Tout travail mérite salaire [Intrigue II - Terminé]

J’ai toujours eu une relation extrêmement particulière avec ma mère. Nos natures respectives jouent considérablement dans cette équation.

Elle est une divinité dont l’existence n’a ni commencement, ni fin. Morana n’est pas pressée par le Temps. Tant qu’on la prie, sa survie est assurée. Elle peut se réincarner autant qu’elle le souhaite – ou dépendamment du nombre de fidèles – et continuer à accomplir son devoir, à être aimée, voire à être adulée.  

A l’inverse, je suis un grain de sable dans cette roue du temps gargantuesque, coulant toujours vers le bas, écrasant les générations passées – avant d’être piétinée à mon tour. Je suffoque dans cette course contre le Temps, me sentant bien misérable et ridicule face à ces êtres hors normes. Je veux avoir ma part du lion, qu’importe que je sois méritante ou non.  

La vie n’a jamais été juste.

Dès lors, comment est-ce qu’une immortelle et une mortelle peuvent s’aimer sincèrement ? La réponse est bien difficile, en toute franchise. Je sais que Morana m’aime profondément, mais ses problématiques sont bien trop différentes des miennes.

Nous nous entendons parfaitement pour tout ce qui touche à la sorcellerie, à la magie et aux plantes – et elle a déjà exprimé bien de la curiosité à mon activité professionnelle, n’hésitant pas à m’aidant à quelques occasions. A quelques reprises, elle a été une oreille attentive à mes chagrins de cœurs.

Par contre, elle est absolument incapable de comprendre les problématiques financières, sociales ou morales de la société actuelle : elle vit selon une morale propre, forgée par ces longues années d’existences. Si elle ne se mele pas beaucoup à mes choix de vie, elle est extrêmement inflexible vis-à-vis de la religion.

Ne jamais manquer de respect aux Dieux slaves.
Ne jamais manquer à mes devoirs de pretresse.
Ou le Dieu noir sévira.

Les récits faits sur cette divinité ont été suffisamment effrayants pour que je le crains sans même le connaitre ou l’avoir rencontré. Alors, même si je ne suis pas sa prêtresse, je n’oublie jamais de faire quelques dons en son nom – comme au nom d’autres, au cas où.

Aujourd’hui, ces vieilles divinités profitent de la Grande Révélation pour réunir davantage de puissance et de fidèle et récupérer leurs terres sacrées. Dans ce grand échiquier, je suis un pion parmi d’autres. J’attire, je séduis, je convaincs des âmes errantes et perdues à rejoindre notre cause, en nourrissant les Slaves avec des dons variés (don financier, don de sa personne, don de son temps …. Etc). Je suis efficace, je le sais !

Entre temps, on m’a donné une nouvelle mission : aider les Nordiques, les nouveaux alliés des Slaves. Si l’idée m’a semblé incongru, je n’ai pas eu le courage de refuser. J’ai simplement acquiescé. Sauf que ces Nordiques ne restent pas sages. Je ne compte pas le nombre de messages ou missions intempestives dont on me met au parfum. Si je n’exige aucune rétribution envers les Slaves – je n’oserai pas - , j’ai bien moins de scrupules avec les dieux scandinaves. Sauf que je n’ai jamais rencontré ces êtres – constamment cachés … Morana est la seule qui peut m’aider dans un projet bien particulier.

Reste à voir si elle va me supporter ou, au contraire, me couvrir d’un regard aussi glacé que le plus froid des Hivers en Sibérie. J’approche de la maison familiale, ou du moins celle de Pologne. Morana a bien quelques batisses modestes éparpillée un peu partout dans les zones froides de ce monde. Elles sont semblables : isolées, froides, et surtout une cave secrète bourrée de plantes et autres outils de magicienne divine.

- Maman ? interrogeais-je, me glissant à l’intérieur.

Je profite de l’intimité familiale pour me mettre à mon aise, me débarrassant de ma veste, de mes chaussures et chaussettes. Je suis bien vite pieds nus, en robe légère, à peine dérangée par le contact glacé du sol ou la bise froide d’un courant d’air. Depuis que maman m’a béni, je prends plus de plaisir dans une baignoire d’eau glacée que chaude…

Si j’adore le froid, je n’en reste pas moins humaine. J’aime les plats chauds après un long voyage, le contact d’une ou plusieurs peaux lorsque l’ennui ou la solitude pèse ou quelques petites balades dans quelques villes ensoleillées. Si je peux abuser considérablement des deux premiers points, je ne suis pas dans l’excès sur le dernier. C’est assez harassant de se badigeonner de crèmes solaires toutes les deux heures et, malgré tout, souffrir de quelques coups de soleil désagréable.

J’accueille donc l’annonce de ma divine mère avec un grand sourire reconnaissant. Avant de m’asseoir à table, je papillonne jusqu’à elle, l’enlace doucement et dépose un baiser léger à ses joues. Seulement après cet acte de tendresse spontanée, je me sépare et pose mes fessiers sur la chaise en bois. Sans tarder, et avec un appétit considérable, je m’attaque au goulasz fait maison. Je ne dis rien pendant dix longues minutes, bien trop préoccupée à remplir cet estomac mis à la diète pendant quatre jours. L’empoisonnement alimentaire et l’ivresse étrange du Nouvel An m’ont cloué au lit pendant trois bonnes journées. A peine me suis-je remise sur pied, que j’ai trouvé le premier vol pour me rendre sur nos terres natales.

Il faut que je parle à quelqu’un des nordiques. Et vite. Qui d’autre, hormis ma mère, peut m’écouter ? Personne.

- Le goulasz est délicieux. Je vais surement me resservir. Je n’en trouve pas de si bon en France. Beaucoup de crèmes, beaucoup de beurres … c’est diversifié, c’est bon, mais ils ne savent pas cuisiner nos plats, commentais-je.

J’aime bien lui apporter quelques détails insignifiants du monde des humains. J’ai ce sentiment qu’il est de mon devoir d’essayer de l’émerveiller ou l’amuser – ou tenter du moins. Je la veux entourer. Adorer. Admirer. Et surtout puissante. Si j’ai des objectifs propres, que j’ai plus de faiblesses que de forces en comparaison de la Sorcière slave, elle n’en reste pas moins ma mère et je m’inquiète pour elle dans ce contexte tendu.

- Comment se porte le panthéon, maman ? , demandais-je. Est-ce que l’alliance avec les Nordiques nous profite ?, demandais-je, évitant de souligner que j’entends beaucoup ce nom mais peu le nôtre.  

Il y a bien longtemps que je ne l’interroge plus sur sa santé physique. Elle rayonne toujours. En revanche, je n’hésite pas à la questionner sur l’état du panthéon et les différentes petites communautés de fidèles qu’elle peut suivre de près ou de loin. Car, d’une certaine façon, ils sont les indicateurs de la survie de Morana et des siens.

- Pour ma part, j’ai été appelé pour trois missions déjà sur ces trois derniers mois, soufflais-je, préférant ne pas dire davantage, attendant les premières réactions.

Est-elle au courant des demandes spontanées, voire surprenantes, de ses nouveaux alliés ? Il a été question de séduire un parfait inconnu, d’essayer d’arranger une alliance avec une Asiatique ou encore de me rendre dans une fête qui s’est révélée un guet-apens de fous furieux.

Mon but n’est pas de mettre de l’eau dans le vin ou de briser des ententes, mais davantage d’être rémunérée pour les énormes risques que je prends pour des divinités qui ne sont même pas les miennes ! Si le Dieu Noir ou Morana m’ordonnaient, je n’oserais même pas piper un seul mot, me contentant d’obéir. Or, là, il est question d’alliés … et non de Slaves. J’ai clairement moins de scrupules à vouloir exiger davantage …

Suis-je à la hauteur de ma divine mère, Morana ? Est-ce que je réponds à toutes ses attentes ? Voilà deux questions que je ne me suis jamais posée. J’ai vite compris que son code moral, ses attentes et ses normes sont extrêmement différents de parents humains et mortels. Ces mêmes questions ne se sont pas posées avec mon père, également. Lui-même a un prisme sur l’Homme très large, ayant vu le meilleur comme le pire. Là ou bien des enfants se sont évertués à atteindre la perfection aux yeux de leurs géniteurs sur bien des plans – scolaires, personnels, professionnels … - , je me suis attelée à une seule et unique tache : être une excellente prêtresse, à défaut d’être une bonne personne. Je confesse donc que j’ai un paquet de défauts, et très peu de qualités humaines, mais je fais honneur aux dieux slaves avec brio, en ne manquant pas la moindre cérémonie ou tout rituel. Malgré tout mon appétit pour l’argent, le pouvoir ou l’immortalité, l’idée de demander l’assistance à ceux que je prie ardemment ne m’a jamais traversé l’esprit. C’est un coup assuré pour perdre sa crédibilité et sa légitimité si durement acquise.

En revanche, ces scrupules disparaissent pour les panthéons étrangers. Là, je sors dents et griffes.

- J’ai une réclamation à l’égard de nos alliés, les Nordiques, finis-je par dire, après avoir bu une longue rasade d’eau et m’être éclairci la gorge. Les missions sont soudaines, et imposées. Les risques ne sont pas indiqués ou présentés. Or, je suis d’avis que nous travaillerons mieux si nous collaborons en toute transparence ou si nous nous fixons des objectifs communs, clairs et définis, commençais-je par dire, espérant mener l’argumentaire au mieux et dans mon sens. Il a été question de séduire un homme inconnu : j’ai fait au mieux. Il a été question de s’allier à une inconnue d’origine asiatique, une divinité ou une créature je suppose : j’ai rendez-vous avec elle sur nos terres pour la convaincre de rencontrer le Dieu Noir ou toi pour conclure l’alliance. Il a été question de me rendre à cette prétendue fête organisée par le panthéon gréco-romain : j’ai échappé belle à une mort quasi certaine, soufflais-je, omettant l’empoisonnement alimentaire ou cette ivresse étrange et inattendue. Je supporte très bien l’alcool, alors je ne comprends absolument pas comment un petit verre a pu me mettre dans un tel état de vulnérabilité. Je ne suis pas une guerrière, mais une prêtresse. Mon rôle est de convaincre de nouvelles âmes à vous offrir leur Foi. Je ne suis pas une déesse, mais une humaine. Je manque d’arguments face aux autres divinités. J’ai donc longuement réfléchi et j’en suis venue à une conclusion. Il nous faut un artefact magique.

La tache devient difficile à cet instant. Comment insuffler une telle idée, tout en tirant un peu la couverture vers soi ?

- La mythologie nordique indique que la déesse Iddun détient des pommes d’or conférant l’immortalité. Si nos alliés n’usent pas de cet argument pour convaincre des humains, cela signifie qu’ils ne l’ont plus. Je propose que nous retrouvions cet artefact sans plus tarder, et ensemble. Lorsque nous y mettrons une main, je propose que les pommes se partagent entre les deux panthéons : trois pommes pour les Slaves et pour récompenser leurs meilleurs fidèles, une pomme pour moi en dédommagement de tous les efforts que je vais déployer et le reste pour eux en tant que légitime propriétaire.

Je m’impose une pause de quelques secondes, avant de reprendre.

- Si nous ne retrouvons pas les pommes, nous mettrons surement la main sur un autre artefact. Nous aurons alors du poids dans de futures négociations avec des panthéons, voire avec des gouvernements. Ces objets ont toujours attisé les plus grandes convoitises, tant des Hommes que des Dieux et leurs créatures.

Je me tais, attendant ses premières réactions.

Ma mère m’écoute attentivement. J’étudie chaque micro-réaction : ses doigts qui pianotent ou non la table, son regard posé sur moi ou un point fixe de la pièce ou tout simplement sa position. Je ne me crispe pas lorsqu’elle se lève pour se placer dans mon dos, mais je déglutis un tantinet ma salive. Je ne crains rien – du moins, aucune sanction mortelle –, mais je ne suis pas à l’abri d’une colère ou un caprice propre à tous divins. Mon père m’a assez prévenu, et les différents mythes – tout panthéon confondu – apportent davantage de crédit aux propos du paternel.

Je retrouve pleinement mon calme aux premières paroles de ma mère. Son discours transpire de son amour pour moi. Il est aussi beau que glacial que l’Hiver dont elle est la représentante. Chaque mot est un petit flocon de neige fondant au contact de ma peau, et chaque argument est une masse de neige enivrante et réconfortante. L’image est étrange, mais c’est ainsi que je l’ai toujours vu ou senti. Pourtant, je ne suis plus aussi naïve que jadis. Je sais qu’elle n’est pas omniprésente et je ne suis pas sage ou docile. Mes mésaventures avec les oupyrs et les missions dangereuses demandées par les nordiques s’accumulent et commencent sérieusement à tirer sur le fil de ma vie !

- L’excès de zèle des nordique va être profitable pour nous, ou du moins, je vais faire au mieux pour qu’il le soit. Je vais rencontrer la représentante du panthéon japonais dans deux jours et je l’ai convaincu de venir en Pologne. Si j’arrive à prêcher notre cause avec éloquence, je m’assurerai qu’elle rencontre toi ou Chernobog avant nos alliés nordiques. Cette allégeance doit être pour nous, avant tout, lui assurais-je, n’ayant aucun scrupule à tirer profit de l’information donnée par les nordiques. Si tu souhaites que je mette en avant quelques arguments, je te prie de me les partager maintenant.

Comme je l’ai si habilement souligné à ma tendre mère, ma loyauté aveugle et sans condition n’est qu’envers les slaves. Tout autre panthéon peut bénéficier de mes services qu’à travers un paiement à la hauteur de la prestation demandée – et sous condition que cela ne va pas à l’encontre des intérêts de mes dieux. Je crains davantage la colère du Dieu Noir, ou de Morana, que la mort elle-même !

- Je ne pourrais pas dire exactement ce qu’il s’est passé, aux Tuileries. Mes souvenirs sont extrêmement flous. J’avais bu qu’une coupe de champagne, et j’étais déjà ivre. Quant à la nourriture, je me suis retrouvée avec une sérieuse intoxication alimentaire, expliquais-je, avec un certain agacement. Si je ne partage pas tous mes excès avec ma mère, elle est largement au courant de ma résistance assez exceptionnelle pour une humaine de mon gabarit aux alcools. Ce n’est pas une coupe qui peut me faire tourner la tête. Clairement, il y avait de la magie dans l’air ! Et puis … tout un groupe d’hommes et de femmes a fait irruption, et a attaqué ceux qui portaient du bleus ou du verts, soit les couleurs associées aux dieux et créatures. Je portais du rouge, la couleur des humains, et j’ai donc pu échapper à ce massacre général, indiquais-je. Quelques fidèles qui étaient présents à cette soirée, et qui n’ont pas été touché par …. Ces poisons … m’ont indiqué qu’un groupe d’humains clame vouloir tuer les dieux. Nos ennemis se multiplient, mère, et de la façon la plus surprenante. Il faudra être plus attentif avec les futurs recrus, voire les fidèles actuels. Je refuse qu'il t'arrive quoi que ce soit ...

Si les humains se mettent à la chasse aux divins, alors mère n’est plus à l’abri. Comment savoir que les fidèles actuels – ou futurs fidèles – ne sont pas des agents cachés ?

- Les pommes sont un exemple parmi d’autres, effectivement, mais un exemple pertinent. J’ai pu cumuler bien des connaissances et pistes sur divers artefacts mais, je vais avancer à l’aveuglette, clairement. Par contre, si nous avons le soutien de la propriétaire d’un artefact, tout sera plus simple. Cette personne pourra nous dire les caractéristiques exactes de son artefact et, surtout, son historique. A qui est-ce que l’artefact a pu être confié, à quel moment il a été perdu et surtout où ? Nous pouvons plus facilement remonter la piste ainsi, expliquais-je. Je compte sur notre alliance pour les convaincre de partager les artefacts de nos panthéons respectifs ou des artefacts cherchés ensembles et appartenant à un autre panthéon. Nous nous entendrons sur l’usage commun. Si nous mettons la main sur un artefact propre à nos panthéons, le panthéon propriétaire reste le légitime propriétaire naturellement mais devra céder de son usage à quelques occasions. Par exemple, les pommes sont la propriété des nordiques mais pour nos efforts communs, ils nous offriront un certain nombre de pommes. Si c’est un artefact d’un panthéon étranger, nous devons établir dès maintenant une entente commune sur le partage de cette ressource et son utilisation. Je ne sais pas comment les divinités règlent ce genre de questions.

Je me tais, à nouveau.
J’espère avoir été convaincante.
Je le dois.
Sans elle, sans le soutien d’un autre panthéon, ma quête de l’Immortalité va être très, très compliqué.

La confiance que mère m’accorde est autant une fierté qu’une pression considérable. Je crains de la décevoir, d’une part, et de m’attirer son courroux divin, d’autre part. Si ce second est assez improbable – elle sait être conciliante avec mes faiblesses et mes défauts –, elle n’en reste pas moins un être avec sa propre fierté, orgueil et caractère. Il y aura toujours un élément d’imprévisibilité !

- Je vais faire au mieux pour la rattacher à notre panthéon, d’abord. Mais, si je viens à échouer, alors je l’orienterai vers notre allié. Comme tu l’as si justement souligné, je préfère savoir ce panthéon avec nous que contre nous. L’Unique, ses anges et ses démons ne sont pas notre seul ennemi. Il y a ces humains, et il y a aussi les ennemis des Nordiques. Nous devons avoir le nombre et à la puissance à notre avantage, clairement.

J’arque le sourcil lorsqu’elle fait référence, vaguement, aux créatures de la nuit. Morana m’a bien raconté mille et une histoires sur les créatures légendaires du panthéon slave, mais a toujours été assez évasive sur leur existence ou sur leur allégeance. Soit elle n’est pas au courant elle-même, soit elle a jugé que le secret vaut mieux que la connaissance dans mon cas.

Je me retiens, furieusement, de mettre la main aux endroits ou un oupyr m’a déjà mordu. Est-ce qu’elle fait référence à ces vampires slaves ? Si oui, que peut-elle me dire à leur sujet, que ce soit leurs forces, leurs faiblesses, ou leurs modes de fonctionnement ? Est-ce que je dois craindre quoi que ce soit d’une ou plusieurs morsures ?

Je ne pipe pas un mot, pourtant.  Je suis encore vivante et je suis, en partie, responsable de cette bêtise. Nul besoin que je partage toutes mes expérimentations et rencontres avec Morana. Je préfère tenter la colère de cette divinité seulement si la situation m’échappe sérieusement … Et si j’ai encore cette option, évidemment. Aucun divin, sauf exception, n’est omniscient. Elle ne pourra pas apparaitre si je suis aux portes de la mort …

- Ton sort m’inquiétera toujours. Tu es ma mère !, m’insurgeais-je, malgré moi, laissant échapper une émotion forte et incontrôlable.

Mon père m’a toujours appris à faire preuve de sang-froid en toute occasion : blessée, en danger, malade, sous pression, sous chantage … La peur est le premier pas vers l’erreur. L’explosion de sentiment est tout bonnement une condamnation à mort. Enfant, nous nous adonnions donc à de petits jeux pour maitriser ces émotions ou jongler avec les traits.

J’apprendrais, bien plus tard, qu’il exécrait cet entrainement. Il n’a cédé qu’en raison du dangereux avenir qui se dessinait pour moi, héritière d’un père meurtrier et une mère divine jouant sur les thématiques de la mort, de l’hiver et de la peur. L’ennemi peut surgir de partout et porter mille masques. Je devais être prête à y faire face. Je dois avouer qu’il a bien trop réussi : au lieu de courir loin d’un être se nourrissant de sang, je me jette dans ses bras …

- Je te remercie de ton aide, mère. Cependant, je dois te demander davantage … , soufflais-je. Il y a des hommes et des femmes qui seront hermétiques à de multiples arguments ou chantages. Tes pouvoirs seront fortement utiles, pour déceler les secrets dans leur cauchemar ou pour leur inspirer la peur nécessaire … Si je fais face à ce genre de profils, puis-je faire appel à toi ? , lui demandais-je. A moins que tu juges que je dois être bénie différemment ou être bénie par un autre dieu de notre panthéon pour mieux servir les tiens … J’affectionne particulièrement ton présent. Voilà des années que j’ai vécu avec. J’ai appris à vivre avec, et surtout, je ne m’imagine plus sans …

Je ne feins absolument rien. Tout est vrai. Je serais dévastée que tout change avec mon corps et mon quotidien. Mais je m’adapterai, toujours, pour le panthéon et, surtout, pour ma précieuse mère.