I love You & Me dancing in the moonlight

I love you and me Dancing in the moonlight. Nobody can see It's just you and me tonight. You know I got ya Ain't nobody got you like that. Ain't nobody gonna have your back like the way I do. Love me, just say you do. You know you got me. Everything I do, everything I did, Everything I wished I was will make me feel alright

« Salut chéri, je t’ai manqué ? » Je me tenais dans l’embrasure de la porte de l’hôtel, une main levée sur l’encadrement laissant glisser de l’autre côté la bretelle de mon déshabillé. Il m’avait fallu plus d’un mois pour me débarrasser de mon travail urgent – confié par Belzé’ lui-même – et enfin pouvoir revenir à Istanbul avec l’unique objectif qui m’intéressait : y retrouver mon amant. Ces quelques semaines seulement avaient suffi pour que le monde des divins s’embrasent un peu plus lors d’une fête de nouvel an calamiteuse et que je me vois déjà confier une autre tâche pour Lilith : approcher les celtes. Peut-être en parlerais-je d’ailleurs à Belzébuth… nous avions toutefois mieux à faire dans un premier temps. Je n’avais pas loué une chambre d’hôtel hors de prix juste pour son confort ! Sans beaucoup plus de cérémonie, j’embrassais le divin pour l’attirer à l’intérieur...

Mais passons sur la bagatelle, toujours agréable, et arrivons-en au point suivant lorsque le souffle encore court, j’allais au mini-bar me servir un verre. « Tu veux quelque chose ? » demandais-je tout en attrapant le bout de tissu quitté un peu plus tôt en me demandant s’il valait bien la peine de le repasser. Après tout, il ne faisait pas froid dans la chambre. Mon verre à la main, je retournais sur le lit, les jambes repliées sous moi, reposant mes yeux clairs sur mon seigneur démoniaque. « Ne crois pas déjà t’en tirer à si bon compte : la déesse que tu m’as mis dans les pattes valait plus qu’un petit câlin vite fait » Le prévins-je car, en effet, il y avait eu de réels problèmes de communication entre la déesse que j’avais été envoyée pour aider et moi. Comme il y en aurait toujours, forcément, avec des personnes incapables de comprendre le pouvoir de la sexualité. Sans ce paramètre essentiel, impossible de saisir la nature de ce que j’étais, la portée de mes pouvoirs… j’avais plusieurs fois eu la sensation d’un dialogue de sourd. Heureusement, en dehors du caractère particulier de la commanditaire, la mission en elle-même n’avait rien eu de bien compliqué. Quelques hommes de pouvoir à manipuler, presque du quotidien pour une croqueuse de diamant de mon acabit !

« Lilith t’a parlé de sa dernière demande me concernant ? » interrogeais-je ensuite, désireuse de savoir ce que Belzé’ pensait des projets de ma mère. Toutefois, après avoir bu, je n’oubliais pas de me rapprocher de lui, car nous n’étions pas là que pour bavarder mais aussi pour profiter d’une proximité que mon futur mariage ne nous autoriserait pas souvent. Que le lieu public de la dernière fois nous avait interdit aussi.

Je caressais le contour de sa joue du bout des doigts, l’air pensif. Bien sûr, j’étais venue jusqu’ici parce que j’en avais envie et parce que c’était amusant, mais je devais bien admettre que j’étais peut-être inquiète de la manière dont les événements se déroulaient autour de moi. J’essayais généralement de me tenir loin et à l’abri des conflits, or je craignais que par loyauté, je ne me retrouve de plus en plus en première ligne. Ou, en tout cas, pas aussi cachée que ce qu’exigerai mon instinct de survie. Et j’avais donc besoin aussi d’en parler, de préférence à quelqu’un qui ne soit pas ma mère, car malgré toute ma déférence envers Lilith, je n’étais pas aussi libre de mes paroles avec elle qu’avec Belzé’. C’était là toute la subtile différence entre la famille et les amis : on les aimait tous mais ne leur parlions pas des mêmes choses. « Je dois séduire un celte pour lui soutirer des informations » révélais-je finalement d’un ton neutre car, après tout, rien ne me disait que ce plan ne suivait pas une idée de mon cher seigneur des enfers ! Aussi ne pouvais-je pas, d’emblée, laisser éclater les craintes qu’une telle mission suscitait en moi. J’étais prudente, comme d’habitude.

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« Nous savons tous les deux que je suis une femme frustrante… » dis-je en faisant tourner l’alcool au fond de mon verre avec un léger sourire. Ma propre réponse m’amusait presque autant que la promesse contenue dans les paroles de Belzé’. J’étais certaine qu’il comprendrait ce que je sous-entendais : il n’était pas dur d’avoir mes faveurs – selon les critères humains, j’avais tout de la fille facile (car il faut bien se nourrir bonnes gens !) - mais personne ne me possédait tout à fait. Je donnais plus de moi à certains qu’à d’autres, étant par exemple pour le seigneur des mouches une maîtresse autant qu’une amie, néanmoins mon cœur était bien gardé à l’abri des convoitises. En effet, étant une partenaire exceptionnelle, il y en avait eu à vouloir plus que ce que j’étais prête à donner, ou qui auraient voulu l’exclusivité de mes charmes – malgré le danger que cela représentait. Ceux-là étaient les plus déçus. Pour les autres, j’étais surtout un joli papillon, aussi vite arrivé que vite parti, quitte à laisser mes conquêtes sur leur faim.

Au demeurant, refuser les attaches ne me préservait pas d’un peu de possessivité. Ne dit-on pas que les femmes sont des paradoxes ? Je jalousais ma place de fille préférée de Lilith et aimait à penser qu’aucune femme ne pouvait rivaliser avec moi aux yeux de Belzébuth - au moins dans le domaine du sexe car mes autres compétences étaient plus limitées. J’avais crains une rivale en cette Science qu’on m’envoyait aider. Toutefois, j’avais été assez vite rassurée sur ce point : un glaçon pareil n’avait rien d’attirant, surtout comparé à ma sensualité solaire. Et que Belzébuth envisage aussi clairement la fin de leur partenariat ne pouvait que me conforter dans cette opinion. « Les alliés d’aujourd’hui seront les ennemis de demain… C’est le jeu des guerres » admis-je avec fatalité tout en posant mon verre et me rapprochant de mon amant pour aborder, à juste titre, ma propre participation aux conflits actuels.

« On a brièvement évoqué Taranis mais cela me paraît dangereux… le temps où les dieux païens appréciaient la compagnie des succubes est révolu » Cela aussi faisait parti du packaging de base de la guerre. La plupart des dieux à être autrefois tombés dans mon escarcelle étaient maintenant des ennemis qui pourraient me trancher la gorge pour envoyer un message à ma mère. Et ça ne me faisait pas vraiment envie. Non que je doute que, toute créature que je sois, Lilith ne chercherait pas effectivement à me venger, mais je ne m’étais pas donné tant de mal pour survivre ces derniers millénaires pour être sacrifiée sur l’autel des mesquineries divines !

Comme Belzébuth me demandait ce qui m’inquiétait je l’allongeais sur le dos et m’accoudais à son côté, une main sur son torse, mon regard dans le sien. « J’ai peur d’être découverte... Ma seule arme est ma beauté et elle ne me protégera pas contre des pouvoirs plus offensifs. Et tu sais qu’il est bien plus difficile de faire tomber un dieu amoureux avec ma magie… » Bien en forme, je pouvais le faire, mais pour être honnête, toujours dans un objectif de préservation, j’évitais d’user de mon plus puissant pouvoir sur des divins. Un mortel amoureux pouvait commettre de sacrées folies… alors un dieu ! Ne vous y trompez pas : j’adore créer le chaos presque autant qu’un beau diamant ! Ceci étant dit, je n’avais pas envie de devenir le jouet de puissances que je ne maîtriserais pas. Tous les dieux passés entre mes bras étaient consentants et parfaitement conscients de ce qu’ils faisaient… Sauf que, dans le cas présent, je doutais que mon décolleté suffise à faire déballer aux celtes tous leurs petits secrets. Ils aimaient les femmes, certes, mais je ne les croyais pas stupides à ce point !

« Quant à fuir, encore faut-il pouvoir… » soupirais-je finalement en m’allongeant sur le dos au côté de Belzé’, le regard fixé sur le plafond. « Je me disais que, peut-être, s’ils avaient des prêtres ou quelque chose de ce genre, ce serait moins risqué… mais encore faut-il que j’en trouve. Et qu’ils aient quelque chose d’intéressant à me dire. C’est pas comme si, nous, on allait baver nos tactiques aux sous-fifres hein ? » Je fis un geste vague de la main pour signifier mon désarroi. « Lilith me fait confiance… ça m’ennuie de ne pas trouver de solution satisfaisante » Car me mettre en difficulté n’était évidemment pas dans mes plans. Pas plus que de désobéir à la mère des succubes.

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Sans le faire totalement consciemment, je ramenais mes cheveux sur un côté pour mettre en valeur la ligne de mon cou. Il fallait croire que cela faisait parti de mes talents que de savoir me rendre encore plus séduisante que ma beauté (sur)naturelle. En même temps, sans me vanter mais un peu quand même, j’étais une succube vraiment douée. Et c’était bien pour ça qu’on m’avait envoyé aider l’autre handicapée du sexe, la dénommée Science. « En ce qui me concerne, je n’ai confiance en personne d’autres que ma mère, mes sœurs, et toi. Considère que c’est un grand honneur que je te fais » rétorquais-je car je n’étais pas loin de me méfier autant de nos alliés que de nos ennemis. Après tout, les coups dans le dos étaient bien plus vicieux que ceux donnés en face à face !

Au sujet de ma liste restreinte de personnes de confiance, on aurait pu se demander pourquoi d’autres démons ou Lucifer lui-même n’en faisaient pas parti… et ça aurait été une excellente question dont la réponse était pour les premiers que je ne les fréquentais pas aussi assidûment que Belzébuth et pour le second que j’avais toujours un petit souci d’allégeance en tant que créature du mal. Techniquement, je n’avais jamais trahi le Big Boss moi. J’avais été créée pour tester la fidélité des humains en jouant de mon charme et c’était ce que je faisais ! Et, en même temps, je considérais Lilith comme ma mère, et elle était du côté de Lucifer. Alors je restais le cul entre deux chaises. On va dire que ça le maintient ferme ! (Comme si j’avais à m’en soucier, hein?)

« Oui... » soupirais-je alors que nous parlions des celtes. « Avant tout ça, j’aurais été sûre de mon coup, mais maintenant... j’ai bien peur qu’ils veuillent plus ma tête que le plaisir que je peux leur apporter » Il m’était arrivée de profiter des guerres pour me nourrir. La luxure pouvait naître de la solitude des soldats… en tout cas dans les affrontements à l’ancienne. Mais les combats des hommes et ceux des dieux n’étaient pas du même niveau de dangerosité pour une petite créature dans mon genre. Très clairement, je détestais le contexte actuel.

Je souris à son compliment et lui effleurais le bras en une caresse sensuelle avant de lui souffler à l’oreille : « Tous les divins ne sont pas aussi sensibles que toi à mon charme ». J’accompagnais cette phrase d’un petit clin d’œil complice. Badiner me permettait au moins de prendre avec plus de légèreté le sujet de cette mission que je ne voyais pas d’un bon œil… même si je n’envisageais pas une seule seconde de ne pas la remplir. Il s’agissait d’une demande de Lilith !

Bien que Belzé’ ait sûrement raison au sujet des prêtres, j’étais loin d’être aussi confiante que lui sur ma réussite. Allongée sur le dos, je ne répondis rien, le regardant se lever dans une expression pensive. Bien que rarement avare de paroles, je n’étais pas du genre à m’épancher. Pas lorsque c’était vraiment important. Aussi avais-je l’impression d’en avoir déjà assez dit.

Je sortis de cette apathie momentanée à la dernière phrase de mon amant. Retenant le geste de me redresser trop brusquement, ce qui aurait dévoilé mes sentiments, je m’assis calmement, comme pour discuter plus à mon aise. Mon trouble avait déjà transparu lors de notre dernière rencontre et je ne tenais pas à ce que cela se répète. Que mon cœur éternel se serre d’angoisse à l’idée de perdre certains de mes proches dans cette guerre ne justifiait aucun atermoiement public. Restait à espérer que la légère lueur de panique dans mes yeux était passée inaperçue. « Contrairement à une idée assez répandue chez les mortels, je ne crois pas qu’il y ait de bon moment pour mourir… alors j’aimerais autant que par de brillantes tactiques nous parvenions à l’emporter sans nous mettre en danger » Le souci étant que nous nous y entendions assez bien côté démon et créatures malignes dans le domaine de la ruse et des coups bas, mais la moitié de notre camp était des anges, et ceux-ci étaient un peu crétin. Restait à espérer que ce ne soit pas à cause de ces boulets que nous finissions par être en difficulté… « Faire l’amour pas la guerre, c’est pourtant pas si compliqué sur le papier, non ? » dis-je en guise de plaisanterie pour effacer le spectre de tout ce qui m’effrayait.

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Une opinion assez commune à mon sujet prétendait que j’étais une créature superficielle. Cette idée naquit de mon amour immodéré des pierres précieuses, lui-même apparut suite à la mort de Lucrèce. J’avais toujours aimé ce qui brillait mais pendant la majeure partie de mon existence j’avais préféré ne pas accumuler les possessions matérielles pour privilégier des fuites aisées. Même ceux qui me connaissaient depuis ma création avaient tendance à occulter ce passé plus mesuré tant je mettais toute mon énergie à accumuler des richesses.

Moi-même, pourtant, je me considérais comme très maligne, avec une pointe de pragmatisme. Pour 95 % des gens, j’étais une bimbo blonde avec une cervelle de moineau… et il allait sans dire que c’était tomber dans mon piège que de le croire. En vérité, j’avais choisi cette carapace de pie charmante pour deux raisons : 1) la spiritualité féminine n’était plus à la mode depuis l’époque où la langue française avait décidé que l’accord de proximité était mort au profit de la dominance du masculin, 2) plus on paraît superficielle, moins il y a de risque d’attachement réel. Ainsi, laisser voir à Belzébuth celle que je suis vraiment – bien que j’attache de l’importance aux belles pierres devant lui – reste un fait exceptionnel. Comme chasser le naturel n’est pas si simple qu’on pourrait le croire, il est à supposer que je ne suis pas toujours aussi douée dans mon rôle que je l’espère. Ainsi, il serait mentir de prétendre que la mort de ma fille adoptive n’a joué aucun rôle dans les décisions que j’ai prise ces derniers mois. J’avais promis de ne plus jamais aimer, et je m’y étais tenu en ce qui concernait l’amour avec un grand A, mais je ne pouvais pas me cacher que j’avais été avec Charlotte plus aimante qu’avec tout autre. Peut-être même plus qu’avec Belzé’ pour qui j’ai des sentiments sincères tout amicaux soient-ils. Je ne faisais pas confiance facilement… mais je devais rester sur mes gardes pour ce qui était de mon cœur. Était-ce parce que j’avais été créée pour l’amour que j’étais aussi sensible ? J’aurais bien aimé pouvoir poser la question au Big Boss… sauf que tout le monde sait que même si j’y arrivais, il ne me répondrait pas.

« Ce n’est pas grave, j’avais juste besoin d’en parler... » je souris en coin avec un air annonçant la fin de mon atermoiement. Je n’avais, de toute manière, rien de plus à ajouter moi non plus. Nous pourrions en parler toute la nuit – or nous avons mieux à faire – que le danger auquel j’allais m’exposer ne deviendrait pas moindre. « … ce n’est pas comme si je pouvais me confier à Nathaniel, tu ne crois pas ? » Forcément, mon fiancé est humain et pas du tout au courant que je suis une succube qui me nourrit de lui par petite touche. Il croit toujours qu’il est fatigué à cause de son travail… c’est mignon, en un sens, la vraie naïveté.

Quant à fuir, je ne crois pas que ce soit possible face à un dieu au pouvoir offensif, mais je ne relève pas, me contentant d’approuver d’un petit signe du menton avant de repartir sur un badinage léger. Je dépose un baiser léger sur ses lèvres avant de répondre, sans me départir de mon sourire : « La pratique aide pas mal aussi. Aucune de mes sœurs ne connaît tes goûts aussi bien que moi... » Il m’était impossible d’exclure qu’il ait déjà fait appel à elles – après tout, nous pouvions passer des décennies sans nous retrouver – mais malgré un tempérament possessif, je n’en éprouvais pas de jalousie, car j’étais tout à fait certaine d’être celle qui savait le mieux comment plaire à ce Seigneur des Enfers-ci. Même les dieux et les créatures avaient leur préférence et je n’avais aucun doute quant au fait d’être au cœur de cible de Belzébuth. De toute façon, certaines de mes sœurs étaient trop meurtrières pour coucher avec des dieux… or, je me voyais comme plus addictive que mortelle. Chacune son truc. Et il allait sans dire que je reconnaissais du talent aux autres succubes, après tout, nous étions sœurs. La sororité était importante à mes yeux : il fallait bien quelques valeurs pour traverser l’éternité sereinement !

Il s’éloigne pour boire et la conversation reprend une tournure sérieuse. Nous avons toutefois déjà abordé, quoique plus vaguement, ces questions la dernière fois. L’entendre dire qu’il n’a pas l’intention de faire mourir son enveloppe me soulage pourtant d’un poids que j’ignorais posséder. J’avais détesté qu’il se mette en danger pour s’en prendre à un autre dieu et peut-être y avais-je vu inconsciemment une durée de vie limitée à son véhicule. Encore que je pouvais faire mon deuil de son corps actuel du moment que la disparition de son essence n’était pas définitive. Belzé’ restait Belzé’, mon très cher amant et ami, quelque soit son apparence. Je n’étais pas certaine que la réciproque soit vrai : une créature ne changeait pas comme le faisait les dieux mais si ça avait été le cas, ça aurait été une très mauvaise affaire pour les succubes ! Notre beauté est à peu près tout ce que nous avons, donc autant la garder ! « Ce véhicule n’est pas mal, c’est vrai » dis-je par taquinerie sans voir arriver le sujet des anges…

« Les anges sont juste des mal baisés » Ma remarque avait fusé, plus amère une fois passée mes lèvres qu’en pensée. J’avais été créée par le Grand Patron mais le fait était que les anges – en tout cas la majeure partie d’entre eux – détestaient les succubes. Nous représentions un des péchés capitaux, la luxure, et de ce fait nous étions forcément démoniaques. C’était à cause de leur comportement méprisant que nous nous étions retrouvées, mes sœurs et moi, dans le giron de Lilith. Notre mère comprenait l’injustice de notre situation et nous acceptait sans condition. Toutefois, ça n’avait jamais rien changé à notre position bâtarde de créatures mal aimées du Tout Puissant et de ses serviteurs. Heureusement que les divinités infernales sont moins sectaires que leurs comparses ailés ! Tâchant de mettre de l’ordre dans mes pensées, je me relevais pour répondre : « Ce que je veux dire c’est que s’ils étaient moins méprisants, nous n’aurions pas cette dissension dans notre propre camp. S’Il les avait laissé faire, les anges nous auraient détruits mes sœurs et moi depuis longtemps... » Je grimace et termine : « Lilith pense aussi qu’il va falloir se charger d’eux ». Il fallait toutefois admettre que je ne me sentais pas concernée. Que pourrais-je faire contre un archange ? Ce n’était pas le style à se laisser amadouer par mon physique angélique – il y avait même un vrai risque qu’ils le prennent comme une offense !

« Avec tous ces ennemis qui poussent comme des champignons, je commence à me demander si je ne devrais pas prendre des cours de self defense » Et je disais ceci avec beaucoup de sérieux malgré un ton indifférent. Parfois, il fallait savoir reconnaître que ses atouts n’étaient pas suffisants. Dans mon cas, j’avais toujours compté sur ma ruse et ma beauté pour survivre, mais c’était avant que les dangers se multiplient au point de m’acculer. Si ça ne me sauverait probablement pas face à un dieu puissant, un art martial quelconque aurait peut-être ses chances contre un prêtre ou une déesse des pâquerettes, non ?

D’ici-là, autant en revenir à mes points forts. « Surtout avec toi et moi dans la pièce » Je le regarde revenir près de moi avec une lueur malicieuse dans les yeux et l’enlace par derrière lorsqu’il se retrouve assez près la chaleur de sa peau contre la mienne. Pourtant, sa remarque montre qu’il ne perd pas le fil de la conversation, quelque soit la maîtrise dont je sais faire preuve. Parce qu’il me connaît bien évidemment mais aussi pour toutes les autres raisons déjà évoquées… « Je vous fais confiance... » ce « vous » l’englobant Lilith et lui, je ne m’avancerais pas trop pour les autres.

« Il s’est passé beaucoup de choses ces derniers temps… il faut croire que ça me travaille plus que ce que je pensais » Je pose la tête sur son dos, mes boucles chatouillant sa nuque. Ainsi, il ne peut plus voir quelle tête je fais. « Ma fille Charlotte est morte... » savait-il seulement que Charlotte existait ? Je ne m’en souvenais pas. Ce n’était pas un secret – et j’en avais parlé plus facilement que de Lucrèce à l’époque de la séparation – mais j’avais rarement l’occasion de parler de ça avec d’autres immortels. Je n’éprouvais aucune fierté de ma sensiblerie, au contraire, j’en avais honte plus que de tous mes autres défauts. « Évidemment, elle était âgée selon des critères humains… mais je crois que ça m’a rappelé de mauvais souvenirs » murmurais-je d’une voix qui aurait été inaudible sans le silence qui nous enveloppé. « Je crains la mort, la mienne ou celle des autres, plus que tout… c’est ridicule... » Comme une mortelle. Ou plus qu’eux. Car je savais d’expérience que la souffrance la plus grande était pour ceux qui restent.

Ce dernier aveu fait, je relâchais mon étreinte comme un signe qu’il pouvait se retourner s’il voulait. Je n’avais pas été certaine de la tête que j’aurais fait en prononçant ces mots, mais maintenant qu’ils étaient dits, j’étais certaine d’avoir repris le contrôle. Sauf peut-être de mes yeux. Ils sont toujours les derniers à se plier à ma volonté.

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« Note que la révélation de ce que je suis a un potentiel comique indéniable. Nate est persuadé de me contrôler… un manque de lucidité qui lui coûter cher, au sens propre comme au figuré » Mon fiancé croyait que, parce qu’il me donnait un budget quasi-illimité, je me plierai à ses quatre volontés. Un mirage que j’encourageais tout en usant de son assurance pour le manipuler. Nate était un brave garçon mais il était préférable qu’il ait jeté son dévolu sur moi plutôt que sur l’une des autres hôtesses du bar. Une humaine aurait été très malheureuse d’être fiancée à quelqu’un la considérant aussi peu là où, dans mon cas, chacun y trouvait son compte. Il me gâtait et me nourrissait, en échange je le laissais m’exhiber et exciter les jalousies de ses collaborateurs. Un deal honnête sur la base de dés pipés. « Mais bon, il est mon filet de sécurité, alors je vais le maintenir dans l’ignorance encore un moment » J’étais peu prompte à révéler ma nature, encore moins à des humains. Lucrèce l’avait su… mais autant que je puisse m’en souvenir, elle était la seule à qui j’ai confié ce secret.

La conversation passa, je ne sais trop comment, de Nate et moi à Belzé’ et moi. C’est ainsi que j’appris qu’il ne fréquentait pas d’autres succubes, chose à laquelle je ne m’attendais pas. Comme l’autre déesse coincée l’avait relevé – bien qu’avec un excès de mépris – Belzébuth était plutôt (très) porté sur les plaisirs de la chair… et nous autres, succubes, étions des pros dans ce domaine. « On est toutes différentes, c’est sûr » approuvais-je sans trop savoir quoi faire de cette révélation inattendue.  Toutefois, je n’étais pas du genre à chercher des réponses là où il n’y en avait peut-être même pas, aussi j’enchaînais avec ma vivacité d’esprit habituel sinon, les chevilles, ça va toujours, merci de vous en soucier. « Oh et bien, pour ce que j’en sais, certains de tes pairs n’ont pas ces scrupules. Certains convient même plusieurs succubes en même temps dans leur lit. Je ne mange pas de ce pain-là : deux personnes se suffisent, à partir de trois, il y en a toujours un qui est lésé » On notera que je n’avais aucune idée de pourquoi je me mettais à ragoter sur les habitudes sexuelles de certains démons… Il y aurait peut-être eu quelque chose à creuser au sujet de ma manière de réagir à cette partie de la conversation, sauf que ce n’était pas mon style. Dans la mesure du possible – et je devais admettre que c’était devenu difficile ces derniers temps – je vivais au jour le jour en veillant à ne surtout jamais me poser de question.

Laissant de côté mes propres digressions, j’en revins à notre propos malgré un cerveau plutôt en panne sèche. Heureusement, je pouvais compter sur des millénaires de badinage pour compenser ce néant momentané. « Tu sais que la nuit n’est pas encore assez avancée pour que je sois pleinement satisfaite ? » Par la grâce tous les démons de l’Enfer et du Big Boss je pus presque sentir mes neurones se rebrancher. Pfiou ! Faut pas me balancer des infos quand j’suis pas prête, ça perturbe ! Satisfaite d’avoir repris le fil, je décochais à mon amant un sourire tentateur.

On l’aura donc compris, je ne suis pas une grande fan des virages verbaux non contrôlés. Ce fut toutefois à mon tour d’en provoquer un lorsqu’il fut question des anges. On aurait pu croire à ma remarque que j’avais été éconduite par un ange, mais pas du tout (qui me connaissait savait que ce n’était pas mon style de jouer avec le feu). Je croyais simplement aux vertus d’une sexualité saine et mettait l’irritabilité des chouchous du Boss sur le compte de leur frustration. D’après moi, tout le monde irait bien mieux si les anges se lâchaient un peu. Ceci dit, personne ne me demandait mon avis, et ça m’allait très bien comme ça ! « L’avantage c’est qu’ils se croient tellement supérieurs qu’ils oublient que beaucoup de choses se jouent parmi les humains, y compris dans leurs vices. Sans enfer, pas de paradis, tout ça... » J’accompagnais mes paroles d’un geste de la main qui visait à montrer mon accord avec les paroles de Belzébuth sans avoir à le faire trop formellement. Bien sûr, ma position était claire : je suivrais ma mère dans tous ses combats. Le souci, c’était mon père, le créateur, le boss… il n’avait jamais été un grand fan des rebellions… même si la dernière remontait à très très longtemps. Peut-être que, comme après le déluge il était devenu miséricordieux, il prendrait moins mal cette fois-ci un combat interne dans nos rangs ? Eh ! L’espoir fait vivre !

Puis, par un nouvel enchaînement de mots et de situations, je parle de Charlotte. Autant m’étais-je effondrée après la mort de Lucrèce, autant je n’avais pas versé une larme pour ma fille. Plusieurs siècles s’étaient passés entre les deux, je m’étais endurcie. Et, surtout, nos adieux remontaient à bien avant sa mort. Lovée contre le dos de mon amant, je murmure : « Je ne l’ai même pas portée…  et pourtant je l’aimais vraiment ».

Puis, parce que j’avais besoin parfois de me souvenir que mon passage dans la vie de cette enfant n’avait pas été inutile, j’ajoutais : « Je l’avais bien élevée. Elle avait fini par me ressembler dans l’attitude, les mimiques… elle scandalisait tous les hommes qu’elle rencontrait ». La libération des mœurs à la fin des années 60 avait dû être une joie pour elle. Le fils de Charlotte était d’ailleurs né peu après, en 71. J’avais suivi toute sa vie de loin mais je n’en connaissais que les faits, pas les ressentis.

Dans un soupir, je lâche prise, aussi bien dans mon étreinte que dans mes sentiments. Mon aveu n’en est pas vraiment un, si ce n’est que jusqu’ici je ne l’avais jamais formulé aussi clairement. « C’est vrai, mais savoir que tu pourras toujours revenir s’il t’arrive quelque chose c’est très… réconfortant » Je replace une mèche derrière mon oreille pour poursuivre : « C’est déjà difficile de se remettre de la perte d’un être humain qu’on a aimé, je n’ose pas imaginer ce que ce serait... ». Je ne termine pas ma phrase. Le si c’était toi ne passe pas. J’ai repris le contrôle de mes expressions, ce n’est pas pour le reperdre. « Je ne suis pas assez altruiste pour me consoler en pensant au paradis. De toute façon, je n’ai pas d’âme, donc je n’irai nul part après la mort… je disparaîtrai, c’est tout » C’était en tout cas ce que prétendait la Bible. Et comme il n’y avait personne pour confirmer ou infirmer, j’avais dû me faire à cette idée. Dieu, vainqueur du grand prix du père absent. Il avait inventé le concept et le faisait fructifier depuis des millénaires. « Ceci dit, ce n’est pas dans mes projets. Carpe diem ! » Mon instinct de survie était plus fort que tout, jamais je ne cesserais de lutter contre un destin funeste.

Jugeant qu’il était temps de remettre un peu de légèreté à cette nuit, je laissais mes doigts frôler les joues et les épaules de mon amant et lui récitais : « Prodiguer des baisers sagement sensuels / Ayant le goût du miel et des roses ouvertes / Ou d’une aigre douceur comme les prunes vertes / À l’ami que bien seule on possède en secret ». Puis, suivant le sage conseil de la poète, je l’embrassais.

I love You & Me dancing in the moonlight

I love you and me Dancing in the moonlight. Nobody can see It's just you and me tonight. You know I got ya Ain't nobody got you like that. Ain't nobody gonna have your back like the way I do. Love me, just say you do. You know you got me. Everything I do, everything I did, Everything I wished I was will make me feel alright

« Oh pour l’argent, je crois qu’il le sait déjà. C’est le côté nourriture qui ne passerait pas. Comme beaucoup d’hommes, il a un très gros ego. Me chosifier ne le gêne pas mais il prendrait mal d’apprendre qu’il n’est pour moi qu’un moyen de subsistance » Un charmant moyen, je le concédais. Mes fiancés étaient toujours bien faits de leur personne car, si je pouvais tolérer de me nourrir du premier venu pour mes en-cas, quelqu’un que je devais voir tous les matins pendant parfois plusieurs années devait un peu plus correspondre à mes critères de beauté. Mon plus bel époux avait sûrement été le père de Charlotte, à moins que mes souvenirs ne soient faussés par l’affection que je portais à notre fille car, en vérité, c’était aussi l’un de mes mariages les plus courts… la faute à la guerre qui l’avait emporté.

Ayant ensuite repris le contrôle de mon cerveau suite à un dérapage incontrôlé, j’esquisse une moue dubitative. Certes, les humaines étaient moins dangereuses et plus faciles à conquérir qu’une succube mais elles étaient aussi forcément beaucoup moins douées que nous, les succubes. « Sauf que les humains ne sont pas très intéressants sur le long terme » surtout parce que leur long terme représentait un battement de cils pour nous autres immortels.

Je ris avec légèreté à sa remarque sur les parties à plusieurs. Je n’ai jamais douté que ce soit beaucoup plus son style que le mien ! N’allez pas vous y tromper, j’avais pratiqué cette activité à l’époque où les orgies étaient encore à la mode. Ces expériences m’avaient apprise que je n’y trouvais pas mon compte pour une raison bien simple : « Il y a sûrement des avantages, c’est juste que je préfère être le centre de l’attention. C’est là que je donne le meilleur de moi-même ! ». J’avais susurré ces derniers mots, mes doigts traçant des lignes imaginaires sur ma gorge et ma poitrine simplement pour rappeler à mon amant que je ne faisais pas que donner le meilleur, je suis la meilleure.

À ce stade de la conversation, nous aurions pu en revenir au badinage, mais si nous étions dans cette chambre pour la bagatelle, le tumulte du monde extérieur exigeait aussi de parler de ce qui s’y tramait. Nous avions des ennemis à l’extérieur et à l’intérieur de notre camp… si les premiers paraissaient inévitables, je me serais volontiers passée d’un remake de la Révolution dans nos rangs. Mais je n’étais qu’une créature, on ne m’avait pas demandé mon avis. Force était aussi de reconnaître que les anges cherchaient des ennuis depuis l’aube des temps. Leur mépris affiché pour tout ce que nous étions ne pouvait pas conduire à la paix… « Eux-mêmes sont moins vertueux qu’ils ne le pensent. La colère et l’envie sont aussi des péchés capitaux » Si je n’étais pas aussi remontée que certains contre le Big Boss, il m’était très facile de critiquer les anges. La plupart détestaient les succubes… « Mais que nous ne fassions pas front commun ne va pas poser problème face aux panthéons des anciens dieux ? S’ils sont unis, ils risquent d’être plus nombreux que nous…  on a un plan pour faire face à cette éventualité ? » Suis-je stressée ? Un peu, il faut l’admettre. J’étais une créature prudente qui ne se définissait pas par son goût du risque, loin s’en faut.

Et c’est sûrement cette inquiétude latente qui me conduit aussi à évoquer Charlotte, ma défunte fille. « C’est sûrement mieux que tu ne l’aies pas croisée, elle t’aurait sûrement un peu trop plu... » plaisantais-je en relâchant mon étreinte alors que mon visage reprenait son expression habituelle, soit un léger amusement teinté de provocations à peine voilées. « En d’autres circonstances, je t’aurais donné raison… mais c’est la première fois que nous avançons à visage découvert, que les humains savent que nous existons. Ça change la donne car ce n’est plus juste une guerre d’influence entre nous et les autres panthéons, pour la première fois, les mortels font des choix conscients » Et, je ne vais pas vous mentir, j’étais à peu près sûre que leur choix me concernant inclurait un bûcher pour sorcellerie.

Toutefois, nous pouvions encore faire des choix, et je fais celui de la distraction. En effet, pour tout un tas de raison – dont mon fiancé - nous ne pouvions que rarement nous dégager une nuit entière rien que pour nous deux. Il était par conséquent nécessaire que nous en profitions aussi à notre manière, et pas juste pour préparer des plans plus ou moins concrets pour l’avenir. Ou pour ressasser le passé dans mon cas. Je me laisse attirer vers lui, mon sourire sur ses lèvres. « Tu sais bien que je préfère mille fois cette activité là » Puis, tout naturellement, je l’embrasse de nouveau à mon tour. La poésie c’est bien, l’action c’est mieux.

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« Mis à part toi, tous mes amants le croient… on sous-estime toujours les belles femmes » remarquais-je sans trace d’amertume dans la voix. Qu’on me pense plus bête – ou moins utile -  que je ne l’étais avait toujours tourné à mon avantage : je n’en plumais que plus facilement mes pigeons. Mais même parmi mes amants immortels, je crois en toute sincérité qu’aucun d’entre eux n’a autant conscience de mes capacités que Belzébuth. Mon super-pouvoir était ma beauté et, à ce titre, on ne voyait généralement qu’elle… confusion que j’encourageais par mes actions, usant et abusant de mon charme céleste auprès de mes conquêtes. Le fait que je ne sois pas dangereuse à proprement parler, encore moins pour les dieux, renforçait cette image de beauté fragile que n’importe quel homme, immortel ou non, pensait pouvoir facilement posséder. Les femmes étaient souvent moins dupes, mais à partir du moment où je parvenais à les entraîner sur le terrain de la séduction, elles avaient alors des réactions assez similaires. Je laissais toujours croire qu’on me dominait parce que c’était le meilleur moyen pour une créature aussi faible que moi d’avoir le pouvoir. Bien entendu, Belzébuth était une exception parce qu’il me connaissait mieux. Nous étions dans le même camp et nous étions amis, s’il pouvait être charmé, il n’était pas dupe. Cela allait en quelque sorte de soi : on ne pouvait établir une relation de confiance avec quelqu’un qui nous sous-estimait et/ou qu’on manipulait, n’est-ce pas ?

« Peut-on vraiment parler de conquête alors que tu les gagnes sans combattre ? Elles tombent comme des mouches » le taquinais-je ensuite alors que nous savions tous les deux que, de par ma nature, j’avais encore moins à me fouler que lui pour conquérir les cœurs. « Avec moi, au moins, il y avait un peu de challenge » Je n’étais certes pas difficile à avoir mais je l’étais à garder, or nous avions une relation plutôt stable à l’échelle de gens comme nous. Belzébuth était le seul de mes amants divins que je laisse – avec plaisir – revenir régulièrement dans mes bras. Il ne me lasse pas, et il n’y a pas non plus de rapport de domination malsain entre nous. Je ne songe pas ici à ce que j’évoquais plus tôt mais bien au fait que, parce que je suis par nature peu apte au combat, certains dieux ne me laissent pas d’autres choix que de leur céder. Je l’ai déjà dit, je déteste m’attirer des problèmes. Ma sécurité passe avant tout ! Ces amants-là, toutefois, je n’y revenais pas, de même que ceux avec qui c’était amusant une fois mais pas plus. Je m’amusais d’un rien et me lassais tout aussi rapidement. C’était d’autant plus vrai depuis la perte de mon grand amour, cependant ma relation avec Belzébuth était plus ancienne : même si ça me faisait mal de l’admettre, je m’y étais attachée à mon démon séducteur. Bien qu’il le sache très probablement, je me gardais bien de le dire avec trop de clarté. Son ego n’avait vraiment pas besoin de ça !

Revenant à des sujets plus sérieux – là encore, il ne fallait pas se fier à nos réputations, nous étions capables de tenir des conversations autorisées aux mineurs de temps en temps – je ne pus empêcher un haussement d’épaules. Si ce que disait mon démon préféré était vrai, la prudence voudrait qu’on ne se montre pas trop confiants. Les autres dieux pouvaient très bien réaliser leur erreur à un moment ou à un autre et se liguer contre eux, le panthéon dominant depuis des centaines d’années. « Je suis d’accord sur le fait qu’ils sont belliqueux… ceci dit, ils ne sont pas stupides. Si un jour ils raisonnent plus avec leur cervelle qu’avec leur ego, on est mal » Nous n’avions que les Nouveaux Dieux comme alliés et la seule que j’eusse rencontrer ne m’en avait pas donné une image très… convaincante. Bon. À sa décharge, les nanas coincées n’avaient jamais été mon genre.

Quant à m’inclure dans ce « on », que j’avais pourtant aussi utilisé, je ne savais pas… autant être dans une merde noire à cause des conflits, je l’imaginais très bien, autant je me voyais mal affronter un panthéon païens. Encore une fois, mes sourires avaient leur limite sur un champ de bataille. Vraiment, il allait falloir que je me mette aux arts martiaux. « On a toujours autant d’influence ? J’ai du mal à me rendre compte… » fut ma question. En effet, je vivais en Angleterre, mais j’étais aussi souvent en France, et j’ai l’impression que notre domination a pris du plomb dans l’aile depuis la Grande Révélation. Les celtes, encore eux, ont d’ailleurs commencé à prendre leurs aises sur certains territoires.

Heureusement, ces derniers points réglés, nous repassons à la partie plaisante de notre entrevue. Les mains d’abord nouées sur sa nuque, je l’embrasse. Mes cheveux frôlent sa peau dans un rideau blond avant que ce ne soit une de mes mains qui se déplacent pour tracer un chemin tentateur vers son torse. « Heureusement que nous avons encore le temps » remarquais-je avec légèreté, car il fallait en profiter, nous ne savions pas quand nous retrouverions un moment aussi intime et tranquille – et résister à l’envie de se sauter dessus dans des lieux publics, c’était amusant seulement cinq minutes.

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« Roh… quand tu dis ça comme ça, on pourrait croire que je suis difficile ! » Ma remarque se ponctua d’un rire joyeux et sonore. « Je sais juste ce qui me plaît... » je m’approche et lui dépose un rapide baiser avant de m’éloigner vivement, par jeu. « Ou pas ! » Un clin d’œil et je roule sur le lit. C’est parce que nous sommes capables de nous amuser ainsi que Belzébuth et moi sommes devenus proches. Mon pouvoir me permettait de me nourrir facilement, mais telle l’Hélène des légendes grecques, il faisait aussi de moi un objet de convoitise. On ne m’aimait jamais pour ce que j’étais et si je trouvais toujours à rire, c’était plus souvent de mes amants qu’avec eux. Trop d’hommes et de femmes évacuaient la maxime populaire disant que femme qui rit est déjà à moitié dans son lit : je suis désolée, mais moi, quand je ne m’amuse pas, c’est que je m’ennuie ! Et c’était tout sauf sexy !

Par la force des choses, je retrouve mon sérieux. Pour ceux qui nous connaissaient lorsque nous étions tous les deux – mes sœurs, quelques démons – il était probablement inimaginable que nous puissions être sagement en train de discuter de trucs aussi importants que la place de notre panthéon, les conflits en cours ou de la stratégie. Mais ça, c’était juste parce que s’ils étaient là, c’est que nous étions en public. Je ne peux pas le certifier concernant Belzé’ mais, moi, quand je dois me frustrer, je deviens intenable. La patience n’était pas mon fort. Puis ils se moquaient peut-être aussi de nous juste parce qu’ils étaient jaloux. Une amitié avec avantage qui durait dans le temps, au sein d’un panthéon, c’était précieux. Je n’aurais pas été étonnée d’apprendre qu’on nous enviait.

« Je ne suis pas inquiète... » Ou peut-être un peu, mais ce n’était pas le sens profond de mes remarques. « C’est plutôt que je déteste avancer dans le flou. Bien sûr, je suis peu apte à la guerre, et c’est un problème, mais si nous avions plus de cartes en mains, je pourrais me préparer, trouver une parade. Comme souvent dans notre camp, le souci c’est l’absence de communication. S’il y a un plan d’ensemble, on ne nous l’a pas fourni. Et ça manque » J’étais tout en bas de la chaîne alors je pouvais admettre que moi je ne sache pas tout, sauf que j’étais quand même une succube plutôt bien entourée. Je voyais souvent ma mère, je fréquentais épisodiquement Belzébuth et, que je le veuille ou non, j’étais toujours celle qu’on appelait pour les missions séduction – un jour mes sœurs me paieraient leurs absences opportunes. Les dieux devraient être au parfum, non ? L’omniscience, c’était sensé être un concept divin aux dernières nouvelles ! J’avais besoin, pour être rassurée, de savoir vers quoi j’allais. Sauf que personne n’était en mesure de me le dire. Voir plus haut mon rapport à la frustration : je détestais cette situation.

« Les humains ont le choix maintenant… il est bien possible que les préceptes du Big Boss soient un peu trop austères pour ce siècle, et tous ne penseront pas à se tourner vers vous, la face libertine de notre panthéon » Il ne fallait pas croire : j’y avais bien réfléchi. Même si j’avais été réellement blonde – ma couleur naturelle tirait plutôt sur le châtain, une couleur plus chaude, presque chocolat au lait – et que les préjugés sur toutes les Marilyn de ce monde étaient exacts, il n’y avait pas besoin de sortir de Saint Cyr pour voir ce que notre panthéon avait de rebutant. Si on voulait aller au paradis, les règles étaient simples mais impitoyables : pas de sexe hors mariage, et de préférence jamais pour s’amuser, pas de contraception donc, et de la bonté, de la charité, du bon sentiment dégoulinant à s’en étouffer. Même le « tu ne tueras point », s’il avait à mes yeux une certaine logique, avait ses limites : quid de la guerre ? Nous savions tous qu’il s’agissait de l’un des passe-temps favori des êtres humains depuis que le monde était monde.

Toutefois, ce n’était pas parce que nous étions capables de tenir une conversation sensée qu’il nous fallait oublier les priorités… à savoir lui, moi et un lit. Il n’y a pas besoin de beaucoup insister pour que nous laissions de côté le reste du monde pour nous concentrer uniquement sur nos activités présentes. Quelques baisers, et c’est reparti pour un tour ! J’en suis bien aise, évidemment et non, je ne ferai pas de rime douteuse, même si c’est tentant. Après avoir donné le meilleur de moi-même – et ne me faites pas l’affront de penser que ce n’est pas toujours le cas – je m’étire comme un chat. Un peu essoufflée moi aussi, je reste allongée sur le dos un moment puis je prends mon téléphone en me penchant vers l’une des tables de chevet car je réalise que j’ignore jusqu’à l’heure qu’il est. Je sais qu’il fait encore nuit grâce à la vue seulement partiellement obscurcie que nous avons à travers la fenêtre, seulement il me semble important de savoir où nous en sommes, ne serait-ce que pour ne pas être déçus par un cruel manque de temps. Quoique, on peste toujours contre lui quand il file alors qu’on s’amuse, pas vrai ? « Hum ? Non, non » répondis-je distraitement avant de réaliser que nous ne parlions pas de la même chose. J’avais évidemment veillé à ne pas venir ici sans m’être nourrie, puisque je ne croquais pas les dieux, surtout pas les amis. « Ah ! Pardon, je n’y étais pas. Je vérifiais l’heure et j’ai vu un message » Sans grande importance, mais une fois devant, ça ne m’avait pas coûté plus cher de le lire. « Puisque c’est si gentiment proposé – et gratuit pour moi – je vais me prendre quelque chose de sucré » J’attrape la carte tout en reposant mon téléphone et la parcourt du regard. « Oh tiens, ce n’est pas trop de saison, mais pourquoi pas une coupe glacée au chocolat » Avec de la chantilly et beaucoup de chocolat fondu. Si manger de la glace en hiver restait agréable dans une chambre chauffée, je ne soupesais pas l’option des fraises : hors saison, elles n’étaient pas assez sucrées. « Et toi ? Qu’est-ce qui te tente ? » Je me penchais pour me mettre contre lui afin qu’il puisse lire en même temps que moi. Afin que mes cheveux ne le chatouillent pas, je les avais ramenés de l’autre côté. Je lui aurais bien proposé de se prendre quelque chose qu’il mangerait sur moi, mais cela aurait été faire honte à son imagination. Il n’avait pas besoin de moi pour tout ce qui était un peu coquin, sauf à les lui inspirer. Plus sérieusement, reprendre des forces était aussi une nécessité, toute créature et dieu que nous soyons, aussi je laissais-je tranquillement choisir, profitant d’un instant de calme entre conversations et câlins.

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Effectivement, il avait raison, je savais toujours ce que je voulais. En général c’était à la fois très simple (du sexe satisfaisant, des jeux et des pierres précieuses) et très compliqué à obtenir (étrangement, ce n’étaient pas les diamants que j’avais le plus de mal à trouver…). Je me souvenais peu de mes débuts en tant que succube, de ma création, avec les millénaires tout était devenu très flou. Une chose demeurait toutefois, j’avais toujours eu à cœur de satisfaire mes besoins et me donnait les moyens de mes ambitions. Notez que mes sœurs aussi, c’était un trait que nous avions en commun, sauf que pour certaines d’entre elles s’amuser rimait avec tuer.

« Si tu parviens à avoir des informations, je veux bien, merci » Je lui adressais un sourire. Loin de moi l’idée de vouloir faire ma capricieuse, mais les incertitudes jouaient beaucoup sur mes angoisses. « Lilith fera toujours de son mieux pour nous protéger – et sans fausse modestie, surtout moi – mais c’est toujours plus facile de se défendre quand on sait ce qu’on doit affronter. Si j’avais su que le monde partirait à ce point vers du n’importe quoi, j’aurais séduit plus de dieux » Entendons-nous bien, je ne considérais pas avoir séduit Belzé. J’induisais dans ce terme une manipulation qui n’existait pas dans ma relation avec le seigneur des mouches. S’il était présent et que j’étais en danger (je rappellerai à ce sujet qu’on ne vit pas dans le même pays donc bon…), je n’avais aucun doute quant au fait qu’il m’aiderait. Néanmoins, nous étions trop proches pour que je le considère comme un pion remplaçable. Ce que je regrettais donc, ici, c’était de ne pas avoir de plus grosses cartes à jouer : ma stratégie d’éviter de me jouer des dieux était en train de se retourner contre moi. Mon instinct de survie avait été mal inspiré. Bon, ceci étant dit, comme je n’étais pas devin, mes conclusions d’alors restaient valides. On ne se jouait pas des dieux comme des humains !

Bien entendu, nous ne pouvions nous perdre indéfiniment dans des conjonctures sans fondement alors que nous étions surtout venus pour nous retrouver, juste tous les deux, loin de la tourmente. Le soleil n’ayant pas encore remplacé la lune au-dehors, nous profitons de notre parenthèse. J’ai toutefois des obligations sous mon identité de couverture qui m’oblige à jeter un œil rapide à mon téléphone. Il faudrait que je m’en occupe mais ne considérait pas ce que j’avais lu assez important pour le partager avec Belzébuth. Pour être honnête, je doutais que le démon apprécie l’humain s’il le rencontrait. Nate n’était pas aussi désagréable que d’autres de mes anciennes conquêtes humaines, sans quoi je n’aurais pas accepté de me fiancer avec lui, mais on ne pouvait pas dire qu’il me traite bien non plus. Ce qui n’avait rien de choquant si on considérait qu’il pensait être le maître d’une ex-hôtesse dont il payait les charmes pour qu’elle reste avec lui. C’était plus de l’arrogance que de la méchanceté. Pour sa sécurité, il valait mieux que Nate reste loin des démons qui tenaient à moi, juste au cas où, par prudence. J’étais bien placée pour savoir que les dieux ont leur coup de sang, ce serait dommage que mon fiancé si pratique en fasse les frais parce qu’il faisait une crise d’autoritarisme devant plus puissant que lui !

M’intéressant à la carte, je choisis du sucré et devine au contenu de la commande de Belzébuth vers quoi penche ses projets. Je souris mais ne commente pas. Lorsqu’il se lève, je le regarde et dit : « J’irais après, c’est plus sage ». Je ponctue cette remarque d’un clin d’oeil. Dans l’optique de se reposer, mieux valait qu’on ne soit pas tous les deux dans une cabine de couche, vous voyez ?

Je profitais de l’absence de mon démon préféré pour reprendre mon téléphone. Me levant, je rejoins la fenêtre pour regarder le ciel d’un air absent pendant que la tonalité sonne à mon oreille. « Tu as essayé de me joindre ? » dis-je quand Nate décrocha. « Tu es où ? » Je me retiens de soupirer. « Tu le sais très bien, je suis avec une partie de ma famille à Istanbul » Au cas où on nous croiserait ensemble, j’avais fait d’Arthur un cousin. Dans mon histoire familiale inventée, j’avais beaucoup de cousins/cousines mais pas de parents. Ils étaient mes excuses pour aller voir Lilith et remplir mes diverses missions. En général, Nate s’en fichait, mais je m’étais beaucoup absentée dernièrement. « Quand est-ce que tu rentres ? » Toute cette conversation manquait de romantisme mais bon… je n’étais pas foncièrement fleur bleue. Heureusement. « Demain. Il y avait une urgence ? Il est tard tu sais... » Ou tôt, ça dépend de quel point de vue on se place. Il y a un silence à l’autre bout de la ligne. Bien entendu que non, il n’y a pas d’urgence. Mes déplacements l’inquiètent seulement car il croit perdre le contrôle sur moi. Il faut dire que ma venue à Istanbul était ma récompense pour avoir collaboré avec Science, donc je n’avais pas utilisé la carte de Nate pour payer l’avion. Mon fiancé n’était pas stupide, il savait que j’étais avec lui pour son argent. Que je ne l’ai pas dépensé cette fois l’angoissait. C’était presque mignon. « Non… je voulais juste vérifier » finit-il par dire à contrecœur. « D’accord, et bien tu sais maintenant » Nouveau silence. « Tu étais avec qui au fait ? » Je souris, amusée par sa mauvaise foi. « Un cousin. Il ne pourra pas venir au mariage alors je voulais passer un peu de temps avec lui » En vérité, Belzé n’avait même pas eu d’invitation. Je lui en avais faite une pour la galerie mais ne la lui avait pas donnée. Il avait mieux à faire et n’aimait pas autant les mariages que Lilith. « Écoute, Nate… je te raconte demain, ok ? Je vais aller me recoucher » Et, surtout, Belzébuth n’en aurait pas pour très longtemps à se doucher. Nate protesta, je coupais court, baillais, et raccrochais. Pour faire bonne mesure, j’éteignis complètement mon téléphone.

Je me retournais vers la porte de la salle de bain, pour voir si mon amant avait fini ou non. À cause des hésitations de Nate, cette conversation avait un peu trop traîné à mon goût…

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Amusée, je souris et déposai un baiser sur sa joue pour lui répondre : « Mon preux chevalier démoniaque en blouse blanche ». Bien entendu, je plaisantais. La majeure partie du temps, j’arrivais très bien à me débrouiller toute seule. Faire appel à Belzébuth pour régler mes problèmes domestiques ne me traverserait jamais l’esprit par exemple, même si je me doutais qu’un sort peu enviable aurait attendu ceux de mes ex-maris ou ex-amants qui avaient un jour levé la main sur moi… Je pensais évidemment que Lilith leur accorderait une attention douloureuse identique si elle l’apprenait. Pleine de mansuétude, je m’arrangeais donc au maximum pour ne pas avoir à passer par eux. Des hommes prêts à se battre pour moi, il y en avait quelques uns, et j’étais plutôt maline… raison pour laquelle j’avais toujours veillé à garder des rapports sains avec les divinités, sans trahison ni manipulation. « Mais tu as sûrement raison, j’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas que je titille trop la possessivité des dieux : je préfère des cages dorées desquelles je puisse m’échapper » Dure était la vie des jolies choses fragiles comme moi… surtout en ce moment.

Nous finîmes par laisser de côté ces tracas et Belzé’ m’annonça qu’il allait prendre une douche. Si je ne le suivis pas surtout pour économiser notre énergie respective, je profitais de son absence pour régler une affaire en suspens. La technologie moderne était très pratique à certains points de vue : avant l’invention des avions et des TGV, je n’aurais jamais pu faire autant d’aller-retours entre Londres, Istanbul et Paris. Toutefois, pour moi qui avais fait de l’amour que je suscitais mon fond de commerce, les nouvelles technologie me rendaient aussi un peu trop disponible. Il m’arrivait de regretter l’époque où, quand je partais, j’étais injoignable.

La conversation avec Nate me tendit, moins par son contenu que par son absence. S’il avait eu quelque chose à me demander, je n’en aurais pas fait grand cas, même pas à cette heure indue de la nuit. Je ne m’inquiétais pas outre mesure car la jalousie était un sentiment que je connaissais bien – je l’éprouvais aussi parfois – et que je pouvais gérer… mais peut-être avais-je déjà bien trop de choses à gérer, justement, pour avoir envie de m’occuper des états d’âmes de Nate.

Belzébuth refit son apparition quasiment dès que je raccrochais. Dans ma tenue d’Eve, je me tournais vers lui, téléphone éteint toujours en main. Mon sourire ne montait pas jusqu’à mes yeux mais je savais que ce n’était l’affaire que de quelques secondes, le temps de passer à autre chose et de reléguer Nathaniel aux problèmes dont je m’occuperais à mon retour sur Londres. « Hum… oui et non… mon futur mariage risque d’être plus éphémère que prévu… » Je m’approche de Belzé et pose nonchalamment une main sur son épaule, la tête légèrement penchée sur le côté tandis que je réfléchis à la situation : « Il veut déjà surveiller tous mes faits et gestes… plus ils sont riches et plus ça leur arrive vite. Cela dit, si je ne cherchais pas à le plumer, je m’en serais déjà débarrassée... » J’espérais que ce n’était qu’une phrase due à mes nombreuses absences de ces dernières semaines car sinon le temps qu’il restait avant que je puisse toucher le pactole en cas de divorce ou de décès allait me paraître très long – les contrats de mariage, voilà encore une invention qui ne me manquait pas. Mon mode de vie me correspondait jusqu’à un certain point : je n’étais pas un oiseau à rester trop longtemps enfermé.

Je secoue la tête, laissant ce sujet de côté. Me hissant légèrement sur la pointe des pieds, je dépose un baiser sur la joue de mon amant pour lui dire : « Je vais à la douche, le room service ne devrait plus tarder ! » Je posais mon téléphone sur le guéridon se trouvant près de la porte de la salle de bain. Ma douche est assez rapide mais je la prends très chaude. À rester nue près de la fenêtre, j’avais eu un peu froid… il faut dire que je n’avais pas imaginé de prime abord que la conversation traînerait à cause des blancs que laissait Nate. Je m’enroule dans une serviette, mes cheveux relevés par une barrette : la mauvaise impression que m’avait laissé le coup de fil a disparu et je me réjouis déjà d’être là. « Je suis revenue ! » claironnais-je en pénétrant, sourire aux lèvres, dans la chambre.

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Je souris avec bonne humeur aux paroles de mon cher amant car je sais très bien, en effet, qu’il n’y a aucun risque qu’il cherche à m’accaparer. Pour commencer, il est probablement plus lucide que la plupart des hommes – dieux compris – sur les dangers de vouloir garder pour soi seul une succube. Nous pouvons être d’une compagnie charmante, je ne dis pas le contraire, mais nous devons aussi nous nourrir… et si l’acte est agréable, c’est un coup à finir sur les rotules. Mon garde-manger vivant actuel, à savoir mon fiancé, n’est d’ailleurs pas ma seule source d’énergie pour cette raison précise. D’autant qu’il est humain et a donc, naturellement, moins de résistance qu’un dieu ou une créature. Et mieux vaut ne pas nous affamer, nous sommes beaucoup moins sympathiques lorsque nous avons faim ! L’autre raison, c’est que Belzébuth est un Don Juan qui enchaîne les conquêtes avec presque autant de rigueur que moi – sans l’excuse de la survie. Je crois qu’il sait qu’au fond je suis possessive, et qu’il n’est dans l’intérêt de personne de titiller cette part de moi qui, par ailleurs, se fiche pas mal de ce qui se passe lorsque je suis à des milliers de km. Être lucide quant à mes limites est l’une de mes grandes qualités, aussi mes défauts ne posent-ils aucun problème, mais je ne pourrais pas vivre en permanence au même endroit que mon démon préféré. Pas plus que je ne tolère très bien de voir Lilith en même temps que mes sœurs. La jalousie est un vilain défaut et blablabla… Zut hein, je suis une créature du mal !

Quant à m’enfermer pour ma survie, je n’arrivais à imaginer aucun cas où cette situation se présenterait, aussi en plaisantais-je : « Tant que tu me prévois un casse-croûte ». J’étais une succube prudente, et j’avais probablement plus d’ennemis de par mes liens qu’en mon nom propre. J’y avais veillé en étant toujours respectueuse envers les autres créatures ainsi qu’avec les divins. Bien sûr, l’époque était inédite, je ne pouvais jurer de rien, mais pour que mes êtres chers décident que la seule solution pour me garder en vie serait de me tenir cachée, c’est que la situation nous aurait bien échappé. Je craignais bien plus une attaque surprise, une échauffourée imprévue qui mettrait à mal mes faibles compétences guerrières… raison pour laquelle j’allais devoir, bon an mal an, apprendre à me battre.

Bien que cette idée soit au cœur de mes préoccupations, je m’en détache d’abord pour profiter de l’étreinte de mon amant puis pour l'appel plus bassement terre à terre de mon pigeon. Chose que j’explique à Belzébuth dès sa sortie de la douche, sans en éprouver de la gène. Nate me contrarie, je l’admets, mais ce sont les risques du métier si je puis dire… Pour amasser les belles pierres et autres cadeaux clinquants, je faisais tomber amoureux de moi mes proies au lieu de les tuer. Ce sentiment pouvait être pur et désintéressé, je le savais pour avoir moi-même aimé, néanmoins il contenait parfois une face plus sombre. Un besoin impérieux de me posséder qui dépassait le désir de me plaire. Une possessivité autrement plus dangereuse que la mienne car elle était aveugle à la raison. « Honnêtement, je crois que tu ne l’aimerais pas » Nate me considérait trop comme un objet. Son manque de respect et sa légère brusquerie ne me dérangeait pas du moment qu’il me nourrissait à son insu et que mon compte en banque restait plein, mais j’étais à peu près certaine que personne dans mon entourage, y compris mes sœurs, ne l’apprécierait. Étonnamment, ma légèreté de caractère me rendait plutôt patiente avec autrui, car je me formalisais de peu de chose. Tout le monde n’était pas si tolérant : et en même temps nous étions tous et toutes des démons ou assimilés, l’enfer n’était pas précisément le monde des Bisounours ! « Mais ce n’est qu’un humain » ajoutais-je car cela expliquait tout : j’avais beau être plus faible que bien des créatures, je pouvais quand même me défendre contre un simple mortel isolé.

Après ma douche, je me sens ragaillardie. Ça aussi c’est le bon côté d’être une succube, je me remettais vite des fatigues coïtales. « Oui, je suis bien réchauffée maintenant » Je m’approche de la nourriture et trempe le bout de mon index dans la chantilly sans façon. Alors que Belzé’ m’embrasse la nuque, je suce la douceur sucrée sur mon doigt d’un air tout sauf innocent. Ce n’est qu’après cette petite provocation sans équivoque que je réponds : « En effet, il faut savoir faire durer le plaisir... ». Lui prends une pomme et s’en amuse. Il est vrai que la banalité de ce fruit interroge au vu de sa place dans les mythes : notre fruit défendu, la pomme de discorde des grecs… Sans parler de la fameuse pomme de la sorcière de Blanche-Neige. La pomme canalisait bien des haines et des défiances. Étant revenue face à mon amant, je croquais à mon tour dans le fruit qu’il tenait pourtant. Une toute petite bouchée, juste pour le jeu. Dès qu’elle est avalée, je passe la langue sur mes lèvres d’un air matois : « C’est son côté croquant qui fait son charme, une banane eut été plus phallique mais tellement moins… dure ? ». Sans compter que 1) les bananes en occident à l’époque… je sais bien que c’était le paradis perdu etc, mais quand même, la pomme paraissait plus évidente et 2) un fruit rond permettait d’incriminer les femmes plus facilement. Maintenant, est-ce que j’amenais la conversation sur ce terrain plus par plaisir de provoquer que pour alimenter la conversation ? Nul ne peut le prouver…

I love You & Me dancing in the moonlight

I love you and me Dancing in the moonlight. Nobody can see It's just you and me tonight. You know I got ya Ain't nobody got you like that. Ain't nobody gonna have your back like the way I do. Love me, just say you do. You know you got me. Everything I do, everything I did, Everything I wished I was will make me feel alright

« Ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète : tu es sans conteste la part la plus physique de notre binôme infernal » Même si d’aventure je mourrais de faim au point d’essayer d’aspirer l’énergie de Belzébuth, il saurait me repousser. C’était tout le problème, remarquez, car ma faiblesse notoire était ce qui rendait un scénario catastrophe presque crédible. Sans doute que d’autres de mes sœurs seraient en mesure de ligoter mon seigneur des enfers préféré… mais c’était aussi peut-être ce qui n’avait pas attiré mon amant dans leur lit plus d’une fois ou deux. Le risque de se faire tuer n’était pas aussi excitant qu’on le croit sur la durée. Et si j’étais la plus faible, je me targuais – à tort ou à raison – d’être la plus sympathique.

Je me targue aussi d’être assez maline sous mes airs superficiels. Mon mariage avec Nate connaîtrait sûrement un jusqu’à ce que la mort nous sépare précoce, mais je saurai gérer. « Je partirai dès que j’aurais un plan B – et mon héritage, cela va de soi. D’ici là, je ne vois pas ce qu’il aurait à redire quant au fait que je passe du temps avec mon charmant cousin » fis-je en guise de plaisanterie puisque c’était ainsi que j’avais présenté l’existence d’Arthur dans ma vie. C’était d’autant plus drôle, à mon sens, que si mes liens familiaux avec d’autres Monothéistes tel que Lucifer ou n’importe quel ange étaient flous, je n’en avais strictement aucun avec Belzébuth. « Cela ne l’excuse pas mais ça le rend moins dangereux. Même si je suis plus taillée pour l’amour que pour la violence, je saurais toujours me débrouiller face à un mortel tout seul et sans pouvoir » je l’avais déjà fait avec quelques amants violents car il y avait eu des périodes, avant l’invention de l’aviation, où je dus me défendre seule car tout le monde était loin ou occupé, où je vivais seule. Arnaquer les gens comme je le faisais n’était pas tout à fait sans danger, sans parler de la passion que je suscitais. Il m’était arrivé de tuer, pas de gaîté de cœur ni avec autant d’aisance que le ferait Leora, mais mon inexpérience à ce propos n’était pas totale. J’avais l’air d’une oie blanche, je n’en étais pas une. Nate ne m’inquiétait donc pas outre mesure, contrairement aux déicides et aux autres panthéons qui voulaient sûrement notre peau à tous.

Je pars à la douche et en revient revigorée. Même s’il fait celui qui ne prend pas, je sais très bien qu’il a remarqué mon manège et s’en amuse déjà. « Exactement, le plaisir qu’on donne… et le plaisir qu’on prend » Puis, ayant terminé la chantilly sur mon doigt, je me penche sur cette question de pomme. Ou de banane puisque c’est l’alternative qui me vient – n’allez pas confirmé que j’ai l’esprit mal tourné, je suis une succube : l’incarnation de l’obscénité… quand j’en ai envie du moins. Et pour le moment il n’était encore question que de fruit, ce que je trouvais plutôt sage au fond nous connaissant. « Mon esprit est uniquement tourné vers toi voyons, je ne vois pas du tout ce qui te laisse penser le contraire... » un éclat amusé enflamme mes prunelles azures. Puis, je fais mine de m’inquiéter, m’approche de lui et pose la main sur son front. Je rappellerai à toutes fins utiles que je suis toujours vêtue d’une serviette de bain qui, bien qu’accessoire, cache toujours une partie de tout ce que Belzé’ connaît déjà fort bien. « Tu te perturbes de pas grand-chose, tu n’aurais pas de la fièvre par hasard ? Si tu as besoin de te refroidir, il y a de la glace tu sais... » Après les pommes, les bananes, voici venu la glace : vous pensiez vraiment qu’on avait fait monter à manger seulement pour nous sustenter ? C’est mal nous connaître. On est assez mal élevés pour jouer avec de la nourriture !