La main tenait fermement la sienne dans ce geste d’appréhension qu’elle n’avait que trop souvent vu au fil des siècles, depuis sa création. Cette crainte qui déformait les visages lorsque le moment était venu de mourir et qui se retrouvait jusqu’au fond des yeux de la personne. Cette femme dont elle était au chevet, Epone lui était venue en aide quelques années auparavant lorsque réunies par la Mort la divinité l’avait entendu faire mention de son absence de fertilité. Elle avait alors accompli son Devoir divin et depuis elles étaient restées en contact malgré les récents évènements qui avaient affectés la celte. Cette dernière essayait de repousser cet instant fatidique mais le spectacle de souffrance qui s’offrait à elle commençait à lui devenir trop insupportable, si elle attendait encore elle se retrouverait incapable de faire quoi que ce soit et se retrouverait avec l’esprit tout simplement « ailleurs ». Elle prit une profonde inspiration puis caressant la joue de la femme en guise de dernier aurevoir, elle se dégagea de l’emprise de sa main pour venir l’envelopper entre les siennes elle expulsa doucement son souffle tandis que de sa volonté elle appela l’âme à elle, la guidant ainsi vers ce repos éternel.

Lorsque toute force abandonna cette main qu’elle tenait, l’être divin la reposa le long du corps avant de se lever et de quitter la pièce d’une démarche raide. Une fois qu’elle eut refermé la porte après sa sortie, elle s’appuya un instant contre le mur, les yeux fermés et repensant à ce qu’elle avait fait pour cette femme, ce destin tragique qui était survenu plus tôt qu’il ne l’aurait dû. Passant ses mains sur son visage comme pour se réveiller, Epone se redressa puis elle parcouru les derniers mètres qui la séparaient des escaliers et du salon où attendaient cet époux et ces deux très jeunes enfants nés grâce à elle. Quand ses yeux se posèrent sur eux, elle vit toute la peine qui les habitaient et elle éprouva des difficultés à sortir ces mots qu’elle voulait et devait leur adresser. Serrant les mâchoires, elle s’avança alors vers eux.

- C’est terminé. Elle a rejoint la place qui lui était réservée et vous serez réunis en temps voulu, finit-elle par annoncer avant que les enfants ne s’approchent d’elle et ne l’entourent de leur petits bras. Stoïque elle les laissa faire avant de se pencher légèrement vers eux pour les décrocher d’elle et les repousser doucement vers leur père. C’était une femme bien, honore-la autant que possible.
- Merci, Epone, répondit-il d’une voix transformée par le chagrin.

Elle hocha légèrement la tête puis elle fit alors volte-face et s’empressa de quitter la maison dont l’atmosphère commençait à lui être trop étouffante. L’air frais de la soirée lui eut ainsi l’effet d’une gifle revigorante même si la divine sentait son être encore alourdi par la tâche qu’elle venait d’accomplir. Expulsant une profonde inspiration jusqu’à ce que ses poumons soient à la limite, elle se dirigea vers sa voiture pour rentrer chez elle.

La maison, située dans le quartier des Plantières-Queuleu, lui permettait d’avoir en tout temps une vue les jardins Jean-Marie Pelt et sur la Seille qui coulait jusqu’à la Moselle. Une vue qui lui permettait généralement de trouver l’apaisement dont elle avait besoin mais la fatigue se faisant présent ce ne serait probablement pas ce soir qu’elle y trouverait du réconfort. A peine arrivée chez elle il ne lui fallut pas plus d’une heure avant qu’elle ne soit en pyjama, étendue sur son lit et se laissant attirer dans le gouffre de l’inconscience.

Une fois de plus ce fut le souvenir de sa torture aux mains des nordiques qui vint agiter son sommeil mais fait nouveau alors que la douleur était à son paroxysme elle entendit le tonnerre rouler au-dessus de sa tête, à l’extérieur du bâtiment. Elle se remémorait suffisamment régulièrement ce qu’il s’était passé à ce moment-là pour savoir qu’il n’y avait pas eu de tonnerre. Une fois. Deux fois. A la troisième fois elle ouvrit les yeux dans un sursaut qu’il lui fit manquer un battement de cœur. Un éclair illumina momentanément sa chambre avant que le silence ne tombe quelques instants et que le tonnerre se fasse de nouveau entendre. Se redressant, se massa la nuque d’une main avant de décider de se lever. Ne regardant même pas l’heure qu’il était afin de ne pas s’accabler face à un sommeil qui aurait pu ne durer qu’une trentaine de minutes, elle descendit dans la cuisine afin de se faire chauffer un peu pour une tisane. Le gaz allumé, la théière positionnée correctement, Epone s’éloigna vers le salon afin d’observer par la fenêtre le spectacle qui se déroulait sous yeux.

L’orage. Cela pouvait tant lui rappeler ce frère de mission, Teutatès qu’elle n’avait pas vu depuis la catastrophe, en vie. Elle observa le ciel strié aléatoirement d’éclairs et alors que le tonnerre roulait à nouveau, elle cru entendre frapper à la porte. Se retournant, elle fronça légèrement les sourcils, attendant de constater s’il s’agissait d’invention de son esprit et lorsque les coups se reproduisirent elle ne bougea pas, interdite. Qui pouvait bien se trouver de l’autre côté de la porte à une heure si tardive ? Un des siens ? Elle l’espérait. Un tueur de dieux ? Si c’était le cas, qu’elle ouvre ou non il s’occuperait d’elle. Prenant une profonde inspiration, elle prit son courage à deux mains et alla déverrouiller la porte qui lui offrit la vue d’un homme qu’elle ne connaissait pas en apparence. Mais ce qui se dégageait de lui, elle le connaissait bien. Epone se figea. S’agissait-il bien de Teutatès ou son esprit lui jouait-il un mauvais tour et elle était en fait encore dans son lit, en proie à un cauchemar ?

- Tu… c’est bien toi, Teutatès ?

A cet instant où les coups s’étaient enchaînés sur la porte d’entrée, l’inquiétude avait envahi l’esprit d’Epone sans qu’elle ne puisse vraiment lutter. Comment le pouvait-elle ? Son esprit ne s’était guère remis de ce que les nordiques lui avaient infligé et tout désormais prêtait à méfiance, un ennemi pouvant se cacher derrière n’importe quel visage pour venir la prendre. Peut-être s’était-on méfié d’elle et qu’on l’avait fait suivre afin de déterminer qui elle était ? Peut-être avait-on torturé un de ses croyants pour tenter de parvenir jusqu’à elle ? Peut-être s’agissait-il d’un piège dans lequel elle venait d’être enfermée et des hommes entraînés à tuer ne tarderaient pas à faire irruption chez elle, et dans ce cas soit elle mourrait soit à nouveau elle connaîtrait des tortures inimaginables ? Ou peut-être qu’elle ne devait pas écouter les alertes que lui criait son esprit et tout simplement écouter sa raison qui lui soufflait qu’il pouvait tout aussi bien s’agir de l’un des siens ? Hormis pour cette dernière possibilité, qu’elle ouvre la porte ou qu’elle la laisse verrouillée il n’y avait pas de grandes différences à noter : si on voulait l’atteindre, on l’atteindrait peu importe l’obstacle qui pourrait la protéger.

Après avoir prit une profonde inspiration elle avait alors ouvert la porte et si de prime abord le visage de cet homme qui se tenait en face d’elle lui était tout bonnement inconnu, ce qui se dégageait de lui ne l’était pas le moins du monde. Elle ne connaissait que trop bien cette force et ce devoir qui habitaient ce corps mais était-ce bien la réalité qui s’offrait à elle ? Etait-ce bien Teutatès qui se tenait là et qui lui adressait un léger sourire qui vint s’agrandir alors que les secondes s’égrainaient ? Ou ce réveil nocturne qu’elle croyait réel n’était rien d’autre qu’un autre cauchemar au cœur de son songe ? Elle avait pourtant la réponse devant ses yeux mais elle se retrouvait figée, incapable de croire l’évidence et il fallut que le divin prenne la parole pour que cette réalité vienne peu à peu envelopper son esprit. Pour que la certitude soit pleine et entière, sans que le doute ne puisse à nouveau la pétrifier sur place. Elle ne pu retenir bien longtemps un léger soupir de soulagement avant qu’enfin ses muscles se détendent, l’appréhension qu’elle avait ressenti ne devenant plus qu’un souvenir dans son esprit.

- Je… Oui oui entre, je t’en pries, répondit-elle en lui adressant un léger sourire avant d’ouvrir un peu plus grand la porte et de se décaler sur le côté afin de le laisser passer. Lorsqu’il l’eut dépassé, alors qu’elle refermait doucement la porte elle ne pu s’empêcher de jeter un rapide coup d’œil à l’extérieur et à nouveau elle verrouilla le loquet. Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Elle retourna dans la cuisine, prête ouvrir le meuble contenant différentes bouteilles d’alcool avant que la question qui lui brûlait les lèvres ne l’amène à se tourner vers lui. Je suis sincèrement désolée pour ce qu'il s'est passé, ce n'était pas mon intention... Depuis combien de temps et comment ?

Avoir Teutatès non loin d’elle après les nombreux mois qui s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu était relativement perturbant pour elle. Sa présence soulevait de nombreuses questions dans son esprit mais surtout provoquait un torrent d’émotions qu’elle essayait de canaliser du mieux qu’elle pouvait : cacher à quel point elle avait été touchée, affaiblie par ce qu’elle avait vécu, était une volonté de ne pas inquiéter ses camarades, volonté empreinte d’une certaine fierté. Elle s’attela à reprendre le contrôle d’elle-même et à afficher ce visage avenant, souriant, qu’elle avait toujours adressé aux siens. Un sourire pour lequel elle était appréciée et qui semblait avoir toujours été communicatif, si elle en jugeait par l’ombre de celui qui s’affichait sur le nouveau visage du celte. Une réponse silencieuse qui l’aida à éloigner l’appréhension qui avait pu tendre ses muscles quelques instants auparavant. Elle retourna alors vers la cuisine, guidant son frère, puis si elle lui demanda ce qu’il voulait boire, elle ne mit pas bien longtemps avant qu’elle ne lui présente des excuses et le questionne. Depuis combien de temps était-il revenu parmi eux ? Et surtout qui avait réussit à le ramener et à lui offrir ce corps ?

Se retournant tandis qu’il lui répondait, elle éteignit le gaz et mit de côté la bouilloire avant d’ouvrir le meuble contenant plusieurs bouteilles de spiritueux. Son regard survola le kirsch, l’absinthe ou encore le rhum pour se poser sur une bouteille de whisky écossais qu’elle n’avait encore même pas ouverte mais alors qu’elle refermait sa main dessus et s’apprêtait à se relever, elle senti ses mâchoires se serrer à l’écoute de ce qu’il lui disait. Elle ne s’était pas excusée pour l’attente qu’elle lui avait fait subir devant sa porte et lui tournant le dos, elle ignorait totalement s’il se moquait gentiment d’elle ou s’il n’avait pas compris pour qu’elle raison elle s’excusait. Sequana était la première concernée et dès qu’elle reviendrait Epone irait la voir. Taranis était celui auprès duquel elle devrait des excuses et même s’ils étaient proches, elle craignait sa réaction. Teutatès quant à lui aurait pu voir son enveloppe être tuée s’il n’avait pas été aidé à sortir des Catacombes et de ce fait il aurait pu payer de cette action à la fois désespérée, importante et dangereuse. Elle posa la bouteille non loin d’elle puis ouvrir un placard au-dessus de sa tête pour en sortir deux verres à Whisky et elle emporta le tout sur le plan de travail.

- Une sacré démonstration de sa Foi, ce n’est pas rien. Cela laisse supposer qu'elle est digne de confiance, constata-elle tandis qu’elle remplissait à mi-hauteur les verres de ce Glenfarclas de vingt-et-un an d’âge. Je comprends, il s’en est passé des choses ces derniers mois et s'habituer à un nouveau corps ce n'est pas comme enfiler une paire de chaussettes ! reprit-elle tandis qu’elle faisait doucement glisser un des verres dans la direction du divin qui semblait en grande observation. A ton retour, Teutatès, dit-elle avant de lever son verre dans sa direction puis de boire une gorgée. Lorsqu’il se retourna vers elle et la questionna, Epone prit une nouvelle gorgée avant que sa langue ne claque contre son palet. Que pouvait-elle répondre sans dévoiler ce qu’elle ressentait ? Elle passa une main dans ses cheveux. Votre mort à tous les trois m’a décidé à venir habiter ici. Depuis, j’effectue des voyages sur les terres qui m’étaient acquises pour raviver la foi envers moi et rallier les croyants à notre cause. Et plus tôt dans la soirée, j’ai dû guider l’âme d’une fidèle que je connaissais depuis quelques années, une femme bien qui nous aurait été grandement utile. Voilà les nouvelles ! Hors de question de mentionner le fait qu’elle s’était occupée de leur ancien corps, ni que la mort de cette fidèle l’affectait. Ni n'avait pas besoin de ça, pas maintenant.

Inspirer. Expirer. Doucement, dans une volonté de se maîtriser face à ce divin avec lequel elle pouvait tant partager, de ne pas provoquer chez lui la moindre inquiétude mais y parvenait-elle seulement ? Vaste question à laquelle Epone se trouvait bien incapable de répondre tandis qu’elle réagissait aux informations qu’il lui partageait ou encore aux question qu’il posait. Elle ne pouvait nier le fait que derrière le bouleversement qu’il avait provoqué en elle en lui rendant visite ce soir, elle se réjouissait de sa présence auprès d’elle mais elle ne pouvait pleinement se reposer sur ce sentiment qui l’apaisait autant qu’il provoquait crainte et force. Lorsqu’il mentionna Masha Lancaster, elle ne fit guère grande démonstration de ce qu’elle pouvait penser de l’humaine dont le passé provoquait chez elle une grande méfiance en son encontre mais si cette même femme avait accompli le rituel pour faire revenir Teutatès… Soit elle jouait un rôle à la perfection pour gagner leur confiance et mieux les trahir. Soit elle montrait-là une Foi sincère qui leur serait d’une grande utilité. A la précision concernant l’attachement de cette nouvelle prêtresse, elle haussa les épaules.

- Elle est proche de plusieurs d’entre nous, en cela j’en suis certaine. L’important étant qu’elle soit fidèle envers nous et il semble qu’elle vienne d’en faire la démonstration, réagit-elle tandis qu’elle refermait la bouteille avant de la poser non loin d’elle. Si nos rôles aujourd’hui ne sont pas aussi clairs qu’ils ont pu l’air par le passé, alors nous devrions en discuter non ? Comme ils avaient tant pu le faire autrefois. Il avait eu besoin de se familiariser avec les récents évènements, s’habituer à ce nouveau corps, volonté qu’elle pouvait amplement comprendre et pour laquelle elle était prête à lui laisser le temps qu’il faudrait pour qu’il soit pleinement en possession de ses moyens. Faisant glisser un verre vers Teutatès elle ne pu s’empêcher de glousser avant de porter un toast, malgré tout ce qu’il avait vécu, quelque part il n’avait pas changé d’un iota et ce n’était pas pour lui déplaire.  Mais ce court moment de légèreté fut perturbé par cette question qu’il lui posa. Loin d’être nourrie par la volonté de lui arracher ce qu’elle ne voulait pas lui dire, cette interrogation sur ce qu’elle pouvait apporter comme nouvelles de son côté vint la confronter à sa volonté de ne pas l’inquiéter en se confiant sur ce qu’elle ressentait.

Elle ne pu s’empêcher de prendre une nouvelle gorgée de whisky ni ne pu empêcher ce geste réflexe de passer sa main dans ses cheveux. Que pouvait-elle lui dire ? Si elle lui fournissait le strict minimum de détails, il ne saurait s’en contenter et il la questionnerait d’autant plus. Si elle en fournissait trop, il pourrait s’inquiéter et elle ne le voulait pas. Elle s’attela alors à lui répondre succinctement alors qu’il détournait son regard d’elle et venait porter son attention sur son propre verre avec lequel il jouait du bout des doigts. Lorsqu’il prit la parole elle porta à nouveau son verre à ses lèvres et elle prit cette fois une gorgée plus longue.

- Avec mon plus beau sourire et mes meilleurs arguments, répondit-elle tout d’abord avec un soupçon d’humour avant que le sérieux ne s’empare d’elle. Je cherche tous ceux auxquels je suis venue en aide par le passé ou en fonction leur descendants puis ceux qui ont transmis leur Foi en moi à leur descendants je viens la renforcer et je m’assure qu’ils la transmettent à leur tour, pour les autres je fais la démonstration de mes pouvoirs. Posant son verre devant elle, à la nouvelle question de Teutatès elle secoua légèrement la tête. Je l’ignore, probablement avec Dagda. Mais si tu te rends à Nantes pour trouver notre Reine, elle devrait pouvoir t’apporter une réponse, ajouta-t-elle avant de se rapprocher de lui et de poser une main sur son épaule. Je suis ravie que tu sois revenu, sincèrement, nous avons besoin de tout le monde pour les temps à venir !

Qu’ils le veuillent ou non, ils formaient tous une grande et même famille au sein de laquelle ils avaient leurs points de complicité comme de mésentente. Malgré les difficultés internes tous avaient toujours plus ou moins mettre leurs différents de côté afin que l’union sacrée puisse exister et triompher de leurs ennemis. A nouveau cette union devait exister pour leur propre salut face à des forces qui ne reculeraient devant rien pour les éliminer pour de bon, bien qu’elle ait pu prendre un coup avec les morts des précédentes enveloppes de deux des leurs et de leur alliée.

Epone prit une profonde inspiration. Désormais il lui faudrait toujours songer à vider son esprit en présence de Teutatès afin que ses pensées ne puissent affecter ses émotions et qu’il ne puisse les ressentir. Si elle ne pouvait aucunement oublier le passé qui avait été témoins de leur éloignement, ni oublier ce qu’ils représentaient l’un pour l’autre, elle ne voulait cependant pas devenir un poids pour lui comme pour les autres. Elle devait continuer à lutter contre elle-même pour ne pas se trouver de nouveau tétanisée devant le danger, pour ne pas perdre pied dans les instants les plus décisifs pour elle. Parler d’autre chose qu’elle permettait de chasser ses pensées et les sentiments qui leur étaient mêlés, malgré tout elle pouvait voir qu’il percevait d’elle ses doutes concernant Masha et ses paroles ne tardèrent pas à le lui confirmer. Il connaissait le passé de cette désormais prêtresse, cela avait quelque chose de rassurant mais il s’agissait-là d’un impératif : il n’aurait tout de même pas laissé une tueuse de dieux les approcher s’il n’était pas certain de son potentiel. Silencieuse, la celte hocha légèrement la tête convaincue par les mots de Teutatès mais gardant tout de même quelques réserves.

Lorsqu’il lui posa des questions la concernant, elle n’eut d’autre choix que d’y répondre, se fendant d’une légère note d’humour avant que le sérieux ne la gagne à nouveau. Il y avait tant de choses à faire… Elle ne se sentait pas prête à s’afficher au grand jour, risquant d’attirer sur elle bon nombres d’ennemis, il était bien plus agréable d’agir dans l’ombre bien que le souvenir de la Bretagne il y a plusieurs semaines de ça était le symbole du temps qui jouait contre les anciennes divinités qu’ils étaient et les risques qu’ils encouraient à chaque jours s’écoulant. Elle pressa légèrement l’épaule de Teutatès.

- Oui, je les ai vus. Esus m’a demandé d’apaiser les morts qui nous appartiennent et qui n’ont pu trouver le repos depuis tous ces siècles. Quant à Taranis… il a assisté à une cérémonie funéraire que j’ai officié selon nos coutumes, il a apprécié que je m’en sois occupée, répondit-elle simplement avant de reculer pour reprendre son verre, de le terminer et de se servir à nouveau de whisky.

Lorsqu’il reprit la parole, Epone ne pu retenir un sourire. Malgré les années, il ne changeait pas vraiment, quelque part il restait toujours le Teutatès qu’elle connaissait. Rapprochant la bouteille de lui afin qu’il puisse se resservir comme il le souhaite, elle s’approcha à nouveau de lui et vint poser son front contre la joue de Teutatès, ses paupières venant se fermer un instant.

- Taranis m’a épaulée quand tu es parti la première fois, avant que les romains ne me prennent. Un autre aurait sûrement pris ce rôle, nos Ankous aussi… mais tu es irremplaçable. Tout serait différent sans toi, cela n'aurait pas la même saveur, répondit-elle doucement avant de laisser un soupir s’échapper de sa bouche et de se reculer légèrement. Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir sauvée des Nordiques à cause de ce satané bouclier... si tu as besoin de quoi que ce soit je serais là pour toi, toujours !

Tu n’as pas à te cacher de moi. Je ne te ferais jamais de mal. Les paroles de Teutatès flottaient dans l’esprit de la déesse, à la fois rassurantes et tranchantes. Elle n’était pas douée de l’empathie qu’il possédait mais elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il était sincère avec elle, qu’il ne la blesserait. Du moins il ne le ferait pas sciemment et c’était pourtant qui était arrivé au travers des manquements de son frère de mission divine lorsqu’ils avaient eu le plus besoin de lui. Mais cela appartenait à un passé qu’elle se devait de surmonter pour son propre bien comme celui des siens. L’écoutant avec la plus grande des attentions, elle s’attelait à maîtriser ce qu’elle ressentait pour ne pas affecter le Juge des Âmes. Elle se devait à nouveau être cette partenaire qu’elle avait toujours été pour lui, l’épauler dans ses décisions comme dans ses actions et bien évidemment de lui faire confiance comme elle avait pu le faire bien des siècles auparavant. Même si cela devait être au sujet d’une nouvelle prêtresse au parcours relativement discutable. S’il la tenait alors Epone devait accepter cette prêtresse même si elle savait qu’elle serait encore suspicieuse à son sujet.

- C’est entendu, je te fais confiance.

Le sujet de la prêtresse clos, leur discussion dévia inévitablement sur Esus et Taranis les frères d’essence de Teutatès et avec leur nom le souvenir des différentes retrouvailles. Auprès d’Esus si leur échange s’était relativement bien déroulé il avait été bien trop rapidement perturbé par l’irruption d’un des nombreux minions de l’Unique. Baal avait lu ses peurs, étendant de manière significative les fissures dans son esprit qui la séparaient de l’abîme de la folie, ces fissures engendrée par la torture qu’elle avait subie des mains nordiques, et elle avait de nouveau perdu pied. Tout va bien, tout va bien. Inspire, expire. Elle ne mentionna alors que ce que le dieu avait besoin de savoir : que par son rôle de Guide elle apaiserait les morts leur appartenant, participant de fait à cette reconquête de leur territoire. Et pour ce qui était de Taranis, elle considéra qu’il serait préférable de s’en tenir aux éléments concernant la cérémonie mortuaire et rien d’autre. La réaction de Teutatès la soulagea quelque peu avant qu’elle ne fasse un premier pas dans cette nécessité que leur entente devienne similaire à ce qu’ils avaient connus il y a si longtemps.

Elle était là, contre lui. Le front posé contre la joue de ce dieu dont elle était si proche par leur histoire commune. Elle était sincèrement reconnaissante du fait qu’il soit venu la secourir et l’arracher aux griffes de l’horreur. Les paupières closes, elle ne cilla pas lorsqu’elle senti le souffle chaud de Teutatès lui caresser les cheveux. Un court instant de proximité qui venait agréablement la réchauffer. Et alors qu’elle rouvrait les yeux, son cœur se serra légèrement aux paroles que son frère lui adressa.

- Tu es là. Je suis là. C’est ce qui importe, l’instant présent. Tâchons de ne pas nous appesantir avec ce passé et avançons, répondit-elle alors qu’elle se reculait légèrement sans toutefois rompre totalement tout contact avec lui. Vas et fais ce que tu dois accomplir, réagit-elle tout d’abord avant de lui adresser un tendre sourire. Tu es le bienvenue Teutatès et je n’ai pas envie d’être seule cette nuit.

Le délestant de son verre, Epone ensuite prit délicatement la main de Teutatès et l’entraîna dans son sillage, le menant à l’étage vers cette chambre d’appoint si peu utilisée. Une fois qu’elle eut appuyé sur l’interrupteur et que la lumière éclaira la pièce, la celte relâcha la main du divin afin de rapidement vérifier que tout était en ordre avant de revenir vers lui.

- La salle de bain est au bout du couloir à droite. Tu as à peu près tout ce dont tu pourrais avoir besoin et tu trouveras des serviettes dans le meuble sous le lavabo. Elle commença à le contourner. Je ne pense pas beaucoup dormir, alors si tu as besoin je suis juste à côté, conclu-t-elle avant de se hisser légèrement sur la pointe de pieds pour venir déposer un baiser sur la joue du celte et s’éloigna, parcourant les quelques mètres la séparant de sa propre chambre. Taranis lui avait dit de se confier auprès de Teutatès lorsqu’elle le verrait mais comment pouvait-elle lui infliger cela ?