Make you strong, to kill you one day

Je dois dire que la vie d'artiste était bien plus simple dans l'antiquité qu'aujourd'hui. À l'époque, on était bon, on se donnait en spectacle, on était adulé et on ne se souciait plus de rien dans la vie. Encore plus quand on était un dieu et que vos spectacles étaient littéralement des événements mythologiques à part entière. Malheureusement, aujourd'hui, pour être une célébrité, il fallait .... travailler ! Oui, je sais, c'est fou. Travailler son ou ses talents. Travailler son réseau, et ses réseaux. Faire des interviews, des feats, écrire des chanson, passer des castings, faire du sport, organiser des tournées ... Sérieusement, quel enfer ! Moi qui pensait avoir une vie d'oisiveté en incarnant un jeune homme célèbre, me voilà avec un agenda de ministre.

Ce jour là, j'avais rendez-vous avec la nouvelle coach sportive que mon agent avait réussi à dégotter. Pas une rencontre qui m'enchante spécialement. Je suis un dieu de la santé, mais le sport, c'est pas vraiment ma tasse de thé. À part si on parle de tir à l'arc, là, c'est autre chose. Mais le tir, ce n'est pas vraiment du sport, c'est une passion. J'avais tout de même enfilé mon plus bel outfit de sport, à savoir un pantalon de jogging proche du corps et un tee shirt noir, et m'étais fait conduire jusqu'à la salle qui avait été privatisée pour ma rencontre avec ma future tortionnaire, qui était déjà présente quand je rentrais. Je comprenais pourquoi elle avait été embauchée. Avec son physique athlétique et son visage attitude révélant un caractère bien trempé, mon agent avait donc décidé que j'allais en chier.

Enchanté Aisha. Je t'en prie, pas de vous, et appel moi Romain. D'ici une heure je serais en train de t'insulter et toi de rire avec sadisme, alors autant briser la glace tout de suite. Je lui souris. Ah, que je regrette le temps où je pouvais modeler mon enveloppe divine à volonté. Pas besoin d'utiliser des machines de torture et de cracher mes poumons sur des exercices de cardio. Encore mieux, aucune courbature. Un claquement de doigt et c'était réglé. Le bon temps ça. Malheureusement, ce n'était plus d'actualité. Je vais réellement devoir endurer les souffrances que les mortels s'infligent pour conserver un corps considéré comme désirable pour quelqu'un de ma célébrité. Sans doute dans une moindre mesure, ma constitution divine jouant en ma faveur, mais tout de même, ça reste assez injuste de devoir se soumettre à ce genre de pratique barbare.

Bien entendu, la coach, elle n'y est pour rien, et de fait, je me montre tout de suite agréable avec elle. Bien que je soupçonne le sport d'être une pratique BDSM acceptée dans les mœurs. Quand on y réfléchit, une personne vous dit quoi faire, vous oblige à vous dépasser physiquement, et vous hurlez de douleur mais vous apprenez à aimer cette douleur et l'endorphine qu'elle libère. Costume en latex et fouet ou legging de yoga et cordes lestées, finalement la différence me semble plutôt flou. Ce qui fait des coachs sportifs des maîtres de donjon valorisés socialement. Vous n'irez plus jamais à la salle en voyant les choses de la même façon désormais.  

Mon but c'est pas d'être hyper musclé ou quoi. J'ai fondu pas mal pendant la période de mon coma, et je n'ai pas pris le temps de travailler sur mon physique depuis. Alors, juste tonique, c'est bien. Pas du style battit comme un dieu grec, ça me ressemble pas. Rigolez si vous voulez, mais j'ai toujours été considéré comme le dieu de la beauté masculine. Souvent plus celle du jeune homme que de l'homme d'un âge avancé. Une beauté juvénile, du jeune premier imberbe. Et les canons de beauté, c'est une mode. Si à l'époque de la Grèce antique, le profil sportif, musclé était le critère principal, ce n'était plus tout à fait le cas aujourd'hui. Oh, bien sûr, l'homme musclé avait encore de beaux jours devant lui. Mais lui prévalait dans la nouvelle génération l'esthétique du soft boy. Ce garçon au visage plus doux, qui n'a pas peur de ses émotions, et qui n'a pas besoin de gros muscles pour se sentir confiant dans sa masculinité. Bon, pas des gros muscles, mais pas de gras non plus, faudrait pas abuser sur l'acceptation de soit non plus. À mort les bodybuilders, mais le six pack reste un indispensable. Et on dit que les femmes sont les seules à souffrir des dictats sur l'apparence ...

Le regard que porte ma coach sur moi est surprenant. J'ai l'impression qu'elle m'évalue et me juge, comme si ses yeux me passaient au rayon x. Ce qui est probablement vrai. Si elle est une coach assez qualifiée pour que mon agent la choisisse, je suppose qu'elle a vu plein d'autre élève avant moi et que rien qu'en observant ce qu'elle voit de mon corps ou en devine sous mes vêtements de sports, elle a déjà une bonne idée de à quoi s'en tenir. Ce qui lui fait un avantage non négligeable sur moi, car à vrai dire, je n'ai aucune idée de ce dont ce corps est capable en terme de performance purement physique. Il a naturellement une bonne endurance, car Romain faisait déjà des shows entier mêlant chant et chorégraphie avant que je ne prenne possession de son enveloppe. Pour ça, je suis certain que ça ne vient pas de moi, comme la gestion de son souffle d'ailleurs. Pour le reste, je dois admettre que j'avais autre chose à penser que de tester ma résistance aux pompes et aux abdos.

Le prend pas mal, mais les menaces de mort, c'est pas trop mon truc. Mais je te promet que je ferais des recherches google pour trouver les meilleures insultes spécialement pour toi ! Je lui répliques avec le sourire, content de voir qu'elle semble avoir un sens de l'humour compatible avec le mien, même si elle doit penser que mon trait d'humour sur les dieu grecs tient plutôt de la référence au rôle que j'ai joué dans ma série. Ce qui pourrait être vrai. Restons à cette version, pour le moment. Je ne me dévoile pas immédiatement à mes employés, même si je préfère qu'ils aient conscience de la véritable identité de la personne pour qui ils bossent. Disons que j'ai appris à avoir confiance en quelqu'un avant de lui balancer de but en blanc qui je suis, dans une époque où on peut mourir pour de bon, même quand on est un dieu. Mais elle ne me fera pas de mal, n'est-ce pas ? Elle s'inquiète de ma sécurité. Ouais, on va éviter le handicap, ça me va.

Et c'est alors que les festivités commencent. Les premiers exercices qu'elle me donne sont somme toute assez simple. J'imagine que je n'ai peut-être pas l'ouverture de pieds exacte d'un jumping jack dans les règles de l'art, mais globalement, le corps de Romain connait ces mouvements. Il reste un danseur, pas professionnel, mais suffisamment entrainé pour pouvoir assurer le show sur scène. Et bien que le rythme soit plutôt soutenu, je ne me sens pas particulièrement essoufflé. Est-ce que je devrais ? C'est sans doute un comble pour un dieu de la médecine, mais je ne suis pas certain de comment un corps humain devrait réagir dans cette situation si il n'était pas habité par un dieu. Hum, dans le doute, je force légèrement ma respiration, même si je n'en ai aucunement besoin. Disons que l'endurance, la gestion du souffle, tout ça ... Au besoin, je m'inventerai un passé de coureur. Après tout, le marathon est un truc que les grecs ont crée.

Ok, c'est parti pour les insultes les plus créatives que tu ais pu entendre de ta vie. Du moins, j'espère, sinon ma réputation d'auteur sur mes chansons va prendre une claque. Je déclare alors en rigolant, avant de passer à la partie moins marrante. Non pas parce que je souffre de l'exercice physique, pas le moins du monde en réalité, mais bien parce que je dois me concentrer pour avoir l'air le plus normal possible. Sembler avoir des difficultés, respirer fort ... Malgré ça, je suis trop parfait. Pas pour me vanter, réellement. Mes gestes me trahissent sans que j'en ai conscience, je n'ai pas ce côté un peu mignon de la maladresse d'une proprioception relative qu'ont les humains. Chaque parcelle de ce corps m'obéis aussi parfaitement que je le désire. Je suis donc finalement soulagé que l'exercice prenne fin, car il a était éprouvant, si ce n'est physiquement, en tout cas mentalement, et ce n'est pas fini. Pourquoi diable mon agent a-t-elle jugée nécessaire de faire faire du sport ?

Oui, merci. Je réponds avec le sourire avant d'attraper la bouteille qu'elle me tend et d'en avaler une longue gorgée. Moi-même merci, même si il est endurant, je n'ai pas besoin de simuler la transpiration pour que le corps en produise, cela aurait été fâcheux. Aussi, je prend ma serviette pour m'essuyer le front. Peut-être que je reprends trop rapidement mon souffle ? Je l'ignore, en tout cas, je suis soudain désarçonné par la question qu'elle me pose. Je n'ai pas besoin de feindre ma surprise. C'est logique, bien entendu, mais aussi frontalement ? C'est rare qu'on me la pose de cette façon. D'habitude, les gens prennent plus de gants. Pas de soucis, néanmoins, je connais déjà la réponse par cœur, puisque c'est la version officielle, aussi bien médicale que dans les médias.

Pas de problème, j'imagine que c'est normal qu'on en parle pour que tu puisses faire les choses bien. On a eu un accident de voiture à Los Angeles, mon père et moi, en février. Il est mort sur le coup, et moi j'ai fini dans le coma. J'avais pas vraiment de fractures physiques, mais apparemment, mon cerveau a frapper vraiment fort contre ma boite crânienne, et ça l'a comme ... éteint ? Le dieu de la médecine en moi hurle de tant d'approximation. Mais je suis censé être seulement un gamin chanteur de 25 ans, pas un neurologue reconnu, alors on passera sur les termes techniques qui me brulent pourtant les lèvres. En fait, d'après les médecins, j'étais quasiment en mort cérébrale. C'était les médicaments qui maintenaient un peu d'activité neuronale, mais à mon réveil, si je me réveillais, j'aurais dû être un légume ... Ce qui était on ne peut plus vrai. J'avais eu accès au dossier de Romain, mon dossier. Je crois que quelque part, ça me rendait fier de me dire que j'avais sauvé ce gamin d'un destin pire que la mort. Être enfermé dans son propre corps, sans pouvoir bouger, avec une demi conscience, condamné à attendre une mort naturelle puisque le reste du corps était en parfaite santé ... J'en tremble d'effroi. Littéralement, j'en tremble, ce qui rajoute du crédit à l'histoire que je suis en train de raconter, comme si le chanteur revivait le traumatisme qu'il a dû subir. Je sais, du coup c'est pas logique que je sois là devant toi hein ? La vérité c'est que ... Je prends une grande inspiration, l'air gêné, comme si j'allais révéler quelque chose d'assez important, mais potentiellement difficile à croire. ... j'ai probablement été béni par un dieu. Je dis probablement, parce que j'en suis pas officiellement sûr, mais en fait, vu ce qu'ont dit les médecins, c'est presque certain. La veille de mon réveil de coma, le jour de mon anniversaire, plusieurs de mes fans sont venus devant mon hôpital et ont priés Apollon de me sauver. Rapport au fait que c'est un dieu de la médecine et que j'ai joué son rôle dans la série, j'imagine. En tout cas, le lendemain, je me réveillais sans la moindre séquelle neurologique, et ma récupération tiens du miracle, alors ... Non, pas de grande révélation pour moi aussi vite. Je ne suis pas fou, je teste d'abord sa réaction à ce genre d'annonce. Et puis, ce n'est pas très loin de la vérité. J'ai béni ce corps en le faisant mien. La nuance est un détail que la plupart des gens n'ont pas besoin de connaitre. En tout cas, les médecins avaient préférés l'hypothèse bénédiction à l'hypothèse incarnation, bien qu'une infirmière ait jurée voir mes yeux briller quelques secondes. Tu dois trouver ça ridicule, non ? Le gamin se croit important au point de penser qu'un dieu lui a sauvé la vie, rien que ça ... Mais, honnêtement, j'ai pas d'autre explication. Je termine, l'air vraiment gêné de ce que je viens de raconter. Et hop, la carte de la modestie pour finir. Le plus beau ? Je justifie sans même m'en rendre compte des futures performances physiques un peu aberrante avec le passe partout bénédiction divine, ainsi que l'aura que je ne peux pas contrôler. En tout cas, suffisamment pour semer le doute sur l'origine de ces détails dont je n'ai même pas conscience qu'ils existent, tellement j'y suis habitué. Enfin, encore faut-il que le demi mensonge prenne, mais avec une gueule d'ange pareille, comment ne pas me croire ?