I need a nurse [Intrigue II - Terminé]

- Je pisse le sang. Je ne peux pas conduire. Je suis aux alentours des Tuileries. Je t’envoie ma localisation. Viens me chercher ou envoie-moi quelqu’un. S’il te plait, soufflais-je, réprimant un râle de douleurs. Encore un foutu piège. Mais pas des Nordiques, cette fois.

Sur ces derniers mots, je mets fin à la communication. Malgré mes critiques de ces nouveaux dieux puissants – mais bien invisibles - , je dois reconnaitre que leurs créations sont fichtrement utiles ! L’époque ou l’on saigne abondamment sur de nombreux kilomètres, ou l’on attend que la plaie guérisse durant de longues semaines ne me manque absolument pas. Certes, je suis une divinité résistante, mais nullement invulnérable. J’ai déjà changé d’enveloppe à quelques reprises à la suite véritables catastrophes. Ce n’est jamais une expérience agréable. Sincèrement. Autant dire, j’apprécie cette époque-ci. D’un coup de fil, je prise en charge à l’hôpital ou ailleurs d’un coup de fil, ou la possibilité de rejoindre les miens et bénéficier de leur aide ou protection durant mon rétablissement.

Quelle soirée ! Bordel ! Le danger n’était pas mortel, quoique présent et douloureux ! Entre ces grecs – ou faux-grecs – invoquant la paix universelle, l’attaque surprise de ces foutus déicides et la tempête de Teutatès, les réjouissances n’ont pas manqué ! J’ai juste eu le temps de voir Masha disparaitre avec Mama Quilla, Esus et Cerdiwen s’éclipser de leur côté, le Dieu-Père plonger dans la Seine … Quant à moi, c’est avec la démarche d’un vieillard que j’ai quitté les lieux. J’ai pu échapper aux forces de l’ordre par l’une des issues non bloquées par les forces de l’ordre. J’ai tout, sauf envie d’être incarcéré ou d’être interrogé à cet instant-ci.

Là, au milieu de la nuit, dans une ruelle franchement peu accueillante, je patiente que la seule et unique Meduna vienne apporter son baume. Je ne touche pas à ces couteaux plantés au niveau de la jambe et du bras, j’ignore ces foutus crampes d’estomac me faisant cracher du sang et j’évite de porter ma main à l’arrière du crâne, m’étant prise une table volante. Décidément, mon propre frère m’a causé plus de dégâts que nos ennemis. Son pouvoir me manque uniquement lorsque je ne suis pas dans les parages. Autrement, je le déteste. Il est puissant, mais incontrôlable. Si mon propre pouvoir a des similitudes, j’ai l’avantage de commander ces éléments et de choisir mes cibles. En revanche, s’il tient encore debout après son coup de force, je suis complètement à plat et épuisé.

Les minutes passent et, finalement, j’entends le vrombissement d’une voiture non loin. Elle s’arrête à mon avis. Lorsque je relève la tête, je reconnais la figure. J’offre un sourire charmant – comme habitude – mains teinté de fatigue.

- Au moins, mon visage est épargné. Je peux toujours séduire mes infirmières, me moquais-je.

Je grogne, je titube mais je me relève. Attendre debout est encore un brin au-dessus de mes forces. Tout ira mieux d’ici une ou deux journées. J’ai connu bien pire comme blessures. Ce n’est rien, tout ça. Plus de peur que de mal de l’optique d’une divinité guerrière.

I need a nurse [Intrigue II - Terminé] Nikolaj-Coster-Waldau

I need a nurse [Intrigue II - Terminé] Louis

“N'y vas pas”, m’avait conseillé Teutatès. Il soupçonnait le piège et m’avait poussé à me mettre en retrait au cas où… J’avais dû me faire souffrance pour ne pas assister aux célébrations du nouvel an, moi, la déesse la plus fêtarde du panthéon celte. Je prenais néanmoins au sérieux les risques encourus ainsi que mon statut de reine nouvellement acquis… Teutatès avait un meilleur instinct que moi pour ces choses-là, il savait jauger les gens et leurs intentions. Mon peuple avait besoin de moi, je ne pouvais plus risquer ma vie comme jadis.

Je m’étais donc tenue en retrait des célébrations des Tuileries. Pour autant, pas question de demeurer en Bretagne en sachant que quelque chose de mauvais pourrait arriver à mes gens. J’avais donc loué une chambre dans un hôtel du secteur et décidé d’aller fêter le nouvel an dans un bar, m’incrustant très rapidement parmi un groupe de jeunes festifs. Les shooters s’enchainaient, les rires aussi… Jusqu’à ce que je sente mon téléphone vibrer dans ma poche. Taranis. Mon coeur loupa un battement. Soit il m’appelait pour me dire que la fête était nulle et qu’il partait tôt, soit quelque chose s’était produit…

-J’arrive, dis-je d’une voix blanche en entendant sa déclaration.

L’appel fut coupé, je reçue des coordonnées. J’étais déjà en train de courir vers mon hôtel pour aller récupérer mes affaires et ma voiture. Je balançai mon sac sur le siège arrière, sautai dans le véhicule et branchai le gps à la hâte.

En conduisant, mon esprit chercha à se lier à celui de mon ami, créant un pont avec lui.

“Je fais aussi vite que possible, des routes sont coupées à cause du nouvel an…”

Flash info : “Un ouragan localisé au XVIᵉ de Paris , du jamais vu…”

Mes yeux se posèrent un bref instant sur la radio avant de revenir sur la route.

Teutatès ?

“Mais qu’est-ce qui se passe, nom d’un chien ?!”

Qui avait frappé ?! Si ce n’était pas les nordiques, devait-on cela aux grecs qui avaient organisé la soirée ? Quels bâtards avaient osé nous attaquer, cette fois ?!

Après un temps qui me parut interminable, je finis par arriver à destination et pilai net en voyant Taranis recroquevillé contre un mur. Le ciel menaçait, la route était trempée comme s’il avait plu récemment… très fort.

-Bordel de merde ! m’exclamai-je en voyant les couteaux plantés dans le bras et la jambe du dieu, ainsi que le sang, les entailles, les habits déchirés et mouillés, l’eau ruisselante… Je sortis en vitesse pour le rejoindre et l’aider.

-Si tu as encore de l’énergie pour raconter des conneries c’est que tu ne vas pas si mal, maugréai-je.

Je lui ouvris la portière, avant ou arrière, selon son besoin de s’étendre ou non. J’avais gardé le canal mental ouvert, au cas où il lui serait trop pénible de parler de vive voix. J’ouvrit mon coffre, en extirpai un petit coussin et une couverture et les lui fit passer. Il y avait des avantages à être une fétarde professionnelle, j’avais toujours du matériel de camping sur moi. En revanche, je m’en voulais de ne pas avoir prévu de trousse de secours un peu plus fourni que la bande de gaze, le tube d’arnica et le sparadrap abandonné dans un coin de mon coffre par une connaissance de rave qui s’était fait une entorse à la cheville.

-Est-ce que tu vas tenir le coup ? Je t’amène à l'hôpital ou je nous fais quitter la ville ? J’ai un point de chute à une bonne heure de route, la maison de vacances d’une amie. On y sera en sécurité.

Je me penchai vers lui, initiai un nouveau contact pour tenter de sentir la présence d'un poison quelconque et l'origine de son mal... Il devait souffrir, il était mal en point. Je pouvais atténuer un peu sa douleur... Soigner les blessures physiques causées par des éléments externes n'étaient cependant pas ma spécialité. Ca demandait un effort, c'était un exercice difficile pour moi là où il m'était si naturel de réparer les tissus endommagés par les diverses drogues.

-Où as-tu le plus mal ? demandai-je.

J’ai eu le temps de réfléchir à la suite des événements. De facto, l’hôpital est une zone défendue. Nos ennemis sont bien cachés, et peuvent se saisir de cet instant de vulnérabilité – anesthésie et j’en passe – pour me capturer ou pour m’arracher des informations. Enfin, je n’ai pas trainé cette jeune carcasse – je ne l’ai habité qu’une dizaine d’années maintenant – hors de la zone de combat pour tomber entre les mains des flics, comme une fleur.

- On va chez moi, d’abord, soufflais-je d’une voix rauque.

Je grommelle lorsqu’elle me traine jusqu’à l’arrière de la voiture et davantage lorsqu’elle tente de me mettre à mon aise. Décidément, elle m’épatera toujours à sortir l’attirail le plus improbable que ce soit de son sac, de sa voiture et d’ailleurs.

- Toujours préparée pour tes fêtes et tes amants, à ce que je vois. Rassure-moi, les draps sont propres ? , me moquais-je, regrettant presqu’aussitôt ce trait d’humour vaseux. J’ai mal, bordel.

La tête reposée sur un petit coussin et corps réchauffé avec une couverture légère, je serais presque à mon aise. Cependant, la réalité me rattrape bien vite. Le sang tache et trempe le textile, rendant le contexte humide, désagréable, voire collant. Malgré la tentation, je ne touche pas aux armes plantées dans ma chair. Je préfère me vider de mon sang avec une bonne bouteille d’alcools à disposition et les outils de l’apprenti médecin pour recoudre le tout, qu’à l’arrière de la voiture de la Reine des Celtes et sans aucun matériel.

- J'ai des documents importants. Si jamais on prend d’assaut ma demeure, je préfère que nos ennemis ne tombent pas sur mon labeur de plusieurs mois que ce soit sur la recherche d’artefacts, ou du pistage de nos ennemis.

Je ne le dis pas à haute voix : je le pense. Je sais qu’elle m’entend. Ce pouvoir est aussi rassurant qu’étrange. Est-ce qu’elle entend tout ? Est-ce qu’elle arrive à capter mes images ? Je ne sais pas, et malgré les nombreuses discussions et longues années d’amitié et plus.

- J’ai connu bien pire, Meduna. J’en ai même perdu des enveloppes, notamment celles que tu appréciais particulièrement, la taquinais-je mentalement. Ces blessures ne sont rien. Je serais sur pied d’ici deux ou trois jours, la rassurais-je, plantant un regard réconfortant dans le sien. C’était la tempête de Teutatès. J’ai eu de la chance. Que des tables et petits couteaux. C’est pire. Un champ de batailles, avec des haches et épées. Au moins, nos ennemis ont enfin gouté à notre colère. Et ça, ça vaut tout.

Je ferme les yeux, mâchoire crispée, traits tirés par la douleur. Décidément, deux milles ans et poussières plus tard, je n’ai toujours pas appris à fuir à temps, avant la manifestation du pouvoir du Dieu Père.

- Allons chez moi sans tarder. Je préfère être soigné là-bas. Prend mon téléphone, et appelle le Docteur Nomur. Il est dans les numéros d’urgence, pensais-je. On ira ou tu voudras quand on aura mes documents, et que j’ai quelques points de sutures, promis-je.

Aussitôt après, je ferme ce canal mental – enfin, je pense que je le fais. Mon ignorance à ce sujet, couplée à une douleur plus lancinante et plus brulante n’arrange en rien mes capacités mentales.

Le docteur Nomur est ce type en blouse blanche que je peux appeler de jour, comme de nuit, en urgence, pour me retaper après quelques combats ou nuits agitées. L’homme ne pose pas trop de questions, content d’être payé considérablement tant pour son silence que pour ses doigts de fées.

-Chouchou, les bonnes fêtes n'ont pas toujours besoin de se finir dans les bras d'un amant pour être mémorables, lui dis-je avec une petite moue.

Je connaissais son penchant pour la bonne chair. Il m'arrivait aussi de finir en galante compagnie, mais j'étais très loin de son reccord personnel et ne cherchait nullement à le concurrencer.

-Tu trouveras peut-être quelques brins d'herbes dessus. Ne fais pas la fine bouche.

Il ne la ferait pas, je le connaissais assez pour savoir qu'il était du genre solide. Trop, parfois. Il était battit du même bois que Teutatès, le genre à ne pas exprimer sa souffrance pour préférer jouer au bonhomme solide. Ils l'étaient, pour cause. La fratrie pouvait surement encaisser dix fois plus que moi... Ils m'impressionnaient, de fait, mais je préférais encore me couper la langue que de le leur dire, ça gonflerait bien trop leur égo (surtout celui de Taranis).

"N'ais crainte, Taranis. Nous allons récupérer tout le nécessaire chez toi et avertir qui de droit pour que tes gens puissent prendre les dispositions pour se sécuriser", lui répondis-je d'une voix rassurante par le biais de notre canal. "Tu penses que ta résidence est compromise ?".

-Mais avant laisse moi jeter un coup d'oeil.

Je me penchai vers lui, posant délicatement une main sur mon ami.

-Je ne suis pas médecin mais je peux peut-être apaiser légèrement ton mal...

Je l'écoutai distraitement me raconter comment la tempête de mon ex maris avait provoqué ses multiples blessures. Teutatès avait parfois le sens de la démesure quand il s'agissait de calmer les foules. Si Taranis revenait dans cet état, je n'osais imaginer l'état des mortels qui avaient participé aux festivités...

Les yeux fermés, je tentai de visualiser son organisme dans son ensemble. Divin, pulsant de santé à un niveau incomparable avec celui des humains que je guérissais parfois... J'identifiai ses blessures, sans en évaluer efficacement le niveau de gravité. J'étais douée pour netoyer un foie ou des poumons, un corps qui avait souffert d'années d'abus et d'empoisonnement à petit feu. Mes fidèles n'avaient pas à craindre l'impacte des drogues et de l'alcool sur leur organisme. Je pouvais guérir des cancers. Mais les plaies ouvertes, ça, ce n'était guère mon domaine de prédilection. Pourtant, avec du calme et en fournissant des efforts de concentration, je pouvais aider à la guérison... Au moins un peu. Je fis de mon mieux dans l'espoir de lui offrir un peu de mon énergie vitale, avant de me détacher de lui. Il fallait prendre la route. La portière claqua derrière moi, le moteur fit trembloter la voiture.

-Qui était l'ennemi ? J'entends bien le fait que Teutatès a été à l'origine de tes blessures avec sa tempête, mais qui a porté le premier coup ? Les grecs ?

C'était eux qui étaient à l'initative des festivités. Teutatès m'avait recommandé de m'en tenir éloigné, flairant le piège... J'avais décidé d'écouter son instinct. En tant que nouvelle reine du panthéon, j'avais le devoir de rester debout pour diriger les opérations... Ce qui signifiait me tenir loin du danger potentiel, aussi frustrant cela soit il.

-Oui patron ! Le charriai-je devant la somme d'injonctions qu'il m'envoyait.

Je saisis son téléphone, cherchant le numéro du docteur.

-Oh tiens, tu as reçue un SMS d'une certaine Brenda qui dit qu'elle attend des jumeaux de toi, plaisantai-je en le taquinant sur son amour légendaires des femmes.

Petite manière gentillette de détourner son attention dans l'espoir qu'il ne se focalise pas sur sa souffrance.

Je fixai le téléphone sur le repose objet fixé sur ma grille d'aération et démarrai la voiture en lançant l'appel vers le docteur Nomur, branchant le haut parleur. Je connaissais l'adresse de mon voisin sur le bout des doigts et put donner les consignes au soignant ainsi qu'une heure de rendez-vous sur un ton tranquille. Contre toute attente, l'homme ne posa pas d'autres questions que sur le type de blessures à traiter. Lorsque je raccrochai, je levai les yeux vers le rétroviseur.

-Tu as trouvé un type bien, lançai-je. Il est bon guérisseur ?

Dans un premier temps, je lui demandai de tout me raconter dans les moindres détails. Et lorsqu'il eut terminé, je lui fis la conversation pendant tout le trajet, échangeant des banalités ou chantant sur le son de la radio pour lui occuper l'esprit. Lorsque nous arrivâmes devant sa résidence, je garai la voiture et bondit pour aller lui ouvrir.

-Si son altesse la princesse veut se donner la peine ! dis-je en mimant la révérance, avant de tendre les bras pour l'aider à sortir et le soutenir jusqu'à l'intérieur de la demeurre. Si tu me dis quoi faire, j'irai récupérer tes documents pour toi.

Ma pauvre voiture... J'en aurais pour des heures de netoyage pour enlever toutes ces taches de sang. Taranis aurait intérêt à m'aider quand il irait mieux !

Les bonnes fêtes sont toujours en bonne compagnie. Celle-ci peut se composer simplement de frères d’armes, buvant jusqu’à tomber à terre. Cependant, il n’est pas désagréable que les belles nymphes se mêlent, échauffent nos gaillards et nous fatiguent d’une délicieuse manière ! Evidemment, je n’en pipe pas un mot. D’une part, je n’en ai guère la force. D’autre part, elle est déjà largement au courant de mes travers et de mes faiblesses. Enfin, si la douleur vient à s’atténuer un tantinet, la fatigue prend vite le pas. Je bataille pour garder les yeux mi-clos, commençant à saisir que quelques bribes des phrases et questions de la Reine.

- Les grecs, ou faux grecs, ont invité à une trêve. La boisson était ensorcelée, je crois. La nourriture était empoisonnée. Ceux qui ont mangé ont vomi, ceux qui ont bu étaient souls comme jamais. Et il y avait une entrave magique, pour nous empecher d’utiliser nos pouvoirs. Puis, l’attaque. Des humains. Des déicides. Les anciens compagnons de Masha. Ils nous traquent toujours. C’est stupide. C’est vain. Incompréhensible. Ils sont incompréhensible, soufflais-je.

Paroles et pensées s’entremêlent, et je ne sais pas si elle arrivera à en faire un tri convenable.

- Nomur est bon. Et il ne pose pas de questions. C’est suffisant. C’est parfait.

Elle a son essentiel de la parfaite fêtarde, j’ai celui du combattant ! A force de se faire planter par une lame ou trouer par une balle, on cherche la bonne adresse pour se faire rafistoler en un temps record. Certes, il existe bien des guérisseurs divins parmi les nôtres, mais ils ne sont pas toujours disponibles, ni d’humeur magnanime. Un médecin humain peut faire abstraction de ses sentiments, par devoir et serment d’Hippocrate, ou alors par intérêt vénal.

La suite est un brin plus flou. Meduna me parle de banalités, je tente d’y répondre au mieux. J’en oublie presque que je me vide de mon sang ou que chaque petit mouvement est une véritable torture. Le moteur s’arrête, la portière s’ouvre et je me sens tirer. Je grimace, je jure, j’inspire et expire profondément, je grogne, mais je m’extirpe de la carcasse métallique.

- Cesses tes moqueries, très chère amie, ou tu vas tâter de ma colère et vengeance dans une poignée de jours. Tu risques fortement de le regretter.

Ma voix est faussement menaçante. L’ombre d’un sourire complice et amusé s’y dessine même.

- Je ne sais pas à quel point mon identité est compromise. Mais dès ce soir, je quitte cette maison. Et je mets à l’abri Diane, ma fille adoptive.

Je lui indique que les clés de rechange sont dans un petit boitier, avec code. Je continue à la guider dans ce dédale de couloirs, une fois que nous y mettons pied. Dès que je vois la forme familière d’une chaise, je m’y jette et étends autant que possible mes jambes.

- Au premier étage, une double porte, c’est mon bureau. Tous mes codes sont dans le téléphone. Je le déverrouille pour toi. Sur mon pc, deux dossiers à récupérer sur un usb. Projet C-1, Projet C-2.

Je lui tends le téléphone.

- Au sous-sol, une porte quasi blindée. Il y aura une étagère au fond, avec des dossiers classés. Même chose. Récupère les deux gros dossiers Projet C-1 et Projet C-2. Le reste … des objets de collection. Mais rien de magique. Rien de divin.

Le médecin ne tarde pas, la sonnerie s’entend. Il est là. Il a été rapide, le bougre.
C’est reparti pour une séance de points de sutures …

“Des faux grecs ? Des déicides ?”

Je soupirai. Comment les grecs avaient-ils pu être mêlés à ce bordel ? Ils nous invitaient dans une tentative de diplomatie et tout tournait au carnage… Il allait falloir démêler le vrai du faux, comprendre s’ils étaient directement impliqués ou s’ils avaient été piégés, comme nous.

“Comment les déicides auraient-ils pu ensorceler quoi que ce soit ?” dis-je en pensée, me posant plus la question à moi-même qu’à Taranis.

Aurions-nous été piégés à la fois par des êtres divins ou des créatures et par des déicides ? Devions-nous envisager le fait d’une alliance entre un panthéon et les déicides ? Ou bien avaient-ils frappé indépendamment l’un de l’autre sans se consulter ? L’histoire était troublante.

-Dans une poignée de jours ? demandai-je avec un petit rire. Ça me laisse du temps pour t’embêter un peu plus…

Je me demandais bien quelle forme prendrait ladite vengeance, tiens. S’il y avait bien un dieu dont je n’avais pas peur, c’était bien Taranis. Malgré son potentiel destructeur et ses capacités martiales, j’avais une confiance aveugle en lui. Une loyauté et une complicité vieille de plusieurs millénaires et de nombreuses péripéties nous liaient l’un à l’autre. Il était mon ami. Cela dit, il s’était habitué à mes farces et me rendait parfois la pareille.

-Viens en Bretagne, je vous hébergerai en ma demeure si tu as les moyens de rapatrier le matériel médical et le personnel pour prendre soin de Diane. Il y a bien assez de place.

Je le soutins comme je le pouvais, dévérouillai la porte de son domicile et l’aidait à s’installer pendant qu’il me donnait les consignes.

-Je récupère tes fichiers et je formate ton ordinateur ? lui proposai-je en songeant que c’était là le seul moyen d’effacer toute trace de ses recherches et d’empêcher d’éventuels cambrioleurs de mettre la main dessus. Tu veux aussi que je te fasse une valise de vêtements ? Je récupère certains objets de ta collection ?

Je m’éclipsai à l’étage, fouillai rapidement la maison jusqu’à trouver l’objet de ma recherche et m’exécutai selon les consignes de Taranis. Tandis que je me hâtai pour réunir les affaires de mon ami, j’entendais en bas le dieu échanger avec la voix d’un homme que je devinais être le fameux docteur. Je me glissai ni vu ni connu dans l'escalier pour poursuivre mon travail au sous-sol.

J’attendis finalement que l’homme s’en aille pour réapparaitre. Simple prudence.

-Je pense que j’ai tout. Ça va toi ? Tu es blanc comme un cul.

Taranis avait l’habitude de ma délicatesse, je n’allais pas prendre des pincettes avec lui, nous avions dépassé ce stade !

-Le docteur était un vampire, c'est ça ? Il a sucé ton sang jusqu'à la dernière goutte et tu vas m'avaler toute crue à mon tour...

Alors que je continuais à plaisanter, mes yeux parcoururent Taranis de bas en haut pour m'assurer de son état global. Des bandages, des bandages, et encore des bandages. J'espérais que le doc lui en avait laissé un stock supplémentaire pour tout changer demain... Je sentais que j'allais devoir me coller au poste d'infirmière.

- Ne t’embête avec les objets de collection. Je vais me charger de contacter des personnes de confiance pour me bouger tout ce bazar dans un lieu sécurisé, dès ce soir. Ce n’est pas la première fois que mon identité divine est compromise, ni la dernière.

A traverser les âges, nous apprenons à anticiper certains événements pouvant nous toucher personnellement. Par exemple, en tant que divinité guerrière et querelleuse, je peux aisément dire que j’ai plus d’ennemis que d’amis. Certains sont humains, d’autres sont divins. Qu’importe ! L’un et l’autre s’attaquent aux mêmes choses : l’intégrité physique et morale, les biens matériels et les proches.

J’ai donc développé mon réseau pour chaque cas de figure. Un bon médecin si je suis blessé grièvement, un lieu de retraite paisible si je suis bouleversé, un stockage de secours si mes biens risquent de payer pour moi et le rappel de quelques faveurs auprès de certaines déesses ou dieux si mes proches humains sont en danger. Cependant, je dois avouer que lesdits faveurs commencent dangereusement à s’amenuiser … La diplomatie n’a jamais été mon fort.

- Je vais gérer le transfert de Diane dès demain. Je suis pratiquement certain qu’elle est encore à l’abri pour quelques jours. Ce n’est pas aussi aisé de débouler dans un hôpital pour kidnapper un patient plongé dans le coma.

La feu-follet de l’unité ne tarde pas à disparaitre, me laissant seul avec le médecin. L’homme ne commente pas les blessures, se contenant de désinfecter et de faire les points de sutures. Avant de partir, il donne quelques consignes – que je connais par cœur – et laisse un petit paquet de médicaments. Je le remercie, lui promets un paiement sous peu et selon les modalités habituelles. Aussitôt que l’homme est-il parti, que la reine des Celtes réapparait.

- Je ne te savais pas aussi timide avec les hommes, la taquinais-je. Oh, ma chère, je n’ai nullement besoin d’etre un vampire pour te croquer. Et si tu m’offres un body shot, nous pouvons négocier de t’avaler tout cru, glissais-je avec un clin d’œil.

Le lien avec Meduna a toujours été particulier.

Epouse de mon frère, d’abord, je l’ai toujours respecté. Cependant écouter ne veut pas dire obéir docilement. A quelques occasions, j’ai mis sa précieuse unité à rude épreuve, en séduisant la mauvaise fille de la Tribu – une épouse, une fille, une sœur, une mère …

Ex-épouse – ou encore épouse, allez savoir ! – colérique et rancunière, par la suite, elle s’est invitée dans mon lit. Tout aussi blessé par l’abandon du Dieu Père et faible par nature face aux belles dames, j’ai cédé sans grande résistance. Nous avons poursuivi cette étrange relation jusqu’à y mettre un terme - ou plutôt, mieux le définir.

Amie, voilà ce qu’est-elle est maintenant. Sincère amie, amie avec affinités … C’est un tout. Nulle promesse amoureuse, si ce n’est la promesse de se soutenir face à l’adversité et d’être présent l’un pour l’autre si la solitude pèse trop. Nous avons fini par y trouver un compromis, nous permettant de nous moquer et de nous taquiner.

Est-ce que cette complicité se maintiendra avec l’unification de la tribu et le retour du Dieu Père ? Je ne sais pas.

- Si tu as tout, allons-y.

Grognant encore, je me relève avec difficulté.

- Que dirais-tu d’une nouvelle voiture ? J’ai un joli bolide dans un garage … plutôt officieux. Nous pouvons nous arrêter là-bas.

Personne n’a vu Meduna et, donc, personne ne peut se douter que je gambade dans sa voiture. Cependant, ne pas faire référence à cette voiture cachée me semble être un parfait gâchis. Elle est bien belle, et rapide, bordel !

-D’accord ! Et les sextoy de collection aussi, je les laisse au placard ?

A nouveau, je le cherche. Parce que j’essaie de dédramatiser une situation qui m’inquiète énormément, mais aussi parce que c’est notre mode de communication normal à tous les deux. De la provocation, des plaisanteries et des tacles.

-Oui, Diane est plus en sécurité dans son hôpital que nous. Une enfant dépendante de machines pour rester en vie, c’est un otage foutrement compliqué à emporter et à gérer sur la durée. Il faut du personnel médical, le minimum technologique pour la garder en vie, un lieu pour stocker tout ça… Je ne pense pas que Diane sera le premier choix de nos adversaires, elle dépérirait trop vite, mais tu as raison d’être prudent.

Je suis pragmatique. Je sais que Taranis s’est attaché à cette petite, mais nous n’avons pas le temps pour le sentimentalisme… J’y vais sans prendre de pincettes, je sais qu’il comprendra. C’est un bourrin dans l’âme après tout.

Lorsque je reviens, bien plus tard, le dieu me chambre à son tour.

-Ton médecin n’a pas besoin de savoir à quoi ressemble mon enveloppe, lui dis-je calmement.

J’arque un sourcil. Bon, il a toujours son humour… J’en déduis qu’il va bien. Quoi que, connaissant l’énergumène, Taranis serait bien capable de continuer à déconner sur son lit de mort, jusqu’à rendre son dernier souffle. Cette idée m’arrache un frisson de peur. Avec les déicides qui nous attaquent, la vraie mort rôde autour de nous. Je réalise depuis quelques mois que je pourrai ne jamais revoir certains de mes proches immortels, que je pourrai moi-même disparaître pour de bon. J’en fais des cauchemars, parfois, ça me terrifie. Ce n’est pas dans l’ordre normal des choses… Les dieux devraient disparaître par l'oubli naturel des humains, ou continuer à exister à jamais.

-Un body shot, hein ?

Des souvenirs refont surface. Ils sont vieux, ils m’arrachent un sourire.

-Remet toi sur pied et on verra ça. Tu n’es pas en état d’avaler quoi que ce soit et encore moins de satisfaire une déesse exigeante comme moi. Qu’a dit le doc ? Ton état te permet de reprendre la route ?

Que la réponse soit oui ou non, je sais déjà ce que Taranis va répondre. Et le voilà qui se lève, pressé d’en finir. Le dieu du tonnerre est à l’image de son élément : toujours en mouvement, tumultueux. J’aime cet aspect de sa personnalité, même s’il m’a donné des aigreurs par le passé. Il manque parfois de bon sens et m’oblige à me soucier de lui à sa place. Pourtant, il est là quand j’ai besoin de lui.

Je l’aide à s’installer dans ma voiture, remplaçant ma couverture tachée de sang par une autre propre que j’ai récupéré chez lui.

-Une nouvelle voiture ?

Je lui affiche un sourire en coin, curieuse.

-C’est une manière de te faire pardonner d’avoir repeint la mienne avec ton sang ou bien de me demander subtilement de rouler plus vite ?

Ma voiture est propre et efficace. J’aime le confort de la modernité, bien qu’il commence sérieusement à être remis en question par l’émergence des nouveaux dieux. En tant que cheffe d’entreprise, je dois également renvoyer une certaine image. Mais ce n’est pas une voiture de luxe et elle n’est pas ostentatoire. Je suis curieuse de savoir ce qu’il me propose.

-Très bien, on fait un détour par ton garage s’il n’est pas trop loin, puis cap sur la maison de Marie.

Je m’éclipse, le temps de charger les affaires de Taranis dans mon coffre, puis ferme la maison. Cap sur le garage. J’ai hâte de trouver un moment de calme où me concentrer à tête reposée pour contacter les celtes. Je veux m’assurer qu’ils vont bien, faire l’état des pertes.

-Tu ne m'as pas dit, qu’en est-il des autres ? Nos alliés ont-ils tous pu fuir les lieux ? Y a t-il des morts ?

Nous changeons de véhicule, et j’aide à nouveau Taranis à se déplacer pour s’installer. Il n’a pas menti, sa voiture est superbe… Et elle a le mérite d’être confortable. Je relève doucement la couverture sur lui, presque avec tendresse.

-Repose toi, je nous conduits en sécurité.

Je pourrai rouler le reste de la nuit et rejoindre ma résidence principale, en Bretagne. Taranis y serait confortable et j’aurais tout le matériel et l’aide nécessaire sur place pour gérer sa guérison au cours des jours à venir. Mais plusieurs problèmes se posent : premièrement je ne suis pas certaine qu’il soit en état d’encaisser un tel trajet, ensuite je préfère rester à portée de la capitale si je dois intervenir pour porter secours à un autre de mes sujets.

Je recherche l’adresse dans un vieux carnet qui me sert à noter tout et n’importe quoi, jette un coup d’oeil à la carte et réfléchit au meilleur itinéraire pour rejoindre la maison de campagne de banlieue de mon amie. J’allais devoir contourner Paris, misant sur le fait que la ville serait en ébullition après les événements de cette nuit. Avec un peu de chance, la police ou l’armée n’aurait pas encore de suspect et mis de barrage routier en place.

“Nous verrons bien”, songeai-je en allumant le moteur.

Nous arrivons une bonne heure et demie plus tard. Je quitte le véhicule, laissant le chauffage allumé pour Taranis, et fait le tour de la maison pour vérifier que je suis au bon endroit. C’est la première fois que je mets les pieds ici, mais je trouve bien les clés à l’endroit indiqué par la propriétaire. Je n'ai plus qu’à espérer que la maison soit un minimum équipée. Avant d’aller chercher le dieu qui comate dans la voiture, je décide de faire un tour rapide du propriétaire pour repérer, rallumer le courant, et le chauffage. Il gèle ici, on sent que l’endroit n’est pas visité régulièrement. Ca ira, il y a des couvertures en pagaille, une trousse de premier secours aussi… Je me représente bien la mère de famille qu’est Marie, prévoyante en toute situation. J’ai repéré une épicerie de nuit à proximité, si besoin j’irai faire quelques courses.

Je retourne à la voiture.

-On est arrivé, princesse. Prépare toi, il fait froid dans la maison.

Je lui tend la main, l’aide à sortir et le guide vers l’intérieur.

- Chérie, je ne refuse jamais de satisfaire une dame, même si je dois y perdre une enveloppe. Au pire, amène donc mes sextoys. J’ai souvenir que nous nous étions bien amusés avec les jouets de l’époque. Je ne doute pas des merveilles que nous pourrions accomplir, avec les merveilles technologiques d’aujourd’hui.

Je ne me fâche pas quand il est question de sexe. Entre mes frères qui se sont moqués tant de mes enveloppes que de mes aventures, mes ex qui m’ont taquinés comme hais et mes multiples divagations et expérimentations sexuelles, je peux aisément dire que je n’ai plus grand pudeur ou scrupule dans ce domaine-ci et que tout est sujet à rire – ou à aimer – mais nullement à se quereller.

Telle est ma philosophie de l’amour.

- Je suis un dieu, Meduna ! Avec les premiers soins du bon médecin et ma constitution divine, je suis sur pied d’ici deux ou trois jours.

La Déesse de l’Unité m’aide à monter dans sa voiture. Elle me couve aussitôt d’une nouvelle couverture. Elle est propre.

- Teutatès a fait tomber le ciel sur la tête de nos ennemis, puis a disparu. Mama Quilla s’est volatilisée avec Marsha. Esus et Ceridwen ont fui ensemble. Je pense que, globalement, nous avons pu nous échapper. Pas d’otage ou de celtes morts, cette fois-ci.

Pourtant, j’ai la terrible sensation que le pire reste à venir. Quel était le véritable but de cette soirée ? Les organisateurs avaient un projet, mis à mal par les déicides. Qui a eu l’idée de cette invitation ? Qui a été mis au courant ensuite, secrètement ou publiquement ? A qui profite une telle soirée ? Qui gagne à ce bordel ?

Il y a trop de zones d’ombre. Or, là où il y a des ombres, il y a du danger.

- Ca, c’est que j’appelle une bagnole, Meduna. Tu sens le cuir ? Tu vois la différence ?

Je la taquine, je la charrie, je la bouscule un tantinet. Je ne peux pas continuer ce jeu plus longtemps. Mes paupières sont trop lourdes, mon corps trop endolori … les produits du doc’ commencent à faire effet. Certes, je suis divin, mais je ne suis pas totalement immunisé. Là où un homme aurait été assommé au bout de deux heures, je l’ai été au bout de quatre heures. L’endurance et la résistance, voilà toute la différence entre un mortel et un divin !

La voix de Meduna m’extirpe d’un sommeil agréable et sans rêve. Je grogne, je somnole, je grimace, mais j’avance. Nous traversons quelques pièces, pour finalement arriver à une chambre. Je ne cherche pas midi quatorze heures, je me couche sur le lit et rejette ma couverture de fortune sur moi.

Je vais dormir autant que mon corps l’exige, me réfugier dans ce sommeil des braves et des heureux.

- Il y a assez de place pour deux …

Je bredouille le début d’une blague, mais elle se perd au fur et à mesure que ce crétin de Morphée gagne du terrain.