La chasse au trésor dans la bibliothèque

Le 30 décembre est un jour bien particulier. Prémices d’un nouvel an qui peut être électrisant ou déprimant, c’est un jour parmi d’autres pris entre deux grandes fêtes. Beaucoup sont déjà en vacances, et rares sont ceux à souffrir derrière leur bureau. Pour ma part, je suis devant une bibliothèque universitaire, à attendre un professeur en littérature. A force de pieds et de mains et d’inlassables poursuites d’universitaires de renom au cœur de la capitale française, j’ai enfin pu obtenir un rendez-vous avec l’un d’eux pour éplucher de vieux textes. Malheureusement, cette personne et moi-même avions bien des clashs de planning et n’avons pu nous entendre que sur ce jour. Décidément, entre ce tête à tête intellectuelle et la soirée du lendemain ou je suis obligée de me rendre, j’ai la terrible sensation que 2022 va démarrer d’une façon bien, bien, bien ennuyante et décevante ! Dire que l’an dernier, à cette date, j’avais mille et une invitations à plus d’une soirée aussi déjantée qu’indécente.

Je fais fi de mes déceptions et frustrations. Il y a plus important qu’une nuit. Il y a ma quête. L’immortalité. Les options sont nombreuses, heureusement. S’il ne sera pas aisé de mettre la main sur le Saint Graal des Monothéistes, l’Ambroisie des Greco-romains ou les Pommes des Nordiques, il peut être intéressant de s’intéresser aux créatures exauçant les souhaits, comme les Djinns des Monothéistes ou Cikavac des Slaves. Ce dernier, je sais déjà qui interroger : Morana, ma propre mère, naturellement. En revanche, je n’ai aucun contact avec les autres panthéons, et je ne risque pas de tomber sur de telles divinités à chaque coin de rue. Je dois donc ruser et jouer la journaliste ou détective. Je dois trouver la trace de ces dieux, déesses ou créatures à travers les médias et, surtout, les vieux écrits. Chaque mythe s’inspire de quelques vérités. Il faut savoir décortiquer. Heureusement, je ne manque pas de connaissances en mythologie.

Un homme s’approche et je reconnais la photo de l’universitaire. Je m’approche, sourire charmant aux lèvres, et tends déjà ma main.

- Monsieur Heshmat, je vous remercie de me recevoir et d’apporter votre aide. Je suis Tatiana Dourov, une passionnée des mythes anciens et une collaboratrice d’un grand philanthrope russe, soufflais-je, mêlant vérités et mensonges habilement. Est-ce que vous désirez que nous prenions un café, avant de nous mettre au travail ? proposais-je, devinant que l’air froid matinal ne doit pas être agréable pour cet homme.

Pour ma part, je n’en ai cure. Je n’ai pas froid, grâce à la bénédiction de ma mère. Au contraire, je suis à mon aise. Je ne me contente que d’un collant de circonstance, d’une jupe courte, d’une veste, d’une écharpe et d’un bonnet. Trop léger par rapport à la moyenne et leurs doudounes, mais loin d’être en T-shirt et short – alors que je serais capable. Cependant, l’expérience m’a appris qu’il ne faut pas trop détonner avec le commun des mortels au quotidien. Certes, on étonne, mais on peut vite effrayer et éloigner les gens.

- Mon collaborateur et moi-même désirons refaire vivre de vieux mythes. Nous souhaitons donc obtenir éplucher de vieux ouvrages, aller à la source de certains objets ou créatures et, surtout, obtenir les derniers écrits à ces sujets. Imaginez tout ceci comme une chasse aux trésors d’un duo excentrique, soufflais-je.

Et puis, à quelques occasions, il ne faut pas hésiter à montrer sa différence.
Il faut savoir perturber, surprendre, pour mieux tirer profit de quelqu’un ou d’une situation.

- Je suis une femme extrêmement têtue et passionnée, Docteur Heshmat. J’accepte rarement non comme réponse, surtout vis-à-vis de ce projet commun avec mon partenaire, expliquais-je.

L’immortalité n’est pas un rêve, mais un véritable but ! Cette ambition me ronge de jour comme de nuit, et me pousse aux meilleures comme aux pires ! J’ai passé les dix dernières années de ma courte existence à accumuler connaissances et pistes sur ces artefacts apportant la vie éternelle, et à mettre en place mille et un plan pour mettre la main sur l’un ou l’autre. Aujourd’hui, j’ai les ressources nécessaires pour me lancer pleinement et sérieusement dans la quête de l’impossible. Je devine le regard réprobateur de mon père – il est persuadé que l’humain doit se contenter de son cycle de mortel – ou interrogateur de ma mère – elle est un brin incapable de saisir toute cette fièvre qui m’anime – mais qu’importe ! J’irais au bout, et quel qu’en soit le prix ! Ce ne sont pas une bande d’universitaires qui vont m’empêcher d’avancer ! C’est très, très mal me connaître !

- Vous êtes très durs avec vous-mêmes. Il se peut que votre passion soit la clé de ma réussite. Dès lors, vous n’êtes plus un pauvre universitaire, mais un précieux universitaire, le corrigeais-je, me demandant si l’homme est sensible aux flatteries. D'ailleurs, quel est exactement votre spécialité et votre centre d'intérêts ?

Je ne me départis pas de mon sourire lorsque Samir expose ses propres théories sur l’usage que je ferais de toute découverte du jour.

- La Grande Révélation a chamboulé notre monde, en effet. Cependant, je n’ai pas grandi d’une façon conventionnelle. Mes parents m’ont enseigné des valeurs autre que celles défendues par le christianisme, l’islam ou le judaïsme, soit les trois grandes religions monothéistes du monde. Ils m’ont appris que la Foi est propre à tout homme et femme et que tout peut être possible si on le nourrit de cette même Foi. Naturellement, j’ai développé une véritable passion pour les mythes de tout horizon dès mon plus jeune âge. Je vous prierai de me traiter comme une fin connaisseuse de ces sujets obscures, et non comme une petite écervelée qui s’est subitement entichée d’une idée de retrouver la fontaine de jouvence, lui demandais-je, le ton sérieux, quoiqu’avec sourire.

Qu’il n’ose pas me traiter comme une petite crétine ! Je n’ai pas supplié, harcelé et couru derrière ses collaborateurs et lui-même pour être rabaissée à un tel rang !

- Je peux vous assurer que je ne prends jamais froid. Je suis née en Russie et j’ai grandi avec des parents extrêmement fans des paysages sauvages et froids du globe. J’ai connu des hivers bien, bien, bien plus terribles que ceux de Paris. Je suis plus solide que j’en ai l’air, lui dis-je avec une grande assurance. Et vous, où avez-vous grandi ?

Sur son invitation, donc, je me dirige vers cette bibliothèque où un vigil attend à l’entrée. L’homme a été prévenu d’invités désireux de mettre la main sur des écrits très vieux, et sensibles, et a été chargé de nous guider vers la pièce appropriée. A partir de là, j’attends patiemment que le professeur m’explique la procédure. Est-ce que nous pouvons toucher directement les bouquins, ou doit-on porter des gants ? Est-ce que nous aurons droit de photographier – ou de copier sur un bout de papier ? Dans tous les cas, j’ai une tablette et un bloc note avec une trousse de crayons de toutes les couleurs dans mon sac à main.

- Quels sont les protocoles pour la consultation d’ouvrages anciens ? , demandais-je. Mes recherches se portent surtout l’immortalité, comme les pommes d’Iddun, l’Ambroisie des Olympiens, la Fontaine de Jouvence ou le Graal. A défaut, je suis fortement intéressée par ces créatures que l’on dit capable d’exaucer les vœux, comme les Djinns ou Cikavac, lui rappelais-je.

Tous ces termes avaient été évoqué en amont, normalement.

- Il me faut les plus vieux mythes, évidemment, mais également les plus récents.