Les derniers événements avaient montré la fragilité de la position celte. L'inondation de Marseille, le meurtre d'un des leurs... Morrigan était folle de rage, et elle fut assez surprise de constater que son homologue Meduna l'était aussi. Trop de sang avait déjà coulé, qu'il soit humain fidèle au panthéon ou bien divin. La sorcière avait pris la décision de retourner sur ses terres natales, en Irlande. Ils avaient besoin de regrouper les fidèles celtes qui étaient ciblés par de nombreuses attaques venant de parties prenantes imaginées nombreuses et pas forcément identifiables. Il fallait les mettre en sécurité et se constituer une base de loyauté solide. Avant de pouvoir attaquer.

La divine était en train de discuter avec sa consœur au moment où elle fut transportée. Ce fut rapide et sans douleur. Et elle se retrouva allongée au sol. Elle se redressa, alerte, avant de se relever complètement. Autour d'elle, des visages connus, et moins. Trois femmes, pour les inconnus. Et deux compagnons qu'elle aurait reconnu entre mille. Elle s'épousseta légèrement en se redressant, prenant une seconde pour regarder autour d'elle. Ils semblaient coincés, dans un espace entre trois murs de végétation, et un chemin qui s'éloignait. L'irlandaise s'avança vers un des murs de feuilles, le touchant d'une main. Si réel... Pourtant l'ensemble ne lui donnait absolument pas confiance.

Les jurons de Teutatès attirèrent son attention, l'espace d'un instant. Réaliste... Un peu trop ?

Morrigan laissa son regard s'appesantir sur lui. Ils ne s'étaient pas vus depuis quoi... Deux mois ? Un peu plus, même. Le temps était passé si vite, et pourtant si lentement en même temps. Un espace infini de doutes et de remises en question avait pris la place précédemment occupée par leur relation. Qu'en était-il aujourd'hui ? Ces questions attendraient sans doute. Et surtout, pourquoi était-il là, lui aussi ? Quelques mots furent échangés, notamment l'une des trois inconnues qui se présenta pour répondre au Dieu-Père. Morrigan reporta son attention sur Mama Quilla. Elle semblait en forme. Bien.

C'était réel. En tout cas, cela le paraissait. Mais la sorcière avait appris à ses dépens à ne pas se fier à ce qu'elle voyait. Ni à ce qu'elle percevait comme des visions. Tout était interchangeable, en général. Ce qui était vrai ne l'était en fait pas, et ce qu'elle imaginait rêvé lui revenait en général en pleine figure. Comment croire à ce qu'elle voyait, ce qu'elle entendait, quand l'ensemble paraissait si fou ? Allons, pourquoi se retrouver dans cet endroit lugubre pour commencer ? Et pourquoi avec Teutatès et Mama Quilla, avec qui elle avait tant partagé ? Si cela n'était pas une énième ruse tout droit sortie de la manipulation mentale de Loki... Morrigan respirait, doucement. Son esprit tournait à mille à l'heure, cherchant dans son environnement des raisons de croire à un rêve. Elle se réveillerait sans doute. Ou alors ils étaient morts, enfin. Non, il fallait que ce soit une quelconque manipulation. Car autrement, Morrigan ne savait pas l'expliquer.

Etaient-ils ensemble réellement, comme Teutatès l'avait dit ? Le passé leur avait montré que non.

L'irlandaise pouvait percevoir des signes divins, cette sensation familière qui lui picotait l'échine. L'imaginait-elle, comme elle imaginait peut-être le reste ? Elle se retourna, arrachant une feuille du mur pour la triturer entre ses mains, puis répondit d'un air blasé :

« Morrigan. J'espère que la pause déjeuner était bonne, docteur, parce que je crois que vous aurez besoin de toutes vos forces. »

Pour s'extirper de ce cauchemar. Une docteur, humaine, de toute évidence. Que faisait-elle ici ? Et les autres ? Elle se rapprocha d'eux, désignant du regard leur environnement. Quelque chose clochait. Elle jeta un œil au Dieu Père et reprit, pour l'assemblée :

« Ca ne m'inspire pas. Il y a un truc étrange à l'œuvre, ici. »

Peut-être que les autres auraient plus d'informations.

Morrigan regard autour d'elle pour regarder ses infortunés compagnons. La blonde lâcha un juron, peu ravie d'être ici, visiblement. Thais. Puis la rousse, Nina. Bon sang on aurait dit le début d'une mauvaise blague. Mama semblait sur ses gardes. Elle lui offrit un coup d'oeil, une mise en garde, peut-être ? Une alerte, en tout cas, envers la blonde.

L'irlandaise allait réagir quand soudain, des visions lui parvinrent. Elle serra la mâchoire, prise au piège de son propre mental. Pas le choix sinon d'endurer, même si le moment était assez mal choisi. Tout s'enchaîna très vite dans un brouhaha de sons, lumières et sensations. Un animal qui s'avance vers une cheminée.. Un taureau ? Du sang. Une couronne à côté d'un livre, tous deux complètement brûlés. Soudain une brume qui l'étouffe à la respiration. Un flocon de neige virevolte dans l'air jusqu'à se poser sur un hamburger. Encore du sang. Un serpent, vicieux, tournant autour d'une jeune fille aux cheveux noirs, slalomant entre des flammes et de la foudre. Ses pupilles, terrifiantes, créent un sentiment d'effroi qui la repousse brusquement vers la réalité.

En une fraction de seconde, l'inca brisa toute retenue et se jeta sur la blonde sans rien dire en lui envoyant son pied en pleine face. Le coup fut porté de façon précise, méthodique. Sans fausse note. Et alla se nicher directement sur le visage harmonieux de la femme aux cheveux d'or. Ce fut au tour de la rousse de leur hurler de s'arrêter, repoussant Mama pour qu'elle ne récidive pas. Ainsi donc, elles se connaissaient. Suffisamment pour qu'elle veuille prendre sa défense. Quel était le but de ce sortilège ? Pourquoi avoir choisi des groupes de personnes avec des affinités plutôt que de parfaits inconnus ? En tous les cas, si l'inca avait attaqué, c'était qu'elle avait une bonne raison de le faire. Cette Thais était-elle une ennemie ? Etait-ce en rapport avec cette énergie divine qu'elle sentait tout autour d'eux, sans pouvoir vraiment l'attribuer à quelqu'un en particulier ? Une nordique, peut-être ? Une grecque ? Plusieurs sources, en tout cas. Si elle était divine, elle n'était pas la seule.

Et les visions... Elle devait être prudente. Morrigan savait que les apparences étaient trompeuses. Elle manquait d'informations, et d'opportunités d'en échanger avec Mama qui s'était mise en mode baston, et Teutatès, qui ne serait pas le seul à pouvoir l'entendre. Alors elle ne dit rien pour le moment, pensant à essayer bientôt de les retrouver tous les deux.

La rousse était à présent entre Mama Quilla et la blonde qui venait de se prendre une tarte. En quelques pas, Morrigan les rejoignit pour s'interposer face à la fameuse Nina, serrant les poings, furieuse.

« Touche-la une nouvelle fois et tout ce bordel sera le cadet de tes soucis. »

Un avertissement. Qu'elle ne donnerait pas deux fois. Mais quelque chose sembla changer, coupant court à toute envie belliqueuse. Une brume apparut derrière eux, les enveloppant progressivement mais rapidement dans un nuage épais. Sa vision ! Morrigan sentit sa gorge la piquer jusqu'à la brûler franchement. L'air était si lourd qu'il était difficile de respirer. Elle toussa, une fois, deux fois. Un rapide coup d'oeil montra qu'ils étaient tous atteints. Main sur sa gorge en feu, elle sentit le goût du sang inonder sa bouche et tourna la tête pour cracher au sol. D'un geste sans hésitation, elle attrapa Mama Quilla par l'épaule pour avancer vers le chemin que personne n'avait encore emprunté, en espérant qu'elle se souvienne exactement vers où aller.

« Ne reste pas là ! Morte tu pourras plus rien faire ! »

Morrigan la lâcha en la poussant dans ce qu'elle estimait être la bonne direction, puis se concentra pour invoquer son pouvoir de métamorphose. Impossible pourtant de discipliner son esprit, malmené depuis des semaines et mis à l'épreuve juste avant par les visions. La concentration ne venait pas, la plénitude nécessaire non plus. Sans succès, elle se mit à suivre Mama Quilla dans le brouillard.

Morrigan avait réussi à rejoindre Mama ainsi que Teutatès. Sur leurs gardes, les trois divins restaient prêts à toute éventualité... sans savoir vraiment comment se préparer à quoi que ce soit puisqu'aucun ne savait ce qui les attendrait. Le dieu-Père proposa à l'humaine de se joindre à eux, tandis que le duo maintenant formé par la blonde la rousse restait à distance. La sorcière jeta un oeil à l'inca, dont le feu qui couvait dans ses yeux suggérait qu'elle était prête à en terminer ici, et maintenant. Mais il fallait être prudent. S'en sortir d'abord, régler les comptes en suite. Il était hors de question de perdre Mama Quilla dans cet endroit même si l'irlandaise comprenait que les alliées de Loki étaient leurs ennemies. Peut-être que le labyrinthe se chargerait lui-même de leur sort.

L'humain interpella Morrigan. L'usage de sa langue natale capta aisément son attention, comme c'était ce qu'elle souhaitait sans doute. Elle n'avait pas montré de signe de fidélité, ni aux celtes, ni aux autres. La priorité de l'irlandaise résidait ainsi dans la protection de son panthéon et de l'inca, véritable soeur d'armes. Le reste, finalement, n'était qu'accessoire. Elle n'y répondit pas, se contentant d'un regard dans sa direction avant de reporter son attention sur Teutatès et Mama Quilla. Même le Dieu-Père semblait perdre patience face à la désinvolture des deux ennemies, pourtant en nette infériorité numérique. Morrigan sentit la colère monter en elle lorsque la blonde se défendit, ne perdant pas la face et proférant des menaces, mais elle réussit à la canaliser dans l'atteinte de leur objectif à tous les trois : se serrer les coudes et survivre. Le reste attendrait. De toute façon, Mama ne semblait nullement impressionnée et c'était tant mieux. Si combat il y avait, elle pourrait compter sur la sorcière. La sorcière sentit l'émergence du pouvoir de la lune entourer la déesse inca, signe qu'elle profiterait de la présence féminine pour se renforcer. Au même moment, ce fut au tour du dieu celte de mettre en garde contre quelque chose... qui arrivait.

L'humaine capta de nouveau son attention à s'exprimer en gaélique, et la sorcière fronça les sourcils. Pourquoi regretter ? Savait-elle quelque chose ? Elle était déjà en train de s'éloigner. Ce qui serait mauvais pour le pouvoir de la déesse de la lune. Avant de répondre, de nouvelles visions de son pouvoir lui apparurent, la laissant sur la défensive. De la terre qui bouge, du sang provoqué par une hache, du feu qui s'écrase au sol, une hache qui est lancée vers un ciel orageux, une brume... La mâchoire serrée, nauséeuse à cause des visions qui lui faisaient perdre pied, elle répondit enfin à Shioban sur un ton sec, surveillant d'un coin de l'œil les alentours :

« Tar linn nó ná tig ach déan do rogha, a bhásta. »
Viens avec nous ou ne viens pas mais fais ton choix, mortelle.

Si elle restait, ils devraient la défendre, même si elle n'était pas la priorité. Mais si elle partait, Mama serait plus faible... Il fallait trier les actions car ils ne pourraient pas tout faire, de toute façon. Le plus urgent était cette menace qui planait et qu'elle sentait maintenant très clairement, aussi. Des râles gutturaux se firent entendre, et bientôt, trois zombies sortirent de terre, lentement... Deux partirent vers l'autre groupe, donc Morrigan ne leur accorda aucune attention, mais le troisième se dirigea vers Mama Quilla. L'effroi la saisit lorsqu'il la mordit, la laissant dans l'incapacité de faire quoi que ce soit. Réfléchissant à toute vitesse, elle jeta un œil à Teutatès. Tout reposait sur eux à présent.

« On doit absolument l'aider ! Tiens-toi prêt. » lui dit-elle, simplement.

Morrigan ferma les yeux, se concentrant pour invoquer son pouvoir de Furie. Elle inspira, lentement, convoquant les forces anciennes qui avaient autrefois fait sa renommée en bataille. Lorsqu'elle se sentit prête, elle engagea son pouvoir de Furie sur elle et Teutatès, rouvrant des yeux orangés sur le champ de bataille. Inspirée par cet afflux de puissance, elle s'élança ensuite vers le zombie en hurlant pour le frapper au corps à corps.