The night is dark, and full of terrors

Jana & Alcina

Jana était immobile, patiente. Cachée derrière l'angle de mur, elle attendait, gardant l'entrepôt désaffecté en visibilité. Elle savait qu'un deal d'armes allait se faire, ce soir, à l'abri des regards. Les pistes données par son informateur ne trompaient pas. La strigoï avait le don pour toujours se trouver comme par hasard au bon endroit au bon moment. Enfin, la chance n'avait rien à voir avec cela, il s'agissait plutôt de jours de recherche, de croisement d'informations, de saignées de quelques cous... bref, la routine. Aidée de quelques-uns de ses enfants et d'autres complices, parfois même humains, elle avait pu récupérer ces informations sur la vente de ce soir. Et pas n'importe quelle vente.

Alcina Kowalski la dirigerait. La petite écervelée qui avait visiblement fait chavirer le cœur de Johannes. Cette pensée la rendait folle de rage. Ce soir serait l'occasion de voir ce qu'elle avait dans le ventre. Son protégé avait tous les droits d'étendre la lignée, c'était même ce qui était demandé par le Maître. Pour autant, cela ne lui plaisait pas qu'il l'ait fait dans son dos. Après tout, elle était sa créatrice. Elle avait fait beaucoup pour lui, et lui avait appris tout ce qu'il savait. Le voir balayer tout cela d'un geste de la main la rendait dingue. Enfin. L'heure de Johannes arriverait bientôt. Pour l'instant, c'était sur sa descendante qu'elle s'attardait. La blonde arriva, avec quelques gardes du corps. Classique. Rien qui ne surprenait vraiment Jana. Un SUV ne tarda pas à se garer en face d'eux. Un homme en sorti, petit et trapu, en survêtement. D'où elle était, Jana ne le reconnaissait pas. Peu importait. Ce voyou serait bientôt mort, de toute façon. Quelques présentations se firent, tendues. Pas encore agressives. Cela viendrait plus tard. Un sourire carnassier étira ses traits. Lorsqu'elle sentit que c'était le bon moment, elle décida de sortir de sa cachette, sans aucune crainte, elle arrivait sur leur côté gauche, à tous.

A sa vue, les criminels se crispèrent. L'odeur de la peur vint lui chatouiller les narines, et elle l'inspira à pleins poumons. Arrivée suffisamment proche, elle interpella Alcina, faisant bien attention à ce qu'ils puissent tous l'entendre.

« Hé, blondie ! Les armes que tu m'as vendu l'autre fois étaient pourries. Elles se sont enrayées direct, j'ai failli perdre tout mon quartier à cause de tes conneries. Rembourse-moi, maintenant ! »

Hébétés, les acheteurs se regardèrent. Ils échangèrent quelques regards, puis rangèrent leurs armes, pour déguerpir à toute vitesse. Jana haussa les épaules, l'air faussement désolée pour Alcina. Oh, tant pis. Ses sbires pointèrent immédiatement leurs armes sur elle, et elle leva les bras, en signe d'apaisement. Ou pas.

« Tu devrais faire gaffe avec qui tu fais affaire, chérie. On sait jamais ce qui peut rôder dans la nuit. »

Elle continua néanmoins de s'approcher d'eux. Elle savait qu'elle ne craignait rien, et profiterait bien volontiers de l'effet de surprise qu'elle venait de créer pour gagner en proximité.

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Jana & Alcina

Un large sourire s'affichait à présent sur le visage de la strigoï. Elle n'aurait pas pensé de prime abord que cette rencontre la mette autant en joie ! La blondinette n'avait pas tressailli, n'avait pas reculé. Dans ses yeux brillait une lueur que Jana interprétait comme de la témérité, si ce n'était pas un manque flagrant de respect pour elle. Enfin, elle pourrait lui pardonner, puisqu'elles ne se connaissaient pas. Plus exactement, Jana savait qui se tenait en face d'elle, mais Alcina ne le savait pas. Comme c'était excitant ! Des rencontres, au fil des siècles, elle en avait fait des dizaines. Y compris des rejetons de ses propres enfants, qu'elle avait appris à aimer, ou à détester, selon le caractère. Mais elle... C'était différent.

Johannes semblait sans doute avoir vu quelque chose en elle, quelque chose que Jana ne décelait pas encore totalement. Une espèce de fougue ? Un désespoir ? Le besoin de se prouver quelque chose, ou au contraire l'addiction à l'adrénaline ? Un des principes qu'elle lui avait enseigné, lorsqu'ils faisaient les quatre cent crocs ensemble, c'était que le don d'immortalité était quelque chose de précieux. Ce n'était pas à transmettre avec des pincettes. Et malgré tout ce qui s'était passé entre eux depuis le soir de sa transformation, Jana croyait en le fait qu'il avait continué à respecter ce principe.

Sa petite pique d'ironie la fit rire. Elle avait du mordant ! Pratique pour un vampire. Elle s'approcha d'elle, ignorant royalement les gorilles à ses côtés.

« Allons, allons, quelle impatience ! Les jeunes sont toujours si pressés de nos jours. Relax. On a la vie devant nous, ou plutôt devrais-je dire, l'éternité. »

Jana n'avait aucun problème à lui dévoiler sa vraie nature. Si son protégé avait fait son devoir de créateur, elle savait déjà qu'elle était en compagnie d'une personne de sa même race. Jana s'approcha, nullement intimidée par la jeune femme, tournant autour comme un loup jaugeant sa proie. Elle la détailla d'un regard inquisiteur, cherchant à déceler une particularité qui lui ferait comprendre le pourquoi du comment.

« Alors c'est toi, le rejeton de Johannes. Un peu trop maigrichonne selon moi, et cette couleur de cheveux... vraiment pas terrible. Je pensais qu'il avait un meilleur goût en matière de femme. »

Aucune supposition là dedans, elle le savait, pour l'avoir vécu. Elle avait été l'objet de ses désirs, pendant de nombreuses années... Les meilleures selon elle, mais elle ne le dirait jamais. Ainsi donc il l'avait remplacée avec Alcina... Sidérant. Mais il fallait croire qu'après avoir goûté au meilleur parfum, il fallait se contenter du reste. La voir de plus près ne la convainquait pas qu'il avait fait le bon choix en la transformant. Mais, curieuse, Jana ne demandait qu'à être contredite. Enfin, façon de parler.

« Tu dois avoir quoi... quelques mois, tout au plus ? Peut-être moins ? Je sens l'odeur de la nouveauté, sur toi. »

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Jana & Alcina

L'ambiance était à la peur, que Jana ressentait très clairement. Une odeur animale, claire et âpre, comme une pulsation terne qu'elle pouvait presque humer à travers leurs chairs et les pulsations de leurs cœurs. Ces hommes ne devaient pas bien savoir ce qui se tramait, et Alcina ne devait pas non plus avoir compris exactement quel genre de personne était la vampire millénaire. Sinon, elle aurait très clairement demandé à ses hommes de partir. Les laisser ici... c'était les exposer à un monstre qu'elle ne pouvait pas contrôler. A la nouvelle pique de la jeunette, Jana se mit à rire cette fois. Pas un rire joyeux, mais un rire mêlant tristesse de l'éternité et violence sous-jacente. Elle aurait pu n'en faire qu'une bouchée. Et fut un temps, elle l'aurait fait. Plus maintenant. La vieillesse, diraient certains. La sagesse, diraient d'autres.

« Je ne saurais te dire, princesse, mais toi, tu as la langue bien trop pendue. Attention à ne pas la perdre. »

Son vouvoiement marquait pourtant un certain respect, ou en tout cas une surprise. Jana n'était ni polie ni impolie. Elle allait droit au but, comme à chaque fois qu'elle entreprenait quelque chose. Sauf quand elle voulait manipuler, et là, elle était capable de minauder, tourner des heures autour du pot pour feindre l'indécision la plus totale, prétendre être quelqu'un qu'elle n'était pas. Cette faiblesse semblait pourtant souvent fonctionner quand sa cible était un homme. Ils ne pouvaient jamais résister à l'impulsion de vouloir lui expliquer les choses ou prendre soin d'elle. Pour son plus grand plaisir et la réussite de ses affaires.

« C'est à moi de décider si tu me déçois ou non. Jusque là tu as de la chance, je suis d'humeur curieuse. »

Sa réponse à la mention de Johannes ne la déstabilisa pas. Son avis sur sa relation avec le rejeton, elle pouvait bien se le carrer bien profond, Jana n'en avait cure. Elle ne pourrait pas comprendre ce lien qui les unissait. C'était bien plus fort que le leur. Elle avait été sa créatrice, elle lui avait tout appris. Lui n'avait fait que répéter ses enseignements envers un ersatz bien inférieur. Ah, qu'à cela ne tienne. Jana lui montrerait l'erreur commise.

« Non, rien à voir avec ça. On est en contact, de temps en temps. Il m'a parlé de toi. Il voulait que je te jauge, un peu. Que je te bouscule. Il semble que tu ne sois pas aussi prometteuse qu'il le pensait à la base. »

Jana inventait tout cela, bien entendu. Mais elle mentait si fréquemment qu'elle-même parfois ne savait plus où se situait la vérité. Ainsi, tout ce qu'elle disait semblait bien vrai car elle y croyait. Le meilleur mensonge n'était-il pas celui qui finalement n'en était pas un ? A l'expression presque incrédule de la jeune femme, Jana posa une main sur son cœur, feignant la surprise la plus totale :

« Oh, comme c'est cocasse. Tu ne sais pas qui je suis, n'est-ce pas ? Ne t'en veux pas bichette, s'il ne t'a pas parlé de moi, ce n'est pas parce que tu n'es pas à la hauteur, non. Ca doit faire mal, de découvrir la vérité comme ça. Tu vas le laisser s'en tirer à bon compte ? Tu vas le laisser te mentir impunément alors que vous êtes si proches ? »

Jana prétendait, souriante, attirant dans ses filets la proie aux cheveux d'or. Elle savait des choses, mais supputait le reste. Ce n'était pas si difficile de lire ses expressions, la faute à la jeunesse. Elle s'arrêta, face à elle, dévoilant les crocs, sous les sursauts de ses hommes de main :

« Lui et moi, on est indissociables, tu vois. Comme un strigoï et ses envies meurtrières. Est-ce que tu sais seulement de quoi je parle ? As-tu seulement déjà tué un homme par tes propres moyens ? Parce que moi oui. »

Revigorée par le pouvoir de la nuit, elle fondit sur le premier homme à qui elle déchira la jugulaire dans un gloussement terrible, puis sur le deuxième avant même qu'il n'ait pu faire plus d'un pas pour s'enfuir. Les deux cadavres retombèrent lourdement sur le sol, à quelques pas des deux vampires. Le sang sur les lèvres, Jana se les lécha, revenant vers Alcina.

« Voilà le pouvoir auquel tu pourras peut-être prétendre, un jour. Mais il te faudra t'entraîner. Penses-tu que Johannes soit à la hauteur pour t'apprendre, alors que déjà, il te ment et te considère comme un jouet ? »

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Jana & Alcina

La blondinette semblait pourtant ne pas se démonter, face à Jana. Cela inspirait le respect, d'une certaine façon, et peut-être même qu'elle commençait à voir exactement ce que lui pouvait voir en elle. Car il devait forcément voir quelque chose, sinon à quoi bon la transformer ? A moins que tout cela n'ait été qu'un regrettable accident, du début à la fin et que la transformation ne soit arrivée qu'en dernier ressort. Elle devait le reconnaître, Jana n'avait pas toutes les informations. Mais dans un cas comme dans l'autre, c'était du pain béni pour elle. Semer le trouble était sa spécialité. Utiliser des informations partielles à ses propres fins une de ses plus grandes forces. Et elle pouvait voir aisément la tension de la jeune vampire en face d'elle. Bien, elle avait les réflexes de crainte mêlée au respect qui était dû à quelqu'un de menaçant. Peut-être qu'elle survivrait, en fin de compte.

Mais Jana n'en avait pour autant pas terminé avec elle. Telle une chatte meurtrière, jouer avec ses proies était le moment qu'elle préférait. Que cela mène à la mort ou non, ce n'était pas l'important. Mais il y avait dans le jeu, dans le défi, une sorte de compétition excitante, une profonde envie de prendre le dessus et de ne jamais lâcher, utilisant stratagèmes et demi-vérités pour arriver à ses fins. Jana n'avait pas particulièrement d'objectif à cette rencontre, mais elle voulait la jauger. Et ce qu'elle voyait lui plaisait et lui donnait envie d'en découvrir encore plus. Un large sourire dévoila ses dents lorsque la jeunette la regarda avec stupéfaction, incertaine de la portée véridique de ses paroles. Elle semblait douter, Alcina. Que se passait-il ? Une fissure dans cette parfaite cohésion d'équipe ?

Les deux gorilles au sol, se vidant de leur sang, Jana s'approcha un peu plus d'elle. L'odeur du sang lui excitait les sens, mais elle n'était plus un animal, du moins, pas quand elle voulait le contrôler. Elle aurait pu ne faire qu'une bouchée de cette petite vampire mais la curiosité l'en empêchait. Et se mit à rire à gorge déployée aux tentatives désespérées d'Alcina de se convaincre.

« Non, il ne t'a pas parlé de moi parce qu'il veut m'oublier. Nous sommes liés par des décennies de sang, d'horreur et de chaos dont il n'était pas seulement témoin, mais acteur. Hé oui, ton précieux créateur ne t'a sans doute pas tout dit sur son passé. Nous en avons fait, des choses qui feraient pâlir encore plus ta jolie peau de porcelaine. »

Comme s'il le pouvait, l'oublier. C'en était risible. Pour le coup, elle ne mentait pas. Ils avaient voyagé, beaucoup. Et ils avaient eu leur lot de faits divers.. Certains par plaisir, d'autres par vengeance. Tous pour répondre à cette insatiable envie de causer du chaos.

« Pas besoin de me croire sur parole, Alcina, demande-lui. Parle-lui de Leipzig, de Varsovie, de Ribe. Prends n'importe quelle ville qui te plait et parle-lui en, tu verras que nous y sommes passés. Cela a fait partie de son apprentissage, de la découverte de sa valeur. Il avait déjà cette propension à la violence, en tant qu'homme, cette ambition lugubre, mais rien à voir avec ce qu'il est aujourd'hui, en tant que strigoï. »

Et pour cause, Jana avait connu les deux versions de Johannes. Elle était tombée amoureuse de la première, presque plus par intérêt et divertissement que par réel sentiment. Mais cela avait changé, quand elle l'avait transformé. Leur lien s'était renforcé, avait atteint des sommets de complicité et d'intimité... jusqu'à ce jour fatidique de 1939. Son regard s'adoucit, un brin.

« C'est un cheminement que doit faire tout nouveau strigoï, c'est vrai ; apprendre sa force, tester ses limites... Tu dois sans doute être en train de le vivre, toi aussi. »

Elle l'avait vécu, des centaines d'années auparavant. Et elle s'en souvenait très clairement. Elle lui sourit, presque tendrement comme une mère protégeant son nouveau bébé, avec le regard néanmoins plus dur.

« Cela doit te sembler insurmontable, non ? Changer de race, dépendre de ses instincts primaires. Sentir tout contrôle t'échapper à la simple évocation du sang... Comment y arriver ? Comment réussir à te contrôler ? Y arriveras-tu seulement un jour ? Je les connais, ces questions. J'ai élevé mon lot de rejetons, j'ai l'expérience nécessaire pour te guider. Je ne parle pas de l'abandonner, non. Tu ne le pourrais pas, quand bien même tu le voulais, le lien entre un créateur et sa progéniture est trop fort, j'en sais quelque chose. Mais tu n'es pas seule, pour affronter tous ces changements. »

Jana l'observa, cherchant à savoir si ses paroles faisaient mouche, ou non. Elle se détourna un moment, lui tournant le dos, faisant quelques pas. Elle observa les cadavres au sol en soupirant, puis se retourna vers elle, croisant les bras :

« Tu n'es à l'évidence pas une idiote, sinon Johannes ne t'aurait pas transformée. Mais dis-moi, que sais-tu vraiment de lui, au fond ? Et que sais-tu de nous, ta famille ? »

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Jana & Alcina

Jana laissa son regard dériver vers les cadavres, au sol. De pauvres humains, inutiles, fragiles. Des choses qu'elle s'était juré ne plus jamais être, lorsqu'elle avait embrassé cette existence vampirique. Elle se demandait si Alcina avait eu ce genre de choix. Elle imaginait une transformation comme toutes les autres, tragique, un moindre mal, contre un autre, plus dur, plus éternel : la mort complète. Pas étonnant qu'elle ait choisi de revenir en vampire. C'était la bonne décision, et si elle en était digne, elle ne le regretterait jamais. Que de questions auxquelles Jana n'avait pas les réponses... C'était excitant !

Elle fit quelques pas, tournant le dos à la petite vampirette, sans peur ni gêne. Et s'accroupit près des corps encore chauds. Elle laissa courir son doigt près du cou du premier, l'imbibant de son sang. Se redressant ensuite, elle revint vers la polonaise, léchant le bout pour se mettre en appétit. A la répartie de la blonde, elle hocha doucement la tête, concédant une partie :

« Hm, c'est pas faux. T'as pas besoin de tout savoir. Mais je suis sûre que tu veux, savoir. Ca peut t'être utile de connaître son passé, pour ne pas subir ce type de rencontre, à l'avenir. »

En parlant de leur moment actuel. Un petit conseil d'ami, elle était sympa Jana, finalement, non ? C'était gratuit, elle devrait en profiter ! La vampire millénaire n'en était pas à son premier rodéo, et c'était comme si elle pouvait sentir les pulsions à travers ses yeux, son humeur, son corps, tendu, prêt à bondir vers sa proie. Elle sourit, attendrie par cette vision d'un bébé qui apprend les rouages de sa nouvelle vie. Cela lui rappelait Johannes, d'une certaine façon. La voyant détourner le regard, Jana posa son doigt ensanglanté sous son menton pour le relever, avec douceur.

«Tst, tst. Ne baisse pas les yeux, jamais. Tu n'as pas à avoir honte de qui tu es, au contraire. »

Ah, les limites...

« Une limite n'existe par définition que quand on l'a franchie, Alcina. »

Au-delà d'être une formidable amante, une strigoï puissante, elle était aussi une philosophe de comptoir fort perspicace.

« Explore ton plein potentiel. Libère-toi des convenances humaines, de ce que tu penses être vrai. Seulement après tu sauras comment te contrôler. »

Là encore, un nouveau conseil gratuit. Elle était bien généreuse, ce soir-là. Stimulée par une conversation intéressante, sans doute. A la mention du vampire de leurs cœurs (façon de parler..), Jana se mit à rire franchement.

« Tu le penses sincèrement, ou bien tu tentes de t'en convaincre parce que tu ne connais personne d'autre ? »

Jana mettait sa main à couper qu'il ne lui avait présenté aucun autre strigoï. Au delà de cela, elle le savait. Sa surveillance des deux loustics le lui avait montré. Il avait coupé les ponts, des années auparavant, s'éloignant d'un monde qu'il jugeait trop néfaste. Jamais il n'y aurait ramené sa protégée.

« Je ne t'en veux pas. C'est même admirable, cette loyauté envers ton créateur. »

Plus le temps passait, plus elle voyait que la jeunette luttait avec difficulté contre ses instincts. Jana se pivota légèrement, tout juste assez pour lui permettre de voir pleinement les cadavres au sol. Elle posa sa main sur son épaule avec une douceur étonnante. Puis répondit à une question qu'elle n'avait pas posée.

« Oh, je peux te confirmer qu'ils sont appétissants. Ce n'est pas aussi excitant que de chasser sa proie complètement, mais écoute, il est là. Offert. Il t'attend. Ce serait bête de ne pas en profiter. »

Elle replaça avec tendresse une mèche de cheveux blonds derrière son oreille. Son regard se tourna vers elle, et elle lui sourit, avec sincérité.

« Oui, il est ta famille, et moi aussi. Nous sommes une seule et même famille, liée par le sang. Et nous n'avons pas de secret, au sein d'une famille, n'est-ce pas ? Du coup, il ne devrait pas en avoir pour toi, tu ne crois pas ? »

La strigoï tenta ensuite un coup de bluff.

« Tu penses que ton ancienne famille ne voudrait pas que tu sois en sécurité et aimée ? »

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Jana & Alcina

En voyant la pauvre Alcina, Jana se sentait presque attendrie. L'envie de lui faire du mal pour ramener Johannes n'était jamais bien loin, mais pourtant, elle décelait des choses chez elle qui la poussaient à temporiser. Rien à voir avec un bon fond qu'elle aurait, ou une envie de rendre le monde meilleur. Non, ces conneries n'existaient que dans les contes de fées, et elles étaient toutes les deux bien trop âgées pour cela. L'une découvrait le monde vampirique avec une certaine candeur et l'autre le connaissait déjà si bien qu'elle n'en était plus à son premier rodéo. Non, Alcina présentait une sorte... d'attrait. Une personnalité qu'elle laissait entrevoir avec assez d'habileté pour s'assurer sa survie face à la cheffe de l'ordre. Jana pouvait ressentir sa pulsion mortifère, son désir de plonger vers les cadavres qui se vidaient déjà de leur sang pour accélérer leur exsanguination. C'était comme si sa propre envie s'y mêlait en écho, mêlant leurs corps et leurs âmes dans un futur hypothétique qu'elle espérait plutôt prophétique.

Le contact de Jana sur sa peau fraiche la fit se crisper, elle le sentit à travers ses doigts au bout desquels un peu de sang trônait toujours. La tension était palpable, et même si Jana avait appris à se maîtriser avec le temps, elle sentait poindre une sorte de jalousie. En un sens, les jeunes vampires étaient le plus proches de leur nature impulsive que les anciens vampires qui se contrôlaient mieux. Avec nostalgie, elle repensa à cette époque de sa jeunesse où rien n'avait d'importance sinon le nombre de cous mordus et de cadavres laissés derrière elle que son créateur se chargeait parfois de nettoyer... ou la forçait à le faire. Jusqu'à ce qu'elle s'en libère. Période de plaisir, de pouvoir, de laisser-aller qu'elle avait retrouvé avec Johannes, le temps de quelques décennies, tandis qu'ils foulaient ensemble les terres d'Europe, se mêlant avec habileté aux humains d'importance.

Avant qu'il ne montre sa vraie nature.

Elle frémit, laissant les souvenirs de sa trahison rejaillir en elle. Par chance, Alcina n'avait que peu parlé, mais avait terminé son introspection par une question qui élargit son sourire déjà carnassier.

« Ma belle, aucun vampire n'est comme moi. »

Non sans une pointe de prétention, néanmoins la vérité était là. Johannes le confirmerait sans doute lui aussi, si Alcina le lui demandait, avec sa verve habituelle et un ton sans doute hargneux. Elle l'imaginait clairement, cracher son venin envers elle comme il savait si bien le faire, ce qui le rendait à la fois si désirable et si agaçant. Un cocktail détonant, un mix explosif qui avait su faire le lit de de leurs succès. Toujours était-il qu'elle était bien unique. Peu de vampires pouvaient jouir d'une longévité aussi grande que la sienne, ou du fait de toujours réussir à tirer son épingle du jeu malgré la transformation des époques et des enjeux.

Pour le reste, elle semblait avoir néanmoins la tête sur les épaules, laissant présager d'une vampire tout à fait singulière. Cela rendait fière Jana, sans qu'elle en soit finalement à l'origine. La lutte interne qui agita Alcina sembla trouver son apothéose lorsqu'elle se jeta sur l'un des cadavres au sol. Jana l'observa, de quelques pas en retrait, boire goulûment directement depuis la chair du premier. Le corps inerte ne bougeait que par quelques soubresauts induits par la puissance de sa faim, de sa boucherie. Si elle avait été humaine, le ventre de Jana aurait sans doute eu quelques gargouillis à la vue de cette symphonie sanglante, mais elle ne fit que s'approcher de quelques pas, avant de s'accroupir aux côtés de la jeune vampire. Alcina se jeta sur le deuxième cadavre, se rapprochant par la même occasion de la comtesse, sans même s'en rendre compte sans doute.

D'une main protectrice, elle attrapa une mèche de cheveux blonde dont la pointe était colorée en rouge maintenant, lui replaçant avec soin derrière l'oreille. Là, c'était mieux.

« Ne crains rien. Maintenant tu m'as moi, aussi. »

C'était vrai. Peu de ses rejetons s'étaient montrés à la hauteur de ses exigences, mais Johannes l'avait été, et Alcina semblait elle aussi prometteuse. Pourvu qu'elle ait les bons mentors. Sa main passa à l'arrière de sa tête, qu'elle caressa de quelques mouvements maternels.

« Nous sommes une famille, et toi, moi et Johannes en sommes à la tête. L'Ordre du Dragon sera toujours là pour toi, si tu en as besoin. Johannes n'a pas jugé bon de te les présenter, mais je le ferai. Tu as ma parole. »

Jana savait qu'elle l'entendait, malgré le sang qui devait pulser et obstruer tous les autres sens de la jeune strigoï. Elle devait déjà se sentir un peu mieux, avec tout ce sang qu'elle ingurgitait en quantité. Au delà de toute envie que la Dracea pourrait avoir de reprendre le dessus sur son propre rejeton via Alcina, elle trouvait réellement cela dommageable que le Von Reiner l'ait tenue éloignée des siens. Aucun strigoï ne méritait cela.

« Fais-toi donc ton propre avis. Tu étais ta propre personne bien avant que Johannes ne te donne cette nouvelle vie. Ce n'est pas parce que tu es son rejeton que tu dois lui obéir au doigt et à l'œil, tu le sais, non ? »

Elle pouvait presque sentir la décontraction des muscles de sa petite fille une fois le repas terminé. Elle lui sourit, avec une tendresse non feinte, et d'un coup sec, décrocha de la couture intérieure de sa veste un petit blason cousu à même le tissu, représentant un dragon. Le symbole de son Ordre vampirique, dont elle était la cheffe. Elle le brandit vers elle, puis reprit, une fois son attention captée :

« Je te propose un marché : chasse avec moi, cette nuit. Au petit matin, je te fais don de ce blason. Après, tu en fais ce que tu en veux, il est à toi. Prends le temps qu'il te faut, et lorsque tu seras prête, je te présenterai au reste de l'Ordre. »

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Jana & Alcina

L'Ordre. Le regroupement de ses vampires auquel elle tenait probablement plus que tout le reste. L'achèvement de des décennies de luttes, de construction, de manipulations. Elle l'avait fait passer de petite communauté en Europe de l'Est à véritable secte tentaculaire, avec des antennes réparties dans plusieurs lieux stratégiques : Paris, Prague, Berlin, Istanbul, .. La liste était longue, et ses lieutenants relativement indépendants sur leurs périmètres. Jana tentait d'avoir toujours une longueur d'avance sur les éventuelles trahisons, depuis celle commise par son protégé chéri, quelques dizaines d'années plus tôt. Elle avait habilement placé des espions un peu partout, consciente qu'elle ne pouvait tout voir et tout entendre, même avec eux. La loyauté était une bien curieuse bestiole, et parfois il suffisait d'agiter quelque rêve de grandeur ou désillusion d'importance pour la faire changer de camp. Elle le savait. Alors, lorsqu'elle avait le moindre doute, elle préférait souvent zigouiller la personne.

Plus de trahison si y'a plus de vampire, non ?

Jana observait la jeune strigoï se repaître des cadavres fraichement tués, avec un sourire attendri. Elle pouvait sentir le manque de contrôle, l'impulsion brutale, l'instinct animal de se nourrir, simplement. Le plus pur des comportements, celui pour lequel elle se battait au quotidien, au-delà de toutes les manipulations dont elle était capable envers les autres, humains ou strigoï. Alcina ne rejeta pas son contact, ce que Jana pris pour un bon signe, voire presque une invitation. Elle lui tendit le blason de l'Ordre et lui proposa le marché, ce que la vampirette accepta ; en partie du moins.

Jana secoua la tête, se relevant près du cadavre exsangue.

« Ne t'inquiète pas pour le sang. »

Jana, elle, ne s'était pas tâchée. L'habitude, sans doute. Elle enleva son blouson qu'elle lui mit sur les épaules et ferma, pour cacher ses vêtements. Gardant ses mains sur ses épaules, elle lui demanda, sincère :

« L'as-tu senti, ce pouvoir ? Cet instinct ? N'aie jamais honte de qui tu es, ou de ce que tu peux faire ou devenir. Johannes t'as peut-être donné les clés mais c'est toi et toi seule qui ouvre la porte vers cette puissance infinie. Tu peux devenir comme moi, ou pas. Tu peux être qui tu veux. »

Jana ne lui en voulait pas, en fait. Elle se souvenait, malgré toutes ces années, des errements. Des doutes. Des questionnements. Et c'était là où le lien avec le créateur était primordial, pour bâtir cette confiance que le jeune oupyr devait garder en lui pour grandir. Johannes avait-il échoué, sur ce tableau ? Elle en doutait, car elle le connaissait. Mais la jeune Alcina semblait néanmoins perdue sur la marche à suivre. Nul doute que les révélations du soir nourriraient quelques réflexions nocturnes. C'était pour le mieux.

Jana fit quelques pas jusqu'à une poubelle sur laquelle elle monta avec aisance puis tendit la main à Alcina pour qu'elle la rejoigne. Elle l'emmenait ensuite vers d'autres quartiers de la ville, qu'Alcina devait bien connaître.

« Alors, dis-moi, que t'as enseigné Johannes exactement ? »

Jana était curieuse, également. Curieuse de savoir ce que son rejeton avait retenu de ses enseignements qu'il disait détester, maintenant. Curieuse de savoir ce qu'il avait choisi de transmettre ou non à sa jeune fille. Chasser sur les toits était une seconde nature pour elle, pour lui aussi, le serait-ce également pour la Kowalski ?

La vampire millénaire s'accroupit, désignant deux hommes en sortir d'une boite de nuit, éméchés. Sauter sur eux pour les détruire ne l'intéressait pas, elle avait plutôt une autre leçon en tête. Elle jeta un œil à Alcina, une fois revenues au niveau du sol, puis lui dit :

« Il y a quelque chose que Johannes ne peut pas t'apprendre. Tu es strigoï, mais tu es une femme, aussi. Jolie, en plus. Utilise-le. Profite-en. Le plaisir de la chasse n'en sera que décuplé, fais-moi confiance. Suis mon exemple, tu verras. »

Sans attendre une quelconque réaction, elle s'élança vers les deux hommes. Ils se tournèrent vers elle avec de grands yeux, l'un allant même jusqu'à la siffler. Elle prit un air presque flatté, sainte-nitouche, puis s'approcha de l'un, le plus grand des deux et le plus alerte - au cas où les choses tourneraient mal - et minauda :

« Ma copine et moi on cherche un peu de fun. Il parait que c'est ici qu'on peut le trouver, tu confirmes ? »

Là encore, elle se fichait pas mal de la réponse car elle avait déjà posé les mains sur son torse pour le pousser contre le mur humide et poisseux, tandis qu'il l'embrassait dans le cou de baisers maladroits. Ah, les hommes. Si prévisibles que c'en était risible. Regard vers Alcina, à sa gauche, tout en passant sa main dans la nuque de l'homme qui soufflait comme un bœuf contre elle. Le deuxième homme était déjà près de la jeune blonde, paré pour recevoir le même traitement. Excitée, l'appel du sang faisant accélérer son souffle, Jana enfouit sa tête dans le creux de son cou en tirant légèrement sur ses cheveux pour faire basculer sa tête, humidifiant doucement la zone de ses lèvres et de sa langue avant de plonger le bout de ses crocs dans la peau tendre, doucement, si bien qu'il pouvait presque penser qu'elle ne faisait que le mordiller.

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Jana & Alcina

Hum, le goût du chaos. Ou bien c'était le sang ? L'un comme l'autre, Jana s'en délectait. Finalement, elle qui pensait passer la soirée à se battre peut-être contre la jeune Alcina pour la convaincre de leur lien naturel, elle la finissait dans une sombre ruelle polluée, à planter ses crocs dans le premier venu - littéralement - pour en apprendre plus sur la protégée de son propre protégé, indirectement. Pour le moment, elle ne décevait pas. C'était rigolo, de la voir évoluer dans ce monde nouveau pour elle, prendre ses marques. Jana devait être forcée de reconnaître que Johannes n'avait pas fait n'importe quoi avec elle. Il semblait savoir comment l'aider. A ceci près qu'il avait oublié - ça ne pouvait être qu'un oubli, ça ne pouvait pas être délibéré bien entendu - de la lui présenter, mais bon.

Tout le monde faisait des erreurs. Après tout, il était jeune, lui aussi. Ils avaient tous deux besoin d'être guidés, conseillés.

Jana se ferait un plaisir de les y aider.

L'homme remonta sa main le long de ses fesses, puis dans le bas de son dos. Elle ne s'en formalisa pas, ayant appris depuis bien longtemps à se servir de son corps comme d'une arme, puisqu'il rendait les hommes bien réceptifs à ses demandes. Tandis qu'il mordillait à son tour son cou, Jana tourna la tête pour observer Alcina. La jeune vampire apprenait vite, quelque chose lui disait qu'elle savait garder la tête froide. Ce n'était pas donné à tout le monde de faire ce qu'elles faisaient. Il fallait du cran, et elle semblait en avoir, la petite.

Ce qui la rendait encore plus fière. Bois ma chérie, profites-en.

Lorsque Jana décréta qu'elles en avaient eu assez, elle accentua la prise sur sa victime, le serrant contre elle avec sa force vampirique pour qu'il ne puisse pas s'échapper. Il sembla finir par comprendre que ce qui lui arrivait n'était pas normal, mais c'était déjà trop tard. Jana suçotait avec vigueur les derniers millilitres de vie sanguine qui lui restait. La vie le quitta, et elle le soutint jusqu'à le laisser glisser contre le mur, essuyant d'un coup de langue le sang qui ornait ses lèvres. Elle avait bu proprement comme elle savait le faire. C'était beaucoup moins sale que les gorilles tués juste avant. D'ailleurs, le fait qu'Alcina les ait déjà oubliés la rendait là aussi très fière. Comme quand on découvre que sa descendance partage des traits de caractère avec soi. La légende qui se perpétuait, en somme. C'était en fait assez émouvant.

Avec un sourire, elles reprirent leur chasse nocturne. Pendant les heures qui restaient avant le lever du soleil, elles se cachèrent, traquèrent, rirent, mordirent, vidèrent des corps entiers. La traînée de cadavres derrière elles commençait à valoir son pesant d'or lorsque Jana mit fin à la chasse. Avec un regard véritablement tendre pour la jeune Alcina, elle se tourna vers elle.

« Le jour va se lever, ma belle. Nous nous séparons ici, pour le moment. N'oublie pas que je suis là, à tout moment. »

Elle désigna le petit patch orné du symbole de l'ordre qu'elle lui avait confié.

« Quand tu seras prête. »

Puis s'éclipsa après un dernier sourire.