Merry christmas ! [Intrigue II - Terminé]

Merry Christmas !

C’est un drôle de moment que la deuxième quinzaine de décembre... Las posadas était une période très spéciale au Mexique. Bien qu’issue d’une famille non croyante et moi-même élevée avec des valeurs athées, j’avais baigné dans la culture de mon pays natal et en était complètement imprégnée. Si noël était plutôt une célébration familiale en France, Posadas était une fête de voisinage, d’amis, de famille… Nous nous étions adaptées à notre nouvelle terre d’accueil, avec maman… mais nous avions conservé la tradition de fabriquer des pinätas ensemble chaque année… Neuf jours de réjouissances et de partage… .

Partout et depuis un moment déjà, les illuminations, les devantures de magasins, les chocolats mis en avant, les sapins décorés… Tout me renvoyait à ma solitude. Il n’y aurait pas de Posadas ou de noël pour moi cette année… Maman était partie, tante Moïra avait disparue, je ne pouvais me manifester à mes autres amis sans risquer d’attirer l’Ombre à moi… J’étais seule au monde. Ça me déprimait.

Il y avait quelqu’un cela dit. Un homme à qui j’avais un peu moins menti, qui en savait plus sur moi que les autres. Un homme que j’avais revu quelques fois, qui s’était investi pour moi afin de m’apprendre quelques techniques de survie, offert le gîte et le couvert. Un type un peu bizarre, voire carrément louche et dont je me méfiais un peu… Mais qui, paradoxalement, m’inspirais une profonde sympathie et un sentiment de sécurité. Je l’aimais bien, William. Je le voyais un peu comme un grand frère ou un genre de papa. Un peu maladroit, réservé et secret, mais très protecteur et bienveillant.

Les français offraient des cadeaux le vingt-quatre ou vingt-cinq à ceux qu’ils aimaient. Au Mexique, on partageaient de bons repas et on consommait un tas de sucreries… William n’était peut-être même pas à Paris, il passait sa vie sur les routes… J’avais envie de marquer le coup pourtant. C’était déprimant de penser qu’un homme que j’avais rencontré il y a quelques mois était le lien le plus fort que je possédais actuellement… Qu’il était le premier à qui je pensais quand je voyais les illuminations de noël. J’avais tourné le dos à tous les autres et je m’en voulais si fort pour ça… Mais comment aurais-je pu les impliquer dans ce qui m’arrivait ? Les mêler à tout ça aurait été risquer leur vie autant que la mienne. Ils me manquaient… Ils avaient dû se sentir trahis par mon absence, sûrement s’inquiéter. Je me demandais parfois si la police me recherchais - indépendamment de mon lien avec maman, juste parce qu’on avait signalé ma disparition, parce que j’étais partie si vite de la maison que je n’avais même pas fermé correctement la porte à clé, parce je ne m’étais pas présentée aux obsèques ou chez le notaire…

J’avais récupéré quelques matériaux par ci par là, troqué des choses, demandé un coup de main à quelques connaissances de la rue qui avaient des doigts de fée et qui vendaient le fruit de leur travail… Avec un peu de temps, j’étais arrivée à un résultat satisfaisant. J’avais fabriqué un bracelet avec quelques lanières de cuir sombre entrelacées sur lesquelles j’avais fixé une perle noire. Le rendu était propre, j’étais assez fière de moi au vu des conditions dans lesquelles je l’avais fabriqué et le peu d'outils que j’avais à disposition. Je n’étais pas sûre que ce soit au goût de Will, lui qui aimait se promener en costard, mais… Je ne sais pas trop, je me disais que ça lui irait bien, le style un peu plus décontracté, “sauvage”. Je n’avais pas les moyens de lui acheter quelque chose, mais c’était ma petite manière de le remercier pour ces derniers mois.

J’avais glissé mon cadeau dans une enveloppe que j’avais fabriqué avec une feuille, glissé un petit mot simple à l’intérieur “Merci pour tout, joyeux noël. Kara”. J’avais attendu une ouverture pour me faufiler dans le hall d’entrée du bâtiment jusqu’à la boite lettre. Inutile de sonner, il devait surement être en énième déplacement… Ou simplement passer noël avec des proches (sa jolie patronne avec qui je le soupçonnait d’avoir une liaison peut-être ?). Bref, je n’imaginais pas m’imposer un seul instant. Je tendis le bras et m’apprêtais à glisser mon enveloppe dans la boîte aux lettres lorsqu’un mouvement attira mon regard. Ah tiens… William.

Prise en flagrant délit.

-Euh… salut ?

Merde, moi qui voulais me faire discrète pour ne pas mettre Will mal à l'aise…

Je fis mine de m'accouder aux boites aux lettres, l'air de rien.

-Ahum. Quoi de neuf ?

Codage par Libella sur Graphiorum

Merry Christmas

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. @Naya Flores

S’en aller loin de Morrigan avait été nécessaire et bénéfique. A des milliers de kilomètres de Paris, naviguant d’avion en avion sans but précis, William était parvenu à faire le vide dans son esprit, à se sentir mieux, loin de cette noirceur, de cet engourdissement permanent qui l’avait assailli depuis la “mort” de la Déesse. Dès ses premiers pas dans la belle ville, il l’avait contacté. Il avait découvert sa nouvelle enveloppe, l’avait faussement supplié de lui rendre son job malgré une longue absence loin des radars et ils avaient partagé un entraînement de boxe houleux, idéal pour régler leurs comptes et cracher leurs venins.

Voilà, tout était à nouveau normal. Une vie bien rangée, des missions à venir sans doute, la reprise de son entraînement de façon plus assidue après des mois de fêtes à enchaîner les bars dans une parfaite insouciance. L’hiver s’installait doucement et la capitale se couvrait de lumière à peine la nuit tombée. C’était beau, féérique, une période appréciée de tous y comprit du soldat.

Grand solitaire dans l’âme, l’ancien guerrier n’accordait plus d’importance aux repas, aux échanges de cadeau et à toute cette euphorie des fêtes depuis bien longtemps. A quoi bon ? Lui qui n’avait plus de famille, ni véritable amis en dehors des charognards de bars. Cela ne l’empêchait pas d’apprécier cette période de l’année, pour la bonne humeur qui s’emparait des humains d’ordinaire si morose et grincheux.

En se promenant en ville, avant que les boutiques ne baissent le rideau, il ne put s’empêcher de penser à elles. A la Déesse, qui lui avait avoué ses sentiments pour Teutatès. A cette jeune fille, rencontrée avant son départ et pour laquelle il ressentait ce besoin inexpliqué de la protéger. Il lui avait fait quelques mails, pour s’assurer qu’elle soit en vie, mais depuis son retour en France, pas un bruit, pas un mot. Était-elle toujours là ? Dans quel état ? Il grimaça, entra dans une boutique de bijoux et scruta avec attention les étalages scintillants.

Celle-ci, s’il vous plaît. Dit-il en désignant une broche aux couleur bleu turquoise et argent.

Cinq minutes montre en main, William quitta la boutique, se questionnant lui-même sur le pourquoi du comment il tenait un cadeau entre ses mains ? Cet élan d’affection était à vomir ! Il se l’était interdit, refusé, pour sa sécurité et celle des autres, mais voilà qu’il bravait à nouveau les règles…

A l’aube, le lendemain, il enfila une tenue de sport noire pour démarrer sa journée avec un footing en plein air, comme chaque matin. A cette heure-ci, tout était encore relativement calme avant que les ruelles ne se remplissent pour les achats de dernières minutes.

Il dévala les escaliers, ses écouteurs dans les oreilles et fronça les sourcils lorsqu’une menue silhouette, bien trop petite pour être le facteur, se dessina devant lui. Il se racla la gorge pour manifester sa présence, étirant un discret sourire sur ses lèvres.

Serait-ce une hallucination matinale ?  T’es donc bien en vie p’tite !?  lança- t-il, taquin, comme s’il avait pu douter de sa faculté à survivre.

Il s’arrêta sur son visage. Elle allait bien, malgré des traits fatigués et quelques kilos de moins peut-être.

C’est quoi ? Dit-il en désignant l’enveloppe qu’elle tenait entre ses mains. Une lettre dans laquelle tu t’excuses d’avoir donné si peu de nouvelles ?

Le tacle était lancé, sans remords. Était-ce là un aveu de faiblesse de la part du guerrier ? Qui s’était fait du souci pour une adolescente dont il ne connaissait que le prénom et une passion pour la musique.

Quoi de neuf !? Saleté de gosse ! T’es bien aussi douée que moi pour les retrouvailles.

Rien de spécial, je suis de retour. Tu vas bien ?

Une conversation maladroite, empreinte d’une forme de gêne, dans un hall d’escalier, le top départ d’un Noël plutôt atypique..

Merry Christmas !

Je le regardai quelques instants, un peu gênée d’avoir été prise sur le fait et toujours dans la peur de déranger autrui en imposant ma présence… Certains réflexes ne disparaissaient pas malgré le temps. J’avais beau avoir pris confiance en moi, les années de harcèlement scolaire m’avaient fait du mal.

-Je t’ai manqué ? demandai-je pour le charrier, le rose aux joues en réponse à son accueil.

C’était agréable de voir qu’au moins une personne se souciait encore de moi au point de me reprocher mes longs silences. Je fis quelques pas vers lui, consciente que nous étions seuls dans le hall.

-Je te pensais encore sur les routes, monsieur l’agent secret. C’est dur de prendre des nouvelles sans téléphone ni accès à internet.

Je le taquinais parfois avec ce genre de surnom… De fait, je n’avais aucune idée de ses activités, de son passé, d’où il venait… J’avais compris dès les premières minutes qu’il était différent, il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir. Ma théorie était qu’il était un ancien militaire, un de ces types d’élite qu’on voyait dans les films et qui se parachutaient dans des endroits complètement dingues seulement équipé d’une arme et d’un couteau suisse… Il m'avait lui-même dit avoir eu ce genre de passif, d’ailleurs. La question était : que faisait-il réellement aujourd’hui ? Bossait-il encore pour le gouvernement sous couverture ? C’était ces interrogations et le manque de clarté sur cet étrange ami qui me poussait à lui cacher qui j’étais et pourquoi je fuyais réellement. Après tout, le gouvernement français était en top liste de mes suspects. J’ignorais encore qui se cachait derrière la figure métaphorique de l’Ombre que j’employais pour qualifier mon ou mes poursuivants.

Je le fixai un moment, avant que le sourire ne me gagne et vienne éclairer mon visage. J’étais sincèrement heureuse de le revoir, réalisai-je maintenant que j’étais face à lui. Je tendis les bras pour lui faire un câlin rapide. Je ne voulais pas lui imposer trop longtemps mon contact au vu de mon état global qui pouvait rebuter -l'hygiène était un luxe dont j’étais trop souvent privée.

-’Parait que les français se font des cadeaux pour noël, lui expliquai-je en lui tendant l’enveloppe. Je t’ai bricolé un collier de pâtes, papa ! déconnai-je à nouveau.

C’était bien entendu plus élaboré que les cadeaux des petits français de l’école maternelle, mais ça restait un cadeau maison fabriqué avec un minimum de matériel. J’avais toujours aimé bricoler des choses avec mes petits doigts… A l’époque, je récupérais des tas de matériaux que les gens auraient normalement jeté pour fabriquer des objets de décoration originaux… la boutique de maman et notre appartement en était remplie.

-Tu pourras le faire disparaître au fond d’un tiroir si ça ne te plait pas, lui dis-je sans m’offusquer. Je ne connais pas vraiment tes goûts, donc…

Je balayai l’air de la main.

Bref.

-Ca va oui, je vais bien. Toujours libre comme l’air !

J’étais dans une période où je cherchais activement à comprendre comment fonctionnait les cycles de réincarnation d’une divinité, m’accrochant à l’idée que je pourrai revoir maman un jour… Cet espoir me portait et m’assurait plutôt un bon moral. Cela dit, la période de fêtes était difficile à vivre pour moi, elle me renvoyait à ma solitude et à mon deuil. Ça faisait mal.

Physiquement, j’étais assez fatiguée. Les températures étaient devenues glaciales et j’étais peu préparée à affronter un tel froid. Je me réfugiais là où je pouvais pour chercher un peu de chaleur, mais je dormais peu. La peur de ne pas me réveiller était trop présente, mes vêtements ne me protégeaient pas assez de l’air glacial… Les privations alimentaires devaient aussi jouer j’imagine, j’étais sûrement carencée. Bref, tout ça n’avait pas d’importance, je n’allais pas me plaindre. Je m’étais plutôt bien adaptée à ma nouvelle vie en fin de compte. Pas si mal pour une petite bourgeoise !

-Tu partais faire un footing ? Je peux courir avec toi si je me débarrasse de mon sac.

Je n’allais pas me mettre à la course avec un sac à dos lourd rempli de toutes mes plus précieuses affaires (dont un violon), ou alors il allait me distancer de trèèèès loin. Enfin, je pense qu’il me distancerait sans peine assez rapidement, dans tous les cas.

-Ou j’te laisse tranquille si t’es pressé. Une veille de noël, t’as sûrement prévu un tas de trucs. Ah oui, j’y pense !

Je fouillais dans mon sac pour en extirper un livre soigneusement emballé dans plusieurs sacs. J’avais essayé d’en prendre soin pour ne pas l’abimer et le protéger des intempéris.

-Je te rends ton livre aussi. Je peux te réemprunter les premiers ? J’aimerai bien les relire.

Ça me tenait compagnie, là, dehors. Et puis…  Il y avait des choses étranges avec ces bouquins. Je n’étais encore sûre de rien, mais ça me faisait cogiter. Auteurs différents, personnages principaux différents… On aurait pourtant dit qu’ils se copiaient les uns les autres, comme une suite avec un seul et même personnage… Et le style d’écriture, relativement similaire… William me les avait confiés comme s’ils avaient un sens particulier pour lui. J’essayais de comprendre lequel, de saisir le message caché là-dedans… Je les avais lu plusieurs fois. De fait, lire était l’un de mes seuls loisirs pour occuper mon immense temps libre là, dehors.

Codage par Libella sur Graphiorum

Merry Christmas

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. @Naya Flores

Pour dire vrai, William avait essayé. De toutes ses forces. Oui, il avait essayé d'oublier cette gamine qui le ramenait sans détour à la part d’humanité enfouie en lui qu’il refusait de laisser sortir. Ses sentiments pour autrui étaient en cage au fin fond de son âme depuis des centaines d’années et seule Morrigan ne restait jamais sagement enfermée dans cette foutue cellule de son cœur, loin de ses tourments, de ses doutes et de ses peurs viscérales. Voilà qu’à présent, elles étaient deux ! A pouvoir se vanter d'occuper son esprit malgré la distance.

Durant les derniers mois, l’ancien soldat avait mené la belle vie. Une vie de débauché, loin des contraintes d’un travail, à picoler quand bon lui semble et à jouer les âmes errantes la nuit. Pas de règles, pas de réveil, aucune hygiène de vie. Le retour à Paris n’en était que plus brutal ! Mais, à en juger par l’aspect négligé de sa protégée, il y avait pire que lui, question hygiène de vie..

Elle le prenait pour un agent secret et pour dire vrai, il préférait jouer de cette drôle de couverture plutôt que de révéler l’entière vérité. Elle n’était pas encore prête, à savoir son âge, son passé, son lien avec le Panthéon Celtes, elle avait besoin de s’endurcir encore, avant de plonger dans le grand bain, qu’elle le veuille ou non.

Elle lui tendit la main pour lui offrir un cadeau.

Un cadeau BORDEL DE MERDE ! Pas d’affection, pas de liens avec des mortels ! Pas de cadeau !

Malgré cette voix incessante dans sa tête qui tentait de maintenir les barrières, il s’empara de présent pour découvrir le fameux bracelet.

Il est très beau. Dit-il en glissant son poignet à l’intérieur. Je dirais même qu’il est parfait, mais cela vient surtout du modèle exceptionnel qui le met en valeur. Lança t-il avec humour, pour masquer son émotion.

C’était son truc à lui, de faire des vannes à la con pour se cacher derrière.

Il balaya du regard la demoiselle, de haut en bas.

J’suis pas certain que courir soit une bonne idée. Tu pues avant même de transpirer. Dit-il hilare.
Allez viens, on remonte, on va se faire livrer des courses. Tu sais cuisiner ?

Sans attendre son accord, ne souhaitant pas avoir à négocier mille ans au risque de regretter - encore - ce lien particulier qui l’empêchait de foutre la gosse dehors, il fit demi-tour pour rejoindre l’escalier. L'ascenseur, c’était bien pour les fainéants.

Sers toi. Dit-il en désignant la bibliothèque à son arrivée. Alors, t’en a pensé quoi ?

Il serra la mâchoire, prêt à encaisser les critiques sans filtre d’une ado trop connectée. Enfin, à l’époque sans doute.

William quitta le salon pour rejoindre la chambre d’amis, il ouvrit le placard et sortit quelques vêtements de sport femme, propres et soigneusement pliés. Des habits ramassés après les entraînements de boxe aux côtés de Morrigan et qu’elle avait sans doute déjà zappés. Si ce n’était pas le cas, il jouerait l’innocent.

Par pitié, ne me demande pas d’où ils viennent. Ils sont propres et presque à ta taille. Tu ressembles à un chien mouillé et .. regarde autour de toi.

Tout était parfaitement propre, aligné, sans un gramme de poussière. Il était temps pour la demoiselle de rejoindre la salle de bain !

Merry Christmas !

Je me sentis soulagée de le voir prétendre aimer mon présent. J’avais l’impression que ça le touchait pour de vrai et que son émotion n’était pas feinte. Et ça me touchait aussi, du coup, parce que j’avais donné du cœur à l’ouvrage avec le peu de moyens que j’avais. Ce n’était pas grand chose mais c’était beaucoup dans ma situation. Je ne savais pas s’il aimait vraiment l’esthétique du bracelet, mais en tout cas il me semblait qu’il était agréablement surpris que j’ai pensé à lui. Il ne m’en fallait pas plus.

-C’est vrai… Elle est pas trop mal cette main, dis-je pour le charrier en l’aidant à nouer le bracelet qu’il semblait décider à porter.

J’avais remarqué alors qu’on s’entrainait ensemble, à quel point elles étaient rugueuses et calleuses. Aux antipodes des miennes, toutes lisses… Les mains d’une personne habituée à porter des charges lourdes et à faire des travaux manuels.

-T’es un enfoiré ! Dis-je avec une moue contrariée.

Oui bon, il avait raison. J’avais besoin d’une bonne séance de décrassage sous la douche et mes fringues d’un double lavage en machine. Si je pouvais, je les aurais bien foutus au feu, mais je n’avais que ça pour me réchauffer. Faute d’avoir les moyens de me payer un manteau épais et chaud, je n’allais certainement pas balancer mon seul sweat. Ce truc était troué et crade, mais ça me gardait en vie. Enfin ça essayait.

-Tu fais rien pour la veille de noël ?

Je lui lançai un long regard pénétrant.

-Mec… C’est hyper triste !

En réalité, je jubilais. J’étais bien trop contente de le retrouver, encore plus de savoir que je célébrerai au moins un jour de fête avec une personne qui m'était devenue chère.

-Ok, d’abord je prends une douche, ensuite on fait les courses et je cuisinerai. Tu aimes le magret de canard à la sauce au miel ?

Un truc typique du coin en période de fête. Qu’est-ce que j’aimais la gastronomie française ! Ça me donnait faim rien que d’y penser. Le fait que je n’ai rien avalé de substantiel depuis hier après-midi jouait peut-être en ce sens, remarque.

Je trottinai dans les escaliers, de trop bonne humeur pour me laisser écraser par la fatigue. J’étais bien crevée, pourtant.

Son appartement était toujours aussi impeccable. C’était bluffant à voir, on se serait plutôt attendu à un peu de laissé allé de quelqu’un qui vivait seul … Will avait un côté maniaque. Je retirai mes chaussures à l’entrée pour ne pas salir ses sols.

-Tu n’as pas décoré ? réalisai-je. Tu ne célèbre pas du tout noël ?

Curieux pour un français… Mais certaines religions ne célébraient pas l’événement et je ne savais pas de quel bord était William de ce côté là. Peut-être qu’on pouvait imputer le manque de guirlandes à ses croyances. Ou peut-être qu’il en avait juste rien à foutre. Qui sait ?

Je posai ses livres sur son étagère avec délicatesse sans lui réemprunter ce que je lui avais demandé. Je les prendrai au dernier moment, j’avais autre chose à faire que lire présentement.

-J’aime bien ! C’est comme… une grande et unique partition.

Une succession d'événements avec un seul personnage qui évoluait tout du long…

-Les personnages, ils se ressemblent… Je les trouve assez touchants. Je ne suis pas encore sûre de bien saisir le message que tu essaies de me faire passer avec tout ça. Laisse-moi un peu de temps, je vais trouver.

William m’avait vendu ces bouquins comme une sorte de guide censé m’apporter des réponses philosophiques et religieuses… Et de fait, ces bouquins retraçaient toutes les époques depuis un millénaire et montraient des hommes qui cherchaient leur place dans ce monde, croyants mais portant un regard critique sur la religion, décalées socialement et parfois en souffrance - du moins c’est ce que je ressentais bien que cela ne soit pas réellement écrit de la sorte. Des hommes forts, braves et courageux, guerriers… Des âmes ambivalentes, à la foi brutales et très bienveillantes envers les faibles. Un peu comme…Je relevai les yeux vers William. Oui, comme lui.

Un sourire en coin s’épanouit sur mes lèvres alors que je contemplais les vêtements féminins que mon hôte me tendait. Je portai ma main à mes lèvres pour mimer le fait de fermer une fermeture éclair avant de m’emparer de ces jolies habits tout propres et en bon état.

Et alors que je marchais vers la salle de bains, je fis soudain volte face.

-Ils sont à ta jolie patronne, c’est ça ?

Mister “promotion de bureau !”
Et sans attendre de réponse, je déguerpis dans la salle d’eau avec un éclat de rire.

Comme toujours, la douche brûlante me fit un bien fou. Je pris tout mon temps et sortis de là après m’être démêlée les cheveux avec ma brosse. Je fis mon possible pour laisser la pièce propre, consciente des tocs de mon hôte et trop bien élevée pour m’imposer sous son propre toit. Je lui étais reconnaissante pour toutes les nuits que j’avais pu passer ici, les douches, le linge propre, la nourriture… Et surtout lui. Quand j’étais avec lui, j’oubliais pendant un temps à quel point ma vie était pourrie. Je me sentais presque “normale”, détendue, spontanée… C’était une bouffée d’air frais. Il ne me traitait pas comme une pestiférée, il n’avait pas non plus ouvertement pitié de moi… Les choses étaient plutôt naturelles avec lui.

Si la vie m’avait donné un père, je crois que j’aurais vraiment aimé qu’il soit comme lui.

-Will ! Lançai-je en retournant dans le salon. Où est ta déco de noël ? Où est l’esprit de fête ? m’écriai-je grandiloquante.

Mes habits sales, mes chaussures et mon sac à dos (soigneusement vidé dans la chambre d’amis atterrirent prestement dans la machine à laver. Youpiiii, de l’hygiène !

-Ca manque de guirlandes… dis-je avec une petite moue triste. J’adore les français et leur manie de mettre du brillant et des lumières partout en décembre. C’est tellement joli !

Je parlais trop ? Bon, à défaut de décoration je pouvais me pencher sur l’ordinateur de William pour commander de quoi préparer le repas. La liste fut rapide à établir une fois le menu décidé… J’y glissais aussi deux bonnets de père-noël ni vu ni connu (hehe !), ainsi que des bonbons (je n’avais pas de quoi faire une pinata, mais las posadas n’était pas las posadas sans sucreries…).

-Hé patron, tu n’aurais pas des oeufs, du lait et de la farine ? Je peux faire quelques crêpes en attendant que le reste arrive.

Je crevais littéralement de faim et il était encore tôt… Mais ce serait malpoli de fouiller les placards de monsieur sans sa permission. D’autant que, le connaissant, je risquais d’y trouver plus de bière que de nourriture.

-Je ne dis pas non à un café sinon.

Histoire de conserver la chaleur de la douche et de me donner un coup de fouet. J’étais vraiment crevée et le confort et la sécurité d’un appartement chauffé et fermé à clé allait me faire lâcher la pression d’un coup. Je sentais bien venir le coup de barre dans un petit moment.

-J’ai un violon, maintenant. Il est vieux et maltraité, mais je peux jouer pour toi si tu as envie, lui proposai-je en repensant au jour de notre rencontre où il m’avait demandé de lui parler de mes passe-temps.

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Merry Christmas

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. @Naya Flores

A peine la porte passée, William se retrouva enseveli d’un tas de questions. Comment une si petite personne pouvait-elle prendre autant de place ?! Était-ce dû à l’agitation de Noel ? Il s’arrêta dans la cuisine, prit appui sur le plan de travail et la regarda gesticuler de partout et parler sans relâche. Elle débordait d'idées et était visiblement déterminée à faire de cet endroit un lieu festif et… bordélique. Une fois de plus, il fit l’impasse sur toutes les règles du moment, hochant la tête, sourire moqueur (amicalement) sur les lèvres, l’air de dire “ C’est bon, t’as fini ?”

Je vois que cette vie de nomade ne t’as pas ôté toute ton énergie.

C’était mieux ainsi, évidemment.

Je dois avoir quelques affaires dans la cave, je n’y mets plus les pieds depuis longtemps. Et je ne fête pas Noël.

A quoi bon ? Pas l’ombre d’un chérubin à gâter, pas d’épouse à faire sourire, juste un vieil homme figé dans le corps d’un trentenaire.

En un rien de temps, les courses furent commandées et la magie commença à opérer. Impossible de ne pas sourire devant tant de bonne humeur et d’entrain, c’était un peu comme les bâillements : contagieux.

Ils sont à elle, effectivement ! Mais je te vois venir avec tes sous entendus ! Ce n’est pas ce que tu crois ! Tenta-t il de se justifier.

Ce n’était effectivement pas ce qu’elle croyait. C’était plus encore. Plus complexe, plus profond. Elle comprendrait un jour, au fil de ses lectures. Son esprit était vif et si les lecteurs de ses ouvrages n’avaient jamais fait le lien sur l’identité commune de l’écrivain, du personnage principal, Kara le ferait, il le sentait.

Et c’était mieux ainsi. Que la jeune femme découvre la vérité de façon progressive, afin qu’elle ne prenne pas ses jambes à son cou à toute vitesse. Elle avait encaissé suffisamment de drôles de nouvelles ces derniers mois, il préférait l’orienter plus que l’assaillir d’étranges confidences.

La pause douche fut une parenthèse de silence. Un genre de répit de courte durée, qu’il s’étonnait ne pas apprécier plus que ça. C’était déroutant, de voir cet appartement témoin reprendre vie, s’illuminer à la veille de Noël…

Des crêpes ou du violon ? Tu ne pourras pas faire le deux à la fois !
J’opte pour le violon, laisse moi un instant.

Il ouvrit la petite cave sous le plan de travail, sortit une bouteille de vin et se servit un verre avant de se diriger vers le salon.

Il aimait la musique, plus que tout. C’était une parenthèse délicate dans une vie parfois complexe. S’il n’avait jamais mis les mains sur un violon, il était un excellent pianiste, son piano ayant trouvé place dans un coin lumineux de la pièce.
C’était pour lui une façon d'apaiser son esprit, lorsque celui de sa belle s’enflammait, le torturait, d’une certaine façon. Ressentir son mal être lui était insupportable, alors il se mettait souvent à jouer, des heures entières.

Je suis prêt, je t’écoute.

Tel un frère bienveillant, un père adoptif, un ami protecteur, il s’installa dans le sofa et sirota son verre, l’attention focalisée sur la jeune femme.

Merry Christmas !

-J'arrêterai de bouger quand je serai morte ! rétorquai-je.

Si j’étais en réalité physiquement épuisée, les retrouvailles avec Will et la perspective de passer les derniers jours de fête avec un ami m’avaient apporté un regain d’énergie. J’étais très excitée par cette idée. Ces derniers jours passés seule à observer toutes ces personnes affairées pour les fêtes, se promener dans les marchés de noël en famille, les bonnes odeurs de nourriture, la musique, m’avait foutu un sérieux coup au moral.

“Ce n’est pas ce que tu crois !”

C’est ça oui !
Comme promis, je ne fis aucun commentaire et disparut dans la salle de bains.

-Pourquoi je ne pourrai pas faire les deux ? lui demandai-je avec des yeux de chiot battu.

On avait deux bonnes heures devant nous avant la livraison des courses, ce qui me laissait largement le temps de fabriquer un goûter rapide, de lui jouer la sérénade et même d’aller retourner son garage pour en extirper les décorations qu’il y avait cachées. Je mourrais de faim, mais je compris que ses placards étaient vides archi vides lorsqu’il extirpa une bouteille de vin de son meuble en réponse à ma demande de café ou de grignotage.

Ah bah BRAVO l’alcoolique !

Bon, autant pour moi. J’allais prendre mon mal en patience et attendre l’arrivée des courses pour nous mijoter quelque chose de top ! Je m’étirais, le corps encore bien au chaud grâce à la douche qui avait fait disparaître une partie de mes douleurs.

-Et toi, tu me joueras du piano ?

J'imaginais que ce bel instrument n’était pas là pour la décoration. William n’était pas du genre à recevoir, s’il avait placé là un piano c’est donc qu’il devait y trouver un intérêt personnel. J’espérais l’entendre durant mon séjour chez lui, si tant est qu’il veuille bien jouer pour moi.

Je m’éclipsai dans la chambre d’amis pour aller chercher mon violon et me laissai tomber sur une chaise pour ouvrir l’étui et l’extirper de là. C’était une entrée de gamme qui avait vécu, et mon hygiène de vie mettait à mal le pauvre instrument, mais j’en prenais soin autant que possible et je m’en servais énormément. Pour moi, pour le plaisir, car  jouer était l’une des dernière chose qui me rendait heureuse à présent, mais aussi pour tenter de gagner un peu d’argent en me produisant dans la rue. Les quelques pièces que je récoltais étaient l’assurance de pouvoir m’offrir, de temps à autre, un repas ou une boisson chaude quand il gelait, ou encore de pouvoir acheter quelques vêtements bon marché pour remplacer les anciens trop abimés et tachés pour être portés.

-C’est quoi ton registre musical ? Tu aimes écouter quoi ?

Je tentais de mieux appréhender ses goûts et lui posai quelques questions tout en accordant  l’instrument à l’oreille. Un morceau classique et tranquille pour échauffer mes doigts, qui s’enchaina avec une version plus rock du Fantôme de l’Opéra que j’adorais pour bifurquer vers un air rythmé de musique irlandaise… et terminer sur une adaptation plus douce et poétique du thème de “Braveheart”.

Mon estomac gargouilla et j’affichai un sourire en coin. Drôle de percussion que voilà !

-Bon ! Il est où ce garage ? On a des décorations à dépoussiérer !

Je reprendrai mon violon après, mais plus je regardais cet appartement et plus je le trouvais terriblement triste au regard de l’événement que nous célébrions.
L’expédition fut un succès; les boîtes poussiéreuses furent extirpées et remontées dans le hall de l’appartement et je me demandai un moment si ce pauvre William n’allait pas faire une syncope à la vue de ce bazar. Je m’occupais personnellement de passer un coup de chiffon pour rendre ça plus présentable. “Voilà, tu vois, on ne salis pas tout…”.

Dur dur, la vie de maniaque. Il allait souffrir le jour où il aurait des rejetons… Remarque, il n’en voulait peut-être pas pour cette raison !

Il y avait là quelques guirlandes et divers bricoles… On était loin du stock de décorations de chez moi, mais ça suffirait largement à égayer un peu la pièce de vie.

-Tiens, celle ci elle serait parfaite pour là ! dis-je en indiquant un meuble sur lequel je disposais une guirlande dorée.

Et une autre que je fixai délicatement sur l’îlot central de la cuisine en prenant soin de ne rien faire tomber.

J’extirpai une boule rouge avec un grand fil et me rapprochai sur la pointe des pieds vers un William qui semblait se demander pourquoi un ouragan se déchaînait subitement danssa maison. Je me mis sur la pointe des pieds pour passer le fil de la boule sur l’oreille de l’agent de sécurité.

-Pas mal pas mal ! Il manque quelque chose, attends !

Je tirai une autre guirlande et l’enroulais autour du cou de l’homme pour lui faire une écharpe.

-Magnifique ! Tu veux que je prenne une photo pour ta jolie patronne ? pouffai-je.

Codage par Libella sur Graphiorum

Merry Christmas

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. @Naya Flores

Il était incappable de se souvenir, du dernier noël qu’il avait célébré. Sans doute avait-il arrêté de le faire, lorsqu’il avait jugé préférable de ne plus s’attacher à de simples mortels au risque de souffrir éternellement de ces départs incessants. Et voilà qu’il recommençait, à sympathiser avec une adolescente complètement hystérique, en dépit de ses bonnes résolutions. Pourquoi ? Pourquoi s’infligeait-il cela ? La gamine avait une vie bancale, source de problèmes et de dangers. Elle pouvait y laisser sa peau, à traîner dans les rues de la sorte. Une fois de plus, il ne se pardonnerait pas de s’être attaché, un éternel recommencement.

Si t’es sage, et si tu ne détruis pas tout cet appartement, je t’accompagnerai au piano plus tard.

Il fronça les sourcils lorsqu’il entendit le plan de la journée. Cuisine, décoration, musique, en clair : aucune pièce ne serait épargnée !

Tu es plutôt douée ! Même très douée. Tu as la vie devant toi, j’espère que tu reprendras le chemin de tes projets un peu plus tard. Il y a une très bonne école de musique pas très loin.

Hors de prix, certes, mais réputée.

Les sons qui se jouaient entre ses mains étaient à la fois mélodieux et envoûtant, à la fois triste, mettant en avant tout ce gâchis de potentiel pour un drôle de destin qu’une demoiselle de son âge ne devrait pas avoir à vivre.

Incappable de tenir en place, la demoiselle déposa l’instrument et le traîna de force jusqu’à la cave. Les décorations étaient datées, mais en bon état. Il y en avait du bazar dans cette cave, une si longue vie entassée dans des cartons en tout genre, soigneusement rangés, numérotés, comme le maniaque qui sommeillait en lui.

Propre tu dis ? Regarde autour de toi, t’en fou partout.

Il était grognon, parfois. Jamais méchant.

Sans crier garde, elle se jetta à son cou pour l’entourer d’une affreuse - à ses yeux - guirlande. Une guirlande qui laissait ses poils colorés un peu de partout sur son tee-shirt et sur le sol. Il l’a regarda, les yeux ronds comme des billes et lorsqu’elle porta le coup fatal, se moquant de sa patronne il se jeta sur elle à son tour, attrapa la première guirlande à portée de main et tenta de l’enrouler.

Tu ne perds rien pour attendre, sale gosse. Dit-il, en riant de bon cœur.

Le calme de retour après quelques minutes d’une lutte presque acharnée, les deux enfants retrouvèrent leur souffle.

C’est vrai qu’elle est jolie, dit-il en riant, savourant une gorgée de son verre.
Tu l’aimerai bien, c’est une chouette femme.

Il n’était finalement plus un vieux loup solitaire ces derniers temps… C’était plaisant, de voir un peu d’animation, de lien… Combien de temps cela allait-il durer ? Il n’en avait pas la moindre idée.

Le livreur sonna à la porte, déposant les courses de la demoiselle à l’entrée.

Alors, c’est quoi le menu du jour ? Je te préviens, ne compte pas sur moi pour cuisiner.

Il était de loin le meilleur client du secteur de la livraison à domicile. Une habitude qu’il ne comptait pas changer.

Merry Christmas !

-Je suis sage comme une image ! rétorquai-je avec un sourire angélique.

Ça faisait un sacré bout de temps que je n’avais pas joué avec un pianiste, la perspective était très séduisante.

-Il y a de très bons établissements à Paris… confirmai-je.

Le conservatoire notamment, auquel j’étais affiliée et qui aurait dû m’ouvrir les portes nécessaires pour lancer ma carrière tout en continuant à étudier…
C’était derrière moi, maintenant. Les regrets ne faisaient pas vivre alors j’essayais de ne pas trop penser à ce que j’avais perdu et me concentrais sur le présent.

C’était chouette que William ait apprécié mon style, c’était toujours agréable d’être complimenté quand on mettait du coeur à l’ouvrage.

Et un moment plus tard, nous revenions dans l’appartement chargés de boîtes contenant les décorations de noël de mon hôte et je l’entendis se plaindre alors même que je n’avais encore rien déballé. Ça promettait !

-Quel âge tu-as ? lui demandai-je curieuse. Tu parles comme un papi !

Je le charriai bien entendu. Son côté maniaque m’amusait. J’avais toujours fait attention à respecter l’homme pendant les jours passés chez lui, essayant de prendre le moins d’espace possible et de ranger derrière moi. Pour le temps que ça durait, je lui étais reconnaissante de m’héberger et de me nourrir et je m’efforçais de me montrer respectueuse. C’est dans sa chambre d’ami que je m’étalais davantage en général... Mon espace à moi dans ce vaste appartement.

Et comme papi rouspétait, je décidai de lui donner un peu de couleur en lui enroulant une guirlande autour du cou, ce qui donna lieu à une superbe contre-attaque. Je poussai un cri, me débattit un moment avec un éclat de rire, avant de finalement ouvrir grand les bras en signe de reddition.

-C’est bon je me rends ! m’écriai-je de manière théâtrale.

Nous étions désormais tous deux parés de nos plus beaux atouts - les guirlandes - pour célébrer les fêtes.

-Tu veux que je t’enroule également des led ? Tu pourras dire que tu es une lumière ! proposai-je espiègle.

Je m’enfuis avant de subir les représailles.

-Est-ce qu’elle est mariée ? lui demandai-je, à propos de sa jolie patronne.

Pourquoi ne passait-il pas noël avec elle ? J’imaginais une sorte de relation adultère entre eux, le genre secrète entre une femme mariée et son employé… C’était à la fois romantique et très triste pour William. Il méritait d’avoir la première place dans le coeur de sa compagne, c’était un chic type.

-Tu la veux cette photo ? lui demandai-je en cherchant son téléphone.

Les souvenirs étaient précieux et Will semblait du genre solitaire. Qui se chargeait donc de  le prendre en photo ? Avait-il des proches, des amis ? De la famille ?

Mon coeur fit un bond dans ma poitrine en entendant l’interphone sonner. Nous avions finalement eut le temps de poser quelques décorations dans l’appartement et les lieux semblaient beaucoup plus festifs à présent (nous y compris, avec nos guirlandes). Le livreur déposa les paquets et j’entrepris de fouiller pour en extirper les deux bonnets de noël que j’avais glissé dans la commande.

Je pris mon élan, sautai sur le dos de la grande perche et m’accrochai jusqu’à réussir à lui visser l’un des bonnets sur la tête !

-Magnifique ! lui dis-je avec un sourire alors que je posai le mien sur ma tête. Tu ne cuisine jamais ? Jamais jamais ? demandai-je en fouillant dans les sacs pour vérifier que tout était bien là. Pas étonnant que tu sois encore célibataire !

Je déconnais, évidemment. De ce que j'avais pu voir, Will était plein d'autres qualités.
Je sortis l’un des paquets de bonbons commandés et l’ouvris pour en glisser un dans ma bouche. Las Posadas n’était pas Las Posadas sans sucreries.

-Je vais tout préparer. Tu verras, ce sera meilleur que les trucs que tu commandes sur uber eat ! Tu me joues un morceau pendant que je cuisine ?

Je mis rapidement la main à la patte, piochant de temps en temps un bonbon pendant que je travaillais. Une petite salade verte, des pommes de terre rissolées maison, des panais tranchés et glacés à la crème et avec un peu de sauce soja, et du magret de canard avec sa sauce au miel…

Un repas qui ne mit somme toute pas énormément de temps à être préparé et qui se fit dans la bonne humeur. Je tentai tant bien que mal de faire une jolie présentation dans l’assiette avec ce que je dénichais comme ustensile dans une cuisine somme toute sous équipée, décorant l’assiette avec la sauce.

L’odeur des plats me fit gargouiller le ventre.

-Je ne sais pas quand j’ai mangé du canard pour la dernière fois, dis-je pensive en posant les assiettes sur la table.

Trop longtemps, de toute évidence.
La table fut rapidement dressée, nous nous installâmes pour attaquer le repas avec un féroce appétit (enfin, surtout moi).

-Qu’est-ce que tu fais de beau en ce moment ? Toujours en vadrouille ?


J’avais fini par mettre ses nombreux déplacements sur le compte de son travail d’agent de sécurité qui, je supposais, l’obligeait à escorter des personnalités je ne sais trop où. Cela dit, je me demandais souvent si tout ça n’était pas une couverture pour cacher une activité plus trouble… Pour le gouvernement, ou pour quelqu’un d’autre, je ne savais pas trop. Will était un gars sympa, qui avait veillé sur moi alors qu’on ne se connaissait pratiquement pas. Sa conduite était irréprochable avec moi, je n’avais rien à dire à ce sujet. Mais je ne savais presque rien de lui, de sa vie… Il était louche. Vraiment, vraiment louche. C’était l’une des principales raisons qui m’avaient poussé à refuser son argent à l’époque, la peur de ne pas savoir à qui j’avais affaire et de ce qu’il pourrait finir par exiger en retour… Si les révélations à propos de maman m’avaient bien appris quelque chose, c’est que les apparences étaient parfois trompeuses et que les secrets pouvaient détruire votre vie en quelques instants.

Codage par Libella sur Graphiorum

Merry Christmas

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. @Naya Flores

Comment une si petite créature peut-elle poser tant de questions en si peu de temps ?

William secoua la tête, amusé par la vie qui agitait son appartement un jour de fête. Comblé mais à la fois inquiet, il redoutait plus que jamais cette proximité avec la jeune femme. Il ne devait pas s’attacher à elle, ne devait pas la surprotéger, ce n’était certainement pas le moment de se mettre dans une situation délicate ! Loki était et devait être sa principale préoccupation et ces derniers temps, le soldat avait une tendance trop prononcée à renouer avec la vie d’un humain lambda.. qu’il n’était pas, n’était plus.

Il préféra botter en touche sur quelques questions, pour assurer l’anonymat et la sécurité de Morrigan. Après tout, la gamine avait un passé rempli de zones d’ombres à ne pas négliger!

Toi, t’as jamais mangé à ce nouveau restaurant indien qui fait l’angle ! Les plats sont à se damner ! Et mon appartement reste impeccable, pas de vaisselle, pas de saleté.

Pas tout ce qui était en train de se passer sous ses yeux.

Il déposa son verre, laissant la demoiselle s’occuper des fourneaux, elle avait l’air si enthousiaste qu’il ne pouvait pas gâcher un tel plaisir, le jour de Noel. Il se leva, rejoignit son piano dans le salon et se lança dans une mélodie connue de tous, Comptines d’un autre été.

Chaque fois que ses doigts se posaient sur l’une des touches, il se sentait projeter dans son passé, se laissant bercer par la composition au point d’être totalement submergé par la musique. Il se souvenait de cette époque si spéciale, où les hommes fortunés faisaient la cour à de jeunes Lady, les emmenant danser, valser, découvrir un morceau d’Opéra. C’était différent de cette nouvelle aire trop connectée à son goût.

Le morceau terminé, il releva la tête, songeur. Brasser dans ses souvenirs n’avait jamais rien donné de bon chez lui, ça le rendait pensif, un peu bougon.
Il s’en alla sans un mot jusqu’à la chambre d’amis, glissa dans son sac le cadeau qu’il avait acheté pour elle. Une broche, un phoenix, scintillant. Renaître de ses cendres, c’était ce qu’il faisait à chaque époque, et ce qu’elle devrait faire elle aussi, pour survivre au voyage de sa vie à venir, plein de rebondissements.

Il retourna dans le salon, se jetta dans le canapé comme un vrai célibataire!

Je vais faire une sieste, tu me fais signe quand c’est prêt.

Une petite vie simple. Un bon repas de noel, de la musique, de la décoration. L’homme inspira profondément, il savait au fond de lui, que tôt ou tard, il s’en mordrait les doigts.
Pour l’instant, c’était l’heure de la sieste…