Just a child of light ?

Ce jour-là, j’avais été engagée pour participer à un clip vidéo. Bien que cela fasse parti des possibilités du mannequinat, c’était la première fois qu’on me demandait de tourner devant une caméra pour autre chose qu’une publicité. Dans la mesure où je m’ennuyais facilement, j’accueillis cette opportunité de faire quelque chose de nouveau avec une certaine allégresse qui ne manqua pas d’inquiéter mon agence. Les membres de cette dernière étaient conscients de ma bizarrerie et ne me gardait que parce que j’étais, à côté de ça, très peu regardante sur les offres d’emploi. Poser dénudée ou avec des concepts plus qu’originaux ne m’avait jamais fait reculer ! De plus, je plaisais pas mal aux annonceurs or, vous savez ce qu’on dit, le client est roi. En la circonstance, je me doutais que ce n’était pas l’agent en charge de mon book qui m’avait proposé mais que c’était l’un des créateurs du clip qui m’avait expressément demandé. Pour cette raison je m’étais imaginée qu’on avait besoin d’une fille pas trop farouche, aussi je fus très surprise lorsqu’on me tendit une tenue des plus virginales. Dans cette robe corset blanche qui faisait ressortir mon côté lolita, j’avais un air très angélique – dont je savourais l’ironie car mon chaos n’avait rien de bien saint.

D’après le script, la chanson était très introspective, et le clip plutôt mélancolique puisque je cherchais le chanteur toute la vidéo pour qu’à la fin il ne soit pas là. D’après mon agent, c’était aussi un tribut à Apollon même si je n’ai pas bien compris pourquoi, en dehors du fait que le dieu grec était celui du soleil, donc de la lumière. Je ne m’intéressais pas assez aux stars du moment pour connaître Romain, son travail et tout le reste. Comme je l’ai dit, en général je tournais des pubs, donc les seules célébrités que j’étais amenée à rencontrer étaient celles qui jouaient avec moi – d’autres mannequins le plus souvent. On m’avait briefée sur mon client dans la voiture qui m’avait conduite sur le lieu de tournage, sinon j’aurais peut-être fait un peu plus la fine bouche. J’étais une prêtresse de Loki après tout… enfin, au fond, les grecs sont nos alliés. Je peux bien prêter mon image pour un hommage indirect.

La coiffeuse mettait une dernière touche à ma chevelure, de façon à ce que mes ondulations naturelles soient sculptées à la perfection sans pour autant que cela paraisse « trop » : tout le concept de la vidéo mettait en avant la beauté naturelle. À cet égard, je n’étais pas trop mal lotie, et le chanteur qui venait à ma rencontre non plus. Dans nos domaines respectifs, c’était un pré-requis. Nos corps faisaient vendre. Je répondis au sourire de Romain mais pris trois secondes de réflexion avant de répondre… j’avais toujours eu un problème avec le small talk, voire avec la conversation en général. Une part de moi était tentée de la jouer comme à mon habitude, en parlant à la brosse ou au champ de blé, sauf que j’étais au travail et, comme j’avais des factures à payer, je ne pouvais pas faire n’importe quoi pour le seul plaisir de mettre mal à l’aise. Ce contrat était important pour mon agence, on me l’avait assez fait comprendre.

« Merci monsieur Papadopoulos, je suis heureuse que le résultat vous satisfasse et enchantée de faire votre connaissance, vous pouvez m’appeler Lorelei » Mes parents seraient tellement fiers de cette présentation absolument normale ! Et chiante à mourir, entre nous. Du coin de l’œil, je vis mon agent qui triturait ses feuilles nerveusement, pauvre chéri… il ne devait plus dormir depuis qu’il savait que j’avais été réclamée pour ce gros projet. « Ce clip va beaucoup me changer de mes contrats habituels, je vous suis très reconnaissante pour cette opportunité » Peut-être pas à ce point mais c’est vrai que c’était mieux payé que d’autres boulots, avec ce salaire j’allais pouvoir me mettre en off quelques jours pour me consacrer à mes recherches et je n’étais, encore une fois, pas du genre à cracher dans la soupe. « Mon agent m’a beaucoup parlé de vous dans la voiture, je dois avouer que je n’étais pas familière avec votre travail, mais je suis originaire de Norvège et peu intéressée par la culture datant d’après le Moyen-Âge » Oui, je disais ça pour filer des sueurs froides à tout le monde, que voulez-vous, je ne pouvais pas m’empêcher de stresser un peu plus le représentant de mon agence. Je coulais un nouveau regard vers le pauvre ère et lui sourit malicieusement. « On a dû vous dire que j’étais une originale, toutefois je suis aussi une pro’, ce clip sera formidable » Voilà qui devrait rassurer tout le monde : et on ose dire après ça que je ne suis pas gentille ! Tsss !

Indifférente aux autres – y compris la mère du chanteur – je me contentais de sourire de mon air le plus aimable. Afficher des expressions en fonction des demandes faisait parti de mon boulot, par conséquent je cachais plutôt bien le léger malaise qu’entraînait chez moi le fait de devoir paraître normale. Les banalités, les politesses sans saveur, je les fuyais depuis que je savais parler… et ce n’était pas une hyperbole pour le style : j’avais prononcé mes premiers mots tardivement pour cette raison. J’aimais encore mieux ne rien dire que de me perdre en échange de ce genre… Mais j’avais déjà dû quitter la fac à cause de mes excentricités, je ne pouvais pas me permettre de fâcher radicalement mon agence. Ceci d’autant moins que j’étais maintenant une prêtresse et que mon service n’en était que plus facile en étant mannequin : je pouvais voyager sans éveiller les soupçons et mon attitude racoleuse était mise sur le compte de mon boulot dans les magazines de lingerie. Vraiment, c’était le boulot parfait pour user de mes qualités au service de mon dieu, et c’est en pensant très fort à ces arguments que je m’en tins à un « Très bien, Romain alors » sans aucun intérêt.

Heureusement, la conversation passa sur ma spécialité professionnelle, sujet autrement plus marrant qui me permit de ne pas avoir à me mordre l’intérieur de la joue plus longtemps pour contenir mon impatience ! « Je ne refuse jamais de contrat, quel qu’il soit. C’est de là que vient mon fameux domaine de prédilection d’ailleurs : c’est moins un choix qu’un besoin de payer mes factures ! » Je ne trouvais aucunement dégradant d’utiliser mon image, même dénudée, pour vivre. Quand je serai trop vieille pour poser en sous-vêtements, je pourrai toujours retourner à mes premières amours de recherches universitaires mais d’ici là j’avais un boulot lucratif qui ne me demandait comme effort que de surveiller ma ligne et l’état de ma peau. Or, pour ces deux points, même si je n’irais pas jusqu’à dire que cela coulait de source car j’avais mes mauvaises périodes comme tout le monde, j’étais plutôt vernie : tout ce que je n’avais pas en empathie, je l’avais en sex-appeal. Après, n’allez pas me faire dire ce que je ne dis pas, il existe des tas de femmes beaucoup plus belles que moi, y compris dans ma parti. J’étais juste bien adaptée à mon boulot, ni plus, ni moins. « On ne m’avait pas prévenu du scénario donc je t’avoue que j’ai été surprise d’être aussi habillée » ajoutais-je avec un petit rire sincèrement amusé. Après tout, j’avais réellement eu un bug en me voyant avec ce petit air angélique inhabituel chez moi. Comme quoi, contrairement à ce qu’on raconte, l’habit fait bien le moine !

Pas de grosses surprises côté Antiquité puisqu’on m’avait parlé d’Apollon pour cette chanson mais cela ne m’empêche pas de prendre la perche tendue malgré l’angoisse de mon agent – qui aura bien besoin d’aller prendre une douche après tout ça, le pauvre sue c’est affreux ! « J’aime beaucoup l’Antiquité aussi, même si je me suis forcément plus intéressée par les évènements de cette période qui ont touché le nord de l’Europe. J’ai été à Rome pour un shooting l’automne dernier et je me suis fait une joie d’aller visiter le Colisée et les ruines du Mont Palatin avant d’en partir » Puis, comme il est peut-être curieux qu’une jeune femme s’étant tourné vers le mannequinat ait ce genre de passe-temps (encore que… tous les goûts sont dans la nature, non?), je précise : « J’ai une maîtrise en histoire de l’université d’Oslo, je profite de chaque voyage pour approfondir mes connaissances dans ce domaine ». Après avoir été tenté d’intervenir dans notre conversation, mon agent semble avoir décidé que ce n’était pas la peine. Même si je parlais de mes passions sans rapport avec le tournage, dire que j’avais un diplôme ne pouvait qu’être à leur avantage, un peu comme si ils m’avaient aussi engagée pour ma culture et pas seulement pour mon tour de poitrine (genre!).

« En effet, et je déteste la fadeur » Ok, ça c’était un peu moins sûr comme remarque, mais puisque Romain semblait abonder dans mon sens… pourquoi m’en empêcher ? Par ailleurs, je ne parlais pas aux objets là, et on ne pouvait décemment pas me demander plus que cet effort ! « Et bien... » Je jette un coup d’oeil en arrière, voyant mon agent s’éponger le front avec son mouchoir en tissu – tellement old school, j’adore ! - puis je repose les yeux sur le chanteur, une pointe de taquinerie dans le regard : « Il a surtout insisté sur ta très grande popularité mais il m’a aussi montré un de tes précédents clips et une de tes pubs. Je ne peux pas vraiment juger le premier, pour le second en revanche, je dirais que tu sais parfaitement capter la lumière, ce qui est la première qualité dans notre métier » Plus précisément, il fallait savoir quand briller et quand mettre en lumière les autres ou un produit, mais puisqu’il était le nom sur lequel on vendait, lui pouvait toujours être au centre et pour le peu que j’avais pu voir, il le faisait très bien !