Nora ajusta sa brassière, la serrant contre son sa peau. Elle attache ses cheveux en une queue de cheval haute, emprisonnant ses cheveux noir corbeau. Depuis son retour sous l'enveloppe de la fondatrice d'Ars Vivendi, elle avait appris à s'habituer à sa vie, ses rendez-vous, ses loisirs. Dans une certaine limite tout de même. La boxe en était un. En tant que divine, Morrigan avait toujours bien aimé taper sur des trucs, depuis des millénaires. Déesse impitoyable de la Guerre, sa réputation même s'était bâtie sur ses exploits guerriers et ses talents à la guerre. C'était même ce qui faisait qu'elle avait des fidèles. Ces derniers temps, les manipulations mentales du dieu nordique Loki la mettaient à genou, l'empêchant vraiment de renouer avec sa pleine nature, ses pleins pouvoirs. Elle se sentait frustrée, interrompue dans ses mouvements, comme un pas qu'elle ne finissait jamais, une destination qu'elle ne pouvait pas atteindre. Sa frustration n'avait pas tarder à se transformer en colère pure et froide, flirtant avec la folie furieuse qui la caractérisait déjà avant tout cela, mais qui était encore exacerbée. Les échappatoires étaient rares. La boxe en était une.

Saluant quelques camarades de sport, elle entra dans la salle. L'odeur de sueur et de plastique s'empara de ses narines, la faisant renifler. Elle arriva sur le ring, saluant d'un coup de gant son adversaire du jour. Bruno était plus grand qu'elle. Il avait l'habitude de s'entraîner ici. Nora suspectait même qu'il avait des sentiments pour la jeune femme, lorsqu'elle remarquait un regard qui s'attardait un peu trop sur son corps peu habillé, ou les étincelles dans ses yeux. Elle pourrait l'avoir, si elle le voulait. Il devait encore faire ses preuves pour mériter son contact.

« Retiens pas tes coups. » lui dit-elle, montant sa garde et gainant ses abdominaux. Il partit d'un petit rire, lui répondant quelque chose, mais déjà elle n'écoutait plus, se concentrant uniquement sur l'instant présent. Les battements de son coeur. Le silence précédent l'affrontement. Comme si le temps s'était suspendu. Lorsqu'il chargea, elle esquiva le coup avec habileté, comme elle l'avait fait des dizaines de fois auparavant. Elle fit un pas de côté pour l'attaquer sur le flanc, mais son gant heurta sa sangle abdominale sans vraiment sembler lui faire mal. Elle grogna, se baissant brusquement pour éviter un nouveau droit qui aurait pu la sonner. Les quelques minutes passèrent, sans qu'aucun vraiment ne se touche. Quel ennui. « T'es mou putain ! J'ai dit retiens pas tes coups, tu me fais quoi ? » lâcha-t-elle brusquement, se retournant pour aller boire dans sa gourde pendant la pause. Un sourire se dessina sur son visage lorsqu'elle vit William, les bras croisés, tout prêt de son ring. « Ah cool, t'es là. Je me demandais si tu allais venir ce soir. »

Son adversaire sembla gromeller quelques mots, mais déjà elle ne l'écoutait plus, concentrée sur William. Tant unissait les deux compères, et ce depuis tant d'années que Morrigan ne les comptait plus. William, sous son enveloppe corporelle, était aussi Chulainn, cet ancestral et intrépide guerrier. Lorsqu'ils s'étaient vus, pour la première fois, sur ce champ de bataille, elle avait su qu'il était différent. En tant que déesse de la guerre, elle était dotée de nombreux pouvoirs, certains plus difficiles à appréhender que d'autres. Mais un pouvoir en particulier lui permettait de sonder les gens, et de décider qui pouvait être un héros et qui n'était qu'un humain normal. Chulainn n'avait pas eu besoin de la convaincre longtemps, Morrigan avait senti qu'il était fait du plus noble matériau : celui du courage. Elle l'a bénit, lui permettant de combattre avec elle lors de précieux affrontements dans des temps immémoriaux. D'ordinaire, elle aurait pu passer son chemin, et elle aurait peut être du, se promener à nouveau le long des abîmes de l'existence, attendant le prochain héros à véritablement marquer l'histoire. Pourtant, quelque chose en lui l'avait intriguée. Peut-être son côté humain ? Ils s'étaient rapprochés, elle s'était dévoilée. Petit à petit, ce n'était pas chose évidente pour elle, à l'époque. Ils combattirent main dans la main, ensemble envers et contre tout, et lorsque le temps fut venu, elle décida de le rendre immortel, pour qu'il puisse partager son existence à travers les âges de ce monde.

Ce qu'elle avait envisagé au début comme un acte de bonté - quoi que relativement égoïste en y repensant - s'était en fait retourné contre elle. Ce n'était pas donné à n'importe qui de prétendre à l'immortalité. Vivre toujours, c'était surtout vivre seul. Sa famille mourra, et toute autre tentative se solda de la même façon. Il vit ses proches, ses amis, ses ennemis, trépasser au contact de la lente agonie du temps qui passait. Impuissant, incapable de faire autrement. Ce lien qui s'était créé entre eux allait finalement bien au delà de la qualification héroïque faite par la déesse au début, ils étaient connectés. A la vie, à la mort. Ce qu'il ressentait, elle le ressentait. Ce qu'il détestait, elle le détestait. Et quand il aimait... Elle aimait également. Les siècles passèrent, et avec eux le ressentiment de William à devoir rester seul comme il l'était. Malgré sa proximité avec Morrigan, il était véritablement seul, à devoir supporter sa folie qui la gagnait jour après jour. Leurs tempéraments, aussi explosifs l'un que l'autre, n'aidait pas à les rapprocher, et les disputes pouvaient être aussi violentes que leurs retrouvailles apaisantes. C'était tout ou rien. La vie ou la mort.

Morrigan aurait pu sentir sa présence, si elle avait essayé. Mais elle avait préféré se concentrer sur le combat. Ouvrir son esprit pour le sentir était une arme à double tranchant. Elel se perdait déjà dans son propre esprit ces temps-ci, elle n'avait pas besoin de se perdre dans celui de quelqu'un d'autre. Car c'était bien le risque : ne plus pouvoir distinguer ce qui était elle et ce qui était lui. Sa pique provocatrice lui tira un sourire jaune. Elle haussa les épaules. « Bruno a décidé de m'épargner ce soir, va savoir pourquoi. » Il lui rétorqua qu'il s'échauffait et elle lui lança un regard ténébreux. « Pardonne-moi, je croyais que c'était un club d'entraînement, pas une cour de récré. » A part William, deux autres hommes et une femme les observaient et esquissèrent des moues moqueuses envers le jeune homme qui finit par laisser sa place à William. Comment pouvait-elle le qualifier, cet homme avec qui elle avait tout partagé pendant des millénaires, au point même où elle ne savait plus ce qui était à lui et ce qui était à elle en son fort intérieur ? Son ami ? Son compagnon ? Son âme soeur ? Son emmerdeur ?

Morrigan n'avait pas envie d'être dorlotée, ce soir. Si elle venait, c'était pour se dépenser, se concentrer sur quelque chose. Taper et se faire taper. Son échappatoire favorite, maintenant, depuis qu'elle l'avait testée avec Teutatès, en Grande Bretagne, quelques mois auparavant. Ironiquement, cela lui permettait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Avant même de changer d'enveloppe. L'homme en tout cas, n'avait pas changé d'enveloppe depuis tout ce temps. Grand, musclé et sec, il imposait toujours une certaine forme de respect physique et pouvait sans doute tenir à distance d'autres hommes peu recommandables. Avec son intensité calme caractéristique, il la sonda, et elle serra la mâchoire en ajustant ses gants. Elle n'aimait pas quand il la regardait comme ça. Pourtant, elle sentait tout ce qu'il resssentait. Son apaisement en la voyant. Son coeur qui s'emballait lorsqu'elle lui rendait son regard. Son désir, un peu aussi. Un tumulte de sensations qu'elle peinait à contrôler, car il s'immiscait en elle avec une facilité déconcertante. Elle fit quelques pas de côté, l'observant à son tour sous toutes les coutures. Elle se mit à rire, lorsqu'il lui demanda comment elle allait.

« Hyper bien. Mais t'es venu ici pour faire la causette toi aussi, ou bien on peut y aller ? »

Elle n'allait pas bien. Ce n'était pas le cas depuis longtemps. Parfois, Teutatès arrivait à l'apaiser, à la calmer. Mais à quel prix ? Sa propre âme, son épuisement. Elle ne voulait pas être en plus responsable de cela. C'était peut-être lâche, mais c'était ainsi. Une fuite en avant. Morrigan engagea les hostilités, lançant son poing vers lui, mais il esquiva sans problème. Ils tournèrent un peu, et la jeune femme leva sa garde près de ses yeux pour pouvoir se protéger. Il décrocha un coup, et celui-ci elle ne l'esquiva pas. La douleur déclencha une vague électrique dans sa colonne vertébrale, la déstabilisant un peu plus. Elle n'aurait pu dire combien de temps le combat dura. Mais le club s'était vidé, il ne restait presque plus personne, lorsqu'elle reprit son souffle, après avoir pris un énième coup. Des pics de douleur sourde venaient cogner contre sa peau aux endroits touchés, la joue, le front, le menton, le bras aussi. Cela lui donnait une ancre, quelque chose auquel s'accrocher. En voyant son coéquipier en sueur, tout comme elle, elle se souvint de combats anciens qu'ils avaient partagé. L'excitation de ces moments la fit serrer les poings lorsque les sensations lui revinrent en mémoire, et une seconde d'inattention suffit à William pour lui envoyer un énorme coup dans le ventre qui l'envoyer valser dans les élastiques du ring. Haletante, elle s'appuya contre eux, levant les yeux vers lui :

« Ah putain enfin ! »

Luttant contre son envie de s'arrêter, elle refit quelques pas pour parcourir les mètres qui les séparaient, relevant à nouveau sa garde après avoir écarté quelques mèches de cheveux de devant ses yeux.

« Encore. »

Chaque coup qu'elle lui portait lui était rendu au centuple, mis en miroir par leur lien du sang, mais également exacerbé par sa folie. Elle arrivait à la maintenir un peu à distance, parfois. Les émotions fortes avaient tendance à la raviver. Mais le calme le plus plat pouvait également avoir cet effet. Elle était constamment sur le qui-vive, à guetter ses réactions. N'importe quelle odeur, parole, souvenir, sensation pouvait la faire basculer. Elle le sentait, cette flammèche ténue qui ne demandait qu'un souffle pour repartir de plus belle. Et malgré toutes ses années d'expérience, il lui était impossible de le contrôler. Encore moins maintenant, alors que Loki s'était amusé plusieurs fois à souffler et éteindre cette flammèche, la titiller encore et encore, jusqu'à ce que ses sensations se fondent en un ensemble indéfinissable et engourdissant. Morrigan détestait cette impuissance, synonyme pour elle d'inaction, caractéristique prégnante chez de nombreux divins, son mari en première ligne. Elle détestait cela, étant une femme d'action avant tout. Force était de constater cependant que présentement, elle ne servait pas à grand chose. Ni à elle, ni à la lutte celtique, ni à personne.

C'était ces constats, amers et douloureux, qui animaient son combat dans lequel elle avait mis un peu de temps à se lancer, mais à présent elle y était corps et âme. William ne déméritait pas non plus. Athlétique, endurant, musclé, il lui tenait tête sans aucun problème. Son coup dans l'estomac lui fit monter les larmes aux yeux et lui coupa la respiration. Elle tituba et se défendit en le frappant au menton, sentant la force même de son coup sur elle. Haletante, épuisée, en nage, elle avait profité d'une petite pause pour respirer, avant de le relancer, sourire provocateur à l'appui. Elle ne répondit pas à sa provocation sur les douleurs qu'elle s'infligeait volontairement, plutôt agacée par le fait qu'il pouvait lire en elle aussi bien, après toutes ces années. Elle l'avait voulu, après tout. Elle aurait plutôt du en être fière. Mais pour une raison, elle n'y arrivait pas.

« Eh ben apprends à vivre avec, parce que c'est qui je suis maintenant, faudra t'y habituer. » lui cracha-t-elle, attrapant les scratch de ses gants avec les dents pour les enlever, suivant son invitation à reprendre à la lettre mais décidant de passer aux choses sérieuses.

La fatigue engourdissait néanmoins ses muscles, rendant ses coups beaucoup moins précis, moins rapides. Pensait-elle ce qu'elle venait de lui dire ? Difficile à dire, sa folie l'habitait à chaque seconde maintenant. C'était à peine si elle se souvenait qui elle était, avant tout ça. Avant les Halles, avant Loki. Son passé, son présent, ses futurs, les futurs de ses proches. Tout se fondait dans un amalgame brûlant indéchiffrable. Il était plus fort qu'elle physiquement, mais elle était plus petite, et plus agile. Profitant d'un moment où il fondit sur elle, elle pivota et lui sauta dans le dos, encerclant son cou de ses bras pour lui faire perdre l'équilibre. Cela n'eut pas tout à fait l'effet escompté, et, s'il fut surpris, il sembla bien vite reprendre ses esprits et recula à grand pas pour la faire heurter les solides cordes qui bordaient le ring. Le choc expulsa l'air de ses poumons et elle lâcha prise, tombant lourdement sur le sol. Ses oreilles se mirent à bourdonner, et elle se retourna sur le dos, plissant les yeux pour les habituer à la puissante lumière froide du plafond.

Avec le temps, pratiquer sa folie avait quelque chose de jouissif. Elle apprenait à contrôler sa rage de cette façon, se perdant dans le combat, l'alcool, le sexe, quand elle le pouvait. Mais cela frôlait parfois l'escalade. Il lui fallait toujours plus pour que cela fasse de l'effet. Morrigan savait que cette façon de gérer était temporaire, jusqu'à ce qu'elle puisse trouver quelque chose qui lui permette de tenir bon sur le long terme. Pourtant, elle continuait de s'y adonner avec ardeur. Après une seconde, elle se redressa, essuyant son front d'un revers de la main. Elle le toisa, refusant de lui donner la victoire, mais devant lui accorder une certaine forme de victoire néanmoins. Les mots de Teutatès lui revinrent en mémoire : comme cela, elle était faible. Ce qui l'enrageait. Mais elle devait reconnaître que parfois, il n'avait pas tord. Un peu plus légère néanmoins, elle sentit qu'elle avait la force de le taquiner, ce qu'elle fit :

« Ca suffit pour ce soir. Un agent de sécurité qui tabasse sa boss, ça passerait mal à la télé. »

Puis jeta un œil autour d'eux et s'approcha de lui.

« Tu penses qu'on les a intimidé ? Ils se sont tous barrés pendant le combat. »

Elle lui donna une petite tape sur l'épaule, lui souriant légèrement.

« Tu t'es bien battu, Chu. Tu me prouves tous les jours que j'ai bien fait de te qualifier, toutes ces années auparavant. On sort d'ici ? »

Ses mots résonnèrent dans son esprit : avait-elle réellement changé, ou bien n'était-ce qu'une façade qu'elle s'imposait, et qu'elle imposait aux autres ? Là aussi, répondre à cette question relevait de l'impossible. Le brouillard constant qui entourait son esprit n'aidait pas la réflexion et la poussait plutôt à l'action, imprévisible, douteuse, voire brutale, mais l'action néanmoins. Qui était-elle au fond, si ce n'était une divine combattante, vestige et témoin d'une période ancienne d'affrontements permanents pendant lesquels prier à une force supérieure était la solution à tout ? Ces temps-là avaient été plus simples pour les dieux qu'ils étaient, tous. Les fidèles étaient nombreux, ils étaient dévoués corps et âmes aux puissances supérieures qu'ils étaient. Aujourd'hui, de nouveaux dieux étaient là, mais ils étaient largement plus populaires que les dieux d'antan. La faute à cette époque différente, bien plus connectée et intransigeante que ne l'avait été celle qui avait vu naître la Morrigan.

Cette période lui manquait, à la fois par rapport à ses relations avec ses fidèles, mais aussi parce qu'à cette époque, sa folie était nouvelle, domptée, presque calme. Maintenant, elle était sans cesse là, prête à déchaîner sa colère, déclencher les flots hargneux de sa conscience. Paradoxalement, elle se sentait plus puissante lorsqu'elle laissait libre cours à sa folie. Malgré les échanges avec Teutatès à ce sujet, qui pensait qu'elle devrait la museler, Morrigan n'était pas convaincue qu'il avait raison. Et si la clé de son pouvoir résidait dans ce lâcher prise ? Et si la clé de leur réussite commune était celle ci ?

« Je les sens, mais c'est encore léger ! Tant mieux s'ils sont pas là, on a pas besoin d'eux. »

Des hypothèses qu'elle n'avait pas partagé à Chulainn. Ce qu'elle ressentait, il le ressentait également, et vice-versa. Mais il ne pouvait pas pour autant lire dans ses pensées, ce petit jeu était réservé au Dieu Père lui même. Le voir sourire lui réchauffa quelque peu les entrailles, comme si ce petit jeu avait ranimé des souvenirs communs entre les deux compères. Elle lui sourit également, puis reprit, haussant le ton :

« Et mon visage alors ? Je te rappelle que je suis une entrepreneuse connue et reconnue, à Paris mais aussi en Europe. Si mon intellect et ma sagacité m'ouvrent des portes, c'est parfois mon sourire qui permet de signer des contrats. »

C'était malheureux, mais c'était ainsi. Cette époque brillait entre autres pour cela : son sexisme ordinaire puant. Par le passé, les choses étaient assumées, partagées par tout le monde, mais tues, paradoxalement. Maintenant que les langues se déliaient, il existait encore des personnes qui passaient outre et gardaient leurs préjugés crasses. Soit, qui Morrigan était-elle pour les juger ? Elle n'était pas concernée, c'était plutôt son enveloppe qui l'était. Mais elle notait surtout qu'elle n'avait pas le temps pour ces conneries. L'heure tournait, dans tous les sens du terme.

Le baiser qu'il déposa sur son front la fit frissonner jusqu'au haut de son crâne, la sensation de bien être se mélangeant avec la sienne, sans plus pouvoir n'en distinguer qu'une seule. Prégnante, forte, attirante. Elle le sonda de ses yeux noisette, se plongeant à nouveau dans les siens, clairs comme de l'eau de roche. Où en étaient-ils, tous les deux ? Leur relation, trop fusionnelle les avaient mis en péril plus d'une fois, les incapacitant parfois à réagir dans des situations le nécessitant. Mais elle les avait également sauvé, plus d'une fois également. Tout connaître l'un de l'autre ne laissait que peu de place à la surprise, mais provoquait un confort agréable et familier lorsqu'il était là. Pourquoi ne pas se laisser attirer dedans, et ne plus rien y faire ? Ils l'avaient fait par le passé, sans pour autant se déclarer ouvertement leur attirance l'un à l'autre, des rapprochements avaient eu lieu. Comment pouvait-il en être autrement, lorsqu'on connaissait le lien si particulier qui les unissait ?

A son tour, elle attrapa sa bouteille d'eau, buvant un coup pour se remettre les idées en place. Nul besoin de demander à Chulainn ses sentiments, elle les connaissait déjà, il lui suffisait de le regarder. Dès lors, toute conversation semblait inutile, superflue. Morrigan était persuadée qu'aucun mot ne pourrait décrire leur relation, forgée par des siècles de camaraderie, de rivalité, d'absences également, lorsque le poids de ce lien de sang les étouffait trop. Mais ils finissaient toujours par se retrouver, sous une forme ou sous une autre. Elle savait qu'elle pouvait compter sur lui, malgré tout les obstacles. Et il pouvait compter sur elle. Elle l'observa se mouvoir pour récupérer son sac, les muscles brillant sous l'effet de la sueur. Il lui proposa à demi-mots d'aller se doucher, avec une petit blague qui ne semblait pas vraiment en être une, se disait la divine, sentant un sentiment taquin et joueur se mixer à une envie plus charnelle, peut être ? Après avoir attrapé ses gants et sa bouteille d'eau, elle lui emboîta le pas. Elle lui jeta un coup d'œil avant d'entrer dans les vestiaires homme. Ils étaient seuls, et se connaissaient. Faire tant de chichis sur une chose aussi naturelle que la nudité était ridicule. Ils en avaient vu d'autres. Elle lui dit, posant son pied sur le banc pour défaire ses lacets.

« C'est rien que tu n'aies pas déjà vu, de toute façon. Quoi que, mon enveloppe est différente maintenant. Au début je l'ai trouvée chétive, mais bon. Elle a des loisirs intéressants, Nora. Et une portée que je n'avais pas jusque là. Et physiquement, j'imagine que ça va. »

Une fois les chaussures enlevées, elle fit glisser son legging jusqu'à ses chevilles, dévoilant ses jambes encore un peu humides du sport qu'ils venaient de faire. Elle se sentait mieux avoir avoir tapé quelques os et muscles. Vidée, certes, mais apaisée. Il devait le ressentir, et en profiter, car il ne semblait pas avoir envie de vomir, comme il le lui avait dit juste avant. Redevenant sérieuse un instant, elle lui donna plus d'explications, tout en détachant sa brassière.

« Je sais que mes sensations t'impactent, encore plus quand on est proches. Je fais mon possible pour que tu n'en pâtisses pas. Mais en ce moment, c'est dur. Il faut qu'on trouve une solution pour que je puisse gérer les accès de colère et de folie qui me submergent. »

Elle soupira, abordant un sujet dont elle savait qu'il ne lui plairait pas.

« Teutatès et Mama Quilla m'ont retrouvée, au Palais Royal. Y'avait une sauterie pour gens riches, bref, c'est pas le sujet. Ils veulent qu'on reforme notre alliance passée. Ils disent qu'on est plus forts ensemble. T'en penses quoi ? »

Morrigan avait fini de se dévêtir, se dirigeant lentement vers les douches en tenue d'ève. Elle tourna le robinet d'une main, frissonnant au contact de l'eau d'abord fraiche puis de plus en plus chaude. Elle sentait flotter en elle un certain désir, qui semblait émaner de son compagnon. Elle lava ses cheveux, passant plusieurs fois ses doigts le long des mèches noir corbeau, y passant ensuite du shampooing et du savon sur le reste de son corps. Quelques zones étaient sensibles au toucher, laissant présager d'un bleu lorsqu'un peu de temps aurait passé. Elle coupa l'eau, suffisamment vite pour entendre les explications du guerrier concernant son absence. Leur lien très fusionnel lui pesait, elle s'en rendait compte, de plus en plus à mesure que les jours passaient. Cela avait toujours été le cas, depuis qu'elle l'avait béni et rendu immortel. Morrigan ne regrettait rien, ce n'était pas dans ses habitudes. Mais le poids de sa folie était considérable, et il l'était d'autant plus que les jours passaient et qu'elle sombrait. Elle avait beau le savoir, le voir lui dire avec autant d'aplomb rendait le problème réel. Et la déesse n'aimait pas les problèmes qu'elle ne pouvait pas résoudre.

Sa question déclencha un rire de désinvolture. Elle lui répondit sur un ton sec, sortant de son espace douche pour se retrouver à ses côtés.

« Comment je compte m'y prendre ? Bah putain si je savais répondre à cette question, on serait pas dans cette situation tu crois pas ? »

Si elle avait la solution, elle pourrait se contrôler. Ne pas souffrir. Ne pas le faire souffrir. Lui ou Teutatès d'ailleurs. Pour le moment, elle était insaisissable, sa folie latente était brûlante, incontrôlable. Elle ne pouvait déjà pas l'apprivoiser, alors la contrôler ? Elle attrapa une serviette propre et s'enroula dedans, en prenant une autre qu'elle frotta contre ses cheveux noirs.

« Chaque jour est un nouveau pas, tu le sais, tu dois le sentir. J'avance à tâtons, dans la nuit, à chercher mon chemin. Et les flammes me dévorent dès que je me gourre. Je te dirais bien que ça s'arrangera, mais je suis pas reconnue pour mon optimisme. »

C'était même plutôt l'inverse. Ce qu'elle lui disait en substance, c'était "deal with it". Elle ne pouvait pas se souvenir de la dernière fois où elle avait eu une nuit décente de sommeil. Parfois, elle oubliait même qui de ses proches étaient vivants, ou morts. Les manipulations mentales lui faisaient douter de tout, tout le temps. En lui répondant de la sorte, elle pouvait paraitre insensible, et elle l'était sans doute. Mais c'était son mécanisme de survie pour ne pas tout laisser tomber, car une petite partie subsistait en elle, lui permettant de continuer à tenir la barre malgré tout. Mais pour combien de temps encore ? Elle l'observa avec gourmandise, un petit sourire au coin des lèvres, tandis qu'il revenait vers elle, se drapant à son tour d'une serviette. Ses muscles saillants et mouillés lui donnaient bien des envies, et elles n'avaient rien à voir avec cette conversation. Qu'elle aurait souhaitée plus simple. Son sourire disparut lorsqu'il lui asséna son avis sur la situation.

Elle sentit directement sa colère, tout comme il avait du ressentir son envie, qui lui étreignit le coeur avec force, décuplant ses battements. Il leur reprochait de ne pas avoir su la protéger, ce contre quoi elle n'était pas réellement d'accord. De son point de vue ceci dit, c'est ce à quoi cela devait ressembler. Elle respira avec douleur, la cage thoracique soudain lourde, comme si le poids des non-dits venait appuyer dessus. Il enfila ses vêtements, et toute forme de désir qu'elle avait pu ressentir pour lui s'effaça tandis qu'il reprenait la parole. Sa pique finale la fit serrer les poings et hérisser ses poils d'avant bras de colère.

« Je n'ai pas plus su les protéger qu'ils n'ont su le faire de moi. On est morts tous ensemble, sous les coups de feu. Ah, t'as agonisé sur ton canapé... Pardon mais tu crois que c'était une partie de plaisir pour moi ?! »

Changer d'enveloppe avait beau ne pas être une mort véritable, ça n'en était pas moins perturbant, même pour une divinité. Morrigan croisa les bras, enfonçant ses ongles dans sa chair, et reprit, dardant sur lui son regard de feu orangé.

« Et qu'est-ce que tu veux que je fasse, hein ? Je suis à court d'options, la voix diplomatique professionnelle ne mène à rien.. Au moins Teutatès m'en propose une. On peut devenir plus forts, au-delà de notre rituel de pouvoir précédent, si on rassemble nos fidèles. »

Elle prit une inspiration avec difficulté, tentant sans trop y parvenir, de se calmer. Avait-il bien conscience qu'à exciter la bête, elle finirait par sortir ?

« Pour ton info, je cherche pas les problèmes, c'est ce putain de Loki qui me cherche constamment. On en a assez avec les humains déicides et la lutte contre l'Unique, je m'en passerais bien ! J'en ai assez de prétendre que ça va se tasser, c'est pas le cas ! C'est de pire en pire. Au moins si je subis la mort véritable, j'aurais fait quelque chose par ma propre volonté. »

Pas comme un pion aisément manipulé par quiconque savait manier les fils. Mais comme Morrigan, déesse de la Guerre celte.

Morrigan sentait l'extrémité de ses doigts la picoter. Familièrement, douloureusement. Elle connaissait et reconnaissait cette sensation, qu'elle apprenait tant bien que mal à apprivoiser, si toutefois elle le pouvait. Elle craignait de perdre les pédales, à nouveau, et laisser les ténèbres l'engloutir sans pouvoir agir. Serrer ses poings, le regarder de façon incendiaire, ancrer fermement ses pieds dans le sol... Tout cela lui permettait de rester debout, de garder la tête froide. Mais pour combien de temps encore ?

Il lui sembla que le sol se mit à trembler, les murs à se rapprocher. Elle tenta de se calmer, mais les provocations répétées de Chu et le ton dur et sec qu'il employait avec elle la déconcentraient. Ses émotions se mêlaient à celles du maudit, s'enroulant dans une macabre danse et rendant l'identification difficile. Morrigan ne pouvait pas dire lesquelles lui appartenaient et lesquelles n'étaient pas siennes. Tout sembla se fondre et se confondre, tant et si bien qu'il ne restait plus qu'un seul faisceau : le leur.

Il pouvait dire ce qu'il voulait, William, mais avec Teutatès, c'était au moins différent. Elle sentait que ses émotions lui appartenaient, quand elle était en maîtrise. Et lui pouvait l'aider aussi à le savoir. Là, sans lui, elle était démunie, fragile. Faible. Et ce n'était pas dans son vocabulaire. Il reprit la parole, tempêtant contre elle, s'emportant contre le Dieu-Père. Elle fronça les sourcils, ressentant une vive colère et un frisson de jalousie. C'était donc ça le problème ? Pas besoin d'être spécialement liée à lui pour comprendre ce qu'elle voyait : il bouillonnait, et la similitude avec son propre caractère la toucha de plein fouet. Etait-ce qu'il ressentait vraiment, ou bien était-ce ce qu'elle lui poussait ? Il lui rappela leur passé guerrier, leurs victoires communes et individuelles. Il lui rappela ce pourquoi ils s'étaient battus auparavant, leur duo iconique. Elle se souvint, très clairement. Mais les temps avaient changé. En bien ou non, impossible à dire. Mais c'était différent à présent, les enjeux n'étaient pas les mêmes. Agir comme s'ils l'étaient serait manquer de discernement. Lorsqu'il termina en prononçant le mot de proie, elle se raidit instantanément, sentant la rage monter en elle en flèche. Elle ponta vers lui un doigt accusateur.

« Ne dis pas ça putain. Je suis la Déesse de la Guerre, pas un animal pris au piège attendant la mort. Tu t'en souviendrais si tu t'étais pas barré en me laissant seule. »

Elle n'avait rien dit plus tôt, lorsqu'il lui avait explicité les raisons de son éloignement. Elle les avait entendues. Pas acceptées. Ni pardonnées. Mais il avait visé juste avec ses mots, décrivant parfaitement ce comment elle se sentait. En cage. A la merci d'un autre. Folle. Et elle le détestait tant qu'elle aurait été capable de volontairement se donner la mort pour enfin trouver le repos. Laisser les voix s'éteindre d'elles-mêmes. La paix. Elle y avait pensé, plus d'une fois, ne pouvant pas se résoudre à autre chose que cette funeste issue. Mais Teutatès lui offrait une porte de sortie. Est-ce que cela porterait ses fruits ? Elle ne pouvait pas le dire. Mais c'était une piste. Et elle était trop courageuse pour ne pas la mener à bien.

Chose inattendue, il s'avança vers elle. Elle sursauta lorsqu'elle le vit soudain si proche. Il bloqua d'abord ses bras pour restreindre ses mouvements, et elle ne bougea pas, même si elle aurait pu. Il fit un dernier pas pour franchir la distance qui les séparait, puis l'étreignit. Son parfum fruité provenant du gel douche l'enroba avec douceur, contrecarrant les émotions vives qu'elle avait eues jusque là. Son cœur entra en rythme avec le sien, l'apaisant à chaque coup de battement. Elle ferma les yeux, puisant dans cette énergie salvatrice, concentrant l'entièreté de son esprit sur ce contact. Des myriades de souvenirs s'imposèrent à elle dans son esprit. Il s'écarta une seconde, relevant son menton et plongeant son regard bleu azur dans le sien, lui confirmant qu'il serait à ses côtés. Malgré tout ce qu'il en pensait. Elle hocha la tête, se hissant sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue.

« C'est tout ce que j'ai besoin de savoir. » lui souffla-t-elle, le calme un tant soit peu retrouvé.

L'idée de Teutatès était-elle la bonne ? Difficile à dire. Mais ne rien faire et attendre la prochaine prise de contrôle de Loki était inenvisageable. Cela confortait néanmoins la déesse de savoir que Chu serait avec elle. Pour le meilleur ou pour le pire. La celte lui en était reconnaissante, même si elle ne le lui dirait jamais. Elle rompit le contact pour finir de se rhabiller, attrapant son sac et son téléphone portable. Un rappel d'un événement s'afficha sur son téléphone et attira son attention. Elle se redressa ensuite, jetant son sac sur son épaule, observant l'homme avec lequel elle partageait tant et plus avec un petit sourire narquois.

« En tout cas, y'a des choses qui changent pas. Nous. Toujours tout feu tout flamme, hein ? »

Comment pouvait-il en être autrement après tout ? Ils s'étaient construits sur ce modèle, depuis toujours. Y renoncer paraissait insensé. D'autant que même si elle l'avait souhaité, Morrigan n'aurait pas su faire autrement. Elle lui lança son téléphone pour qu'il puisse voir l'événement.

« Y'a une soirée au Rive Gauche qui commence. T'en es ? »

D'aussi longtemps qu'elle se souvenait, leur relation avait toujours été... tempétueuse. Le temps n'était jamais au beau fixe entre eux deux, des siècles et des siècles d'événements venant s'immiscer dans leurs pensées, leurs paroles, leurs actes. Ce que l'un faisait, l'autre le ressentait, et inversement. Ils étaient liés, interconnectés, de leur premier jour jusqu'à leur dernier, qu'ils partageraient sans doute. Aucun des deux ne pouvait mourir tant que l'autre était en vie. C'était leur bénédiction, et leur fardeau. La malédiction qu'ils partageaient, envers et contre tout. Comme si une fois que le monde serait mort, ils seraient toujours là, à la fois main dans la main et prêts à se battre dans la boue.

Pourtant, le temps passait mais ils apprenaient de leurs erreurs. Un peu. Parfois. Chulainn avait du s'éloigner le temps de récupérer ses esprits, consumé sans doute par la folie de Morrigan. Il s'était excusé, mais la déesse avait la rancune tenace, et à cet instant, elle lui en voulait toujours. Sa mise en garde la laissa silencieuse. Pensait-il qu'elle ne savait pas tout cela ? Elle le savait bien sûr. Mais si elle pensait aux solutions radicales c'est qu'elle n'avait plus le choix. Et aussi qu'elle ne souhaitait plus attendre. Ils avaient passé trop de temps à tergiverser. Maintenant il fallait agir. Il avait au moins raison sur un point : la prudence n'était pas tellement dans son sang.

Après leur étreinte, qui lui fit du bien mine de rien, elle reprit, le bousculant d'un coup d'épaule.

« Ouais. Sinon tu pourrais t'avouer vaincu et réaliser que j'ai raison. »

En réalité, il marquait un point. Il sembla analyser rapidement sa proposition, mais ne pas tellement douter de la réponse. Elle attrapa son téléphone lorsqu'il le lui rendit, avec autant de délicatesse que son propre lancer. Secouant la tête à sa dernière remarque pour chasser une remarque acerbe sans doute, elle sortit du vestiaire avec lui sur ses talons.

« Cool, alors on décolle ! »

La boite de nuit n'était pas très loin, et c'était tant mieux. La population parisienne de nuit était nettement moins sobre que celle en journée. Mais pour une raison étrange, Morri s'y sentait presque plus à l'aise. Des gens perfectibles, mais dont elle pouvait ressentir parfois une certaine force d'esprit. Cela lui rappelait les moments vécus dans le passé, lorsque la frénésie de charge des troupes était tout ce qui comptait. Elle sentit poindre l'agacement et le désespoir chez son ami, qu'elle calma avec une main sur l'épaule, directement après sa demande.

« Sais-tu à qui tu parles ? J'ai une idée, mais c'est pas aussi politiquement correct que ce que tu proposes. »

Elle fixa la file d'attente, des jeunes, pour la plupart, prêts à s'enivrer. Elle en identifia un, un homme, grand et maigrichon, mais avec une aura prête à exploser. Parfait, c'était exactement ce dont elle avait besoin. Elle s'approcha de lui, qui semblait un peu plus en retrait que le reste de ses amis, dos à elle. Doucement, la divine se glissa jusqu'à lui, et lui chuchota à l'oreille, invoquant dans le même temps son pouvoir de qualification, puisant dans ce qu'elle sentait comme étant une grande rancoeur et une certaine impuissance.

« Tu comptes te laisser faire comme ça jusqu'à la fin de ta vie ? Prouve ce que tu vaux. Maintenant. »

Il sembla se raidir, et sortit de la file d'attente, sous les exclamations de ses amis. Morrigan revint près de Chulainn.

« Regarde, et apprends. »

Il fit quelques pas, arriva au niveau du vigile qui l'arrêta d'une main. Sans crier gare, il lui décrocha une droite et se jeta sur lui, le faisant tomber au sol avec lourdeur. Quelques cris s'élevèrent dans la nuit, et le chaos s'empara du trottoir. Certains partirent en courant, d'autres voulurent se joindre au combat mais furent arrêtés, ce qui déclencha des petits affrontements plus épars. D'autres, comme Morrigan et Chulainn à qui elle venait de prendre la main, en profitèrent pour entrer dans la boite de nuit.

Au vestiaire, elle tendit son sac et sa veste, se retrouvant en débardeur et en jean.

« Incroyable ce que les gens sont prêts à faire pour entrer plus vite, sérieusement ! » dit-elle en feignant l'indignation face à l'hôtesse qui hocha la tête et pris ses vêtements.

Elle se tourna ensuite vers Chulainn tout en s'attachant les cheveux en queue de cheval, ne pouvant cacher son air satisfait.

« On va boire un truc ? »

La déesse inclina la tête aux applaudissements de son maudit, le regardant avec un petit sourire en coin, comme pour le remercier de réaliser qu'elle savait y faire. Le nez du pauvre homme était probablement cassé oui, comme disait Chulainn. Qu'à cela ne tienne, croiser le chemin de la déesse de la guerre pouvait s'avérer dangereux, même si on ne le savait pas. L'endroit était déjà bien bondé, et quelques corps s'échauffaient déjà sur la piste de danse. Morrigan noua ses cheveux en une longue queue de cheval, regardant autour d'elle et suivant William jusqu'au bar.

En parfait gentleman, il décala un petit tabouret pour qu'elle puisse s'y asseoir, avant de commander 4 shots : 2 vodka cranberry, 2 whisky caramel. Elle lui sourit.

« Dis donc, t'attaques fort ce soir, t'as un truc à oublier ? »

Elle, elle en avait des tas. Mais ce n'était pas le moment de s'apitoyer sur son sort, alors que sa folie avait décidé de se calmer pour la soirée. Ou au moins pour le moment. Elle laissa son regard parcourir l'homme. Il n'avait pas pris une ride depuis toutes ces années. Il avait exactement la même tête que lorsqu'elle l'avait rencontré et béni. Cela l'épatait toujours, de voir l'étendue de son pouvoir divin. Il pouvait tout aussi bien donner la mort que la préserver. Dans son regard brillait un lueur d'amusement, de détente. Et elle s'y plierait bien volontiers.

Ils trinquèrent gaiement, et William engloutit les 2 verres coup sur coup, suivi de près par Morrigan. Elle grimaça sous l'effet de l'alcool fort qui lui brûla la gorge, reposant bruyamment les verres à shot vides. Sa question la désarçonna un peu. Mais elle n'en laissa rien paraître et lui répondit, penchant légèrement la tête.

« Quitter Paris ? Je ne pense pas, j'ai à faire avec Ars. Je dois me regrouper avec Teutatès et Mama, même si ça ne te plait pas. Il y a beaucoup d'activité divine et déicide ici, j'ai l'impression. Et puis... »

Morrigan avait laissé sa main sur le dernier verre. Elle le caressa d'un air distrait, avant de reprendre, plongeant son regard dans celui de l'immortel :

« Je passerai voir Dagda. Il peut peut être m'aider à localiser un précieux artefact divin. Quelque chose qui pourrait nous aider, changer la donne. S'il y parvient, alors toi et moi pourrons aller le chercher. »

Le plan était bien ficelé, parfaitement prévu. A ceci près qu'aucun des protagonistes n'était au courant de son rôle, à commencer par celui sans qui rien de tout cela ne serait possible : son époux Dagda. Elle attrapa du bout des doigts une olive, puis reprit, fronçant légèrement les sourcils :

« Allons, la vie à Paris n'est pas si mal. Tu peux sortir tous les soirs, rencontrer des gens, séduire de jolies parisiennes. On dit qu'elles ont un super sens de la mode. Ca pourrait être pire, non ? »

La réaction du maudit ne se fit pas attendre. Le contraire l'aurait déçue. Les années avaient passé, et ses identités avaient défilé, mais il restait toujours ce fameux guerrier d'Irlande qu'elle avait déniche et béni. Et cette évidence se rapelait à sa mémoire, lorsqu'il démontrait des signes de rage ou de violence qui avaient toujours plu à Morrigan. Parce qu'ils lui rappelaient son propre caractère. Son accès sanguin ne l'étonna donc pas, surtout lorsque le sujet était Dagda. Sujet qui avait toujours divisé mais qui avait su également embrasser les passions, positivement ou non. Le divin avait un pouvoir non négligeable et une influence qui planait sur tous, même si personne ne le connaissait vraiment. Sauf peut-être Morrigan, en tant qu'épouse. Cela lui avait coûté, à l'époque, d'accorder sa confiance à cet homme qui l'avait si aisément bafouée.

Avec un sourire aux lèvres, elle l'observa froncer les sourcils, frapper la pauvre table qui n'avait rien demandé, faire signe au vigile que tout allait bien. Etait-ce de la fierté qui pointait ? Peut-être bien. Cela l'amusait toujours de voir qu'il pouvait perdre le contrôle si vite quand les histoires la concernait de trop près. Il n'avait rien mérité de tout cela, mais la vie était ce qu'elle était, et la sienne avait été graciée du don de l'immortalité. Mangifique cadeau n'est-ce pas ? Elle le recadra néanmoins, fermement mais sans agressivité.

« Le pouvoir de Dagda est trop puissant pour ne pas être utilisé. Et au-delà de ça, que penses-tu qu'il arrivera si un autre panthéon s'emparait de lui ? Et puis, il me doit bien ça. »

Elle sourit, pensive. Il penserait sans doute ne rien lui devoir. Elle tenterait de le persuader à l'aider. Levant un oeil vers William tandis qu'il remuait avec vigueur son verre de whisky, elle se surprit à imaginer une mission de recherche d'artefact avec lui. Collaborant comme au bon vieux temps. A sa remarque concernant sa colère, elle lui dit, se penchant pour toucher son coeur :

« Non, garde ce feu bien en toi, on risque d'en avoir besoin dans les mois à venir. »

Elle attrapa son verre pour en boire une gorgée, grimaçant lorsque l'alcool descendit le long de sa gorge.

« Je sais pas. Bientôt. »

Une réponse peu satisfaisante sans doute, mais la seule qu'elle avait jusque là. Elle reporta son attention sur lui, répondant au tac au tac à sa question sur la drague des parisiennes, levant le bras pour recommander des shots :

« Nope, pas vraiment. J'ai d'autres priorités en ce moment. Mais je suis sûre que tu vas y arriver, tu sais être très.. persuasif. »

Il lui confia un voyage en amérique, et la rencontre avec une chef de police au comportement bizarre. S'écartant pour laisser le serveur poser les shots près d'eux, elle l'écouta avec attention, pas sûre de pourquoi il lui disait tout ça. Un comportement étrange, des enfants. Il s'était barré. Tiens donc, pour quelle raison exactement ?

« Qu'est-ce que tu foutais en Amérique ? T'as rien trouvé de plus loin encore pour te libérer de moi ? »

Reprenant un tant soit peu son sérieux, elle lui demanda :

« Et quoi ? T'as rencontré une femme qui t'a tapé dans l'oeil et maintenant elle te manque ? Pourquoi ça t'obsède autant ? »

A vrai dire, Morrigan n'était toujours pas vraiment décidée à retrouver son mari. Ils s'étaient quittés pour ainsi dire en mauvais termes, et son inaction perpétuelle avait eu raison de ses sentiments pour lui, au fil des millénaires. Ca, et le fait qu'il la trompait allègrement dès qu'il en avait l'occasion, sans même s'en cacher. Ce qui lui avait fait bien plus de mal que ce qu'elle avait pensé au début. Les interrogations de William étaient légitimes, bien qu'inutiles. Morrigan n'avait pas encore réellement esquissé son plan, alors pour l'instant, ce n'étaient que des hypothèses.

« Dagda est tout sauf conciliant. Il est égoïste, solitaire, oisif. Je ne sais pas s'il voudra m'aider. Je ne sais même pas s'il voudra m'écouter. Mais je n'ai rien à perdre. »

Sur le reste, elle ne répondit rien. Des dizaines d'années s'étaient écoulées depuis qu'elle avait vu Dagda pour la dernière fois. Quant à sa relation avec le Dieu-Père... Si William ne savait pas qu'ils étaient en couple, il le saurait bien assez tôt. C'était inutile d'en rajouter, d'autant qu'elle savait qu'ils n'étaient pas en bons termes. Elle, elle prenait toute l'aide qu'elle pouvait avoir. Et malgré tout, elle avait des sentiments pour le gaulois, des sentiments qu'elle ne voulait ni pouvait ignorer.

Persuasif, il l'était. Séduisant, aussi. Cela avait compté, à l'époque, lorsqu'ils s'étaient rencontrés. Lorsqu'elle lui avait raconté qui elle était, ce qu'elle faisait. Il ne l'avait pas jugée, l'avait acceptée. Il avait même tenté de la provoquer en duel, le petit effronté. C'était ce qui lui avait plu, chez lui. Elle savait qu'il la pousserait toujours dans ses retranchements. Alors quand elle s'était rendu compte que son âme mortelle pourrait le quitter, elle l'avait béni. Un peu égoïstement, sans doute. Et depuis, il était tant son âme sœur que son plus fidèle ennemi. Il expliqua son départ, sur un ton sarcastique, invoquant son angoisse. Elle fit mine d'avoir été blessée par sa taquinerie qui il fallait l'avouer, avait été bien placée. Il reprit, détaillant l'histoire avec cette fameuse femme.

Son côté égoïste ne la fit pas réagir plus que cela, elle retint une quelconque remarque, soudain plus concentrée sur ce qu'il ne lui disait pas encore mais qui semblait l'interpeller. Suffisamment en tout cas pour qu'il décide de lui en parler. Et il avait beau savoir manier les mots et pouvoir draguer, jamais il ne parlait dans le vide. Conjurer le mauvais sort ? Hum, intéressant. Elle l'observa, arquant un sourcil.

« Il va me falloir plus de détails. Mais oui, j'imagine que tout est possible. Le plus compliqué sera peut être de trouver d'où viendrait cette malédiction. Après, il faudra retracer qui l'a lancée. Si toutefois c'est bien une malédiction... »

Un sourire s'étira sur son visage, lorsqu'il lui offrit sa main pour aller danser. Comme au bon vieux temps. La singularité de leur relation la frappa à cet instant, alors que 1h auparavant, ils étaient en train de se battre. Dans le passé, ils auraient peut-être terminé dans un lit. Mais pas aujourd'hui. Elle se leva, s'élançant sur la piste de danse, suivie de près par William. Le DJ changea de son au moment où ils arrivaient, et un mouvement de foule les comprima, les forçant à se rapprocher. L'alcool avait commencé à faire son effet et combiné à la fatigue physique, il allégeait ses craintes et ses obsessions. Elle se mit à respirer, lentement, se sentant soudain un peu plus libre, se balançant de gauche à droite au gré de la musique. Elle le bouscula en lui tapant sur l'épaule, se penchant vers lui pour couvrir le vacarme du son.

« T'es tout raide comme un piquet là, qu'est-ce qui t'arrive ? C'est cette femme qui hante tes pensées ? Est-ce que je dois être jalouse ? Attention, l'obsession c'est jamais bon. »

L'hôpital, la charité, tout ça.

Son cavalier d'un soir ou ami de toujours ironisa sur l'époque dans laquelle ils vivaient, en comparaison avec les précédentes qu'ils avaient vécues. Elle devait avoir n'avoir rien à redire et être d'accord avec lui. Les combats, l'adrénaline qui montait en flèche avant un affrontement, dans les minutes de silence de mort qui le précédaient. Elle s'en délectait encore, se souvenant quel goût avait la victoire, sur ses lèvres, dans ses membres tendus, dans ses doigts serrés sur son épée. Une sensation qu'elle n'avait pas oubliée, malgré toutes ces années, se souvenant des contrées qui l'avaient vu naître de leurs enjeux se réglant souvent dans une effusion de sang. Il la remercia, à demi-mots toutefois de l'avoir sauvé. Elle hocha la tête, surprise de sa reconnaissance qu'il n'avait effectivement jamais montré. Puis il enchaîna sur son époux, dont il se méfiait comme de la peste. Là encore, difficile de ne pas être d'accord avec lui.

« Je serai prudente, promis. »

Ce n'était pas dans son intérêt de ne pas l'être. Cependant, Morrigan n'avait pas pour habitude d'être très stratégique dans ses approches. Elle fonçait plutôt tête baissée. Elle se mit à rire en le voyant esquisser des mouvements bizarres. Son compliment sur son enveloppe élargit son rictus, même si elle savait que ce n'était qu'une apparence et que leur relation allait bien au-delà. Il la taquina, ce qu'elle prit assez mal, n'étant pas d'accord sur le fait qu'elle était jalouse.

« Je suis pas jalouse ! Mais tu as tendance à t'enticher rapidement, soyons honnêtes. Je veille juste sur toi. »

Et un peu sur moi, aussi, pourrait-elle penser. Elle le souhaitait à ses côtés, de façon égoïste. Elle le ressentait, puissamment, lorsqu'il était là. Et même si ses faiblesses nourrissaient les siennes et augmentaient sa folie, elle appréciait sa compagnie. Ce qu'elle ne lui dirait jamais vraiment, pas en ces termes cependant. Ils s'étaient rapprochés, et elle sentait son regard sur elle, inquisiteur, désireux.

« Fais ce que tu veux. Rends-moi fière. » lui répondit-elle, l'air taquin.

L'alcool aidant, la musique également, elle se sentait un peu plus légère. Elle sentit sa main se glisser dans son dos, la rapprochant de lui. Ce qui aurait pu lui plaire par le passé, car annonciateur d'un contact physique qu'elle appréciait, en général... Ce soir-là, ses pensées flottèrent jusqu'à Teutatès. Tout était flou, depuis leur retour dans leurs enveloppes. Pourtant, elle sentait la force de ses sentiments pour lui. Elle avait tenté de les ignorer, pour le protéger, et pour se protéger. Parce que c'était plus simple, en fait. Mais elle ne pouvait pas prétendre qu'ils n'existaient pas quand il s'imposait à elle dans ses pensées, à toute heure du jour ou de la nuit. Attrapant sa main, elle l'enleva, avant de lui dire :

« Beaucoup a changé, depuis ton départ, Chu. Teutatès et moi, on s'est... rapprochés. »

Comment pouvait-elle le décrire autrement ? Ils avaient partagé bien plus qu'un rituel de pouvoir, bien plus qu'un simple baiser ou qu'un simple rapport. Elle l'aimait, et elle pensait qu'il l'aimait aussi. Will avait du le ressentir, à cet instant. En tout les cas, elle ne pouvait pas prétendre qu'il n'existait pas. Les tromperies de Dagda étaient encore bien présentes dans son esprit. Elle lui devait fidélité, au moins tant qu'ils n'avaient pas mis les choses au clair.

« Notre proximité, notre relation... C'est pas si clair, et tant que ça l'est pas, ça, ça ne peut pas exister. »

Aucun doute ne pouvait exister. Et elle ne prendrait aucun risque.

« On en a pas besoin de toute façon, on est tellement plus que ça, non ? Toi et moi c'est pour l'éternité. »