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-Seulement si je suis sobre, rétorquai-je.

Me blesser avec une fourchette, franchement…

Morrigan avait confiance en moi ? Je ne savais pas si c’était réellement le cas mais je trouvais adorable la manière dont William tempérait tout depuis le début de la matinée, jouant les médiateurs. Je découvrais sa personnalité autant que celle de la reine au fil du temps. J’aimais bien William, j’appréciais les personnes qui savaient s’affirmer et plus encore celles qui faisaient preuve d’empathie. Une qualité pas toujours présente chez les soldats.

-D’accord…

Je comprenais, oui. Tant qu’il ait besoin de temps pour réfléchir à ma proposition que d’en parler avec Morrigan. Je n’étais pas sûre d’avoir bien compris ce que signifiait cette promesse de veiller sur moi… Je supposai que l’avenir me dirait de quoi il retournait ou s’il s’agissait de mots donnés trop hâtivement sous le feu de l’émotion et sans conséquences pour l’avenir.

William était incapable de me dire avec précision de quoi retournait le mal de la Morrigan, allant jusqu’à me conseiller de demander à Teutatès. Je lui fis les gros yeux.

Pour être honnête, c’était Teutatès qui avait mentionné Loki comme fauteur de trouble pour expliquer le mal de la déesse pas plus tard que l’avant veille…

-Tu fuis quelque chose ? lui demandai-je surprise de l’entendre dire qu’il repartait aussitôt à Paris alors que jour se levait à peine.

Il voulait m’appeler ce soir ? Ma foi… Je n’y voyais pas d’inconvénient. Surement voudrait-il reparler de cette histoire de connexion entre Morrigan et lui… Loin des oreilles de la déesse. Je me penchai pour saisir mon téléphone que j’avais posé dans un coin et le lui tandis.

-Fais-toi sonner et note mon numéro.

En parlant de sonner, mon alarme choisi précisément ce moment pour retentir. Une heure trente… J’avais presque tenu jusqu’à la fin, dommage.

-Sois prudent sur la route.

C’était plus fort que moi, mon côté mère-poule qui ressortait… Je n’étais pas encore bien sûr de la manière dont je devais définir ma relation avec cet homme qui n’était ni mon fidèle, ni mon ami, ni mon compagnon, mais nous nous étions en tout cas suffisamment rapprochés pour que je me soucie de lui désormais.

Il s’éclipsa après avoir fait ses au revoir à sa reine.

Je profitai de ce court moment de calme pour aller m’asseoir dos au mur et respirer en douceur. Je pouvais relacher, enfin. Personne à qui faire la conversation, plus de stimulis sensoriels qui m’accaparaient…

Je fermai les yeux un moment pour me concentrer sur mon bras, matérialiser dans mon esprit la complexité du corps en tant que multitude d’organismes et y distiller l’essence de mon pouvoir pour accélérer la régénération. C’était une blessure profonde. Mon corps aurait fini par se réparer de lui-même au prix de longues et pénibles douleurs. Je préférais la fatigue de l’utilisation d’un pouvoir complexe et exigeant à la souffrance physique et au handicap que représentait momentanément pareille blessure.

Ma main glissa doucement sur la surface de mon bras sans le toucher et se retira en laissant une peau réparée, bien que couverte de sang. Je sentis la fatigue peser sur moi, lourdement. Je me mis à rêver soudain d’une douche chaude et, pourquoi pas, de me lover un moment sous la couette.

Quand j’ouvris les yeux, j’avisai la Morrigan qui me tendait un pain au chocolat.

-Merci.

Bien vu, j’étais affamée.
Je fis signe à la belle pour lui montrer la place au sol à côté de moi au cas où elle pouvait s'asseoir elle aussi. Je n’avais pas envie de me relever pour l’heure, j’étais bien par terre.

-Je ne vais rien te demander, tu m’en parleras de toi-même le jour où tu te sentiras suffisamment en confiance. Et ce jour-là, je t’écouterai autant de temps qu’il faudra et je ferai tout mon possible pour t’apporter mon aide et mon soutien. D’accord ?

Pas l’ombre d’un sourire, seulement une voix calme et résolue.
Il ne s’écoulait pas un jour sans que je ne regrette de ne pas avoir pu empêcher le calvaire d’Epona… J’étais la déesse-mère, protéger et chérir était dans ma nature. S’en prendre à mes enfants, c’était m’attaquer moi. Morrigan était une celte et une proche-alliée, lui offrir ma protection m’était aussi naturel que de respirer. Restait à savoir si elle voulait de mon aide. Je ne la forcerai pas… J’ignorais même si je pouvais faire quoi que ce soit pour combattre son mal. Mais le premier travail consistait à analyser et comprendre la nature du problème.

Je plantai les dents dans mon pain au chocolat et savourai cette bienheureuse nouvelle source d’énergie.

-Les nordiques…

Bien sûr que Morrigan les ciblaient en premier lieu. Encore et toujours Loki.

-Si nous pouvions implanter un cheval de Troie dans le rang des Ases… Je ne peux pas croire que tous soient partisans de l’ascension de Loki. Où est donc Thor ? Pourquoi se soumet-il alors qu’il est le légitime héritier du trône d’Asgard ?

Et quid des autres dieux ? Se soumettaient-ils tous de bon gré au dieu de la malice ?

-Je cherche le fils d’Odin, il est réputé pour avoir le sens de l’honneur et j’espère qu’il saura écouter. J’espère le convaincre de se battre pour prendre ce qui lui revient de droit et lui apporter le soutien des celtes, le cas échéant. Provoquer une guerre de pouvoir au sein des Ases affaiblirait leurs positions et nous donnerait un avantage de taille sur Loki et ses minions.

Je n’avais pas de stratégie militaire à offrir à la sorcière, ça c’était son domaine. Le mien était celui de la diplomatie et des liens… Et j’excellais généralement pour ce qui était d’en créer.

-Si le jeu se calme avec les nordiques, nous aurons moins à redouter les grecs et les slaves. De là nous pourrons tourner nos armes vers ceux qui nous menacent de mort véritable, les tueurs de dieux.

Ils étaient là les adversaires les plus dangereux. Les plus fourbes, aussi.

-Et vers ceux qui menacent notre existence même en nous remplaçant dans le coeur des Hommes, les nouveaux dieux.

Et le combat serait de taille car ils étaient au sommet de leur puissance.
Je m’accordai un moment de calme pour finir de déguster ma viennoiserie.

-Mon attention reste principalement accaparée par la Bretagne. Mon domaine s’étend dans le Morbihan mais j’essaie de renforcer nos positions dans toute la région. Je travaille depuis quelque temps déjà à me rapprocher d’une famille qui détient une partie de l’économie locale… Leur fond d’investissement réside principalement dans les casinos. Une belle brochette de mafieux, si tu veux mon avis. L’un des neveux du patriarche a récemment été assassiné et il crie vengeance. J’ai envoyé des personnes de confiance mener l’enquête, ils approchent du but… En livrant le coupable, j’entends m’assurer l’amitié de la famille et une dette de sa part que je ne manquerai pas d’utiliser pour renforcer notre position.

Cela ne fonctionnerait que si nous trouvions le tueur en premier, bien entendu…

-Et tu connais déjà mes plans pour la milice. Je ne serai pas rassurée tant que mes enfants ne seront pas en mesure de protéger leurs terres de manière autonome. Ceridwen et Esus ont mis le feu aux poudres, il faut s’attendre à ce que l’Unique réplique.

J’avais peur pour mes fidèles, les nouveaux celtes. Ces enfants loyaux et dévoués étaient encore fragiles et faibles.  

-J’ai injecté des fonds pour envoyer des volontaires en formation et acheter de l’équipement… Mais ton réseau est sûrement bien meilleur que le mien. Est-ce que tu peux fournir des armes à nos miliciens ?

La qualité de l’armement ferait une différence significative en cas d’affrontement.

-Du reste, j’essaie de placer mon argent et d’avoir des retours sur investissement pour financer cette guerre. Dans la mesure du possible, je cherche aussi à trouver et à me rapprocher du reste de notre panthéon dans l’espoir de convaincre plus de dieux celtes d’accepter notre nouvelle autorité et de se joindre à nous. Voilà pour mes plans à court terme. Et toi, est-ce que tu as des informations ? Des projets ?

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-Ou peut-être que Thor le soutient… soufflai-je.

Ce n’était pas à exclure. Le fait que l'héritier n’ait pas pris part activement à cette nouvelle guerre qui se jouait ne signifiait pas qu’il s’excluait du jeu pour autant. Il était une inconnue désagréable qu’il nous fallait révéler au plus vite.

-C’est vrai ? Et tu vas leur apporter des croissants aussi ? plaisantai-je.

Je lui souris, appréciant sincèrement cette réponse apportée à ma demande. Si William rejetait mon offre, un contact de la déesse accepterait peut-être de venir. Je ne doutais pas que le réseau de la Morrigan était bien meilleur que le mien pour ce qui était du domaine de l’armement, c’était une bonne chose que nous puissions collaborer. Et en parlant de son pays natal…

-Qu’en est-il de l’Irlande ? As-tu entrepris des actions là-bas ? Y as-tu une base ?

Si la déesse nous aidait actuellement sur le continent, j’imaginais qu’elle préférait reconquérir en priorité les îles. Même si dans l’immédiat, la Bretagne n’avait jamais été réellement celtique, elle servait aujourd’hui de terre d’accueil à tous les nouveaux convertis et divins. Je voulais voir grand, imaginer une expansion territoriale dans le futur et reprendre à minima la Normandie et idéalement les îles du nord  - c’était la raison même de cette guerre après tout. Chaque panthéon voulait sa part du gâteau.

-Il n’y a pas tant que ça en réalité, je délègue autant que possible… Esus et Ceridwen ont élu domicile en Bretagne et y font le ménage. Je dois admettre que voir les églises brûler est très satisfaisant.

Même si je redoutais les ripostes de l’Unique qui n’allaient pas tarder… Cet être détestable et son panthéon n’étaient pas connus pour leur bonté d’âme, ils étaient violents, cruels et sans pitié. Le couple avait pris l'initiative de provoquer l’ire des anges et des démons. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment, mais je ne pouvais pas les blâmer, ce qui était fait était fait…  

-Je te croyais réfractaire à la recherche d’artefact, m'étonnai-je en me rappelant sa réaction quand Taranis avait parlé de sa quête. Quelle est la fonction de l’objet que tu recherches ?

En quoi serait-il utile spécifiquement contre Loki ?

-Je me tiens à ta disposition si tu as besoin de mes talents ou de mon réseau, lui proposai-je. Je n’ai rien contre une petite aventure de temps en temps !

C’était même assez excitant, si sa piste était sérieuse.

-Non, nous ne pouvons être sûrs, répondis-je stoïquement à Morrigan qui m’alertait sur les intentions de Thor. Veux-tu m’accompagner pour lui parler si je parviens à le localiser ?

Je fronçai les sourcils un instant.

-S’il se prétend avec nous, tu te feras ton propre avis sur le personnage. S’il est contre nous, tu auras tout le loisir de le tuer.

Ca pouvait paraître dangereux de réunir les deux reines celtes en un même lieu face à un possible adversaire… pourtant, je pensais Morrigan parfaitement capable de se défendre si la situation venait à dégénérer.

-Je ne pourrai rêver meilleure protectrice.

Avec Taranis peut-être, en qui je nourrissais une confiance aveugle.

Je la fixai un long moment avant de détourner la tête pour regarder loin devant moi. Me prévenir que la guerre entrainait son lot de morts… Comme si je l’ignorais.

-Il y a déjà eu des victimes… Et tu en fais partie. Je sais ce qu’une guerre peut coûter… Je suis une vieille dame, Morrigan, j’ai vécu… et j’ai perdu. Puisse la mort véritable épargner nos proches dans ce conflit, dieux comme mortels.

A nouveau, mon regard bifurqua vers la Guerre.

-Tu es leur reine aussi, dis-je un peu surprise par la tournure de sa phrase.

Mais j’étais la plus diplomate des deux, il est vrai.

-Tu attends de moi que je convaincs nos frères et soeurs de se soumettre et de se rallier ?

Délicate mission après ces longs millénaires de séparation.

-Je le ferai, répondis-je assurée. Le Dieu-Père aussi s’est fixé pour mission d’unir… Son visage guerrier cache un bon diplomate.

Quand il le voulait bien. Le roi des celtes était toujours là quelque part en lui, il n’avait pas perdu son éloquence.

-Penses-tu que Dagda a refusé de t’écouter à cause de vos liens tumultueux ? Me demandes-tu d’aller à sa rencontre ?

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J’acquiesçai, nous avions un accord et une vision commune, pour une fois. Pour commencer, il n’y aurait rien à tirer de Thor si nous n’arrivions pas à le localiser. Chaque chose en son temps, donc… Quant à cette histoire d’artefact, Morrigan décida de rester délibérément vague sur la fonction de l’objet et je me contentai d'acquiescer pour ne pas marcher sur ses platebandes. L’Irlande ne semblait pas être la priorité de Morrigan qui avait l’air de miser beaucoup sur cet objet mythique. Ça me convenait. Égoïstement, j’aimais savoir la déesse en France, disponible et à portée de main pour aider en cas d’événement majeur. Ceci étant, il lui faudrait aller tôt ou tard sur les iles pour lever des troupes et unir les dieux iliens sous son commandement.

-Il y a une différence entre rassembler et unir. Même les volontaires qui se sont rangés derrière nous doivent apprendre à taire les vieilles querelles pour évoluer à nouveau ensemble et former un groupe soudé. Je fais partie de ceux-là, toute déesse de l’Unité que je sois… Ce n’est pas si facile pour moi non plus.

Mes relations avec Teutatès demeuraient au mieux professionnelles, au pire ombrageuses. Un jour peut-être que nous arriverions à dépasser notre passé et les vieilles rancoeurs, mais si j’étais habituellement capable d’une grande patience, je m’enflammais vite quand il s’agissait de mon époux.

Je croquais dans mon pain au chocolat, laissant mon regard vagabonder un moment.

-Laisse-moi un peu de temps pour réapprivoiser nos compagnons - ceux qui se sont rangés derrière moi et m’ont choisi pour reine, et les autres. Je sais que nous en manquons cruellement… J’ai conscience du défi à relever, il est de taille. Cela fait deux mille ans que mes gens se sont dispersés aux quatre vents après les conquêtes romaines et de l’Unique, sans autorité pour les guider. Les fédérer sous ma bannière ne se fera pas en un jour, les relations de confiance prennent du temps à se construire. Mais j’y travaille.

Peut-être étais-je plus douée pour réaliser des miracles avec les mortels, qui sait ? La vérité était que seule une fraction de notre panthéon m’avait prêté allégeance. J’avais une guerre à gérer et de trop nombreux ennemis, une reconquête territoriale et religieuse à superviser, et mes rangs étaient clairsemés. Je n’étais pas défaitiste cela dit, loin de là. L’immortelle que j’étais savait que rien ne se ferait en un jour, surtout avec des immortels qui avaient une vision très relative du temps qui passait.

L’ombre d’un sourire passa sur mes lèvres lorsque Morrigan répondit au sujet de Teutatès.

-Je sais ce qu’il a fait, je sais qu’il donne tout ce qu’il a pour se racheter et donner un nouveau souffle à ce panthéon.

Mon regard se perdit dans le lointain et je soufflai à demi-voix, ouvrant mon coeur à cette presque inconnue.

-Quand je le regarde et que je l’entends parler, je revois tellement de souvenirs… Certains magnifiques et magiques qui m’emplissent de nostalgie. Et d’autres… C’est comme verser du sel sur une plaie qui ne s’est jamais refermée.

Deux mille ans sans se voir… J’avais parfois envie de lui demander s’il m’avait cherché, rien qu’un peu. Nous étions liés, lui et moi, par la foi des humains qui nous avait fait naitre mari et femme. Notre séparation avait laissé un vide en moi. Mais j’étais tellement en colère jadis… Et le temps avait filé.
Un jour, il était réapparu. Un jour, après deux millénaires de silence. Pas pour s’excuser, par pour reconstruire. Il était venu à moi parce que je lui étais devenue utile pour ses projets de reconstruction. J’étais la clé de voûte qui devait maintenir en place l’arche et l’empêcher de s’effondrer une seconde fois.

-Parle moi de Dagda, que peux-tu me dire sur lui ? Que fait-il actuellement ?

J’avais l’impression qu’il était aussi forte tête que Morrigan. En fin de compte, ils avaient peut-être un point commun.

Je me levai brièvement pour aller réchauffer deux verres d'eau, avant de me rassoir. La couleur de la boisson changea pour se teinter de bordeau et une odeur de vin chaud se répendit dans la pièce. Je tandis un gobelet à Morrigan.

-Là, c’est beaucoup mieux.

Rien de tel qu’un peu d’alcool pour me donner du baume au coeur.

-Je ne t’ai jamais raconté la fois où j’ai levé une armée et mené une charge ? lui demandai-je avec un sourire malicieux. C’est une longue et douloureuse histoire, ça ne s'est pas bien finit. 

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J’arquai un sourcil. Morrigan semblait voir son époux comme un homme orgueilleux et je me demandais si sa description était déformée par le peu de considération qu’elle avait de lui ou si tout cela était l’entière vérité.

Je l’écoutai, attentive, me raconter l’histoire de sa rencontre avec Dagda. La naissance de leur relation, son évolution, et la manière dont la fleur avait fini par se flétrir après s’être épanouie brièvement.

J’imaginais bien, oui, un homme calme et diplomate face à la hargne de la déesse qui brûlait de se confronter à autrui.

-Tu préfères les hommes au tempérament de feu, comme toi ? m’enquis-je.

Elle avait dû trouver son bonheur avec les celtes du côté de la Gaule. Mon peuple était bon vivant, il s’enflamait au rythme de l'alcool et des victuailles. Toujours disponibles pour festoyer autant que pour guerroyer.

-Tu ne tolères pas l’adultère ? lui demandai-je. Tu…

“Tu devrais te méfier de Teutatès”

Je fis une grimace avant de secouer doucement la tête. Ça ne me regardait pas après tout… Nous n’étions pas amies avec Morrigan. Je tolérais leur relation, je n’allais pas non plus la conseiller. Je ne voulais pas me mêler de leur histoire mais je pressentais la catastrophe si elle escomptait que le dieu-Père lui soit tout entier dévoué… L’empathe n’avait jamais brillé par sa fidélité lorsque nous étions mariés et s’il y avait bien un fait universel, c’est que les dieux ne changeaient jamais vraiment contrairement aux mortels. Nous étions enchainés à notre personnalité et à notre rôle à tout jamais.

-Qu’est-ce qui pourrait le motiver à nous prêter sa force ?

Tout le monde avait un prix, qu’il soit pécunier ou en marchandage de service… Tout le monde avait des vecteurs de motivations, des leviers. Restait à trouver lesquels pour agir efficacement dessus.

Je m’éclipsai brièvement pour revenir avec de l’alcool et sentis un regain de force lorsque le liquide coula dans ma gorge.

-Longue histoire en plusieurs parties… Tu as du temps devant toi ?

Nouvelle gorgée de vin.

-Un jour, j’ai eu vent de la trouvaille d’un nouveau continent. La couronne cherchait des volontaires pour coloniser l’Amérique… A cette époque, j’étais seule et coupée des miens, l’Unique dominait le paysage… J’avais ce besoin viscéral de m’enraciner quelque part et de reconstruire un foyer… Je me suis dis que c’était une chance de prendre un nouveau départ, de revendiquer des terres celtes et de donner une chance de renouveau aux miens. Le trajet en bateau a été relativement horrible, les gens tombaient malades et souffraient, alors les miracles ont commencé à pleuvoir et j’étais vénérée avant de poser pied à terre. Ma communauté s’est convertie, nous avons construit un village et même si la vie était difficile, nous étions prospère. Et puis les années ont passé, d’autres colons se sont installés, des routes commerciales se sont créées et ce qui devait arriver est arrivé : des prêcheurs de l'Unique ont débarqué. Et ils sont revenus, encore et encore, jusqu’à se manifester avec des forces armées suffisantes pour me renverser. Une partie de mes “enfants” m’a trahi et tourné le dos, je me suis retrouvée sur un bûcher.

Ah tiens… Mon verre était déjà vide ? Je résistai difficilement à l’envie de me lever pour aller m’en servir un autre.

-J’étais folle de rage en me réincarnant et j’ai décidé de me venger. Je suis allée fraterniser avec les dieux amérindiens qui voyaient d’un mauvais oeil l’expansion et le comportement des blancs, et je les ai convaincu de se joindre à moi pour mener l’assaut. Et ça a probablement été la plus courte de mes réincarnations puisque j’ai perdu encore une fois mon vaisseau. Mais ça eu le mérite de me défouler un peu, dis-je avec un rapide sourire. A ma décharge, leur armement était largement plus sophistiqué que le nôtre… Mais ils ont essuyé des pertes. Je suppose que nous avons perdu… Mais je n’en sais rien en réalité, je ne suis jamais retournée là-bas pour vérifier. Je me suis réveillée en Europe et j’ai décidé d’abandonner l’Amérique.

J’eus une moue songeuse. La trahison de mes fidèles, ceux que je considérais jadis comme mes enfants, avait été difficiles à digérer... Cette histoire me peinait encore aujourd'hui.

-J’ai tendance à faire n’importe quoi quand je suis furieuse. Je suppose que c’est dans ma nature, “l’ivresse”... Les émotions débridées.

Soupir.

-Voilà, pour les confidences…

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