Paris sera toujours Paris [PV Samir]

Malgré la Grande Révélation, les guerres entre panthéons et les déicides, la capitale française demeurait un haut lieu de la culture dont certains endroits paraissaient hors du temps. Le Louvre, notamment, en faisait parti. Aucun dieu n’oserait s’en prendre aux chefs-d’œuvre que contenaient chaque salle, souvent la témoignage d’un passé glorieux pour les divinités.

Soo-Min avait fini de faire le tour des arts asiatiques. Elle ne s’y était pas vraiment retrouvée. Pas dans le sens où aucune œuvre ne parlait d’elle – ça, c’était plutôt logique – mais parce qu’elle n’avait pas vu de statue, de peinture ou de fresque qui lui rappelle vraiment ses maisons, la Corée et le Japon, telle qu’elle les percevait. Peut-être parce qu’il y avait beaucoup de meubles et de vases, souvent des objets en laque importés au XVIIIe siècle et qui n’avaient aucun intérêt à ses yeux autre qu’esthétique.

Avait-elle le mal du pays ? Peut-être. Elle n’était pas retournée en Asie depuis plusieurs mois – comme la mère de son véhicule se plaisait à le lui rappeler à chaque coup de téléphone ! Lasse de cette section, elle traversa quelques couloirs pour arriver à la prochaine étape de sa visite : l’Égypte ancienne. Elle n’avait jamais mis les pieds en Afrique et elle était en quelque sorte curieuse de cette histoire égyptienne, plus vieille encore que son ancien panthéon, qu’elle n’avait côtoyé que dans les livres. En un sens, depuis son arrivée en France, elle se rendait compte que son travail (le vrai, pas celui de son véhicule) l’avait empêché de voyager, alors qu’elle adorait découvrir d’autres cultures que la sienne !

Arrivée dans la zone des antiquités pharaonique de l’Ancien au Nouvel Empire, elle sentit la présence d’une autre divinité. Celle-ci était juste perceptible mais impossible à définir. Sans grande surprise, c’était un dieu ou une déesse qu’elle ne connaissait pas. L’Autre avait dû la sentir entrer aussi. Il n’y avait qu’à attendre pour voir si il y aurait rencontre. Elle balaya toutefois la salle, cherchant quelqu’un qui en ferait de même. Son regard croisa celui d’un homme. Elle le soutint, sans ciller, avant de s’approcher de lui et d’admirer ce devant quoi il était arrêté. Il s’agissait d’un bas relief mais à moins d’aller lire l’étiquette un peu plus loin, Soo-Min serait bien en peine de dire de quoi il s’agissait précisément. Elle ne comprenait évidemment pas les hiéroglyphes et n’avait que des connaissances vagues, plutôt populaires, sur l’art de cette époque. La scène représentée devait avoir une signification, peut-être venait-elle d’un tombeau, ou d’un ancien palais, mais la Shinigami ne pouvait qu’en admirer la conservation sans la comprendre.

« Vous savez ce que cela représente ? » finit-elle par demander à son voisin, de plus en plus certaine qu’il s’agissait d’un dieu. Quelque soit leur positionnement dans les conflits actuels, ils étaient en public : cela ne risquerait pas de tourner à l’affrontement. L’avantage certain de Paris, la ville était surpeuplée, tous les lieux publics en devenaient sûrs pour les gens comme elle, qui n’assumaient pas leur divinité aux yeux du monde !

L’un des gros points forts de Soo-Min était sa capacité à ne laisser transparaître aucune émotion. D’aussi loin qu’elle puisse s’en souvenir, et cela valait aussi à l’époque de sa première existence, il en avait toujours été ainsi. Il y avait bien eu quelques exceptions : les deux morts de ses parents, celles de ses enfants humains… dire au revoir n’avait jamais été agréable pour elle. La Shinigami y reconnaissait toute l’ironie : une déesse psychopompe qui craint les adieux, si les humains l’avaient su, ils s’en seraient gaussé. Néanmoins, aucun mortel ne s’intéressait aux sentiments des divins les accompagnant dans leur dernier trajet. Et il restait assez vrai que pour la plupart des âmes à qui elle servait de guide, elle n’avait qu’un intérêt très temporaire pour eux.

Ainsi, parfaitement impassible, elle continua de s’intéresser à l’antiquité face à eux. « C’est vrai, j’en ai déjà entendu parler. Les rites égyptiens semblent très précis, même s’il n’est pas étonnant qu’ils en aient. La mort s’accompagne toujours de nombreuses… fioritures » Certaines plus utiles que d’autres si vous vouliez son avis. À ses yeux, le corps n’était qu’un réceptacle. Le respecter, c’était respecter le défunt, mais – au moins dans sa religion – même en piteux état, elle pouvait accompagner l’âme de n’importe quel mort. Si tant est qu’il croit en elle, évidemment. Dans sa mission, le problème n’était pas la manière de traiter ce qu’il restait de ses clients, mais plutôt que certains récalcitrants refusaient de la suivre. Les âmes qui traînaient trop longtemps devenaient, au Japon, des fantômes, et ça faisait ensuite des tas d’histoires avec les vivants. Ils détestaient tous ça, de là où elle venait !

« Le mal du pays » commença-t-elle ensuite par répondre avec autant de franchise que de simplicité. « J’espérais trouver un peu de chez moi dans un autre département. L’idée s’étant révélée décevante dans son application, je suis restée visiter le reste du musée. L’avantage du Louvre étant que je pourrais y passer la journée sans réussir pour autant à tout voir » Il ne tenait pas sa réputation de nul part, et à défaut d’avoir pu croiser quelques traces de ses pays d’origine dans les vitrines, elle pourrait toujours raconter à ses connaissances qu’elle avait joué les touristes. Son identité humaine n’était pas supposée être aussi blasée qu’elle après tout !

« Et vous ? Que faites vous ici ? Et par ici, j’entends autant dans ce musée que dans cette section » Physiquement, il pouvait être égyptien, mais il pouvait aussi être d’une toute autre nationalité. Soo-Min préférait avancer sans trop d’à priori sur cette rencontre, c’était le meilleur moyen de ne pas se faire plus d’ennemis que prévu.