D'où viens-tu ? [Intrigue II - Terminé]

D'où viens-tu ?

Des rayons de soleil se détachaient du ciel de temps à autre. Il ne faisait pas froid, pas vraiment. Avec les bons vêtements et l’alcool consommé, je ne ressentais pas de gêne vis à vis des températures pourtant peu élevées en cette saison. Il y avait toujours autant de neige. Peut-être même plus, il me semblait qu’il avait neigé au cours de la nuit. J’étais arrivée hier pour donner la main sur les derniers préparatifs et faire un premier debrieffing de vive voix avec Teutatès. La zone avait été bien déneigée cela dit, la communauté de mon ex-maris s’était activée et montrée efficace dans son travail.

La matinée avait filé à la vitesse de l’éclair et l’après-midi était déjà bien entamée. Je tournais d’un groupe à l’autre en prenant le temps de faire connaissance avec ceux que je ne connaissais pas ou peu et de prendre des nouvelles de ceux que je n’avais pas vu depuis un moment. Le sommet diplomatique de ce matin n’était que la partie émergée de l’iceberg, l’illusion d’un consensus général. La véritable partie avait commencé après. Elle se jouait avec ces discussions informelles, ces alliances et ces affinités qui se créaient par petit groupe… J’observais, cherchant du regard, par l’observation et par l’écoute, à définir les liens évidents ou cachés des uns et des autres et à faire ma place dans ce jeu de politique. J’étais leur reine après tout, la figure maternelle… Et si je connaissais bien mon propre peuple, je ne pouvais m'enorgueillir de la même chose pour les pièces rapportées, les alliés divins et mortels conviés à cet événement.

Un coup de fil m’avait tiré hors de la tente. Le travail. Un bon prétexte pour m’éclipser quelques instants. J’avais réglé mon affaire et profité de l’air frais (froid) et vivifiant pour respirer un peu.

Mon regard balaya la zone. Où était donc passé Nailea ? Mama Quilla m’avait soufflé ce matin son besoin de me parler en privé et avait aussitôt disparu comme si elle avait l’Unique sur les talons… Ça avait l’air suffisamment sérieux pour que cette histoire me trotte dans la tête, j’aurais aimé éclaircir la chose. Nous ne nous étions pas revu depuis le meurtre de son dernier vaisseau, je déduisais donc que c’était la reine qu’elle venait quérir et non l’amie. Si Morrigan était régulièrement sollicitée pour les affaires militaires, c’était moi que l’on venait quérir pour beaucoup d’autres points… la politique, notamment, un sujet qui avait vite tendance à lasser la reine des îles.

Je marchai un peu, fis un tour des lieux en cherchant du regard et pris le temps d’échanger quelques mots sympathiques avec les fidèles que je croisais.

Mama Quilla avait décidé de se cacher. Je soupirai intérieurement en comprenant pourquoi elle m’avait donné rendez-vous le lendemain. Pour ce que j’en savais, elle pouvait tout aussi bien avoir quitté le domaine pour la journée. Je n’avais pas le temps de la chercher et je n’avais pas son numéro de téléphone, j’attendrai qu’elle veuille bien venir à moi. Son humeur n’était pas au beau fixe lorsqu’elle avait quitté l’assemblée… J’avais ma petite idée sur le pourquoi. A ma connaissance, Naya était portée disparue depuis six mois et je savais à quel point Nailea était attachée à cette petite. Et il y avait la présence d’Hestia qui semblait l’avoir grandement contrariée aussi. Ajouté à cela peut-être d’autres points qui m’échappaient pour l’heure…

Enfin… Je verrai le moment venu.

Je continuai ma promenade et m’arrêtai, sourire aux lèvres, pour regarder deux enfants soigneusement appliqués à construire un bonhomme de neige. Ils devaient sûrement accompagner les adultes qui s'activaient pour servir les dieux pendant tout le temps que durerait le sommet diplomatique.

Je fis quelques pas de plus en direction du chapiteau et avisai soudain un visage certe familier mais aussi peu connu. Le serviteur de la Morrigan. Je l’avais vu à quelques occasions se tenir aux côtés de la reine des iliens sans avoir réellement l’occasion de faire sa connaissance. La Morrigan semblait lui accorder sa confiance et suffisamment de respect pour lui donner un droit de parole pendant le sommet divin. Un honneur que peu de mortels s’étaient vu accorder… Et cela rendait l’homme subitement très intéressant. Qui était-il ? D’où venait-il ? Quel était son lien avec ma consoeur ? Autant de questions auquel je comptais bien apporter des réponses.

Je m’arrêtai à sa hauteur pour le regarder avec curiosité, sourire aux lèvres.

-William, c’est bien ça ? demandai-je avec la tranquille assurance qui tranchait avec les litres et les litres d’alcool que j’avais pu m’envoyer depuis le début de la réunion.

J’avais l’air sobre. Je l’étais. Et pas vraiment en même temps… J’étais l’Ivresse après tout.

Il était seul, voilà une occasion parfaite pour faire sa connaissance et l’interroger à l’abri des oreilles indiscrètes.

-Je profite un peu de l’air frais. Voudrais-tu faire quelques pas avec moi ? lui proposai-je d’un air affable.

Je lui fis un geste pour lui montrer le paysage, vers le pont. S’éloigner un peu de la tente et du risque d’être dérangé par un tiers… J’étais beaucoup sollicitée aujourd’hui et quoi de plus normal, au vu de mon statut ?

Je n’imaginais pas un seul instant qu’il puisse refuser, les fidèles nous redoutaient autant qu’ils nous aimaient et risquaient rarement de nous contrarier.

-Nous nous sommes vu à quelques occasions mais nous n’avons jamais fait connaissance. D’où viens-tu ?


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D’où viens-tu ?

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

William était un homme caractériel, mais face à Morrigan, il ne faisait pas le poids. S’il avait bien tenté de se défiler et de ne pas assister à cette drôle de réunion entre divin, cette dernière avait été catégorique sur le sujet ; il devait participer et s’informer afin d’être compétent sur le terrain. Il n’avait pas clairement compris son utilité au sein de cette guerre, mais il irait là où elle souhaitait qu’il aille. A son arrivée, son esprit était pour le moins confus sur les enjeux, sur les plans d’attaques à mettre en œuvre, lui qui savait sa Déesse en première ligne des mauvaises intentions de Loki. A la fin de cette réunion, son esprit était.. toujours aussi confus. Dans les grandes lignes, il avait retenu le nom de Masha Lancaster et avait proposé son aide à la seule âme en ces lieux qui partageait son humanité. Pour le reste, il n’y voyait pas plus clair. Qui deviendrait son allié ? A qui faire confiance ? De qui se méfier ? Le prénom d’Hestia était revenu plusieurs fois sur la table avec plus ou moins de virulence, mais cela faisait-il d’elle une personne à éviter ? Il n’en savait rien.
La suite des retrouvailles serait un moment bien plus important que ces discours, ces grandes paroles prononcées à haute voix. La suite des retrouvailles serait un moment où les affinités se formeraient, où l’alcool viendrait délier les langues les plus discrètes et où il espérait pouvoir se faire une opinion sur les celtes qui l’entouraient.

Habitué à faire cavalier seul, l’ancien soldat connu également sous le nom de Chulainn, sirotait ses verres de whisky plus en retrait que les autres, préférant de loin analyser les choses plutôt que de parler. Tous les sourires n’étaient pas sincères, toutes les poignées de main n’avaient pas valeur de contrat. Proche des gens, il avait plus de mal à discerner le vrai du faux tandis-ce qu’à l'écart, il profitait du spectacle et pouvait déceler les moindres mimiques de visage, les gestes parasites des mains synonyme d’anxiété et de potentiel mensonge… Les Dieux étaient différents de lui, mais pas totalement… Aussi puissants soient-ils, ils pouvaient être dupés eux aussi, même par des humains.

Sa quiétude fut brisée par une voix féminine reconnaissable parmi des centaines. S’il n’était pas un adepte des réunions groupes et était quasiment inconnu de la plupart des invités, il avait tout de même quelques connaissances sur les Divinités présentes.
Il tourna la tête, découvrant sans surprise la splendide chevelure de feu de Meduna, la Reine du Panthéon Celte.

C’est ça. Ravi de te revoir, Meduna. Toujours aussi belle. lança t-il, amusé et doté d’une étrange confiance en lui que l’on attribuera au whisky avalé.

Ils s’étaient croisés dans le temps, de façon brève, sans jamais vraiment discuté ensemble. Elle avait instauré le tutoiement naturellement et il en fit de même; déjà beaucoup trop imbibé d’alcool pour s’auto punir de son manque de bonne manière. Avait-il envi de se retrouver en aparté avec cette femme ? Peu probable. Pouvait-il refuser ? Absolument pas.
Il hocha la tête pour valider son offre sans pour autant s’extasier de joie et déposa son verre car il était temps de redevenir lucide pour ne pas offusquer Meduna, ça ferait mauvais genre.

D’où venait-il ? Elle ne perdait pas de temps. A peine avaient-ils fait quelques pas dans la neige qu’elle lançait la première question d’une longue série. D’abord anxieux, par crainte de dire ou de faire une erreur, il préféra considérer cette promenade de santé comme une opportunité à ne pas louper pour se forger une opinion sur celle qui marchait à ses côtés.
Habitué à s’inventer des vies et des identités, ici, au milieu de nul part (pour un gars habitant Paris, c’était plutôt paumé comme coin ! ), il pouvait être lui-même ; cù chulainn.

D'Irlande. Je suis l’un des fils du Roi Cennetic Mac Lorcain. Second d’une fratrie de onze, tous morts au combat ou d’une infection.
J’étais le chef d’une tribue guerrière redoutable, même si je n’en ai pas la carrure. J’ai toujours été le plus chétif de la bande. J’accompagne Morrigan.

S’il n’avait pas clairement notifié l’assemblée de son humanité, tous seraient rapidement au fait du lien qu’il partageait avec la Déesse de la guerre et de sa condition initiale. Il ne lutterait pas, même si les deux Reines ne semblaient pas être de grandes amies non plus, d’après ses observations.

Cù Chulainn, voilà qui je suis…
Et si tu cherches à connaître ma loyauté envers les Celtes, je dirais que vous n’avez rien à craindre. Dit-il, en lançant un regard amusé.

C’était un homme loyal, plus à elle qu'à eux, mais l’un allait avec l’autre pour le moment. Malgré tout, connaissant l’opinion de Teutatès à son sujet, clamer haut et fort sa fidélité ne pouvait pas faire de mal.

Il faisait froid, mais il ne craignait pas ces températures. La météo capricieuse des terres irlandaises l’avait endurci et plus que la neige, il redoutait les périodes de canicule.
Paisible, il avançait d’un pas lent en direction du pont, les sournoises oreilles à présent bien trop lointaines pour écouter leurs échanges...

D'où viens-tu ?

J’arquai un sourcil face à la réaction du protégé de la Morrigan qui me saluait comme si nous étions de vieilles connaissances. S’enhardissait-il parce qu’il avait participé au sommet avec le reste des dieux ? Ou bien parce qu’il se savait intouchable de par ses liens avec la reine des iliens ?

Mes yeux se posèrent sur le verre qu’il tenait. Du Whisky identifiai-je sans avoir besoin de sentir le breuvage. Mon regard se teinta d’amusement.

“Je vois”

Il se faisait plutôt discret d’habitude. J’en déduis qu’il n’en était pas à son premier verre… J’aimais penser que la vraie nature des individus se révélait après quelques verres. L’alcool désinhibait, levant les tabous et les gênes… Le coeur des hommes et des femmes se dévoilait alors librement et sans retenue. Voyons donc ce que celui de ce mortel allait me raconter.

Contre toute-attente, la conversation me propulsa plus d’un millénaire en arrière, dans l’ancienne Irlande… Ca pour une surprise !

-Chulainn…

Je le regardai cette fois sans cacher ma surprise.

-J’ignorais que je marchais aux côtés d’un guerrier de légende.

Je hochai la tête d’un air approbateur. Ma curiosité pour cet homme venait de monter d’un cran. Il était exceptionnel de côtoyer un mortel aussi vieux, je saisissais un peu mieux l’assurance qu’il affichait.

-La Morrigan t’as donc fait le don d’immortalité.

Fallait-il qu’il lui ait réellement tapé dans l’oeil… Et à raison, au vu des glorieuses légendes que j’avais entendu sur cet homme. J’ignorais cependant si c’était un cadeau ou une punition. L’immortalité condamnait à la solitude… Chulainn n’était pas un dieu et n’en serait jamais un, il n’était pas né pour servir un but comme nous… Rien à quoi se raccrocher dans les heures les plus sombres. Et à présent, il n’était plus vraiment un humain non plus… Condamné à voir mourir ses proches au fil des siècles et à enterrer ses enfants, triste vie pour un homme.

-Cette longévité te rend-elle heureux ? lui demandai-je sans jugement, afin de mieux comprendre l’homme que j’avais en face de moi.

Quant à cette histoire de fidélité…

-Je te sais loy… aaah!

Et soudain, une petite créature déboula et se jeta dans mes pieds. Je perdis l’équilibre et m’accrochai à ce que je pus pour ne pas tomber dans la neige.

-Nom d’un… !

J’eus une moue en voyant le coupable et me baissai pour ramasser la boule de fourrure blanche que je maintiens dans les airs pour le porter au niveau de mon visage.

-Ah, évidemment… dis-je en toisant le renardeau. C’était forcément toi.

La petite créature me regarda la bouche ouverte et poussa des cris qui donnèrent l’impression qu’elle s’exclaffait. Elle s’agita et vint se lover au chaud contre moi.

-Mais oui, viens donc me tremper avec ton corps plein de neige, maugréai-je avec un sourire affectueux.

Je grattai les oreilles de la boule de poils et positionnait mes bras autour de son corps pour la sécuriser avant de tourner la tête vers mon voisin.

-Je disais : Je n’ai aucun doute quant à ta loyauté envers la Morrigan.

Quant au reste des nôtres, je n’en savais encore rien. Le temps me dirait si je pouvais avoir foi en lui ou non. En tant que souveraine, la fiabilité était une chose que je prenais au sérieux et je n’accordais pas ma confiance au premier venu.

-Tu proposais de suivre Masha et Taranis dans cette histoire de quête aux trésors, tout à l’heure… Morrigan ne t’a donc assigné à aucune mission ?

Une ressource de cette valeur… C’était du gachi. Si la Morrigan n’avait pas besoin de lui, je saurai comment exploiter ses talents.

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D’où viens-tu ?

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“Un guerrier de légende”, c’était vrai. Cù Chulainn n’était pas qu’un mythe, il avait bel et bien existé fut un temps, même si son souvenir avait fini par être noyé par toutes ces nouvelles technologies. Là où la puissance d’un homme suffisait à son époque pour être admiré et respecté, ce n’était plus le cas désormais. Les attaques étaient virtuelles, les gangs étaient armés jusqu’aux dents au point de ne même plus avoir besoin de se battre. C’était ça, les nouveaux combats. Évidemment, il avait su s’adapter et était d’ailleurs un incroyable tireur, mais le plaisir n’était plus. Cette fierté, cette adrénaline qui le galvanisait lorsqu’il combattait aux côtés de la Déesse.

Chulainn en personne.. Dit-il, faussement fier pour brouiller les pistes.

La situation était complexe. Il n’y avait personne autour d’eux, aucun moyen donc de se sortir d’une question trop personnelle en faisant mine de trouver un pote ivre (surtout qu’il n'avait pas de pote dans ce domaine). Aussi, il ne connaissait rien de cette divinité à l’exception de son nom et de son rang. Son statut était à l’évidence une marque de respect portée par le Panthéon dans son ensemble, mais il n’était pas de ceux à faire confiance aussi facilement, sous prétexte que les autres la pensaient fiable. Après tout, certains pensaient également que Loki était une valeur sûre à qui se lier... Une décision particulièrement douteuse, avouons-le.

L’immortalité est un cadeau autant qu’un fardeau. Ce n’est un secret pour personne ici, que je ne m’en réjouis pas toujours. Le temps efface les gens, les amitiés, les amours, tous s’en vont sans moi. Je ne suis qu’un humain après tout.

Le discours était peu encourageant, presque résigné, mais ce n’était en vérité qu’une simple partie de l’iceberg.

J’ai vécu des époques et des aventures hors du commun et je me rappelle d’elles comme si c’était hier. Je dirais qu’être immortel lorsque l’on est un homme ce n’est pas inné, ça s'entretient. Je crois en mon avenir, dans le fait que la légende de Chulainn n’est pas morte. On entendra parler de moi à nouveau, j’en suis convaincu.

Il leva le regard dans sa direction sans le craindre car il disait l’entière vérité. Il n’était qu’un homme, parfois pris au piège dans ses propres émotions, mais suffisamment fort pour reprendre le dessus et se réinventer sans cesse.

Morrigan m’a sauvé d’une mort sur le champ de bataille, je lui suis à jamais redevable d’avoir cru en moi et de continuer à le faire. La déesse de la guerre en personne, c’est pas rien quand même.

Il sourit, tantôt léger sous l’effet du whisky, tantôt lucide pour pondre une réponse..
Soudain, une petite créature blanche vint à la rencontre de la Reine Meduna et celle-ci s’extasia devant l’animal.

Décidément, vous êtes tous louche dans votre genre… C’est quoi cette passion générale pour les animaux !?
Bordel, est-ce qu’elle lit dans les pensées ? C’est quoi son pouvoir à la Reine !? Fait chier, j’aurais dû réviser les bases avant de me pointer ici.

Un sourire crispé accroché aux lèvres, il tenta de s’extasier, un minimum.

Il a l’air de vous aimer. N'est-ce pas étrange qu'un renardeau s'approche ainsi ?

Oui, enfin, peut-être pas s’extasier, mais sourire, à peu près.

Après tant d’années partagées ensemble, Morrigan et moi avons parfois.. des incompatibilités d’humeur ? Quelque chose dans le genre.
Cela ne dure jamais longtemps, mais il est nécessaire que nous nous éloignions pour mieux nous retrouver. Cela fait peu de temps que nous avons renouer contact, avec les récents évènements, l’agenda à été un peu bousculé. Ma santé aussi, bordel.
Je ne pouvais venir ici, vanter ma légitimé d’être à vos côtés sans offrir mon aide. Masha Lancaster semble être douée, mais à trop s’aventurer sur ce genre de mission, on finit par y rencontrer des obstacles et des ennemis, elle ne peut pas avancer seule. Je ne fais jaillir aucun éclair, mais je suis un excellent garde du corps.

Le regard sournois, il reprit la parole.

Toutefois, il va de soi que si la Meduna en personne venait à avoir besoin de mes services, je resterai ouvert à toutes les propositions.

Il n’était pas question d’argent, ni d’infidélité à Morrigan, jamais ! Mais William vibrait pour les combats, où qu’ils soient.

D'où viens-tu ?

J’acquiesçai, intéressée par sa vision des choses. Le deuil était certainement le plus dur, pour lui comme pour nous autres divins. Les mortels fanaient et s’effaçaient tristement en un battement de cil. Nous ne vivions pas au même rythme, notre conception du temps était différente… Notre vision de la vie aussi, de fait. Nous avions pourtant le temps de nous attacher à eux… Et de les pleurer.

Je me demandai si Chulainn avait enterré femme et enfants… Et combien de fois.

-Ca devait être une vision exceptionnelle pour un guerrier… dis-je en tentant de me mettre à sa place. Et un grand honneur.

Et voilà qu’une petite bombe se jetait sur moi…
Si ce n’était pas surprenant qu’un renard arctique débarque dans le nord de la France pour venir me faire une farce ? Je lançai un regard amusé en direction de mon voisin.

-Pas vraiment, elle m’a suivi depuis la Bretagne.

J’avais recueilli la pauvre bête dans un excès de pitié après qu’elle eut été sauvée d’un trafic de fourrure. Le braconnier avait été arrêté, mais l’animal, malade et famélique, était trop jeune et avait passé trop de temps avec l’humain… L’ami d’un ami m’en avait touché un mot, je m’étais laissé attendrir et, plutôt que de l’envoyer en refuge, j’avais pris la créature sous mon aile.  

-Surveille donc tes lacets, elle adore les tirer.

Une petite farceuse…
… qui me mit un petit coup de tête pour réclamer un câlin.

Nous traversâmes le pont et je coulai un regard vers la rivière enneigée qui offrait un clapotis charmant. Ma conversation avec Teutatès la veille avait réveillé en moi de nombreux souvenirs de ces lieux…  Une époque lointaine qui me rendait tout à coup nostalgique. J’avais vécut longtemps ici… Nos enfants aussi.

Je me baissai pour poser la renarde qui s’ébroua et la repoussai doucement du pied lorsqu’elle tenta de mordiller ma chaussure par jeu.

Je comprenais mieux… Après une longue… désertion ? Le soldat revenait et voulait faire ses preuves, regagner les faveurs de sa Dame et montrer à tous les autres dieux qu’il était fiable. Une occasion peut-être pour lui de refaire sa légende… Une opportunité en or de s’attirer la sympathie de nombreuses déités, aussi. C’était sûrement une première pour lui d’en voir autant rassemblées en un même lieu.

-Masha ne partira pas à la chasse aux trésors, soupirai-je. Taranis et ses idées loufoques…

Nous étions en guerre, les fronts s’étendaient de tous les côtés et le dieu de la foudre voulait s’embarquer dans une course aux artefacts oubliés. Les probabilités qu’il revienne bredouille étaient infiniment plus élevées que celles de trouver quelque chose. Son entreprise était trop chronophage et incertaine. En ces temps troublés où nos positions étaient encore très instables et où nous manquions cruellement de guerriers, c’était un gaspillage de ressources, à mon sens.
Je connaissais suffisamment Taranis pour savoir qu’il n’en ferait qu’à sa tête en dépit de nos avis, à Morrigan et moi-même… mais j’espérais que Masha ne se laisserait pas entraîner dans son jeu. La prêtresse nous était plus utile ailleurs.

Je lançai soudain une oeillade en direction de Chulainn. L’ ge et l’expérience avaient rendu cet humain arrogant et sûr de lui… Les gens se sentaient souvent détendus à mon contact, mes pouvoirs y aidant, et l’alcool devait certainement ajouter à l’ensemble.
Il ne me craignait pas…

Je captai le sous-entendu. “Rester ouvert aux propositions…”, comme s’il avait le choix de refuser les ordres de l’une des deux reines celtes. Oh il l’avait en un sens même si cela le mettrait dans une position inconfortable… C’était de Morrigan qu’il prenait ses directives après tout, c’était à elle qu’il avait juré allégeance. Il ne me devait rien. Demander à la déesse de la guerre d’annexer son guerrier m’endetterait auprès d’elle… Cette idée ne me plaisait guère. Négocier directement avec l’humain immortel pour jouir de son temps libre me coûterait peut-être moins cher…

“Qu’as-tu dans le ventre, l’ami ? Montre moi qui tu es…”

Un sourire taquin vient éclairer mon visage. Moi aussi j’avais bu… Et moi aussi j’avais envie de jouer un peu. Je fis un pas vers William pour le toiser avec une curiosité nouvelle et mon aura d’allégresse se renforça pour pousser un peu plus encore à la désinhibition...

“Si je titille un peu ton égo…”

-La légende de Chulainn commence à dater… Le grand guerrier a peut-être pris la poussière, depuis… Dis-moi, héros, susurrai-je provocatrice, qu’en est-il de ta hargne de jadis ? Te reste t-il encore assez de force pour porter des coups ? Le temps t’as peut-être ramollis. Un millénaire… C’est beaucoup pour un mortel, dis-je avec une petite moue. Les technologies d’armement et les stratégies de guerre ont largement évolué.

“Vas-tu me montrer les crocs ?”

-Quels genre de service as-tu à m’offrir ?

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D’où viens-tu ?

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

William fronça les sourcils avant de secouer la tête, préférant taire ses pensées bien trop nombreuses et brouillonnes en général. Il avait accepté de se joindre à cette drôle de réunion uniquement pour elle, Nora, tout en sachant pertinemment que cela serait une épreuve pour lui. Côtoyer Teutatès n’était pas son passe temps favoris, et pire encore, il savait en venant ici, que personne ne se souviendrait de Chulainn, de lui. Une légende morte depuis des centaines d’années.  Pourtant, durant tout le voyage qui l’avait conduit jusqu’à ce lieu reclus, il s’était imaginé trouver un groupe de Divins, puissants et raccord sur leurs ambitions et leurs projets et les discours des uns et des autres l'avaient laissé perplexe sur le sujet. Alors, lorsque Meduna refoula l’idée d’une chasse aux artefacts, il ravala sa salive pour ne pas se lancer dans une énième discussion stérile. Il avait sa dose pour la journée.
Après tout, il irait là où on aurait besoin de lui. Là où elle irait. Sa déesse.

L’homme baissa les yeux sur la boule de poil qui gesticulait à leurs pieds. Un mince sourire étira son visage lorsqu’elle commença à s’en prendre à leurs chaussures, sourire qu’il ravala aussitôt car il ne voulait sous aucun prétexte s’attendrir devant un animal. Pas de femme, pas d’enfant, pas d’animaux. C’était ça, sa vie à lui. Aucune entorse au règlement n’était possible, pas même le moindre signe d’affection pour une peluche blanche tout à fait mignonne. C’était d’ailleurs bien la seule chose attendrissante à des kilomètres à la ronde car aucun invité du jour n’attirait véritablement sa sympathie ou sa confiance.

L’aura de la Déesse était troublant. Plus elle était proche de lui et plus il sentait ses barrières se plier à terre, laissant ses paroles lui échapper, sans filtre. Était-ce l’alcool qu’il avait ingurgité sans le moindre repas, ou simplement elle, qui se jouait de lui et de son excès de sincérité ? Elle était la Reine Celtes, mais contrairement aux autres, il ne l’avait pas choisi et ne lui avait rien promis. Sa Reine, c’était Morrigan, personne d’autre.
Elle s’approcha, laissant le renardeau vaquer à ses occupations dans la neige et son regard se posa dans le sien.
Il s’arrêta, ne détourna pas une seconde ses yeux des siens car il n’était pas du genre à courber l’échine à cause d’un titre. Il ne connaissait que son nom et si elle souhaitait savoir qui il était en ravivant des souvenirs pesant à son esprit, c’était de bonne guerre. Il était là avec un objectif précis en tête : définir à qui il ferait confiance, à qui il accorderait son aide et de qui il devait se méfier. Dans quelle case devait-il placer Meduna ?

Elle le provoquait, le heurtait par des mots sagement sélectionnés pour piquer dans le vif, là où ça faisait mal. C’était ingénieux, fourbe, mais également intéressant. Il se rapprocha d’un pas de plus dans sa direction, se retrouvant à seulement quelques centimètres d’elle.

Putain, mais elles sont toutes comme ça bordel !?

Lorsqu’il était proche de Nora, il se sentait souvent broyer par l’énergie qu’elle dégageait sur lui et devait s'ancrer au sol pour garder la face et oser la défier, inlassablement, par jeu.
Il se passait la même chose dans ces bois, face à la Déesse qui renforçait sa désinhibition.

Rien n’a changé. Ma force est intacte et mes intuitions sont fiables. Je ne suis pas le genre à foncer tête baissé dans un piège, même lorsque l’on joue avec mes émotions comme vous prenez plaisir à le faire à cet instant précis..  Dit-il, provocateur.
Mais ne vous méprenez pas à mon sujet Meduna, je ne suis pas un humain lambda, je suis programmé pour le combat depuis toujours et lorsque mon tour viendra, vous entendrez à nouveau parler de Chulainn

Il se pencha encore un peu, murmurant à ses oreilles.

Je n’ai pas peur de vous, je n’ai promis ma gentillesse et mon allégeance qu’à une seule personne ici. Si vous avez tout mon respect sans avoir a fournir le moindre effort, n’espérez pas de moi de gracieuses courbettes car vous êtes l’une des Reines Celtes. Alcool ou pas, je ne mâcherai pas mes mots et ne baisserai pas les yeux. Voyez cela comme une marque de confiance, je n'ai pas l'intention de vous leurrez en prétendant être un autre.

Il recula d’un pas, sourire aux lèvres. Il n’était pas question de menaces ou de malveillance, mais plutôt d’une mise au point ou d’une drôle de façon de se tester mutuellement, en dépit des convenances et des statuts qui les hissaient à des rôles et des places bien différentes l’un de l’autre.

Pourquoi diable la Reine aurait-elle besoin des services d’un homme, lorsqu’elle peut avoir de puissants divins à sa botte ?  Il reprit sa marche, tournant de temps en temps la tête dans sa direction pour sonder ses expressions.

Je suis bien plus discret et méticuleux que toutes les brutes qui étaient dans cette salle. Je n’ai pas le luxe de pouvoir cracher du feu, ou jouir d’un quelconque pouvoir. La stratégie et la malice sont ma force dans ce nouveau monde que vous venez de décrire. Le temps où je me jetais à bras levé, une hache à la main, en hurlant pour effrayer mon adversaire est bel et bien révolu, c’est un fait. Mais, même si vous semblez douter de moi, je me suis adapté.
Je sais me battre, mais je sais également tirer, m’infiltrer, espionner. J’ai travaillé pour les forces de l’ordre, j’ai été formé par des hommes sans coeur et n’en suis d’ailleurs pas sorti tout à fait indemne.

Il tourna les yeux, plus apaisé que les précédentes minutes, honnête, comme il avait promis l'être précédemment.

Je n'ai pas d'épouse, pas d’enfant, ni d’animaux. Mes amis m'ont quittés et je n'ai pas trouvé utile d'en avoir de nouveaux. Je ne cherche pas la sympathie des gens, ni à partager des diners de couples les samedis soir pour me donner bonne conscience. La seule chose qui m'intéresse dans ce monde, ce sont des alliés. Des personnes que je m'efforcerai de protéger et qui ferait de même, mais que ne je pleurerais pas si je n'y parvenais pas. Je n’ai qu’un seul et unique tendon d’Achille... que vous connaissez, qui est aussi ma plus grande force, paradoxalement.
Je n’ai rien à perdre, ni progéniture, ni êtres chers à mes yeux, pas même la vie ! Alors voyez vous, c’est assez difficile de me faire mal, dans ces conditions...

Il étouffa son rire et plongea ses yeux ciel dans le décor blanc, silencieux et féérique. C'était assez triste comme vie, comme vision des choses, mais c'était ainsi qu'il avait trouvé son équilibre et une façon de survivre sans deuil, ni distraction. Il ne souffrait pas de la solitude se plaisait dans cette existence solitaire, à présent pleinement dévoué à Morrigan... et à ceux qui pourrait faire appel à ses services...

D'où viens-tu ?

Loin de se démonter, il se dressa fièrement devant moi provocateur et se rapprocha plus près encore, me dominant de sa taille.

“Tu me défies, mon grand ?”, pensai-je en soutenant son regard, amusée par la tournure que prenaient les évènements.

Il ne m’intimidait pas le moins du monde et je me sentais parfaitement à l’aise en dépit des vingt bons centimètres qui nous séparaient. Je sentais cette forte odeur de whisky qui se dégageait de sa bouche à chacune de ses expirations… attirante. Dans un autre contexte, peut-être, j’aurais pu trouver l’homme à mon goût et joué d’un autre genre de provocations... Mais ce n’était pas là le but de ma manœuvre. Je voulais le forcer à tomber le masque et à se dévoiler, exactement comme je l’avais fait il y a des semaines avec Hestia… L’approche avait certes été différente avec la déesse mais la finalité était la même. Elle avait parlé… Et il parlerait, lui aussi.

Je le toisai, attentive. Il avait conscience que je jouais avec lui et que son état n’était pas naturel. Il était malin. Peut-être habitué à subir les jeux de la Morrigan, qui sait ? Mais je ne faisais qu’exacerber ce qu’il ressentait déjà, je ne le contrôlais pas, ni lui, ni ses émotions. Il en était le seul et unique propriétaire.

A nouveau revenait sur le tapis ce besoin d’être reconnu. Je sentais une réelle frustration de sa part d’être tombé dans l’oubli. Il voyait en cette guerre des dieux une opportunité de se refaire un nom, ce serait son fer de lance. Ce n’était pas un petit détail. J’en pris note.

J’eus un rire franc alors qu’il murmurait à mon oreille quelque chose qui aurait pu sonner irrespectueux pour la plupart des déités. Si cet homme m’amusait pour l’heure, je me demandai s’il gagnerait mon respect ou s’il m’agacerait à la longue avec un comportement trop irrévérencieux. J’appréciais la franchise cependant, ainsi que le fait d’avoir le courage de ses opinions. A lui de trouver le juste équilibre.

- Me voilà prévenue… dis-je avec des yeux pétillants de malice. Sois prudent néanmoins, les dieux ne sont pas tous de nature patiente.

Je l’étais… Jusqu’à un certain point. J’étais à l’image de l’ivresse, changeante, parfois intense. Je donnais sans compter, j’apportais la joie, la liberté et le bonheur… Mais mes colères, elles, pouvaient être explosives.

Il souriait, s’amusait de la joute, m’imposait son tempo sans se décontenancer... Confiant.

“Le visage d’un mortel dix fois centenaire qui a marché aux côtés d’une puissante déesse” songeai-je.

Il me plaisait bien, ce garçon. Sûr de lui, à l’image de sa légende, mais je sentais qu’il ne se survendait pas. Je n’en avais pas douté un instant en dépit de mes provocations… Bien utilisé, Chulainn serait un atout de taille. Je marchais d’un pas tranquille à côté de lui, nous continuions à nous éloigner du chapiteau.

Et je me figeai soudain… Le visage Chulainn s’était détendu au fil de ses mots. Quant à moi, je ne souriais plus et le fixai avec une profonde compassion.

-C’est très triste, ce que tu dis…

Non, je ne riais plus…
Je découvrais cet homme solitaire qui vendait son manque d’attache comme quelqu’un aborderait fièrement sur son CV une expérience professionnelle exceptionnelle. Ce genre d’argument trouvait peut-être son public auprès de sa souveraine, mais pas chez moi. Je me sentais soudain profondément attristée pour cet homme et la vie qu’il avait dû finir par choisir d’adopter, à force de deuils… Être capable de rire de cela… Il avait dû prendre un tel recul sur lui-même pour normaliser le manque de quelque chose qui aurait dû être un besoin vital pour une espèce grégaire… Se couper du lien c’était s’arracher une partie de son humanité.

Je le libérai de mon emprise, le laissant avec pour seule désinhibition les verres qu’il avait avalés un peu plus tôt. Ne restait que le sentiment d’apaisement que je faisais rayonner autour de moi de manière quasi inconsciente.

Je marchais quelques instants en silence, mes yeux suivant les mouvements de la renarde. Il m’en avait dit beaucoup et sur ce point je ne pouvais le lui reprocher : comme promis il avait fait preuve d'honnêteté.  

-Me connais-tu, Chulainn ? lui demandai-je en tournant les yeux vers lui, l’air sérieux.  

Je devinais que non, ou tout du moins que ses informations étaient parcellaires et incomplètes.

-Probablement pas… Nous n’avons pas évolué sur les mêmes terres ni aux mêmes époques, après tout. L’âge d’or de notre panthéon était révolu depuis longtemps lorsque tu es né.

Je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça. Et s’il s’était longtemps tenu loin de Morrigan, il était possible qu’il n’ait pas eu l’opportunité d’être correctement briefé sur les personnalités présentes aujourd’hui.

-Je suis la Mère des Celtes, la déesse de l’Ivresse et de l’Unité. Il fut une lointaine époque où je gouvernais aux côtés de mon époux, aujourd’hui je ne m’efface plus devant son autorité mais mon rôle reste inchangé. Je n’ai pas été choisie pour mes compétences martiales ou de stratège militaire… Je suis une piètre combattante, dis-je avec un sourire doux.

Je me tue un instant pour regarder le vol d’un oiseau qui nous coupa la route, affolé par notre arrivée.

-Après des millénaires de luttes, de rancunes et de soumission aux grecs, puis à l’Unique, mon peuple s’est effacé, divisé et dispersé aux quatre vents… Aujourd’hui, il exprime à nouveau la volonté de se réunir. C’est ma responsabilité de le fédérer… de lui rendre son Unité d’antan. Et comme tu as pu l’observer, la mission est de taille autant avec les dieux qu’avec les mortels.

Je m’exprimai avec une résolution et une confiance qui ne laissait aucune place au doute. Je croyais en ce que je disais.

-Voilà près de deux siècles que j’ai vu le potentiel de la Bretagne et que je travaille d’arrache-pied pour y faire rayonner notre culture… J’ambitionnais de convertir en douceur la population et de faire de cette région une terre d’accueil pour les nôtres. La Grande Révélation a quelque peu… disons mis un coup d’accélérateur au programme. Tout va plus vite désormais, et nos ennemis savent où nous chercher. Nos gens sont en danger.

Je m’arrêtais de marcher pour faire faire à Chulainn et planter mes yeux dans les siens.

-Tu vois en l'honnêteté une marque de confiance. Je vais donc être honnête avec toi… Un pied en France, l’autre vers l’océan et les îles… Inutile de préciser le potentiel stratégique de cette région pour notre future expansion culturelle, religieuse et militaire. Nous ne pouvons nous permettre de perdre la Bretagne. Même si, en ce qui me concerne, c’est avant tout à la sécurité et au bien-être de mon peuple que je pense… Cette sécurité passe par le développement indispensable d’une milice indépendante du gouvernement français… J’ai injecté des fonds pour former des volontaires, j’ai fais jouer notre réseau pour commencer à rapatrier des armes… Ces enfants ont la ferveur et la volonté pour eux mais il leur manque l’expérience.

Il devait maintenant voir où je voulais en venir, maintenant.

-Tu veux gagner mon respect et ma confiance ? Rends toi là-bas, sélectionne les profils qui te sembleront les plus prometteurs et forme les. Fais en sorte qu’ils apprennent à tirer le meilleur parti de leur environnement et qu’ils soient capable de défendre leurs terres, voire de former des gens à leur tour. En échange…Voyons…

Je réfléchis quelques instants sans quitter l’homme des yeux. Qu'avais-je à lui donner qui pourrait susciter son intérêt à coup sûr ?

-Tu as à cœur de faire renaître ta légende, n’est-ce pas ? Voilà ce que je te propose. Je peux faire de Cúchulainn l’un des thèmes phare des prochaines interceltiques de Lorient. Neuf cent mille visiteurs sur dix jours venus de toute la France et de l’étranger, l’événement est diffusé massivement sur internet, à la télévision… Je peux faire un travail de fond avec les commerces locaux, la municipalité… Une campagne de communication, pour toi, pour rappeler aux gens l’existence de ce prince irlandais mythique et méconnu… Nous raconterons ton histoire, celle que tu voudras transmettre au public.

Je lui souris avec sympathie.

-Qu’en dis-tu ?

Je n’attendais pas forcément de réponse immédiate et je l’encourageai même à prendre un délai de réflexion loin de moi pour y penser à tête reposée, mais je commençais déjà à prendre la température…

Codage par Libella sur Graphiorum

D’où viens-tu ?

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Triste ? Je ne pense pas. Ce qui est triste en revanche, c’est de devoir fuir les gens que l’on aime pour cacher sa vraie nature. De les voir s’éteindre un par un sans prendre la moindre ride. Sentir son cœur se déchirer de douleur lorsque l’on perd un frère, un ami, une amante que l’on aime un peu trop. Voilà ce qui est triste.
Aujourd’hui, je n’ai plus qu’elle, Morrigan, et cela me convient.

Le simple fait de parler de tout ça, de soulever la terre qui recouvrait les souvenirs de son passé lui serra la poitrine. Il se rappelait de leurs visages, de tous ces gens qui avaient partagé des moments de vie à ses côtés au travers des époques. En un sens, il s’en voulait de les avoir abandonnés, de s’être fait passé pour mort ou disparu, de les avoir fait souffrir eux, pour s’épargner lui, égoïstement, mais il ne regrettait pas son choix. Lorsqu’il aimait, il ne connaissait pas la demi-mesure, il se donnait corps et âme et ce côté protecteur qui somnolait en lui était un véritable talon d’achille qui le rendait plus vulnérable. Un luxe qu’il ne pouvait pas se permettre s’il voulait parvenir à faire renaître la légende de Chulainn dans les esprits.

Son visage s’afficha à lui, l’obligeant à s’arrêter pour chasser le son de son rire innocent de sa tête. Kara, ce petit bout de femme qu’il protègerait coute que coute...
Il avait failli à sa promesse. Elle s’était logée dans un coin de son esprit et personne ne devait le savoir.  

Me connais-tu, Chulainn ?

Il tourna la tête pour la regarder, secouant la tête de gauche à droite afin d’offrir une réponse négative. Non, il ne savait pas vraiment qui elle était. Il connaissait son nom, son rang et découvrait sa malice, ici cachés dans les bois à l'abri des oreilles indiscrètes, mais il ne savait finalement rien d’elle. Que des banalités, des futilités même. Il reprit sa marche, les yeux rivés sur la neige qui s’enfonçait sous ses pieds bientôt congelés par le froid. C’était beau, paisible, revigorant. Sans interrompre la marche, il l’écouta attentivement. Son histoire, son identité.. ils se dévoilaient l’un à l’autre afin de savoir si oui ou non, ils pourraient être alliés dans le futur.

La reine de l’ivresse… l’ébauche d’un sourire étira le coin de ses lèvres. C’était donc pour cela qu’il se sentait parfois perdre pied en sa compagnie. Les quelques whisky avalés n’étaient pas seuls responsables de la légèreté qui gagnait son esprit, de façon aléatoire, depuis qu’ils avaient débuté leur promenade. Il se concentra sur la suite de son récit, n’en perdit pas une miette.

Fédérer.. voilà une mission particulièrement complexe, n’est-ce pas ?

Malicieux, il repensa à la réunion à laquelle il venait d’assister. Des esprits forts, courageux, ambitieux et…parfaitement désordonnés. La tâche qui pesait sur les épaules de cette femme, de cette divinité, n’était pas simple et il ne l’enviait pas un instant.

Elle s’arrêta, pris une voix plus formelle et plongea ses yeux dans les siens sans le quitter du regard une seule seconde.
Il la toisait d’au moins une tête, mais elle ne se démontait pas et nourrissait visiblement de nouveaux projets dans lesquels il pourrait trouver une place, visiblement. Au fil des phrases, ses mots et ses idées devinrent plus clairs pour lui. Il savait ce qu’elle souhaitait de lui avant qu’elle ne le prononce à haute voix.
Son coeur prit un tempo plus rapide. S’il n’était pas en mesure de réfléchir avec raison, à moitié ivre et perturbé par sa propre présence ici, au milieu des divins Celtes, il ne put s’empêcher d’entendre son nom raisonner à nouveau. L’opportunité de faire renaître de ses cendres la légende de Chulainn, ce guerrier audacieux et inarrêtable…

Intéressant.

Ça l'était. Une alliance qui profiterait à chacun d’eux. Elle obtiendrait son savoir-faire et de redoutables combattants pour assurer la sécurité de son peuple. Il aurait à nouveau une véritable identité. Plusieurs questions se posaient malgré tout. Avait-il encore l’étoffe d’un formateur et d’un leader pour sélectionner des hommes dans cet air où mentir était une discipline quasi olympique. Il pouvait se faire piéger lui aussi. Avait-il l’envie de sortir de l’ombre pour retrouver la lumière et les tracas qui viennent avec ? Et elle, qu’en penserait-elle ? L’avis de Morrigan était indispensable.

Tu auras ma réponse à la fin de ce séjour, lorsqu’il n’y aura plus une goutte d’alcool dans mes veines et lorsque tu ne t’en amuseras plus. Dit-il en souriant, à sa façon bien sûr. Il n’était pas le genre à adresser de larges sourires chaleureux, tout n’était que discrétion, subtilité, de petits signes du bout des lèvres ou un regard plus pétillant qu’un autre. Elle devait lire entre les lignes, mais cela ne lui poserait pas de problème.

Je dois bien avouer que je ne m’attendais pas à avoir ce genre de conversation en venant ici. Pas avec toi, c’est certain. Voilà des centaines d’années que nous nous côtoyons de loin, sans n’avoir jamais échangé le moindre mot.
Quel genre de relation entretiens-tu avec Morrigan ? Vous êtes deux femmes ambitieuses, je ne peux m’empêcher de penser que vos deux tempéraments réunis peuvent faire des étincelles. Est-ce le cas ?

Faisaient-elles semblant de s’apprécier pour le bien et l’unité commune ? Ou étaient-elles amies ?
Il ne pouvait et ne souhaitait pas se retrouver entre les deux si l’entente n’était pas bonne, c’était prendre un trop grand risque. Loyal à l’une, intrigué et attiré par l’autre, c’était comme se mettre à courir volontairement dans un terrain miné avec l’espoir de ne pas perdre une jambe au passage..

D'où viens-tu ?

-Dit ainsi, le cadeau de la Morrigan ressemble plus à une malédiction…

Ce qu’il énonçait là était le lot quotidien des dieux. De la difficulté à être pleinement nous-mêmes et reconnus comme tel depuis que l’Unique nous avait tous supplantés, l’obligation de mentir sur notre identité et notre immortalité pour nous protéger, jusqu’à la douleur de perdre tous ceux auxquels nous nous attachions…

“A commencer par nos propres enfants…”

-C’est ma raison d’être, répondis-je d’une voix tranquille. Je suis née pour créer du lien.

J’étais apparue à une époque où les tribus celtes guerroyaient et peinaient à échanger. J’avais été leur trait d’union. Pour eux, j’avais créé des cérémonies et des traditions, afin que leurs cœurs battent à l’unisson pour une culture et une philosophie communes. Je les avais poussé vers le mariage et les unions afin que la famille resserrent leur cohésion et que le foyer soit une chose sacrée…

J’avais piqué son intérêt.
Bien. Le contraire m’aurait étonné.

J’eus un éclat de rire. Il était prudent.

-C’est bien. Tu as raison, réfléchis-y sérieusement. J’attendrai de toi que tu ailles au bout de tes engagements si tu acceptes.

J’allais devoir engager de fortes sommes d’argent pour tenir ma part du marché, il n’était pas question qu’il me lâche sans avoir tenu sa promesse. Je serai très en colère, le cas échéant… Et il n’était pas bon de fâcher la Mère des dieux.

-Pour ce qui est de m’amuser de toi, par contre…

Mes yeux se plissèrent en un sourire franc, taquin. “Nous verrons”. Et j’ajoutai, pour le charrier :

-Il ne faudrait pas que je te laisse un souvenir périssable et que tu m'oublies sitôt que tu auras quitté cette propriété !

Morrigan et moi… Vaste question.

-Hmm…Je dirai que nous sommes aussi différentes que le soleil et la lune, elle et moi. Nous ne nous sommes jamais réellement fréquentées avant que Teutatès nous réunissent, nous nous connaissons mal. Tu as bien dû te rendre compte au cours du sommet que nous avions des visions très différentes. Pourtant… Je la sais dévouée à notre panthéon et à notre cause. Nous partageons cela et je la respecte pour ça.

En dépit de nos différences et de l’avis peu positif que j’avais sur son impulsivité et son manque de diplomatie effarant.

-Mais oui, nos tempérament ont déjà fait des étincelles et en feront encore à l’avenir, dis-je sans m'émouvoir. Rien qui ne puisse se régler après coup autour d'une bonne chope de cervoise, cela dit !

Comme tout à l’heure, à nous confronter ouvertement pendant les discussions politiques avant de boire ensemble comme deux vieilles amies qui se retrouvaient. J’étais l’Unité, que diable ! Si j’étais incapable de construire à minima un lien de travail avec la Morrigan, je n’avais plus qu’à prendre ma retraite. Nous n’avions pas besoin de nous apprécier pour œuvrer, nous devions seulement nous respecter et faire des efforts pour accorder de la valeur à l’autre.

-Si tu appréhendes son avis, consulte la. Dis lui donc que je cherche à sécuriser notre territoire et à grossir les rangs de notre armée; cela devrait lui plaire, elle qui me trouve trop timorée.

Codage par Libella sur Graphiorum

D’où viens-tu ?

Il y a toujours un moment où le chemin bifurque. Chacun prend une direction différente en pensant que les chemins finiront par se rejoindre. Ce n'est pas grave, on est fait l'un pour l'autre, notre fin nous réunira--  feat. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Ca ne l’est pas, c’est une femme incroyable. Mais je ne peux t'en vouloir de penser ça, je l'ai longtemps cru aussi. Une malédiction...
Non, ça ne l'est pas.

Ils se ressemblaient en de nombreux points avec Morrigan. Impétueuse, indomptable,  elle agissait avec fougue et passion. Ensemble, ils avaient célébré de nombreuses victoires et mené bien des combats. Ils avaient dirigé des troupes guerrières sur les terres d’Irlandes sans jamais reculer devant l’ennemi et souvent, il s’était accordé de brèves minutes pour admirer sa maîtrise, cette facilité qu’elle avait à se battre. Il était doué, lui aussi, moins leste sans doute, mais tout aussi pugnace.

Tu crées le lien, et je le fuis. Sans doute avons-nous des choses à apprendre l’un de l’autre.

Apprendre à briser la glace, pour l’un. Apprendre que lier les gens n’était pas toujours source de réussite et que la solitude des uns pouvait faire la force des autres. William était un électron libre et ne changerait jamais vraiment. Si elle voulait des soldats à l’image de Chulainn pour la sécurité de son peuple, elle devrait accepter l’idée qu’il lui ressemblerait. Solitaires, isolés, mais pas dépourvus de loyauté.

Il ne faudrait pas que je te laisse un souvenir périssable et que tu m’oublies si tôt que tu auras quitté cette propriété !

Mince alors, me voilà démasqué. Dit-il, sourire provocateur au coin des lèvres.

Ses prunelles ciel, éclairci par l’éclat de la poudreuse blanche qui illuminait l’endroit se posèrent sur le petit bout de femme, de Déesse, qui marchait à ses côtés et ne s’en détachèrent pas. Elle aussi, elle savait illuminer l’endroit. Par son aura, par l'incandescence de sa chevelure, la délicatesse des traits de son sourire et par les projets qu’elle faisait briller à nouveau dans son esprit. Elle rayonnait. Elle n'était pas son égale, mais ne marquait pas de différence entre eux. Elle était douée finalement, pour créer le lien.

Ce ne sera pas le cas.

Une affirmation, une certitude. Pas l'ombre d'une hésitation.

Il l’écouta attentivement, car l’avis de Morrigan serait effectivement important. Il ne l’écoutait pas toujours et cela avait souvent créé des étincelles dans leur relation, mais les choses étaient différentes cette fois-ci. Il avait cru la perdre pour de bon, il avait cru mourir lui aussi et n’était finalement pas prêt à quitter ce monde.
Sa mâchoire se serra lorsque Teutatès fut évoqué dans la conversation, les deux hommes se tolérant seulement, sans la moindre affinité.

Je n’appréhende jamais son avis. Elle et moi avons parfois du mal à accorder nos violons, mais nous finissons toujours par y parvenir. Elle est libre de ses choix, tout comme je le suis des miens. Mais… il est vrai qu’elle est quand même un peu flippante parfois et qu’il serait préférable que je m’entretienne avec elle ! lança- t-il avec humour.

Et si nous retournions boire un verre ? L’Ivresse, tu connais ? Je commence à avoir des doutes. M’aurais tu mentis ?

Il sourit, accordant son bras à Méduna pour le chemin du retour. Gentleman un jour, gentleman toujours.

D'où viens-tu ?

J’ignorais s’il essayait de s’en convaincre ou s’il était réellement convaincu. Ce que je ressentais néanmoins, c’était son attachement à la Morrigan. Inaliénable. S’il avait au moins une certitude, c’était bien celle-là.

Apprendre l’un de l’autre…

-Peut-être, oui, répondis-je.

Nous avions tout à apprendre sur l’autre, en tout cas. Il m’intriguais, ce héros de l’ancien temps. Il serait une pièce utile à nos plans, d’un point de vue purement pragmatique. En tant que souveraine, je devais savoir prendre du recul et considérer les forces et faiblesses de chacun comme autant de ressources à exploiter. En tant que personne, je devais aussi avouer qu’il me rendait curieuse. Il avait un petit quelque chose qui me donnait envie de le découvrir.

Un sourire s’épanouit à nouveau sur mes lèvres alors que je venais de le taquiner. Bien, tant mieux, si je lui laissais un souvenir marquant. Il n’y avait rien de plus insultant pour une deité que d’être oubliée.

Il m’interrogea sur Morrigan et je lui répondis en faisant preuve d'honnêteté puisque nous avions décidé d’être franc l’un envers l’autre.

-Tu as l’air d’être un électron libre, même avec ta déesse… analysai-je, songeuse.

Avait-il aussi peu de retenue et autant d’impulsivité qu’elle ? Il semblait m’avoir vendu le contraire tout à l’heure.
Et voilà qu’il me charriait, lui aussi. Petit provocateur…

-Mon cher, dis-je en posant ma main sur son bras, si tu me lance sur ce terrain tu vas devoir être prêt à en subir les conséquences…

Je levai les yeux vers lui alors que nous faisions demi-tour, sourire en coin.

-Moi je n’ai aucune limite, toi en revanche tu es un petit garçon frêle et fragile… Quelques verres à peine et tu ronfleras au coin du feu jusqu’au matin.



Amusant petit mortel…
Oui, divertissant, vraiment.

Ma main accrochée sur son bras, nous rentrâmes au chapiteau.
Le début d’une entente peut-être, qui sait ?

Codage par Libella sur Graphiorum