Lorsque les températures devenaient plus fraîches, les premières heures suivant le coucher du soleil ne se trouvaient être que rarement calmes. S'il n'était rare que les humains, au côté des nymphes, viennent festoyer sur les plages de l’île accompagnés uniquement du concert sonore des grillons frottant leurs ailes, le chant des fauves venait régulièrement s’ajouter à cet ensemble sonore qui parvenait jusqu’à la villa de l’enchanteresse enfoncée dans la forêt. Malgré la période de l'année l'air restait doux, il était agréable de rester dans le salon, fenêtres et portes ouvertes, ou d'être assis sur le sable comme le faisaient les humains presque quotidiennement. Sa poitrine se soulevant lorsqu'elle prit une profonde inspiration, Circé referma son livre puis le posant ses pieds, elle fit un signe à l'ancien qui était assit non loin d'elle une lyre posée sur les genoux. Ce dernier hocha légèrement la tête puis prenant son instrument il commença à jouer tandis que la maîtresse des lieux s'allongeait sur la méridienne. Les débuts avaient été difficiles, solitaires, mais à mesure que les années s'étaient écoulées elle avait finit par s'habituer à sa terre d'exil et à en faire son domaine. Son point d'ancrage dans ce monde où les guerres se multipliaient à nouveau, où les morts divines commençaient à s'accumuler en même temps que les menaces se renforçaient. Un lieu calme à quelques nautique de la Sicile où elle pouvait aisément trouver refuge. Un endroit où elle pouvait tout simplement profiter d'une once de calme le temps de quelques jours, si toutefois elle omettait les ordres qu'elle donnait à ses humains et les travaux qu'elle leur faisait accomplir. Ses paupières se fermant doucement, elle se laissa doucement porter par les douces notes jouées avec habileté par le vieux Agostino.

Combien de temps s'était-elle assoupie ? Le musicien avait cessé de joué, remplacé le chant des loups se trouvant plus profondément dans la forêt. Une douce musique aux oreilles de Circé qui n'était jamais déçue par ses serviteurs à quatre pattes, toujours présents pour elle même lorsqu'ils échappaient à son regard. Se redressant, elle s'étira langoureusement puis ajustant son chiton, se leva pour aller se poster contre l'encadrement de la baie vitrée laissée ouverte, observant les arbres dont s'échappait la musique lupine. Entendant des pas derrière elle, elle laissa s'échapper un soupir de satisfaction.

- Écoute-les: les enfants de la nuit. Quelle douce musique ils font, dit-elle avant qu'une coupe de vin ne lui soit tendue. Sans saisissant, elle en prit une première gorgée qu'elle savoura tout en reportant son regard devant elle. La nuit, les loups et du vin, un instant parfait loin du tumulte des ces dernières semaines. Reprenant une gorgée elle remarqua du coin de l'œil que la jeune Dorotea restait près d'elle. Fronçant légèrement les sourcils, la brune se stoppa un instant dans son geste. Que veux-tu, Doro ?*

- Madame, nous avons un visiteur qui vient pour la première fois...

- Et donc ? Tu sais qu'il ne s'agit pas de la procédure actuelle.

Elle reprit une gorgée, portant cette fois son regard sur la lune qui brillait.

- C'est qu'il demande une certaine Inge, madame. Il n'y a personne de ce nom sur Ééa.

A ces mots, Circé tourna brusquement la tête vers la jeune insulaire, prenant entre ses doigts son menton pour s'assurer qu'elle ne se déroberait pas et l'observa un instant en silence, cherchant d'éventuelles traces de moquerie sur les traits fins de son visage. Rien hormis l'appréhension de voir éclater la colère de l'enchanteresse. Comment avait-il su où la trouver ? Relâchant la jeune, elle bu à nouveau dans sa coupe puis elle se figea un instant. Mais bien évidemment. Elle avait dû lui en parler à un moment donné... ainsi donc il s'en était souvenu après tout ce temps ?

- Où est ce visiteur ?

Pour toute réponse, Dorothea tendit le bras sur le côté et suivant des yeux le mouvement, Circé découvrit un Johannes se tenant à l'entrée de sa villa. Surprise elle se redressa et se tint là, un instant, à observer l'oupyr.

- Je mentirais si je disais que je m'attendais à te voir ici, finit-elle par dire, se mouvant enfin, allant à la rencontre de Johannes.

Nombreuses étaient les visites sur Ééa mais rares étaient celles qui se terminaient parfaitement bien pour les aventureux qui posaient le pied à terre. S'ils ne commettaient pas d'impairs et ne s'en retrouvaient pas littéralement métamorphosés, la plupart -si ce n'était tous- d'entre eux ne repartait pas et vivaient alors dans des bungalows de bois en bord de plage, obéissant aux ordre de leur maîtresse. Mais s'il y avait bien un visiteur impromptu qui n'encourait pas le risque de rester sous son plein contrôle : c'était Johannes von Reiner. Prévenue par la jeune Dorotea, la grecque tourna vivement la tête pour poser son regard sur cette silhouette familière qui se tenait dans l'entrée de sa demeure, attendant sur le pas de la porte. Ainsi donc il s'était souvenu des indications qu'elle avait pu lui donner ? Un sourire de satisfaction mêlé de fierté vint étirer ses lèvres : cet oupyr était définitivement un excellent traqueur pour avoir su la trouver avec exactitude. S'approchant de lui, elle l'observa avec attention, se délectant de son allure sous ce beau costume gris taillé relativement parfaitemen. Le voyant coiffé et fraîchement rasé ainsi, elle aurait croire qu'il se rendait à un rendez-vous galant. Elle approcha ses mains de son visage, se dirigeant vers les joues de Johannes avant de se saisir délicatement de sa paire de lunette de soleil pour la lui ôter.

- Avec toi les surprises ont toujours une saveur particulière, bonnes ou mauvaises elles sont toujours... addictives.

Elle se mordilla un instant la lèvre en lui adressant un sourire lubrique avant qu'un détail sur sa tenue attire son regard. Elle réajusta le col de sa chemise puis le laissant poursuivre elle se mit à plier soigneusement les branches, elle haussa légèrement un sourcil à ses propos. Qu'est-ce qui pouvait bien l'avoir poussé à venir jusqu'ici au lieu d'attendre qu'ils se croisent à nouveau ? Le niveau d'urgence de la demande qu'il voulait lui formuler devait être particulièrement élevé et il aurait toute son attention. Comme à chaque fois qu'ils se retrouvaient.

- Et cela doit être important puisque tu es venu jusqu'à moi. Elle s'écarta sur le côté puis lui tendit ses lunettes. Entre donc, von Reiner. Sois le bienvenu !

Dehors le chant des loups avait pris comme fin, si l'arrivé d'un nouveau prédateur sur l'île les forçaient à une certaine discrétion. En un sens leur instinct ne les trompaient pas car en la présence de son favori, la magicienne pouvait trouver en lui un compétiteur qui lui donnerait du fil à retordre s'ils devaient adversaires. Mais cette question n'était pas à l'ordre du jour et les loups s'employaient juste à ne pas attirer l'attention d'un super-prédateurs qui aurait aisément raison d'eux malgré leur nombre.

- Doro, apporte de quoi boire à notre invité et qu'Agostino rejoue.
- Tout de suite, madame.

Ses ordres donnés, Circé mena Johannes à travers la grande pièce de vie jusqu'à la méridienne sur laquelle elle s'était reposée un peu plus tôt. S'assayant légèrement de biais, elle l'invita à s'asseoir à son tour tandis que l'humaine leur apportait sur un plateau deux verres de vin rouge. Prenant une gorgée, elle lui adressa un sourire chalereux bien que le ton de sa voix puisse être empli de sérieux.

- Tu as toute mon attention Johannes, parle.

Lorsqu’il lui apparaissait ainsi apprêté, elle ne pouvait empêcher son regard de scruter le moindre détail à la recherche d’une imperfection demandant à être corrigée : une peluche formée par le tissus de son costume, un col manquant de symétrie, une cravate mal ajustée. Des détails qui pouvaient aisément échapper à la vue de tous mais qui pour la magicienne revêtait d’une certaine importance. Comme s’il s’agissait pour elle d’un moyen silencieux de lui montrer l’attention qu’elle lui portait lorsqu’ils se retrouvaient tous les deux, peu importe l’époque. Ôtant ces lunettes de soleil qu’il s’était décidé à porter en pleine nuit, Circé observait les traits de son visage tandis qu’elle ne cachait pas sa surprise de le voir en sa demeure et son regard accrocha le sien lorsqu’il répliqua. La surprise pouvait-elle encore exister alors qu’ils ne s’étaient jamais autant vus au cours des derniers mois que sur ces dernières décennies ? Il était un oupyr et elle enchanteresse, l’imprévu était comme inscrit dans leurs gènes à leur créations. Mais passé l’étonnement que pouvait provoquer cette visite inattendue, il était nécessaire de se concentrer : il était là pour lui parler et il lui confirmait que la raison était relativement importante.

- Je vois, dit-elle pour simple réponse avant de l’inviter à entrer et de le mener à travers la pièce de vie jusqu’au salon, non sans distribuer quelques ordres aux humains.

Rapidement la jeune humaine vint vers eux avec un plateau sur lequel trônaient deux verres de vin rouge et s’installant sur la méridienne, la brune se servit tandis que Johannes en faisait de même. Faisant tourner doucement le liquide rubis dans son rubis, elle ne remarqua pas que son chiton dévoilait de son épaule. Du moins pas avant que la voix de l’oupyr auprès d’elle s’élève et qu’elle sente sa main glisser sur le tissus, le long de son flanc. Se rapprochant doucement de lui, elle l’écouta. Il avait besoin de son aide et cela elle pouvait le lui offrir sans la moindre résistance. Ils trinquèrent et la brune prit une gorgée de vin. « Tuer un dieu » voilà des mots qu’elle n’aurait pas cru entendre cette nuit et pas de la bouche du germain. Prise au dépourvu elle se figea au cours d’un instant durant lequel l’oupyr vida avec aisance l’entièreté de son verre, avant de clore ses paupière lorsqu’elle senti son visage se rapprocher du sien, sentant avec légèreté sur son cou l’air qu’inspirait Johannes.

Il voulait tuer un dieu et comptait le faire dans les plus brefs délais.

Elle prit une profonde inspiration, sentant le souffle de l’oupyr sur l’arrête de sa mâchoire, et elle rouvrit les yeux lorsqu’il lui suggéra de congédier les humains présents. Non seulement pour s’assurer qu’il ne les saignerait pas mais aussi pour s’assurer que le contenu de leur conversation ne serait connu que d’eux. Prenant une longue gorgée de vin, vidant son verre à son tour, elle le tendit à l’humaine avant d’utiliser de son pouvoir.

- Tutti fuori. Senza eccezioni, ordonna-t-elle avant de se tourner pleinement vers Johannes tandis que les humains s’éloignaient pour les laisser pleinement seuls. Nous aurions pu parler allemand pour ne pas avoir à les congédier et être servis comme bon nous semblait mais soit. Jetant un coup d’œil pour s’assurer qu’ils étaient bien seuls, elle porta de nouveau son regard sur Johannes. Ce n'est pas rien de tuer un dieu même pour une créature comme toi... Si tu veux que je t'aide, il va falloir me dire ce que je dois savoir et bien évidemment de qui il s'agit, reprit-elle non sans avoir rapproché son visage de celui de l'oupyr.

Les mots prononcés n'étaient pas aussi légers que ceux prononcés par un quelconque partenaire, ceux-là étaient tranchants, déterminés et trainaient un poids qui se faisait aisément sentir : avant même qu'il ne soit porté à sa connaissance l'identité de ce dieu visé, Circé pouvait sentir la lame du couperet sur sa nuque. A moins que cela ne soit le souffle de Johannes sur sa peau. L'un comme l'autre ne la laissait pas insensible à ce qu'il adviendrait dans les prochaines minutes comme au ciurs des prochaines semaines. Prenant la décision de congédier ses serviteurs malgré la possibilité que s'exprimer dans une langue qui leur était inconnue eut été possible, elle hausa légèrement un sourcil lorsqu'il reprit la parole. La Soif mettrait bientôt son contrôle à l'epreuve et cette faim d'oupyr, la brune était prête à la contenter de quelque manière que ce soit. Pour autant, l'idée de renouveler son panel de serviteur ne l'enchantaig guère : que comptait-il faire exactement pour parvenir à se défaire de sa cible ? C'était diablement intrigant.

- C'est sous-estimer mes capacités de persuasion que de croire que mes serviteurs prêteront attention à ce qu'il se passera ces prochains mois... commença-t-elle avec un soupçon de dureté dans sa voix avant qu'elle ne disparaisse tandis que Johannes se mettait en mouvement, venant se placer sur elle. Cela veut-il dire que je vais te recevoir régulièrement ? demanda-t-elle alors que de son nez il la poussait à changer de position, son dos venant désormais s'appuyer sur le dossier de la méridienne. Il devait savoir si elle l'aimait suffisamment pour risquer sa tête dans cette entreprise dans laquelle il voulait l'entraîner ? Se mordillant la lèvre inférieure lorsque elle sentit la douce caresse des dents de l'oupyr sur sa clavicule, Circé glissa une main sous sa veste pour la poser sur son dos et l'attirer un peu plus vers elle. Des favoris que j'ai eu jusqu'à présent, tu es le seul a m'avoir retrouvée dans un nouveau siècle. Le seul sur lequel je n'ai jusqu'à présent pas utilisé mes pouvoirs. Est-ce là pour toi, une réponse satisfaisante ? répondit-elle avant que son autre main ne vienne commencer à déboutonner un à un les boutons de cette chemise de qualité.

Que cela soit la réponse qu'il attendait ou non, il s'agissait des mots de Circé et ces derniers étaient on ne peut plus vrais pour elle. Rares étaient ceux qui lui survivaient après avoir éveillé son intérêt, tout aussi rares étaient ceux qui étaient capables de traverser un siècle sans être atteint par les ravages du temps et qui la retrouvait. Glissant cette fois ses mains sous la chemise de Johannes pour mieux sentir sa peau de marbre sous ses doigts, ce dernier remontait sa robe le long de ses jambes afin d'obtenir un accès à ce temple qu'il connaissait désormais par cœur.

Si briser les règles de l'hospitalité était un acte que Circé avait toujours eu en horreur depuis qu'elle avait posé les pieds sur Ééa, que l'on vienne sous-estimer sa capacité à contrôler ce qui lui appartenait ne devait probablement pas être bien loin derrière, sur cette échelle de patience qui était la sienne. Ces mots, ceux de renouveler régulièrement son personnel par soucis de discrétion pour celui qui voulait accomplir un méfait avec son appui, auraient sonnés comme une insulte dans la bouche de bien des hommes. Seuls ceux la connaissant suffisamment savaient que ces mots n'étaient prononcés que par prudence, que cela n'était pas poir sous-estimer les pouvoirs qu'elle possédait, et Johannes en faisait partie. Il laissait un grand sourire venir étirer ses lèvres, laissant ces dernières dévoiler ses canines déjà prêtes à percer la moindre surface de chair pour en obtenir le précieux liquide de vie. Il reprit la parole, lui donnant raison, et la magicienne senti une lueur de satisfaction venir éclairer un instant son regard avant qu'il ne commence à laisser sa main prendre un chemin qui était loin de lui être inconnu. Johannes ayant physiquement l'ascendant sur elle, Circé le laissa volontiers s'affairer à ce qui s'apparentait à un rituel pour eux à chacune de leur rencontres. Un frisson léger vint parcourir son échine lorsqu'elle sentit l'oupyr inspirer son parfum. Que sentait-il ? Uniquement son sang et sa sueur induite par l'atmosphère méditerranéenne ? Ou bien ces senteur se mêlaient à un tout, trahissant ses activités et ses habitudes ? Voilà bien une question à laquelle il serait intéressant d'obtenir une réponse. Tout en déboutonnant la chemise de Johannes, elle s'employa alors à fournir une réponse à sa question avant de lui demander s'il était satisfait de ses mots.

- Bien.

Si l’entièreté de ce plan que venait de lui présentait Johannes était cousu de fil blanc, les probabilités pour que l’exécution ne tourne pas en sa faveur étaient nombreuses. Nombreuses étaient les trames qui connaissaient des désagréments venant les faire ainsi imploser. Comme les Troyens pensant leur cité imprenable et qui étaient tombés par la ruse produite par l’esprit d’un homme venu du royaume d’Ithaque. L’oupyr bénéficiait de ses faveurs depuis un moment désormais et elle était disposée à lui fournir l’aide qu’il requérait pour mener son plan à bien mais sa peau au contact de Johannes, un murmure souffla à Circé ces mots : jusqu’à quel point aiderait-elle le germain ?

- Je peux t'assurer un retour sauf dès les premières lueurs du jours ou tu peux rester et quitter l'île la nuit prochaine, le choix est tiens, finit-elle par annoncer alors qu'elle s'écartait de lui pour reprendre son chiton qui gisait au sol depuis un bon moment désormais.