Un verre comme remerciement ? || CC

Le téléphone collé contre son oreille, elle s'était figée lorsqu'elle avait entendu ce que son employé venit de lui rapporter. Pour Ulysse. De tous les dieux qui étaient capables de la contacter malgré les événements actuels qui devaient les forcer à se concentrer sur la guerre, seule une poignée d'entre eux avaient l'esprit suffisamment retors pour le faire... et avec le sourire aux lèvres pour deux d'entre eux. Sans prononcer le moindre mot, elle coupa court à cet appel téléphonique avant de poser le combiné et de quitter le bureau du directeur. Seuls trois dieux étaient capable venir jusque chez elle pour jouer avec les ressentiments qu'elle pouvaient nourir à leur encontre sur bien des sujets. Hermès était le premier sur la liste, le messager des dieux prêt à tout pour obtenir le moindre potin qu'il pouvait transmettre aux Olympiens, le protecteur des voyageurs qui donné à Ulysse cette maudite fleur dont les propriétés contraient les effets des potions de la magicienne. Qui s'était joué d'elle mais qui avait tout autant porté son histoire par-delà les mers. Il y avait aussi Aphrodite qui avait tant pu la moquer avec insistance sur ce statut de création divine qu'elle était et non de déesse, une miss parfaite aimant critiquer celle dont la beauté ne valait pas mieux que de la mortelle la plus parfaitement dessinée. Mais il restait ce dernier nom qui flottait dans l'esprit de la brune, celui du fils de Chaos, celui qui incarnait l'Amour, la passion et le désir : Eros. Celui qui avait pu lui causer tant de peine par le passé et pour lequel elle entretenait une rancune sans limites. Quelle cruauté que de percer son cœur d'une flèche d'amour pour un héro mortel, appartenant à une autre femme, enfant d'une terre lointaine dont il était le roi. Un sentiment de colère et de tristesse mêlées qui n'avait jamais vraiment été réduit au silence, seulement écarté dans un coin reculé de son esprit à mesure que les siècles puis les millénaires s'étaient écoulés.

Avançant dans la couloir, son esprit lui rappelait ce visage qui avait commencé à s'estomper au fil des siècles mais qui restait encore vivace. Comment oublié sa stratège ayant oeuvré à la victoire contre Troie ? Prenant une profonde inspiration, elle expira doucement pour tenter d'apaiser les battements de son cœur et cette tension qui faisait pulser les veines sur sa gorge. Comment pouvait-il avoir l'outrecuidance de venir jusqu'ici ? Au moins il avait la décense de ne pas remettre les pieds sur son territoire originel. Les traits tirés par une colère froide nourrie depuis de nombreuses années, Circé descendit dans la salle du casino et s'employa à se frayer un chemin parmi les humains présents, pour se diriger vers le bar. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti l'essence d'Eros -Cupidon pour les mortels incultes- et cela n'était assez, ne jamais le revoir aurait été bien plus agréable que de voir cette silhouette juvénile qui semblait bien trop heureuse de se trouver ici. Nouvelle profonde inspiration alors qu'elle venait de s'arrêter, prête à reculer et retourner dans son bureau. Mais lorsqu'elle cru voir le regard du divin caché dans une enveloppe aussi jeune, elle senti qu'il était trop tard pour reculer. Serrant un instant les mâchoires, elle s'avança vers lui.

- Den eísai néos gia na píneis alkoól ? dit-elle tout d'abord, venant s'asseoir près d'elle lui malgré sa main qui réclamait de lui coller une gifle. Ti káneis edó re vlákas ?
N'est-tu pas trop jeune pour boire de l'alcool ?
Que fais-tu ici, connard ?

De toutes les visites qu’elle pouvait recevoir au Thêta, elle ne se serait pas attendue un seul instant apprendre la présence du fils Chaos. N’y avait-il pas suffisamment d’âme dans ce monde à torturer au travers de l’amour pour être occupé des siècles durant, plutôt que de venir la torturer elle ? La voix de son barman ne croyait pas non plus à cette visite impromptue, à la différence près qu’il pensait à une mauvaise blague, où une part de doute se trouvait être suffisamment grande pour appeler sa patronne plutôt que de gérer le problème lui-même. Des trois divinités capable de se rendre jusqu’à son casino pour tester les limites de sa patience, seul Eros se trouvait être le plus cruel tant les émotions qu’il pouvait faire ressortir étaient fortes. Quittant le bureau du directeur sans tarder, Circé s’employa à rejoindre rapidement le bar où se trouvait la divinité primordiale : hors de question qu’il se mette à jouer avec ses humains en attendant qu’elle vienne à lui. Passant du calme de l’office au bourdonnement de l’immense salle mêlant salons VIP aux espaces de jeux, la magicienne chercha du regard le barman qui l’avait appelée et qui lui indiqua d’un regard discret celui qui était l’objet d’un ressentiment millénaire.

Son enveloppe était jeune et une humaine non avertie pourrait -comme le disaient les mortels- lui donner le bon Dieu sans confession mais derrière ce sourire enjôleur et ces traits charmants se cachait une divinité qui aimait jouer des passions et des désirs. S’adressant à lui dans leur langue, lorsqu’il leva les yeux aux yeux en lui demandant de parler français elle claqua sa langue contre son palet avant de détourner le regard pour demander un verre à son employé. Vingt-sept ans donc ? Son corps ne les faisait pas mais ce n’était pas une information qui importait à Circé qui bu une première gorgée de whisky lorsque son barman posa un verre devant elle. Elle se moquait tout autant de savoir si cette enveloppe tenait la distance en matière de consommation d’alcool ou si dès les premières gouttes il tombait par terre. Elle bu une deuxième gorgée qu’elle avala de travers en entendant les mots d’Eros. Elle, paraître la cinquantaine d’année pour les humains ? Ses doigts se resserrèrent autours de son verre alors qu’elle lui demandait ce qu’il faisait ici, non sans lui glisser une insulte pas imméritée.

A la première réponse du dieu, Circé serra les mâchoires avant de prudemment reprendre une gorgée de whisky. Ce kólos se permettait de la menacer sur le domaine qu’elle avait établis ? Elle n’allait sûrement pas le laisser s’en tirer comme ça sous prétexte qu’il venait prendre de ses nouvelles, l’excuse aurait pu être bonne si elle avait été encore en exil… Instinctivement elle se tourna légèrement vers lui et lui jeta le contenu de son verre au visage puis elle se pencha légèrement vers lui, son regard accrochant le sien et n’occultant pas le moins du monde dans ses yeux toute la colère qu’elle éprouvait à son encontre, un sourire forcé étirant toutefois ses lèvres.

- Ose encore une fois me menacer sur mon domaine et il me suffira de quelques mots pour te transformer en caniche avant de te noyer dans la Seine. Est-ce bien français pour toi ? siffla-t-elle entre ses dents avant de baisser un instant le regard vers le verre de cocktail dont le dieu avait dû boire quelques gorgées avant qu’elle arrive. Qu’il s’agisse de bluff ou non, elle n’allait pas le laisser se comporter de la sorte avec elle. Apó ólous tous anthrópous mas pou eínai paróntes sto Parísi, epilégete eména. Eísai anóitos kai afíno opoiondípote na bei...
De tous les nôtres présents à Paris, c'est moi que tu choisis. Tu es idiot et je laisse entrer n'importe qui...

Poussant son verre vers son barman, elle indiqua à ce dernier vouloir être resservie puis elle l'observa s'affairer.

- Oh je viens de comprendre, peut-être que ton enveloppe n'est pas câblée pour comprendre le grec et que tu as oublié comment le parler à force de ne pas le pratiquer ! Elle prit une profonde inspiration puis reprit son verre lorsqu'il fut prêt. Si tu veux savoir où en est mon coeur et ce que je désire, tu peux aller te faire foutre ça ne te regarde pas. Quant à ma place dans ce monde, elle n'a guère changé, à la différence près que j'en use comme bon me semble.

Lorsqu’elle eut son verre de whisky en main, ce fut comme s’il était écrit qu’elle en déverserait le contenu sur le visage du dieu primordial : son caractère était un parfait terreaux pour les piques d’Eros, il était certain qu’il n’était qu’une question de secondes avant qu’elle finisse par craquer. Elle parvint à se retenir durant une dizaine de seconde avant que le geste imaginé soit exécuté avec rapidité. Il venait de la menacer de la faire tomber amoureuse du premier humain venu et osait comparer son apparence à celle d’une femme d’âge mûr. Deux insultes qui lui étaient faites en quelques mots et qu’elle ne pouvait nullement ignorer. L’observant avec satisfaction essuyer son visage, Circé demanda qu’on la serve à nouveau et posa son regard sur le barman qui exécutait la demande. Dieux que cette conversation allait être pénible à supporter. Lorsqu’il reprit la parole, elle prit une gorgée de whisky.

- Comme les fous, les idiots ne savent pas qu’ils le sont… Quant au fait que je laisse entrer n’importe qui, au moins j’en suis consciente et je n’ai qu’à décider s’ils ressortent sur les deux pieds ou non, répondit-elle avant de reprendre une gorgée. Je m’adapte tout autant que toi mais quand il s’agit de mes compatriotes je préfère ne pas être comprise par le premier mortel venu.

Le casino était son « domaine », elle était donc chez elle et pouvait imposer ses propres règles comme elle le souhaitait. Eros préférait en faire fit en digne fils de Chaos. Remarquant qu’il semblait regarder quelque chose derrière elle, Circé tourna la tête. Son regard se posa sur un jeune mortel qui importunait une jeune femme et presque immédiatement elle posa les yeux sur le dieu : la probabilité qu’il ne soit pas étranger à cette scène était forte et elle ne doutait pas un seul instant qu’il pouvait provoquer bien pire que cela. Ne vérifiant pas un seul instant si les agents de sécurité effectuaient bien leur travail, elle dédia de nouveau son attention sur son verre ainsi que sur Eros qu’elle envoyait se faire foutre sur le sujet sentimental la concernant. Ce n’était pas avec lui -ou quiconque- qu’elle partagerait ce qu’elle aimait faire dans le cadre privé. A la réponse de la tête-à-claques, elle leva les yeux au ciel.

- Pourquoi laisser le hasard choisir à ta place lorsque tu peux prendre les deux, dit-elle sans que cela soit toutefois tourné comme une question. Quand on était le dieu de l’amour et de ses formes les plus violentes, on ne pouvait se restreindre. Elle reprit une gorgée d’alcool avant de répondre à sa question. Pas toi en tout cas, tu n’es pas accoquiné avec la Pythie… Les Olympiens auraient pu me mettre des bâtons dans les roues en de maintes occasions, et ils le pourraient encore aujourd’hui, mais les évènements actuels font qu’ils ont besoin de moi de leur côté. Tu sors vraiment d'une grotte Norvégienne pour me poser cette question ?

Le whisky coulant dans sa gorge, Circé tentait tant bien que mal d’apaiser son esprit qui s’était embrasé en la présence de la divinité primordiale. D’ordinaire elle était pleinement maîtresse d’elle-même et de ceux qui l’entouraient mais en cet instant précis, perdue entre le désir de l’envoyer dans l’Ether et de s’abandonner pleinement à une mélancolie millénaire, elle se sentait faible. Et elle n’aimait pas se montrer vulnérable, en particulier devant celui qui avait décidé de jouer avec son cœur. Lancer le contenu de son premier verre au visage du dieu lui avait fait du bien mais quelque part, elle savait que la réaction à son geste pouvait être à double-tranchant : laisserait-il couler ou bien mettrait-il sa menace à exécution ? Il fallait qu’elle se reprenne sans quoi elle serait une proie facile pour lui, ce qu’elle fit avant de constater que quoi qu’elle dise il trouverait une faille pour s’engouffrer et jouer un peu plus avec elle.

- A quatre pattes, comme les chiens que certains peuvent être, répondit-elle tout d’abord avant de reprendre une gorgée de whisky. Et quand bien même je puisse en organiser de temps en temps, je choisis soigneusement qui y participe. Toi, tu serais é-vi-té. Peu importe lui clin d’œil qu’il lui adressait, jamais elle ne le laisserait consciemment graviter autours d’elle dans tels moments, jamais elle ne le laisserait approcher de ceux qui alimentaient les braises de ses désirs qu’ils soient passagers ou non. Lorsqu’Eros reprit la parole, suggérant que s’ils étaient écoutés elle pouvait simplement murmurer quelques mots pour se débarrasser de l’oreille indiscrète, elle sentit un frisson parcourir son dos lorsqu’il mentionna son récent méfait. Une humaine qui avait subit l’envie du moment d’un dieu. Tout cela n’était qu’un passe-temps pour lui, qu’il aille se faire foutre elle ne dirait rien la concernant.

Il poursuivait, mentionnant la manière dont il comptait se faire foutre et durant un instant l’esprit de la magicienne se concentra sur le contenu de son verre qu’elle faisait tourner en faisant glisser doucement en cercle sur la surface du bar. Ne s’arrêtait-il donc jamais d’être agaçant ? Etait-il comme ça auprès des autres ou trouvait-il en elle un terreaux fertile pour y faire naître l’envie de meurtre divin ? Finissant par répondre à ses questions, elle resta concise avant de lui demander s’il sortait d’une grotte pour ne pas savoir qu’elle était de nouveau sous les ordres Olympiens. Prenant une nouvelle gorgée de whisky elle détourna le regard vers la salle de jeu où la scène entre les deux humains se poursuivait mais deux agents de sécurité étaient arrivés pour s’interposer entre le jeune homme et la jeune femme. Bien. Circé reporta son attention sur Eros.

- Tu n’as pas passé plus de mille ans en exil sur une île paumée à quelques nautiques d’un monstre que tu as créé. Ton passe-temps est de jouer avec les désirs des autres, moi c’est de toujours continuer à traverser les époques sans accrocs alors tôt ou tard, ils auraient finit par me rappeler à eux. Et toi, auprès de qui vas-tu te ranger ?

Elle l’écoutait lui répondre et à chaque mot qu’il prononçait, elle sentait son désir de faire disparaître son visage de petit merdeux disparaître peu à peu. Non pas qu’elle ne voulait libérer des millénaires de colère et de tristesse mêlées contre celui qui en était la cause, mais elle savait qu’elle ne pourrait résister sur la durée : il était le fils de Chaos, c’était dans sa nature, que cela soit volontaire ou non de sa part. Il était né pour accomplir son devoir en incarnant la face à la plus ardente de l’Amour et pour se délecter des conséquences quelles qu’elles puissent être. Elle reprit une gorgée de whisky tandis que son esprit relâchait son attention, réduisant inconsciemment la hauteur de cette voix de jeune premier qui était désormais la sienne. Il était bon de céder au désir ressenti, de laisser être animé par la passion, mais en assumer les conséquences… Nouvelle gorgée d’alcool et discrètement elle essuya une larme qu’elle venait de sentir perler au coin de son œil. Savait-il seulement ce que cela faisait de perdre l’objet de son amour et de sa passion ? Savait-il seulement ce que c’était de vivre avec les souvenirs qui en étaient liés ?

- « Assumer »… On assume lorsque l’on choisit de céder à la passion, que l’on choisit aimer pleinement l’objet de son désir, pas lorsque l’on y est forcé par une intervention extérieure, commença-t-elle avant de poser son verre vide devant elle et de tourner la tête vers le dieu. A chaque nouvelle enveloppe tu peux recommencer une vie et de nouveaux souvenirs s’ajoutent aux précédents, te faisant peu à peu oublier ce qui peut t’affliger. Moi je dois vivre avec la colère, la tristesse et le regret de ce que ton intervention a provoqué il y a plusieurs millénaires. Il avait déjà bénéficié d’une intervention divine pour me résister, il avait déjà ma curiosité… ta flèche n’avait pas à être décochée.

Durant plusieurs secondes elle plongea son regard dans le sien puis sentant la tempête menacer à nouveau de la submerger, Circé détourna le regard, laissant sa langue claquer contre son palais, avant de forcer son esprit à se concentrer sur la question des camps. Elle était une création divine, éternelle obligée des dieux qu’elle le veuille ou non. Lui était une divinité primordiale plus âgé que les Olympiens, plus libre de ses mouvements. Elle suivait Héra par intérêt mais au premier signe de faiblesse des dieux, elle n’hésiterait pas un seul instant à rejoindre le camp le plus à même de l’emporter et de lui garantir sa survie. Qu’en serait-il d’Eros ? Elle plissa légèrement les yeux. Tu as peut-être toujours été en dehors des histoires olympiennes, tu ne peux nier que leur chute ne t’as pas affecté de quelque manière que ce soit, tout comme leur « retour ». Tu ne resteras pas longtemps tranquille avant qu’Héra vienne te voir pour s’assurer que tu seras de son côté lorsqu’elle en aura besoin, le chaos n’est plus profitable lorsqu’il n’y a qu’un seul camp et que tous les autres ont été détruits... Même toi, tu finirais par t'ennuyer.