulgarité en permanence ? La rouquine a peut-être rappelé des souvenirs à Dante mais elle ne m'intéressait pas. Et si tu me connaissais aussi bien que tu le prétends, tu me ficherais la paix avec ces trucs inutiles et dérisoires.

Ca n'était pas un secret, il n'avait jamais vraiment eu de curiosité ou d'attirance pour tout ce qui touchait au sexe. Il voyait ça comme une perte de temps, un nid à problèmes, alors que lui, tout ce qu'il voulait, c'était la paix et la sérénité. Qu'on le laisse faire son travail et voilà. A l'évocation de relations en famille, Thanatos exprima du dégoût, ce qui sembla amuser Eros, alors qu'il n'existait rien de drôle dans tout ça. Il le fusilla du regard et répondit, excédé :

- Ce n'est pas parce que d'autres forniquent avec leurs proches que ça doit nous concerner. Ce n'est ni une question de sainte-nitouche, ni une question de choc. Cela n'arrivera jamais, c'est tout. Parce que je ne le souhaite pas. Parce que bien que tu sois mon oncle, l'affection que je peux avoir pour toi n'est absolument pas dans ce registre. Donc, cesse de m'accabler de tes obscénités et garde les pour quelqu'un que ça intéresse.

Dans leur panthéon, les histoires de relations entre frères et sœurs, oncles et nièces, ça avait forgé leur mythologie. Pour autant, Thanatos n'était pas comme les autres. Il détonnait même, dans tout ce marasme dysfonctionnel. Ca faisait des millénaires qu'il conservait la même position sur le sujet. Il n'en changerait jamais. Son oncle avait de toute façon l'air agacé par sa réponse, au sujet de sa propension à s'attirer la colère des autres. A l'attendre, il était une victime. Le Dieu de la Mort avait tout de même autre chose à faire que de jouer les surveillants de cour de récré. Il attendit quelques secondes, avant de lancer, tranchant comme une lame de rasoir bien aiguisée :

- Tu veux que je te dise vraiment le fond de ma pensée ? Je ne vais pas te défendre, pas plus que je ne vais défendre les autres. Vous faites tous des choix et vous avez tous des attitudes qui finissent par vous desservir. Dans un autre panthéon, ils nomment ça le karma. Alors oui, vous êtes responsables de vos actes, tous autant que vous êtes et vous n'apprenez rien. Mon Oncle, à mon tour de te donner un conseil, tu en feras ce que tu veux : cesse d'intervenir ou de te mêler des affaires des autres. Fais comme moi. Et tu verras que personne n'ira te chercher querelle ou te demander réparation sur des broutilles sans intérêt.

Il doutait que son oncle suive un jour son conseil. Mais il ne se privait pas de le renvoyer dos à dos avec les autres. Les histoires de fesses de Zeus, Héra ou même d'Apollon, il s'en tamponnait la faux comme jamais. Installés dans ce carré VIP, Thanatos s'apprêtait à vivre des heures épouvantables, mais si à l'issue de tout ça, Eros le laissait enfin tranquille pour un moment, il était prêt à l'accepter. Aussitôt que sa boisson lui fut servie, il versa la bière contenue dans le verre dans le pot de plante verte à côté de lui. Il laissait à Dionysos et ses Ménades, le privilège de la gnôle infâme. Il soupira fortement en entendant son oncle malmener Charon, même en prêtant son serment.

- Une barque. C'est une barque, pas un bateau. Et par définition, un objet inanimé ne peut être stupide.

Thanatos, toujours aussi laconique et pragmatique. Il était inutile de chercher les métaphores avec lui, ni même l'humour. Il y restait hermétique.

- 6 semaines. Aucune sollicitation, quelle qu'elle soit. Si tu déroges à ton serment, je te le ferais personnellement regretter. Soit. Je jure sur le Styx de passer la soirée et la nuit avec toi, jusqu'à 7 heures du matin. Pas une seconde de plus car je reprends le travail à 8 heures.

A une époque, il ponctuait son serment par le sacrifice d'un animal. En lieu et place, il tapa dans ses mains, avant de poser un regard vide sur les danseuses et les danseurs qui se déhanchaient.

- Donc. Quelle est la suite du programme, maintenant ? Je n'aime pas les surprises.

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Sceptique, Thanatos l'était. Et au travers de son enveloppe humaine, il le montrait à son oncle. Visage fermé, peu expressif, regard blasé, à la limite de la dépression et silence de circonstance, étaient ses démonstrations affectives sur le moment. Oui, en dépit de ce que son oncle lui clamait depuis des millénaires, il considérait tout ce cirque comme inutile et dérisoire. Et il restait convaincu qu'il n'en avait pas besoin. Pourquoi la mort aurait-elle eu la nécessité de réaliser des actions pour montrer qu'elle était en vie ? Voilà quelque chose d'absurde et de stupide. Il aurait pu avoir une forme de conversation philosophique avec Eros, sauf que celui-ci se mit à parler de son outil de travail. Et là, Thanatos fronça les sourcils. Généralement, ça voulait dire qu'il était contrarié ou bien... qu'il ne comprenait pas quelque chose. Sèchement et froidement, il répondit, avec sérieux, comme offensé que son oncle se permette de prononcer des âneries en sa présence.

- Je ne vois pas le rapport avec ma faux. Et encore moins entre le lustrage et le découpage. Si je veux qu'elle coupe bien, je l'aiguise, je ne la lustre pas.

CQFD. Il secoua négativement la tête devant de telles paroles. Le méprisait-il donc autant à ne jamais vouloir respecter son travail de faucheur d'âmes ? Certes, il fallait sûrement avoir une bonne connaissance du métier pour différencier lustrage et affûtage, mais quand même... Depuis le temps qu'ils se connaissaient, Thanatos se serait attendu à un peu plus de sérieux de sa part. La métaphore à double sens d'Eros tomba littéralement à l'eau, comme c'était souvent le cas d'ailleurs. Incrédule, le dieu souffla doucement, d'ennui, et répondit à son interlocuteur, de façon abrupte.

- Parce que j'avais besoin de te le dire ? Tu es mon oncle. J'ai forcément de l'affection pour toi. C'est logique, non ? Encore que je me demande parfois comment il est possible que je ne t'aie pas encore encastré dans un bloc de granit après tout ce temps. Ne jamais dire jamais, cependant. Cela peut toujours arriver.

Et puis une fois n'était pas coutume, ils tombèrent en désaccord, sur la façon dont ils devaient se comporter. Le dieu de la mort avait une conduite bien définie et connue de tous : il ne se mêlait de rien et n'en avait rien à cirer des disputes des uns et des autres. Le dernier, à avoir tenté de l'embarquer avec ces histoires, c'était Hermès, avec un coup fumeux repérable à des lieues. Comme toujours, il ne se préoccupait pas des histoires des autres. On pouvait compter sur lui pour défendre les siens face à des ennemis, mais certainement pas pour contribuer, écouter ou même s'intéresser aux ragots. Ça lui passait au-dessus, complètement et surtout viscéralement. Quand Eros le compara à la famille Adams, il eut un sourire, le premier de la soirée. Et sûrement le dernier.

- Merci.

Devant la perplexité d'Eros, il soupira :

- Quoi ? J'aurais dû prendre ton propos autrement que comme un compliment ?

Se voir comparé à la famille Adams lui convenait en réalité. Eros aurait dû le savoir, depuis le temps qu'il le côtoyait. Le serment conclu sur le Styx, Thanatos estima que ça ne serait qu'un mauvais moment à passer avant d'avoir la paix. Il posa alors la question existentielle, c'était quoi le programme ? Il ne fut pas prêt pour la réponse d'Eros qui y alla de but en blanc. Décontenancé, il lâcha simplement :

- Je...

Et puis un rire s'échappa de la bouche d'Eros. S'il n'avait pas été dans un lieu public, il lui aurait volontiers mis son poing dans les dents pour péter ce sourire goguenard. Il trouvait ça amusant peut-être ? Il fallait croire que oui. Stoïque mais pas moins glacial, il ne le quitta pas de yeux, surtout après qu'il lui ait tapé sur la cuisse, comme s'il le mettait au défi de recommencer ce geste répugnant. Un jour... Sa patience serait consumée... et là... Nyx seule savait ce qu'il était capable de faire. L'instant moquerie passé, il lui annonça la suite. Et là, pour le coup, Thanatos ne savait pas trop de quoi il parlait.

- Un lap quoi de quoi ? Attends une minute...

Trop tard, avant même qu'il ne puisse réagir, ledit Pierre s'avança vers lui et entama une danse, dans un accoutrement qui ne lui fit ni chaud, ni froid. En réalité, Pierre n'était pas son type. Personne ne l'était vraiment, d'ailleurs. Il se cloisonna dans une forme de mutisme relatif, attentif à ce qu'il se passait autour, mais silencieux et inexpressif. Quand le danseur l'effleura d'un mouvement, il s'enfonça un peu dans son siège pour mettre un peu de distance. Il tourna le regard vers Eros, forçant un sourire en levant le pouce, lorsque celui-ci évoqua le "fun" de la situation.

- Oh. Ouais. C'est. Mortel.

Le serment n'excluait pas qu'il soit cynique. C'est alors que Pierre, semblant particulièrement l'apprécier, se rapprocha davantage, collant son genou sur son entrejambe alors que son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du sien.

- T'es tout gêné, beau gosse... Tu sais que tu me fais de l'effet ?

Thanatos tourna la tête vers Eros, en lui désignant ce qui était en train de se passer. Que devait-il faire ? Son premier réflexe fut de l'inviter gentiment à s'éloigner, mais comme le blond commençait à frotter son genou, il le poussa légèrement pour le décoller.

- Oh... Tu n'es pas un mec facile, de mieux en mieux... Eh, Thomas, il est un peu farouche, pas vrai ? T'as quelques conseils à me donner ?

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Quand Eros lui intima de se lever, Thanatos ne se fit pas prier. Cette endroit n'était clairement pas fait pour lui. Trop bruyant, trop tape-à-l'œil. Trop tout ce qu'il détestait. De toute évidence, quand bien même il voulait faire semblant de profiter du moment, il y avait des signes physiques manifestes qui démontraient que ça n'était pas le cas. Et clairement, il ne s'amusait pas et il n'éprouvait aucun plaisir. En était-il capable ? Eros connaissait l'histoire et il savait que oui. Par le passé, son neveu s'était entiché de personnes et s'il n'avait pas eu de descendance, il existait des rumeurs comme quoi il profita des plaisirs de la chair avec certains êtres, rares oui, mais existants. Et bien que ses pairs le connaissent comme une divinité morne, taciturne, froide et distante, Thanatos avait quand même quelques mystères enfouis qu'il ne révélait qu'à une mince poignée d'âmes sur cette Terre. Bon, le hasard voulait que depuis maintenant des millénaires, il se complaisait dans l'indifférence à l'égard de l'amour. Et sauf à considérer qu'une personne aussi macabre que lui ne recroise sa route, il ne compter pas lever son célibat ou son abstinence. De toute évidence, il ne cherchait jamais vraiment du sexe, ça ne l'attirait pas plus que ça. Lui, il préférait la complicité, la connexion avec l'autre.

Ils sortirent du club et une fois à l'extérieur, Thanatos poussa un soupir de contentement. A côté de cet endroit lubrique, la rue était paisible, malgré les voitures et les passants bruyants. Ils étaient dans un quartier fréquenté après tout. Il n'aurait su dire ce qui avait motivé Eros à vouloir subitement lever le camp. Il avait volontairement fait semblant de ne pas entendre quand il fit remarquer à Pierre qu'il avait "juté dans son cuir". Visiblement, entre eux deux, il se passait des choses que le neveu ne souhaitait pas entendre, clairement. Comme s'il avait reçu une cercueil en kit, Thanatos se détendit presque immédiatement quand ils avancèrent vers sa moto. Plus d'interactions sociales, plus de personnes indélicates pour le toucher sans son consentement éclairé et officiel. La paix. Rien que la paix... enfin, si l'on exceptait les paroles de son oncle... toujours là pour lui coller la migraine. Quand il s'installa sur sa moto, sans y avoir été invité, il y eut un silence glacial. Et puis quoi encore ??? D'un geste, il l'attrapa par le col et le vira de son bébé. D'un ton très aimable et très pragmatique, il lança :

- Lève ton cul de ma moto !

Il ouvrit le coffre se trouvant sous le siège de cuir pour en sortir deux casques.

- Tu n'as pas de casque. Tu vas en mettre un, je n'ai pas l'intention de ramasser les morceaux de ta cervelle sur le bitume si tu venais à t'y rétamer pour une raison quelconque.

Puis, percutant ce que son oncle venait de dire, Thanatos lui donne le casque de manière un peu brutale, en plissant ses yeux perçants, signe qu'il était suspicieux. En même temps, comment ne pas l'être avec un tel énergumène.

- Attends une minute. Qu'est-ce que tu veux aller faire là-bas ? Je n'ai pas le droit de t'y faire pénétrer. C'est un endroit sécurisé et important. Il te faut un badge officiel.

Ce qu'il n'avait pas. Et heureusement, d'ailleurs. Il n'aurait pu manquer qu'il ouvre des comptes Tinder aux macchabées présents dans les frigos... Il en aurait été capable, juste pour l'emmerder. Il croisa les bras sur son torse et très sérieusement, il ajouta :

- Il n'est pas question que l'on parte tant que tu ne m'as précisé tes intentions. Ce travail c'est ma couverture, je n'ai pas l'intention de le perdre à cause de tes bêtises.

(c) oxymort

HERE IS THE SEX PARADISE

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Thanatos était complètement insensible à l'élan victimiste que son oncle tentait d'adopter, en pointant une pseudo-violence. Dans le fond, il aurait pu se dire que c'était une réaction bien cocasse, alors que quelques instants, auparavant, il l'avait contraint à subir la danse et les attouchements d'un danseur de ce bordel bruyant. Œil pour œil, dent pour dent, non ? Par chance pour le dieu de l'amour, il n'était pas ce type de personne. Mais de là à crier aussi fort, en pleine rue, franchement... n'était pas sensé avoir plus de plomb dans la cervelle vu qu'il était plus vieux ? Imperturbable, il lui donna le casque et ignorant autant ses bougonnements immatures que ses gestes puérils. Que cela lui plaise ou non, il ne monterait pas sur sa moto tant qu'il ne serait pas protégé. Il n'avait nullement l'intention de rouler comme un kamikaze. En revanche, à la morgue, il voyait régulièrement des corps de motards décapités par des glissières de sécurité, des crânes explosés par le choc avec un autre véhicule, et ce, malgré la prudence des victimes. Le véritable danger n'était pas eux, mais les autres. Paris comportait un lot impressionnant de chauffards, sobres. Et tout autant d'inconscients alcoolisés. Alors, non, il n'entendait pas passer sa soirée à ramasser la cervelle de son oncle. Il y en avait déjà assez qu'il le ramassait lui, des endroits peu fréquentables où il se complaisait à se rendre. Il le laissa poursuivre, silencieusement. Il ne voulait rien savoir de ce qu'il avait bien pu apprendre à Aphrodite. Lui reprocher de faire semblant d'être stupide, en revanche, ça lui valut un regard assassin. Il commençait à en avoir plus qu'assez de ces enfantillages. Cela lui faisait perdre son temps inutilement. Aussi, quand il répondit, sa voix n'avait plus rien de diplomate. Il fit un pas vers Eros, mâchoire serrée.

- Soit, alors je vais le reformuler sans ambages. NON. Outre le fait que tu surestimes ton charme, je ne VEUX PAS que tu entres là-bas. Comme ça, c'est plus clair, plus concis, ça ressemble moins à un jeu ? La prochaine fois que tu me traites de stupide, je te garantis qu'oncle ou pas, je te ferais regretter de ressentir la douleur, tu m'as bien compris ?

Il existait une différence entre le Thanatos qui faisait des menaces en l'air, pour la forme et celui qu'Eros avait sous les yeux. Il aurait tort de sous-estimer la mort et d'abuser de sa patience. Il était en train de flirter avec la limite, en lui parlant comme il l'avait fait. Leur relation se basait sur le respect, après tout. S'il l'insultait, Thanatos ne se priverait pas de répliquer et vu que la diplomatie n'avait pas l'air de bien fonctionner sur lui, alors il emploierait la force. Au moins, ça aurait le mérite de le soulager un peu... Depuis le temps qu'Eros se montrait agaçant... La suite le laisse néanmoins circonspect. Après tout ce temps, son oncle semblait vouloir s'intéresser à autre chose qu'à son propre domaine. Peut-être était-il trop naïf, mais les propos du dieu de l'amour parvinrent à passer derrière la carapace qui lui servait de bouclier. Pas toujours très efficace d'ailleurs. Il soupira, avant de proposer :

- Allons plutôt ailleurs, dans ce cas. Je peux te proposer le bois de Vincennes, j'y ai un endroit où je suis en paix et où j'apprécie de me rendre. Sinon, le cimetière du Père-Lachaise... Ou alors, chez moi ? Mais mon travail, c'est ma couverture, c'est trop risqué.

Il fallait aussi qu'Eros comprenne qu'il ne pouvait pas tout faire là où il bossait et qu'on n'accédait pas à une morgue comme dans un moulin. Par ailleurs, les caméras de surveillance possédaient une excellente mémoire, elles et il y avait fort à parier qu'elles étaient insensibles à ses pouvoirs. Il ne l'amènerait donc pas à l'Hôtel-dieu. En revanche, il était prêt à lui faire découvrir des endroits qui lui tenaient à cœur et où il appréciait de passer du temps. C'était à l'opposé des bordels et des clubs que fréquentait son oncle. Mais bon, ça n'était pas dénué de charme non plus. Sur un ton beaucoup plus doux, il lui précisa :

- Je te le répète, tu n'es pas obligé de me faire plaisir, je suis heureux comme je suis. C'est probablement difficile à croire pour toi, mais ma condition n'a jamais été un problème, la solitude non plus. J'apprécie le silence, la mort, le vide et l'obscurité. Vraiment.

Ok, le propos ne donnait franchement pas envie, mais il avait le mérite d'être sincère. Il enfila son casque et enfourcha la moto. Nous loin d'eux, un homme, visiblement alcoolisé, se mit à vomir à grands jets dans une poubelle.

- C'est gentil de te préoccuper de moi et de vouloir comprendre ce qui m'intéresse vraiment. Désolé pour... la bousculade. Allez, choisis ta destination et enfile ton casque. Nous avons assez perdu de temps dans ce bouge infâme.

(c) oxymort

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- Ce n'est pas une menace, c'est une promesse. Je n'oublie pas qui tu es. J'ose croire qu'il en va de même pour toi, me concernant.

Thanatos répondit avec autant de sérieux à la remarque de son oncle. Bien sûr qu'Eros était dangereux. Rien que par son existence, sans avoir forcément l'intention de nuire, il était déjà capable de mettre le bazar partout. Mais leur lien de parenté ne devait pas faire oublier à l'un comme à l'autre qu'ils pouvaient faire preuve de dangerosité. En l'occurrence, si Eros s'y reprenait à l'insulter comme il venait de le faire, s'il s'y aventurait à nouveau, il savait ce qui l'attendait. Quand on avait le dieu de la mort comme interlocuteur et que celui-ci faisait une promesse, tout être vivant ou même déjà claqué savait que ça n'avait rien de paroles en l'air. Et comme le disaient les mythes, il n'existait jamais aucun témoin de la face sombre de Thanatos. Il n'avait rien d'un enfant de chœur, en dépit de son caractère distant et discret. La mise au point étant faite, il ne servait à rien de s'attarder sur la question. De toute façon, ils avaient mieux à faire. Vu l'intérêt que manifestait Eros à ses véritables goûts, il ne voulait pas casser la dynamique davantage. Après plusieurs millénaires d'existence, voilà une occasion qui ne se refuserait pas. Il approuva le cimetière puis il enfila son casque. A la bonne heure ! Une fois installés sur la moto, Dante accéléra légèrement et ils évoluèrent dans les rues de Paris, profitant de la circulation de nuit, plus fluide qu'en journée. Les mots d'Eros parvinrent jusqu'à ses oreilles, car il ne roulait pas vite. Il ressentit un certain bonheur à ce qu'il lui confia. Cette nuit s'annonçait cauchemardesque mais elle prenait un revirement très intéressant. Réjouissant, même. Et voilà que son oncle lui exposa enfin la raison de cette prise de conscience soudaine. La peur de mourir. Il connaissait son sentiment, il l'avait tant de fois touché du bout des doigts en fauchant les âmes.

- Au moins, tu es lucide. Tu as conscience que chacun de nous va disparaitre à un moment ou un autre et que nous ne contrôlerons ni le lieu, ni l'heure. Cela me surprend de ta part.

Voilà qui aurait tôt fait de le réconforter ou de le rassurer... Thanatos était si direct et pragmatique qu'il ne perçut pas forcément que son oncle avait peut-être besoin d'une autre réaction. Rejoindre le cimetière fut rapide. Il gara sa moto, passa le cadenas et après qu'ils soient descendus du véhicule et aient retiré leurs casques, le dieu de la mort lui fit signe de le suivre. Ils se dirigèrent vers un petit portillon, dont le gardien lui avait donné le double des clés, contre un petit pécule d'argent. De toute façon il le connaissait, il savait qu'il venait là pour prendre soin des tombes. Discrètement, il fit entrer Eros et ferma à clé derrière eux. Il avança ensuite dans les allées. Son pas très léger, était inaudible, dans la nuit et le calme ambiant. Il était ici chez lui, dans son domaine, son élément. Il fit signe silencieusement à Eros de le suivre. Après cinq bonnes minutes de marche, ils arrivèrent jusqu'à une tombe soigneusement entretenue. Thanatos désigna un rebord de pierre à son oncle pour qu'il s'y installe. De son côté, il entreprit de nettoyer la stèle où quelques traces de terre s'étaient invitées. Il murmura :

- N'est-ce pas un endroit plus agréable que celui dans lequel tu t'es fourré ? Ici, tout est paisible. Comme je l'apprécie. Savoure ce calme. Cette sérénité. C'est à ça que ressemble la mort, mon oncle. Le vide, le néant. La paix. Toutes ces âmes, tous ces corps, vivent cette ultime expérience. Explique-moi, que ressens-tu ?

Sa question n'était pas dénuée de curiosité ou de sympathie. Bien au contraire, Thanatos avait l'habitude d'être l'objet de peurs, d'incompréhensions. Eros ne faisait guère exception, il sentait combien l'idée même de cesser d'exister l'assaillait. Il ne pouvait rien y faire. Car la vérité, c'est qu'il ne savait pas ce que la mort leur réserverait à eux. Il ne pouvait que l'imaginer... autant dire que ça, ça n'était clairement pas son domaine de prédilection !

(c) oxymort